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Introduction

Dans les dernières années, plusieurs chercheurs ont constaté l’importance d’avoir une vision holistique du vécu de violence des jeunes (Slep & Heyman, 2001 ; Finkelhor et al., 2005b ; Cyr et al., 2012), entre autres pour éviter de surestimer la force de la relation entre une forme de victimisation spécifique et les conséquences mesurées (Richmond et al., 2009), mais aussi pour permettre aux intervenants de prendre en considération l’ensemble des facteurs contribuant à aggraver le problème (Stephens et al., 2000). Si les recherches dans le domaine ont démontré l’existence de concomitances entre les différentes violences vécues par les jeunes (Litrownik et al., 2003 ; Zolotor et al., 2007 ; Lessard et al., 2009 ; Hamby et al., 2010), des recherches sont maintenant nécessaires pour expliquer de façon précise les liens complexes entre ces violences cumulées et les conséquences observées (Foster & Brooks-Gunn, 2009).

C’est dans cette optique que s’est développée la présente recherche qui s’intéresse aux jeunes âgés de 2 à 17 ans vivant une forme ou une autre d’exposition à la violence familiale. L’exposition à la violence familiale est définie par le fait d’être soit exposé à la violence conjugale, soit exposé à la violence envers la fratrie. L’intérêt d’étudier simultanément ces deux groupes de jeunes est né du constat que ces groupes présentent certains besoins ou certaines réactions semblables. En effet, les frères et soeurs des jeunes maltraités présentent eux aussi de grands besoins psychologiques (Romano, 2011) puisqu’ils vivent de la peur et de l’anxiété tout comme ceux exposés à la violence conjugale (Beezley et al., 1976). De plus, les moyens mis en place par ces derniers pour contrer la violence sont également similaires. En effet, une enquête longitudinale américaine, réalisée auprès de 4 549 jeunes de 17 ans et moins interrogés à propos de 45 formes de victimisation différentes, montre que 50 % des jeunes exposés à la violence conjugale ont crié pour faire cesser la violence, 44 % ont tenté de fuir la situation et 24 % ont appelé à l’aide, alors que dans le cas des jeunes exposés à la violence envers la fratrie, 49 % ont crié, 42 % ont tenté de fuir et 20 % ont cherché de l’aide (Hamby et al., 2011). Enfin, plusieurs jeunes exposés à la violence envers la fratrie considèrent qu’ils auraient dû intervenir pour faire cesser la violence sur leur frère ou leur soeur (Beezley et al., 1976). Cette façon de se représenter la dynamique de violence et de s’attribuer une certaine responsabilité se retrouve aussi chez les jeunes exposés à la violence conjugale (Fortin et al., 2000 ; DeBoard-Lucas & Grych, 2011).

L’exposition à la violence conjugale est maintenant reconnue comme pouvant avoir des conséquences désastreuses sur le bien-être des jeunes. Ces jeunes peuvent être affectés sur plusieurs plans selon le stade de développement atteint (Cunningham & Baker, 2007 ; Lessard etal., 2009) ; ils subissent des conséquences notamment sur les plans comportemental et émotionnel (Overlien, 2010). Ils sont plus à risque de vivre de la colère, de la dépression, de l’anxiété et un syndrome de stress post-traumatique (SSPT ; Overlien, 2010). Pour ce qui est de l’exposition à la violence envers la fratrie, les recherches portant spécifiquement sur le sujet sont peu nombreuses et datent souvent de plusieurs décennies (Halperin, 1981, 1983). Fort heureusement, ces dernières années, les chercheurs s’intéressant à la polyvictimisation ont inséré cette forme de violence parmi les nombreuses autres formes de violence examinées, ce qui permet d’en connaître un peu plus sur cette problématique. On y constate entre autres qu’à première vue elle ne semble pas atteindre un grand nombre de jeunes, les taux de prévalence annuelle se situant en dessous de 1,5 % (Finkelhor et al., 2005a ; Turner et al., 2010). On peut par contre supposer que le manque de connaissances en lien avec la problématique peut avoir un impact sur la mesure du phénomène. De plus, la définition utilisée dans les recherches de Finkelhor et al. (2005) et de Turner et al. (2010) ne tient compte que de la violence physique dont l’enfant aurait été directement témoin de la part d’un parent sur un frère ou une soeur. Une définition plus inclusive des diverses formes de maltraitance pourrait permettre de mieux connaître les conséquences de l’exposition à la violence envers la fratrie selon la forme qu’elle prend (ex. : agression sexuelle ou de violence psychologique).

Il est important de mentionner que les nombreuses conséquences associées à l’exposition à la violence familiale sont modulées par la présence, ou l’absence, de divers facteurs jouant un rôle aggravant ou protecteur (Fortin et al., 2000 ; Martinez-Torteya et al., 2009). Parmi ces facteurs, le cumul des violences constitue un aspect essentiel à examiner. En effet, l’apparition d’une première victimisation dans la vie d’un individu augmente de 2 à 18 fois les risques d’en vivre une autre comparativement aux individus n’en ayant jamais subi (Dong et al., 2004). De plus, un enfant victime de violence dans une année a de deux à sept fois plus de risques d’être revictimisé sous une autre forme dans la même année (Finkelhor et al., 2007). Bien que de plus en plus d’auteurs s’intéressent à l’accumulation de violence dans la vie des jeunes (Hamby & Finkelhor, 2000 ; Elliott et al., 2009), il n’y a pourtant pas encore de consensus clair en regard des conséquences de cette accumulation sur leur bien-être. Si certains travaux montrent que les conséquences s’aggravent avec l’augmentation du nombre de victimisations (Foster & Brooks-Gunn, 2009), d’autres remettent en question cet effet directement proportionnel entre le nombre de victimisations et les problèmes associés (Silverman & Gelles, 2001 ; Sternberg et al., 2006). Mrug et Windle (2010) mentionnent même que certaines victimisations atténuent plutôt l’impact de l’exposition à la violence conjugale sur les symptômes de trauma des jeunes. Ces auteurs ont constaté que l’exposition à la violence dans la communauté atténue l’impact de l’exposition à la violence conjugale, laissant croire à un effet de désensibilisation à la violence chez les jeunes. Ils avancent aussi l’hypothèse que l’exposition répétée à la violence entraînerait un raisonnement cognitif affectant son interprétation et son impact. Relativement à ces résultats controversés, il apparaît essentiel de s’intéresser à la question suivante : est-ce que l’accumulation de violence a un effet ou non sur la relation entre l’exposition à la violence familiale et ses conséquences sur la santé mentale des jeunes, et plus spécifiquement sur la possible présence d’anxiété, de dépression, de colère ou de syndrome de stress post-traumatique ?

Hypothèses de recherche

Sur la base de la recension des écrits réalisée, deux hypothèses sont retenues : 1) les jeunes exposés à la violence familiale (EVF) présentent un plus grand nombre de formes de violence, ainsi que des symptômes de trauma plus importants que ceux non exposés à la violence familiale (NEVF) ; et 2) l’accumulation d’autres formes de violence dans la vie des jeunes a un effet modérateur sur les conséquences de l’exposition à la violence familiale. Pour vérifier ces hypothèses, une adaptation du Stress Process Model est utilisée. Selon ce modèle, développé par Foster et Brooks-Gunn (2009), les conséquences de la violence sur les jeunes peuvent être influencées tant par la façon dont la société est structurée et les inégalités qui en découlent que par d’autres variables ayant un effet médiateur ou modérateur, telles que des facteurs individuels, familiaux ou communautaires. Les hypothèses choisies ne se limitant qu’aux effets de l’accumulation de diverses formes de violence dans la vie des jeunes, c’est cette variable modératrice qui a été retenue pour la présente recherche, tel que présenté dans la figure 1.

Figure 1

L’accumulation de formes de violence comme variable modératrice des conséquences de l’exposition à la violence familiale

L’accumulation de formes de violence comme variable modératrice des conséquences de l’exposition à la violence familiale

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Méthodologie

Les résultats de cette recherche sont issus d’une analyse secondaire quantitative de données provenant de deux études québécoises sur la polyvictimisation (Chamberland et al., en cours ; Clément et al., en cours). Entre mai et septembre 2009, 1400 adolescents âgés de 12 à 17 ans ont été contactés par téléphone, grâce à la technique de génération aléatoire de numéros de téléphone (GANT). La même technique a été utilisée entre janvier et mars 2011 pour joindre les parents de 1401 enfants de 2 à 11 ans. Le Juvenile Victimisation Questionnaire (JVQ) permettait de déterminer la présence, dans la vie des jeunes, de 32 à 34 formes de victimisation différentes, selon la catégorie d’âge. Ces victimisations se classent en cinq catégories : crimes conventionnels, mauvais traitements, victimisation par les pairs ou la fratrie, victimisation sexuelle et victimisation indirecte, et exposition à la violence. Parmi ces victimisations, l’évaluation de l’exposition à la violence conjugale a été définie dans la première enquête (celle réalisée auprès des adolescents) à partir de questions vérifiant si le jeune avait VU un de ses parents être frappé par son autre parent ou par son conjoint ou sa conjointe et si son parent a été giflé, a reçu un coup de poing ou a été battu. L’exposition à la violence envers la fratrie était quant à elle établie lorsque le jeune avait VU un de ses parents frapper, battre, donner des coups de pied ou blesser physiquement un frère ou une soeur, en excluant les tapes aux fesses. La deuxième enquête, réalisée auprès de parents d’enfants âgés de 2 à 17 ans, a permis une mesure plus fine de l’exposition à la violence conjugale. Outre les questions dont on parle ci-dessous, les parents devaient mentionner si un des parents de l’enfant avait été poussé, giflé ou frappé, s’il avait reçu un coup de pied ou avait été étranglé par un conjoint ou une conjointe, que l’enfant ait vu ou non l’événement. On vérifiait également la présence de menaces verbales entre les parents et si des objets avaient été détruits ou lancés. Le Trauma Symptom Checklist for Young Children (TSCYC) (Briere et al., 2001) évaluait les symptômes de dépression, de colère et d’anxiété des 2 à 11 ans, alors que le Trauma Symptom Checklist for Children (TSCC) (Briere, 1996) prenait en considération la dépression, la colère et le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) des 12 à 17 ans. Enfin, il faut savoir que les deux projets de recherche desquels sont tirées les données ont été approuvés par les comités d’éthiques de l’Université de Montréal (projet de Chamberland et al., 2008-2011) et de l’Université du Québec en Outaouais (projet de Clément et al., 2010-2013). L’analyse s’est effectuée à partir d’une banque de données dénominalisées ne comprenant que les variables nécessaires pour la réalisation de cette recherche.

En termes d’analyse statistique, le test t de Student a permis de constater les différences existant entre les jeunes EVF et ceux NEVF, en ce qui a trait au nombre de victimisations présentes dans l’année précédant l’étude et au score sur les échelles évaluant la présence de symptômes de trauma. L’effet modérateur de l’addition de violence dans la dernière année a quant à lui été évalué par des régressions multiples. De plus, afin de bien évaluer la portée de la relation entre les variables, le carré du coefficient de corrélation de Pearson (r2) est également calculé. Il est important de noter que les résultats concernant les enfants de 2 à 11 ans et ceux concernant les 12 à 17 ans sont présentés séparément, en raison des variations méthodologiques dans la collecte des données auprès des deux groupes d’âge. En effet, rappelons que l’anxiété a été évaluée pour les tout-petits, alors que c’est plutôt le SSPT qui a été considéré pour les adolescents. De plus, la différence de répondants entre les deux groupes d’âge, les parents ayant été questionnés pour les plus jeunes alors que les adolescents l’ont été directement, risque d’avoir un impact sur les résultats et constitue une autre raison de les considérer de façon distincte.

Résultats

Sur les 1401 enfants de 2 à 11 ans, 15 % sont EVF. De ce nombre, 5 % ont été exposés à la fois à la violence conjugale et à la violence envers la fratrie, 94 % ont été exposés uniquement à la violence conjugale et 1 % uniquement à la violence envers la fratrie. Mentionnons que, selon l’ensemble des parents interrogés, 21,2 % des enfants ne vivent pas, au moins la moitié du temps, sous le même toit qu’un frère ou une soeur. Pour ce qui est des 1400 adolescents interrogés, 6 % d’entre eux sont EVF. Rappelons que ce nombre est moindre que pour les plus jeunes, puisque la mesure de l’exposition à la violence conjugale a été raffinée entre la première et la deuxième enquête, permettant ainsi de dépister plus d’enfants que d’adolescents exposés à cette violence. De ce nombre, 8 % ont été exposés à la fois à la violence conjugale et à la violence envers la fratrie et 92 % ont été exposés uniquement à la violence conjugale. Enfin, il faut savoir que 42 % de tous les adolescents interrogés ne vivent pas avec un frère ou une soeur.

Hypothèse 1 : Les jeunes EVF présentent un plus grand nombre de formes de violence, ainsi que des symptômes de trauma plus importants que les jeunes NEVF.

Les tests statistiques montrent que, tant pour les enfants que pour les adolescents, le nombre de victimisations autres que l’exposition à la violence familiale est significativement plus élevé pour ceux exposés à cette dernière que pour les NEVF. Le tableau 1 montre que les enfants de 2 à 11 ans EVF vivent, en moyenne, deux fois plus de formes de victimisation que les enfants NEVF. Pour ce qui est des adolescents EVF, ils ont vécu en moyenne 1,8 victimisation de plus que les adolescents NEVF.

Tableau 1

Autres victimisations annuelles des jeunes EVF et NEVF selon l’âge

Autres victimisations annuelles des jeunes EVF et NEVF selon l’âge

p <0,001.

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Les enfants de 2 à 11 ans EVF présentent également un score moyen de symptômes de trauma significativement plus élevé que les enfants NEVF, tel qu’illustré dans le tableau 2. La différence de moyenne des symptômes de trauma entre les enfants EVF et NEVF varie de 0,92 à 1,09 selon le symptôme observé. Les résultats sont compilés ici selon un score allant de 9 à 36 pour les trois symptômes de trauma observés, les scores les plus élevés étant reliés à des difficultés plus grandes pour l’enfant. En examinant l’écart-type, on peut aussi constater que la variance entre les scores est plus grande pour les enfants EVF.

Tableau 2

Scores aux symptômes de trauma selon l’exposition à la violence familiale chez les enfants âgés de 2 à 11 ans

Scores aux symptômes de trauma selon l’exposition à la violence familiale chez les enfants âgés de 2 à 11 ans

p <0,001.

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Tout comme pour les plus jeunes, les adolescents EVF présentent un score moyen significativement plus élevé que ceux NEVF (Tableau 3) pour tous les symptômes de trauma, la différence entre les deux groupes allant de 1,82 à 3,38 points, selon le symptôme. Les résultats sont ici compilés selon un score de 0 à 27 pour la colère et la dépression, et de 0 à 30 pour le SSPT, les scores les plus élevés étant, encore ici, reliés à des difficultés plus grandes pour le jeune.

Tableau 3

Scores aux symptômes de trauma selon l’exposition à la violence familiale chez les adolescents âgés de 12 à 17 ans

Scores aux symptômes de trauma selon l’exposition à la violence familiale chez les adolescents âgés de 12 à 17 ans

p <0,001.

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Hypothèse 2 : L’accumulation de violence dans la vie des jeunes EVF a un effet modérateur sur les conséquences de l’exposition à la violence familiale.

Chez les enfants de 2 à 11 ans, les analyses effectuées montrent que l’exposition à la violence familiale fait augmenter significativement le score d’anxiété de 1,084 (Tableau 4). Pour chacune des victimisations supplémentaires présentes dans l’année, ce score augmente significativement de 0,366. Par contre, cette addition de victimisations ne produit pas d’effet modérateur significatif. Le phénomène est similaire pour la dépression : l’accumulation d’autres victimisations n’a pas d’effet modérateur significatif sur la relation entre l’exposition à la violence familiale et la dépression, mais chacune des victimisations supplémentaires fait augmenter le score de dépression de 0,514. Ainsi, un enfant EVF a un score de dépression plus élevé de 0,896, comparativement à un enfant NEVF. On constate pourtant ici l’effet modérateur significatif de l’accumulation de victimisations, le score de colère diminuant de 0,333 chaque fois qu’une nouvelle victimisation apparaît chez les enfants EVF. Cet effet modérateur n’est toutefois pas assez fort pour éliminer complètement l’impact des victimisations seules. De plus, cette combinaison de variables n’explique que 10,3 % de la variance du taux de colère, la relation est donc faible.

Tableau 4

Effet modérateur de l’accumulation de victimisations sur les conséquences de l’exposition à la violence familiale des 2 à 11 ans

Effet modérateur de l’accumulation de victimisations sur les conséquences de l’exposition à la violence familiale des 2 à 11 ans

*** p <0,001 ; * p <0,05.

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Pour ce qui est des adolescents, aucun effet modérateur de l’accumulation de victimisations sur l’exposition à la violence familiale n’apparaît, peu importe le symptôme de trauma observé (Tableau 5). Par contre, l’exposition à la violence familiale a plus d’impact sur les symptômes de santé mentale que les autres victimisations présentes dans la dernière année. En effet, la variance des symptômes de trauma est d’une à presque quatre fois plus importante pour un adolescent EVF, comparativement à l’effet moyen des autres formes de violence ayant pris place dans la dernière année. La relation entre ces variables demeure tout de même faible, n’expliquant au plus que 21,5 % de la variance des symptômes de trauma.

Tableau 5

Effet modérateur de l’accumulation de victimisations sur les conséquences de l’exposition à la violence familiale des 12 à 17 ans

Effet modérateur de l’accumulation de victimisations sur les conséquences de l’exposition à la violence familiale des 12 à 17 ans

*** p <0,001 ; ** p <0,01.

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Discussion

La première hypothèse a été confirmée : les jeunes EVF vivent une ou deux formes de victimisation de plus et affichent des symptômes de trauma significativement plus importants que les jeunes NEVF. La deuxième hypothèse a été partiellement confirmée : l’accumulation de diverses formes de violence dans la dernière année pour les jeunes EVF a un effet modérateur sur les symptômes de trauma, mais uniquement en regard du score de colère des enfants âgés de 2 à 11 ans.

Pour les jeunes EVF, le risque de vivre une accumulation de violence peut être expliqué de plusieurs façons. D’abord, certains facteurs de risque sont communs à plusieurs formes de violence, que ce soit dans l’environnement de l’enfant ou par ses caractéristiques personnelles. De plus, une première victimisation et les conséquences qui en découlent constituent en eux-mêmes des facteurs de risque pour d’autres victimisations (Perry et al., 2001). Le fait d’être victime devient donc, pour certains jeunes, plus qu’un acte isolé. C’est une condition qui peut perdurer dans le temps (Finkelhor et al., 2011). Enfin, le fait que les jeunes EVF présentent aussi des scores moyens de symptômes de trauma plus élevés que ceux NEVF est cohérent avec la littérature (Martinez-Torteya et al., 2009). Pour les plus jeunes, l’atténuation de la colère à travers l’interaction entre l’exposition à la violence familiale et le nombre de victimisations dans la dernière année peut dépendre, selon certains auteurs, de la nature des victimisations vécues. Ainsi, le fait d’être exposé à différentes formes de violence pourrait avoir de multiples effets selon la forme qu’elle prend (Miller et al., 2012). Par exemple, comme mentionné précédemment, l’exposition à la violence dans la communauté peut modérer l’impact de l’exposition à la violence conjugale sur certaines conséquences, soit l’anxiété, l’agression et la délinquance (Mrug & Windle, 2010). Dans une autre étude, on a aussi constaté que lorsque placés ensemble, les actes de violence d’un père envers son enfant et l’exposition de cet enfant à la violence dans la communauté sont significativement reliés aux actes d’agression de ce jeune envers les membres de sa fratrie. Pourtant, ces deux types de victimisation pris isolément ne sont pas significativement reliés aux gestes de violence physique que l’enfant peut porter sur ses frères et soeurs (Miller et al., 2012). En somme, il s’avère essentiel de tenir compte des interactions entre diverses formes de victimisation, car considérées ensemble, celles-ci peuvent entraîner de nouveaux effets sur les symptômes de trauma des jeunes. En d’autres termes, le simple fait d’additionner les conséquences possibles de chacune des victimisations vécues par un jeune ne suffit pas à déterminer de façon précise les risques de ces violences sur sa santé mentale.

Dans un autre ordre d’idées, on remarque que l’exposition à la violence familiale augmente davantage les symptômes de trauma que les autres victimisations, particulièrement chez les adolescents. On remarque aussi que l’effet modérateur constaté sur la colère des enfants n’est pas présent chez les 12 à 17 ans. On peut entre autres supposer que la colère reste davantage présente chez eux parce qu’ils ont une capacité plus grande d’analyser la situation et de comprendre les dynamiques de violence qui se jouent devant leurs yeux. D’ailleurs, plusieurs programmes d’intervention auprès des enfants et des adolescents exposés à la violence conjugale incluent des objectifs cliniques liés à l’identification et l’expression des émotions comme la colère (Côté et al., 2009).

Les résultats, chez les adolescents comme chez les enfants, peuvent également s’expliquer par le fait qu’on ne connaît pas le contexte entourant chacune des victimisations vécues, incluant l’exposition à la violence familiale, ce qui pourrait avoir un effet sur la variation des symptômes de trauma. Ainsi, la gravité des victimisations, mais aussi le nombre d’épisodes de violence vécue ainsi que la durée de chacune des victimisations dans la vie des jeunes sont certains éléments contextuels pouvant avoir une incidence sur leur santé mentale qui n’ont pas pu être examinés dans la présente étude. L’exposition à la violence familiale pourrait par exemple s’inscrire dans une dynamique de chronicité dans la vie d’un enfant, alors que certaines des autres victimisations vécues dans la dernière année pourraient être des incidents isolés, ce qui expliquerait leur impact moindre sur la santé mentale du jeune.

Enfin, l’exposition à la violence familiale, le nombre d’autres victimisations vécues dans une année ainsi que l’interaction entre ces deux variables expliquent un faible pourcentage de la variance des symptômes de trauma. D’autres variables doivent être considérées afin de mieux comprendre les symptômes de trauma des jeunes EVF. L’accumulation de diverses formes de violence n’est qu’un des facteurs pouvant avoir une incidence sur la santé mentale des jeunes. On peut par exemple supposer, comme Foster et Brooks-Gunn (2009), que certaines caractéristiques individuelles des jeunes, mais aussi certaines caractéristiques familiales et environnementales ont un impact sur leur santé mentale.

Recommandations pour le développement des connaissances et des pratiques

Cette recherche souligne l’importance d’intervenir auprès des jeunes EVF en ayant une vision globale de toutes les violences qui sont susceptibles de les atteindre. Considérant le fait que les services sociaux sont généralement développés en fonction de chacune des problématiques (Flynn & Adam, 2009), cette vision holistique est nécessaire pour les intervenants, afin que les actions posées soient davantage cohérentes avec le vécu des jeunes. Par exemple, pour intervenir sur l’estime de soi d’un enfant EVF en misant sur son réseau social comme facteur de protection, il est important de savoir s’il vit de l’intimidation de la part de ses camarades. Autrement, l’impact des interventions pourrait être négatif, en se penchant sur les mauvaises causes ou en revictimisant le jeune à l’intérieur du service d’aide (Flynn & Adam, 2009).

Puisque les jeunes EVF présentent un plus grand nombre de formes de violence et des symptômes de trauma plus importants que ceux NEVF, les recherches futures devraient examiner plus en profondeur leurs parcours de victimisation ainsi que les facteurs qui caractérisent chacun de ces parcours. Enfin, plusieurs facteurs de protection en lien avec l’exposition à la violence conjugale ont déjà été identifiés dans d’autres recherches (Lessard et al., 2009). Il est important de déterminer si ces facteurs sont les mêmes pour toutes les formes d’exposition à la violence familiale et s’ils ont toujours un impact aussi considérable lorsque l’enfant est confronté à d’autres formes de victimisations.

Forces et limites de la recherche

Une des forces de la présente recherche est d’utiliser un cadre théorique différent pour analyser la problématique de l’exposition à la violence familiale. De plus, puisque les deux enquêtes desquelles sont extraites les données analysées dans cette recherche ont privilégié une stratégie d’échantillonnage probabiliste et qu’elles incluent de larges échantillons, la validité externe des résultats de cette recherche s’en trouve accrue.

Malgré les avantages non négligeables de la stratégie générale de recherche, l’analyse de données secondaires comporte certaines limites. Par contre, les données ayant été colligées dans le but de tester des hypothèses différentes de celles de ce projet, elles confinent l’analyse à ces données uniquement (Brooks-Gunn et al., 1991) et ne permettent pas d’avoir des explications plus poussées sur les résultats qui sont obtenus. En effet, le JVQ ayant été développé pour capter un large éventail de victimisations, il examine moins chacune d’entre elles en détail (Finkelhor etal., 2007). Par conséquent, les définitions de chaque victimisation spécifique sont plus restrictives, comme c’est le cas ici pour l’exposition à la violence conjugale ou à la violence envers la fratrie. La recherche ne tient pas compte des formes de violence autres que physique, ainsi que de l’exposition indirecte, quoique certaines questions aient été ajoutées dans les questionnaires s’adressant aux parents des enfants de 2 à 11 ans. Par ailleurs, les données ne permettent pas non plus de constater l’influence des facteurs de risque autre que l’accumulation de formes de violence. En effet, l’application du cadre théorique se limite à ce seul facteur de risque, laissant de côté d’autres variables explicatives telles que les inégalités sociales.

Enfin, l’angle d’analyse choisi dans le cadre de cette recherche permet de mieux comprendre les variables qui ont une influence sur la santé mentale des jeunes EVF. Cependant, on ne tient pas compte de la fréquence, de la sévérité et de la chronicité de la violence, ainsi que des stratégies d’adaptation employées par les jeunes relativement à la violence (Le Moigne, 2012), ce qui pourrait entre autres permettre de dégager certains facteurs de protection.

Conclusion

Les jeunes EVF ont un parcours de vie qui les confronte souvent à différentes formes de violence, en plus d’être affectés plus gravement par l’anxiété, la dépression, la colère et le SSPT. L’addition de diverses formes de violence a pourtant, pour ces jeunes, un effet modérateur sur la colère vécue. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour parvenir à une compréhension plus fine des liens complexes entre l’accumulation des violences et les conséquences observées chez les jeunes, tout en tenant compte des variables modératrices susceptibles d’avoir un impact positif ou négatif sur le bien-être de ces jeunes.