Depuis quelques années, la notion diffuse de « santé mentale » a connu une certaine extension de son domaine d’application. Elle s’impose dans les discours de santé publique depuis le début des années 2000 et reste fort peu discutée (Bellahsen, 2014). À l’origine, elle recouvrait des enjeux subversifs mettant en cause les idéaux de traitement au sein des institutions asilaires et psychiatriques. De nos jours, elle est de plus en plus associée à des politiques de normalisation et de contrôle social néolibérales, psychiatrisant la vie privée et médicalisant nos existences (Gori et De Volgo, 2005) dans un mouvement envahissant et réticulaire. Au fil de son histoire, la notion a rencontré, souvent de manière frontale, le monde de la justice pénale qui a participé à la reconfiguration de sa géométrie. Cette confrontation de logiques entre le monde de la santé et des soignants et celui des acteurs de la justice pénale n’est pas neuve dans la mesure où on l’observe déjà dès les débuts de la psychiatrie. Certes, on ne parlait pas encore nommément de santé mentale. Mais la notion, héritée des transformations progressives de celles d’aliénation mentale et de maladie mentale, réclame d’être réactualisée au regard des différentes thématiques qui la traversent à notre époque et qui prennent d’autres chemins de signification. C’est pourquoi nous avons choisi ici de rassembler une série de textes qui, chacun à leur manière, sous un jour original, problématise la rencontre entre deux mondes qui peuvent sembler si différents, mais qui au fond partagent peut-être un certain malaise tenant à l’art difficile du dialogue (Kinable, 2006). La criminologie clinique nous est apparue l’instrument le plus pertinent et efficace pour construire ce dialogue, nécessairement pluridisciplinaire, entre la criminologie, la sociologie, la psychologie et le droit. Comme la notion de santé mentale se décline différemment en fonction des univers culturels et linguistiques concernés, ce numéro fait place à des contributions canadiennes, belges, françaises et même africaines. Si on oppose souvent les productions en fonction de leur lieu d’origine, non sans effectuer de fâcheuses généralisations, comme si l’Europe, le Canada ou l’Afrique étaient des univers univoques. Nous verrons combien il est important de continuer à penser un croisement entre différents points de vue, de manière à être en mesure de faire justice à la complexité des problèmes posés. Lorsqu’on met en tension les différents segments du système de justice pénale avec la notion de santé mentale, la prison s’impose évidemment comme un lieu qui cristallise l’attention. Ainsi, la prévalence élevée d’individus en milieu carcéral souffrant de problèmes de santé mentale est maintenant bien établie (Fazel et Seewald, 2012). Les données d’enquêtes à grande échelle en Europe, en Amérique du Nord et du Sud, en Asie et au Moyen-Orient soulignent la grande vulnérabilité d’une population éprouvant des difficultés multiples, allant bien au-delà de la psychopathologie. Pour plusieurs, sinon la majorité de ces personnes, l’expérience de la pauvreté, de l’isolement social, de la stigmatisation, de l’itinérance, du manque de ressources matérielles de base ou de la toxicomanie font partie du quotidien pré et postincarcération (Falissard etal., 2006 ; James et Glaze, 2006). Il est ainsi courant d’entendre que les personnes atteintes de problèmes de santé mentale ont un risque accru de contact avec le système de justice, souvent sur la base de délits mineurs. Or, le processus de réhabilitation dans leur cas est fragilisé par une gamme de problèmes structurels au sein de l’institution carcérale elle-même : manque chronique de ressources adaptées, absence de stimulation adéquate, isolement, violence tout autant symbolique que physique… Le cadre physique de l’institution lui-même peut contribuer à aggraver un désordre mental présent avant …
Parties annexes
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