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Introduction

La victimisation des enfants et des adolescents est un sujet hautement préoccupant, tant en raison de sa prévalence que de ses conséquences. En 2008, pour chaque tranche de 100 000 enfants canadiens de six à huit ans, la police a répertorié 422 victimes de crimes avec violence. Ce nombre est multiplié par six à l’adolescence, s’élevant à 2 710 par 100 000 jeunes de 15 à 17 ans (Ogrodnick, 2010). Considérant que certaines victimes ne dénoncent pas les agressions subies, et que plusieurs formes de violence interpersonnelle ne sont pas criminalisées, les statistiques de la criminalité peuvent refléter une sous-estimation de la victimisation des jeunes. Selon une enquête populationnelle récente réalisée auprès de 4 053 enfants et adolescents américains, 80 % d’entre eux auraient vécu au moins une forme de victimisation au cours de leur vie (Turner et al., 2010). Chez 3 290 élèves canadiens de septième, huitième et neuvième année, 35 % auraient été discriminés au moins une fois dans leur vie, 21 % rapporteraient avoir été intimidés, 5 % menacés et 3 % frappés ou blessés au point d’avoir eu besoin de voir un médecin (Zeman & Bressan, 2006).

Au-delà des blessures, la victimisation entraîne divers problèmes internalisés (anxiété, dépression) et externalisés (colère, agressivité, délinquance), de même que des symptômes d’état de stress post-traumatique (Fowler et al., 2009). Elle peut également avoir des répercussions cognitives et relationnelles chez les enfants et les adolescents qui y sont exposés (Margolin & Gordis, 2000). Ces conséquences sur la santé mentale des victimes peuvent perdurer au-delà de la période de victimisation et se maintenir à l’âge adulte, entraînant alors des répercussions importantes sur leur trajectoire de vie (Margolin & Gordis, 2000 ; Butters et al., 2011).

La présente étude vise à documenter le phénomène de la violence communautaire vécue par les enfants et les adolescents québécois. Elle permet notamment de préciser la définition de cette forme de violence, tout en documentant de façon explicite ses diverses manifestations.

Définition de la violence communautaire

L’Organisation mondiale de la Santé (Krug et al., 2002) regroupe les différents types de violence en trois grandes catégories : (1) la violence auto-infligée (gestes suicidaires et para-suicidaires), (2) la violence interpersonnelle survenant en contexte d’intimité (famille ou couple) ou dans la communauté, et (3) la violence collective (sociale, politique ou économique). Selon ce cadre conceptuel, la violence communautaire constitue une forme de violence interpersonnelle commise par des étrangers ou des connaissances autres que les membres de la famille ou le partenaire amoureux. Elle peut être de nature physique, sexuelle, psychologique ou de l’ordre d’une carence. Cette forme de victimisation peut occuper une place croissante dans la vie des jeunes qui, à mesure qu’ils grandissent, sont amenés à fréquenter plusieurs milieux autres que le milieu familial.

Il existe encore peu de consensus quant à la définition de la violence communautaire, qui tend à varier d’une étude à l’autre. Selon certains auteurs, la violence communautaire réfère à la violence vécue en tant que victime ou témoin, près de la maison, de l’école et à l’intérieur du voisinage (Scarpa, 2003 ; Shields et al., 2009). Certaines études établissent des distinctions selon que l’incident implique ou non une arme, une agression physique, ou selon l’endroit où l’acte violent est commis (Stein et al., 2003 ; Barroso et al., 2008). Il peut s’agir de différentes formes de violence peu sévères survenant dans le voisinage, tels que les vols, ou encore de formes considérées comme étant sévères, telles que les agressions armées (Fowler et al., 2009).

Dans la présente étude, l’ensemble de ces manifestations et de ces contextes est pris en considération. De plus, à l’instar d’autres études, une distinction est établie entre la victimisation directe et la victimisation indirecte (Stein et al., 2003 ; Fowler et al., 2009). La victimisation directe réfère à des actes ciblés envers quelqu’un et perpétrés de manière intentionnelle, tels que les agressions physiques, les vols, les agressions sexuelles, les poursuites, les menaces, les meurtres et les fusillades, entre autres. La victimisation indirecte réfère au fait d’être exposé à la violence communautaire sans en faire soi-même l’objet. Certains auteurs réfèrent au fait d’être témoin visuellement d’un événement impliquant la mort, des blessures ou la menace à l’intégrité physique d’une autre personne (Buka et al., 2001). D’autres chercheurs incluent le fait d’avoir entendu parler d’un événement violent survenu dans le voisinage ou encore d’être témoin d’événements moins sévères tels que les dommages à la propriété, le fait de voir de la violence à la télévision ou de connaître quelqu’un ayant été victime (Stein et al., 2003). Dans le cadre de la présente étude, la victimisation indirecte réfère au fait d’être témoin visuellement d’un incident de violence interpersonnelle ou de connaître une personne de son entourage immédiat à qui l’incident violent est arrivé (par exemple, avoir vu quelqu’un se faire agresser ou connaître quelqu’un ayant été agressé).

Ampleur de la violence communautaire

Il s’avère actuellement difficile de déterminer la prévalence exacte de la violence communautaire chez les enfants et les adolescents, notamment en raison de l’absence d’une définition claire et consensuelle de ce concept. La majorité des études portent sur des formes spécifiques de violence telles que l’intimidation, le taxage, les agressions physiques ou la violence sexuelle, ce qui ne permet pas d’avoir un portrait global de la violence communautaire chez les jeunes (Finkelhor et al., 2007, 2011).

D’autres études incluent des formes de violence qui, selon le cadre de référence de l’OMS, ne font pas partie du concept de violence communautaire. Par exemple, l’Enquête internationale auprès des jeunes (EIJ) réalisée sur un échantillon de 3 200 jeunes Canadiens de la septième à la neuvième année, souligne que plus de 40 % d’entre eux rapportent avoir été victimes d’intimidation, de voies de fait nécessitant les soins d’un médecin, de menaces d’extorsion ou de vol à l’extérieur du milieu familial, et ce, au moins une fois dans la dernière année (Savoie, 2007). Toutefois, ces chiffres incluent la violence dans les relations amoureuses, ce qui ne permet pas de cibler exclusivement la prévalence de la violence communautaire chez les jeunes Canadiens.

Lorsque les chercheurs se sont intéressés au phénomène de la violence communautaire, ils ont souvent privilégié des échantillons d’enfants ou d’adolescents à haut risque, soit des jeunes vivant dans les quartiers urbains défavorisés, avec un faible statut socioéconomique ou encore issus d’une population vulnérable, comme les Afro-Américains (Scarpa, 2003). Par exemple, aux États-Unis, les jeunes de moins de 18 ans représentent 26 % de la population, mais comptent pour environ 50 % des victimes et des témoins de violence (U.S. Census Bureau, 2003). Les jeunes Afro-Américains sont surreprésentés dans ces statistiques puisqu’ils sont dix fois plus à risque d’être victimes d’homicides en comparaison de leurs pairs blancs (Anderson & Smith, 2005). Des études récentes ont cependant montré l’existence de ce phénomène dans tous les types de voisinage (Scarpa, 2003 ; Stein et al., 2003 ; Gaylord-Harden et al., 2011). Il existe encore peu d’études ayant documenté ce phénomène dans la population générale.

Les études réalisées au cours de la dernière décennie ont permis une meilleure compréhension de la victimisation chez les enfants et les adolescents, mettant en lumière l’importance de considérer plusieurs formes de victimisation, tant directe qu’indirecte, plutôt que chacune d’elles prise de façon isolée (Finkelhor et al., 2007). Cette vision globale de la violence chez les jeunes permet une observation plus juste des conséquences associées à l’exposition à la violence chez cette population (Finkelhor et al., 2009a), considérant le fait que les jeunes victimisés une première fois sont généralement victimisés à plus d’une reprise au cours d’une même année (Saunders, 2003 ; Finkelhor et al., 2007). Aussi, plusieurs formes de victimisation augmentent la cooccurrence d’autres formes de victimisation. Par exemple, l’intimidation est souvent accompagnée d’agressions physiques et de harcèlement sexuel (Finkelhor et al., 2005). Afin de rendre compte de cette réalité complexe, le concept de polyvictimisation a été élaboré. Ce concept est utilisé dans la littérature pour désigner le vécu des victimes de plus d’une forme de victimisation, comme c’est le cas des jeunes victimes de violence communautaire, qui le sont habituellement de façon fréquente et récurrente (Saunders, 2003). Considérer la violence communautaire dans une perspective de polyvictimisation permet une meilleure compréhension de l’ampleur de la victimisation chez les jeunes et l’obtention d’un portrait se rapprochant davantage de leur réalité (Finkelhor et al., 2007). Cette perspective souligne la nécessité d’intervenir rapidement auprès des victimes dès la présence d’une première forme de victimisation, compte tenu des risques élevés de victimisation future lorsqu’ils sont victimisés une première fois.

La violence communautaire entraîne de lourdes conséquences chez les enfants et les adolescents, notamment à l’égard de leur santé mentale et de leur adaptation psychosociale (Fowler et al., 2009). Elle affecte différemment les jeunes selon l’âge et le sexe. Il semble que les adolescents soient davantage victimes de violence communautaire que les enfants, et que cela touche davantage les garçons (Rose & Rudolph, 2006). Plus spécifiquement, ces derniers rapporteraient davantage d’agressions non sexuelles et de blessures sérieuses. Quant aux filles, elles rapporteraient davantage d’agressions sexuelles. Globalement, 48 % des agressions sexuelles seraient commises par une connaissance (Tolin & Foa, 2006).

Objectifs de l’étude

La présente étude vise à documenter le phénomène de la violence communautaire vécue par les jeunes Québécois. Sur le plan conceptuel et méthodologique, elle contribue à l’opérationnalisation et à la mesure de ce type de violence. Sur le plan épidémiologique, elle fournit des évaluations de prévalence de diverses manifestations de violence communautaire.

Dans un premier temps, l’étude explore la structure factorielle et la cohérence interne d’une mesure de violence communautaire dérivée du Juvenile Victimization Questionnaire (JVQ) (Hamby & Finkelhor, 2004), afin de mieux comprendre la structure sous-jacente aux variables de violence communautaire identifiées. Dans un second temps, la prévalence annuelle de diverses manifestations de violence communautaire sera présentée selon l’âge et le genre des jeunes. La gravité des blessures physiques qui en résultent, de même que le nombre et l’identité des agresseurs seront aussi documentés.

Méthodologie

Cette étude consiste en une analyse secondaire de données recueillies dans le cadre de deux enquêtes populationnelles sur la polyvictimisation des enfants et des adolescents québécois réalisées en mode téléphonique en 2011 et en 2009 (Cyr et al., sous presse).

Échantillons

La première enquête portait sur un échantillon de 1 401 parents d’enfants âgés de 2 à 11 ans, alors que la seconde portait sur un échantillon de 1 400 adolescents âgés de 12 à 17 ans. Dans la présente étude, seuls les enfants âgés de 6 à 11 ans (n = 797) et les adolescents âgés de 12 à 17 ans (n = 1 400) ont été retenus pour l’étude ; ces deux périodes de développement représentent une importante transition, soit le passage de l’école primaire à l’école secondaire qui peut faire hausser le risque de victimisation (Finkelhor et al., 2009b).

Au total, 49,1 % des jeunes âgés des 6 à 11 ans étaient des garçons (n = 391), alors que 50,9 % étaient des filles (n = 406). Chez les participants âgés de 12 à 17 ans, 49,7 % étaient des garçons (n = 696), alors que 50,3 % étaient des filles (n = 704). Les deux échantillons ont été recrutés par le biais de la technique de génération aléatoire de numéros de téléphone. Malgré la méthode d’échantillonnage aléatoire privilégiée, les familles québécoises à l’étude sont plus scolarisées et plus riches que l’ensemble de la population générale (Nobert, 2009). Dans la présente étude, 72 % des parents ont fait des études post-secondaires, comparativement à 60 % dans la population générale québécoise (Cyr et al., sous presse).

Variables de victimisation

Dans les deux enquêtes, les différentes formes de victimisation ont été mesurées à l’aide des versions française et anglaise du Juvenile Victimization Questionnaire (JVQ) (Hamby & Finkelhor, 2004). On a fait passer le questionnaire directement aux adolescents de 12 à 17 ans, alors qu’un parent a agi comme répondant pour les enfants plus jeunes. Dans les deux cas, les mêmes questions ont été posées, à l’exception des questions sur la violence dans les relations amoureuses et de celles concernant les relations sexuelles consentantes d’un mineur avec une personne majeure, puisque ces questions s’adressaient uniquement aux adolescents.

Le JVQ mesure 34 formes de victimisation différentes pour les jeunes âgés de 12 à 17 ans et 32 formes différentes pour les jeunes âgés de 6 à 11 ans, regroupées selon cinq grandes catégories : crimes conventionnels, maltraitance, victimisation par les pairs et la fratrie, violence sexuelle et victimisation indirecte.

Dans la présente étude, la maltraitance et la violence par la fratrie sont exclues du construit de violence communautaire, qui regroupe 27 items provenant des quatre autres catégories. Les crimes conventionnels comprennent différentes formes de crimes contre les biens et la personne tels que définis par le gouvernement fédéral des États-Unis. Ils incluent notamment les vols, le vandalisme, les voies de fait, les kidnappings et les crimes haineux. La victimisation par les pairs couvre les formes de victimisation les plus fréquentes à l’enfance et à l’adolescence, comme les voies de fait, le taxage, l’intimidation physique. La victimisation sexuelle inclut les différents délits de nature sexuelle condamnables au sens de la loi américaine : viols, agressions sexuelles, exhibitionnisme, harcèlement sexuel et relations sexuelles consentantes d’une personne mineure avec un adulte. Finalement, la victimisation indirecte inclut l’exposition à différentes formes de violence survenant à l’extérieur de la famille, comme les meurtres et la guerre.

Pour la présente étude, les différentes formes de violence n’étaient conservées que si elles impliquaient un agresseur avec lequel la victime n’avait aucun lien familial, soit un étranger, un ami, un voisin ou encore un adulte avec qui l’enfant n’habite pas (tel qu’un enseignant ou un entraîneur, entre autres). La fréquence d’exposition dans la dernière année (mesurée sur une échelle en cinq points), le nombre d’agresseurs et la relation que la victime a avec ceux-ci, ainsi que la présence et la sévérité des blessures occasionnées par l’épisode violent sont pris en considération (Hamby et al., 2005).

Dans les enquêtes américaines, l’ensemble des items du questionnaire présente une très bonne cohérence interne (a = ,80). Cependant, lorsque l’indice de cohérence interne est calculé pour chacune des catégories de victimisation, il varie de faible à modéré. Par exemple, les crimes conventionnels et les agressions physiques présentent un indice de cohérence interne modéré (,60), alors que les autres modules présentent des indices inférieurs. Toutefois, les auteurs soulignent qu’une mesure de cohérence interne peut ne pas être des plus appropriées lorsqu’il est question d’événements de la vie courante, telle la victimisation. De tels événements peuvent ne pas être étroitement corrélés statistiquement, mais tout de même appartenir à une même catégorie conceptuelle. Bien qu’un indice de cohérence interne soit pertinent afin de déterminer le degré de corrélation entre les différentes échelles et les différents items composant le questionnaire, son interprétation doit être nuancée. Comme les auteurs le soulignent, les items du JVQ ne sont pas calculés de la même façon que la plupart des instruments conventionnels. Ces derniers favorisent une sommation des items pour chacune des échelles, en accordant un poids plus ou moins important à chaque item. Par exemple, une échelle mesurant un construit psychologique avec une dimension unique comme l’estime de soi permet d’obtenir un score global d’estime de soi allant de faible à élevé. Pour le JVQ, les différents items mesurent l’occurrence des différentes formes de victimisation d’intérêt. Le score obtenu offre donc un indice de la présence d’une ou de plusieurs formes de victimisation, et non un indice global de victimisation. Ainsi, l’utilisation du JVQ ne devrait pas être écartée en ne considérant que les indices de cohérence interne plus faibles pour certaines catégories de victimisation. L’interprétation doit seulement être faite en tenant compte de la particularité de l’échelle de mesure (Finkelhor et al., 2005).

Procédure

La base de sondage pour l’enquête était formée de numéros de téléphone obtenus à l’aide de la technique de génération aléatoire de numéros de téléphone. Les données ont été recueillies par le biais d’entrevues téléphoniques assistées par ordinateur réalisées par une firme de sondage spécialisée dans les projets d’enquêtes sociales de grande ampleur. Lorsqu’elles sont utilisées pour aborder des sujets délicats, les enquêtes téléphoniques entraînent des résultats comparables ou supérieurs comparativement aux entretiens en personne. Compte tenu du contexte qui préserve l’anonymat des répondants, ce type d’enquête met les répondants plus à l’aise et les amène à répondre de façon plus consciencieuse (Reddy et al., 2006).

La procédure de sélection des enfants et des adolescents était la même dans les deux enquêtes et s’est déroulée en plusieurs étapes. L’interviewer vérifiait d’abord si le ménage comportait au moins un jeune de 2 à 11 ans ou de 12 à 17 ans, selon l’échantillon. Si la réponse était positive, et que le répondant acceptait de participer à la recherche, une courte entrevue était réalisée avec un adulte responsable (un parent dans la majorité des cas) afin d’obtenir des informations démographiques sur la famille. L’enfant ou l’adolescent ciblé par l’enquête était ensuite sélectionné aléatoirement (celui dont la date de naissance se rapprochait le plus du moment de l’entrevue). Pour les jeunes âgés de 12 à 17 ans, l’entrevue était effectuée avec le jeune lui-même. Pour les enfants de moins de 12 ans, l’entrevue était effectuée avec le parent connaissant le mieux son vécu quotidien. Enfin, avant de procéder à l’enquête, l’interviewer s’assurait d’obtenir le consentement verbal des jeunes de 14 ans ou plus, ou des parents pour les enfants âgés de moins de 14 ans, selon le cas. Les deux enquêtes ont obtenu l’aval des comités d’éthique des universités d’appartenance des chercheurs responsables.

Analyses

Afin de répondre au premier objectif, des analyses factorielles exploratoires ont été effectuées à partir des données de l’échantillon des jeunes âgés entre 12 et 17 ans. Comparativement aux enfants âgés de 6 à 11 ans, les adolescents sont plus susceptibles de rapporter des événements de violence communautaire (Rose & Rudolph, 2006), augmentant ainsi les prévalences rapportées, et donc l’étendue de variance des données. Pour cette raison, les analyses factorielles ont été réalisées seulement sur l’échantillon adolescent. Ce type d’analyse a été privilégié afin de faire émerger les dimensions du concept de la violence communautaire, à partir d’un instrument répertoriant une vaste gamme d’événements violents. En effet, les analyses factorielles exploratoires permettent de regrouper les données en des ensembles plus petits, facilitant par le fait même la compréhension et l’interprétation de la structure de ces données. Une fois les facteurs identifiés, des analyses de cohérence interne ont été réalisées afin de mettre en lumière les corrélations existant entre les différents items d’un même facteur, de même qu’entre l’ensemble des items retenus.

Afin de répondre au deuxième objectif de la présente étude, diverses analyses descriptives ont été réalisées à partir des deux échantillons (enfants âgés de 6 à 11 ans et adolescents âgés de 12 à 17 ans). Des analyses de Khi-Carré ont également été effectuées afin de déterminer la présence de différences de genre quant aux manifestations de violence communautaire.

Résultats

Composantes de la violence communautaire

Le premier objectif de l’étude consistait à dériver une mesure de violence communautaire à partir de l’ensemble des items du JVQ. Des analyses factorielles exploratoires ont été réalisées afin de vérifier si les 27 items du JVQ correspondant au concept de violence communautaire présentaient une structure factorielle cohérente conceptuellement. L’analyse par composantes principales avec rotation orthogonale (VARIMAX) a été privilégiée. La solution à trois composantes a été retenue, permettant d’expliquer 23,6 % de la variance. Les items dont les coefficients de saturation étaient inférieurs à ,30 sur chacune des trois composantes ont été éliminés. En effet, Hair et al. (1987) considèrent qu’un coefficient de saturation est significatif à ,30, plus important à ,40 et très important à ,50. L’analyse finale comprend 15 items. Le tableau 1 classe ces items en fonction de la composante sur laquelle ils saturent le plus.

Tableau 1

Coefficients de cohérence interne (α), coefficients de saturation (> =,30), corrélations item – total (r), et statistiques descriptives pour chacun des items

Coefficients de cohérence interne (α), coefficients de saturation (> =,30), corrélations item – total (r), et statistiques descriptives pour chacun des items

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Sur la première composante, six items relatifs à la violence physique sont retrouvés. Il s’agit de manifestations de violence pouvant causer des blessures physiques telles que les voies de fait ou les tentatives de voies de fait. La personne peut en être directement victime ou encore témoin. Cette composante est intitulée « Violence physique ». Sur la deuxième composante, cinq items sont retrouvés, illustrant une réalité communautaire empreinte de violence interpersonnelle et d’intolérance relativement à une caractéristique particulière de la victime. Cette composante est intitulée « Climat de violence ». Finalement, sur la troisième composante se retrouvent quatre items qui renvoient à de la violence sexuelle, c’est-à-dire des manifestations de violence impliquant un geste à caractère sexuel, qu’il s’agisse d’exhibitionnisme, de harcèlement ou d’agression. Cette composante est intitulée « Violence sexuelle ».

Pour chacune de ces composantes, un score moyen a été calculé en additionnant les réponses à chacun des items qui le composent, puis en divisant le total par le nombre d’items. Le tableau 1 affiche la corrélation entre ce score factoriel et chacun des items qui le composent. Ces corrélations varient entre ,20 et ,78, et sont toutes positives et significatives, p <,01.

Enfin, des analyses de cohérence interne pour chacun des scores factoriels ont été réalisées avec une mesure de fréquence. Pour les 15 items retenus, l’indice de cohérence interne était de a =,52. Le facteur Violence physique affiche une cohérence interne de a =,55, celui de Climat de violence de a =,38 et celui de Violence sexuelle de a =,37.

Portrait des expériences de violence communautaire

Le deuxième objectif visait à documenter la prévalence annuelle de la violence communautaire subie par les enfants et les adolescents québécois. Pour les enfants âgés de 6 à 11 ans, les analyses ont été effectuées sur les expériences de victimisation déclarées par leurs parents et survenues dans le voisinage, à l’école et près de celle-ci, et en milieu de garde. Dans l’ensemble, 39,5 % des enfants (n = 315) auraient été victimes d’au moins une forme de violence communautaire dans la dernière année. L’agresseur était généralement une personne connue et âgée de moins 18 ans, comme un ami ou un autre enfant du voisinage ou de l’école. La grande majorité des enfants ayant rapporté au moins une forme de violence communautaire (97 %) auraient subi moins de trois formes de ce type de violence dans la dernière année, avec un maximum de huit épisodes. La plupart du temps (75,6 %), l’agresseur agissait seul plutôt qu’en groupe. Parmi l’ensemble des milieux fréquentés par le jeune, l’école et ses environs étaient les endroits où les événements violents survenaient le plus. La plupart des enfants (78,2 %) n’auraient pas été blessés physiquement lors de ces incidents.

Chez les enfants d’âge scolaire, 34,8 % d’entre eux seraient victimes de violence physique, 26,3 % évolueraient dans un climat de violence et 3,9 % seraient victimes de violence sexuelle. Ainsi, la violence physique est la forme de violence communautaire la plus rapportée par les parents. Des tests de Khi-Carré ont permis de constater que les garçons âgés de 6 à 11 ans étaient globalement plus exposés à la violence communautaire que les filles du même âge X2 (1, N = 797) = 9,67, p <,025. Plus spécifiquement, il semble que les garçons de ce groupe d’âge soient plus exposés à la violence physique que les filles du même âge, X2 (1, N = 1400) = 20,48, p >,025. Aucune différence significative n’a été notée entre les garçons et les filles sur le plan de la violence sexuelle et du climat de violence (Tableau 2).

Tableau 2

Prévalence annuelle de la victimisation communautaire chez les enfants âgés de 6 à 11 ans

Prévalence annuelle de la victimisation communautaire chez les enfants âgés de 6 à 11 ans

* Test de Khi-Carré significatif avec 1 degré de liberté et un alpha bilatéral de,025.

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Tableau 3

Prévalence annuelle de la victimisation communautaire chez les jeunes âgés de 12 à 17 ans

Prévalence annuelle de la victimisation communautaire chez les jeunes âgés de 12 à 17 ans

* Test de Khi-Carré significatif avec 1 degré de liberté et un alpha bilatéral de,025.

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Chez les adolescents âgés de 12 à 17 ans, 51 % d’entre eux (n = 714) ont rapporté au moins une forme de violence communautaire dans la dernière année. L’agresseur était généralement une personne connue et âgée de moins de 18 ans, comme un ami ou un autre jeune du voisinage ou de l’école. La plupart du temps (66,9 %), l’agresseur agissait seul et non en groupe. La plupart des adolescents (85,6 %) n’auraient pas été blessés physiquement dans ces situations. La majorité des jeunes (89 %) ont mentionné avoir subi moins de trois formes de violence communautaire dans la dernière année, avec un maximum de huit épisodes.

Comme chez les plus jeunes, la violence physique est la principale forme de violence communautaire rapportée par les jeunes. Plus de la moitié des jeunes (58,6 %) auraient été victimes de violence physique dans la dernière année ; 17 % d’entre eux rapportent des incidents propres à un climat de violence et 7,8 % rapportent être victimes de violence sexuelle. Des tests de Khi-Carré montrent que, globalement, il n’existe aucune différence significative entre la violence communautaire rapportée par les garçons âgés de 12 à 17 ans et par les filles du même âge. Toutefois, les garçons âgés de 12 à 17 ans rapportent significativement plus de violence physique que les filles du même âge, X2 (1, N = 1400) = 37,02, p <,025. Aucune différence significative n’a été observée entre les garçons et les filles à l’égard de la violence sexuelle et des événements propres à un climat de violence (Tableau 3).

Discussion

Compréhension du phénomène de violence communautaire

Le but de la présente étude consistait à fournir un portrait statistique de la violence communautaire qui affecte les enfants d’âge scolaire et les adolescents du Québec, en tant que victimes ou témoins. La structure factorielle sous-jacente aux items du JVQ correspondant à la définition de la violence communautaire a permis de faire ressortir trois composantes : Violence physique, Climat de violence et Violence sexuelle. Il s’agit d’un résultat original et intéressant qui contribue à la conceptualisation du phénomène de violence communautaire. Les composantes Violence physique et Violence sexuelle obtenues cadrent bien avec la définition du concept de violence communautaire proposée par Krug et al. (2002), à l’effet que la violence communautaire est une forme de violence interpersonnelle qui implique des étrangers ou des connaissances, et qui peut être de nature physique ou sexuelle. Aussi, la composante Climat de violence permet de documenter la présence d’une certaine forme de violence qui relève davantage d’un contexte particulier de violence dans la communauté ; ce sont d’ailleurs principalement des items d’exposition qui la composent.

Malgré la validité de construit de la violence communautaire qui émerge des analyses factorielles exploratoires, il en va autrement pour les indices de cohérence interne qui sont assez faibles (,37 à ,55). Ces indices sont néanmoins similaires à ceux obtenus lors de la validation du JVQ (Finkelhor et al., 2005). Le petit nombre d’items par composante, de même que le fait que la majorité des participants ont souvent rapporté ne pas avoir été victimes ou témoins des formes de violence abordées ont pour effet de réduire l’indice de cohérence interne calculé. C’est pourquoi les items de la composante Violence physique, qui sont les plus fréquemment rapportés, présentent un indice de cohérence interne plus élevé que ceux de la composante Violence sexuelle par exemple.

Afin d’augmenter la validité interne de l’outil pour la mesure de la violence communautaire, il pourrait être intéressant d’ajouter certains items abordant des formes de violence moins sévère et susceptibles de survenir plus fréquemment. Des items abordant la violence psychologique (par exemple : rumeurs ou mise à l’écart d’une personne) et verbale, ou encore la cyberintimidation pourraient être ajoutés. Des items avec des fréquences plus élevées pourraient ainsi permettre l’obtention d’indices de cohérence interne plus satisfaisants.

La violence communautaire au Québec

Le portrait détaillé de la violence communautaire chez les jeunes Québécois âgés de 6 à 17 ans permet de conclure que la violence communautaire semble davantage faire partie de la réalité des adolescents que de celle des enfants. Ces résultats sont conformes à ceux habituellement retrouvés dans la littérature, bien que ces derniers tendent à varier selon certains auteurs (Stein et al., 2003). La plus forte prévalence de violence communautaire observée chez les adolescents, comparativement aux enfants, peut refléter le fait que plus l’enfant vieillit, plus il tend à côtoyer un nombre plus élevé de milieux différents. Comme il passe davantage de temps dans ces milieux et moins à la maison, il y a un risque accru qu’il soit exposé à plusieurs formes de violence survenant à l’extérieur du milieu familial (Matjasko et al., 2013).

Toutefois, ces résultats peuvent également souligner une difficulté pour les parents d’être au fait de ce que l’enfant vit à l’extérieur de la famille. Comme la violence communautaire constitue une problématique extrafamiliale, il se peut que les parents répondant à l’enquête n’aient pas été à même de bien rendre compte de la réalité vécue par leur enfant. Ce résultat peut soulever certaines inquiétudes quant au soutien que reçoivent les jeunes victimes si leurs parents ne sont pas mis au fait de la violence qu’ils vivent à l’extérieur du milieu familial. Ainsi, il s’avère fondamental de soutenir une bonne communication entre les parents et les différents acteurs des milieux extrafamiliaux fréquentés par les jeunes (enseignants, entraîneurs, chauffeur d’autobus et autres). Celle-ci permet de créer une cohérence entre les différents milieux et ainsi assurer un soutien adéquat auprès des victimes directes et indirectes.

Tant pour les enfants que pour les adolescents exposés à la violence communautaire, l’agresseur est généralement une personne âgée de moins de 18 ans que le jeune connaît (un ami, un voisin ou quelqu’un de l’école). La plupart du temps, il s’agit également d’un agresseur unique, d’incidents isolés ou peu fréquents, et qui n’entraînent pas de blessures physiques. Chez les jeunes âgés entre 6 et 11 ans, l’école et ses environs sont les principaux endroits où les événements tendent à survenir le plus, et ce, parmi tous les milieux fréquentés par les jeunes (voisinage, maison, garderie et milieu de garde, autre). Ces résultats permettent d’illustrer comment la violence communautaire se manifeste chez les enfants et les adolescents. Lorsque l’enfant entre à l’école primaire, il passe la majeure partie de son temps à l’école à côtoyer ses camarades de classe. Ainsi, tant l’école que les autres enfants exercent une influence importante sur l’enfant. Plus il vieillit et plus il tend à passer du temps dans d’autres milieux (cinéma ou parc avec des amis, des fêtes, par exemple). Le voisinage acquiert donc une plus grande place dans la vie du jeune et, par le fait même, a une plus grande influence que lorsqu’il ne côtoyait que l’école et ses environs (Matjasko et al., 2013).

Les analyses selon le genre permettent de constater que les filles et les garçons ne vivent pas les mêmes expériences de violence. Les garçons sont significativement plus victimes de violence physique que les filles du même âge. Ces différences peuvent refléter le fait que les filles ont tendance à être davantage prosociales que les garçons et qu’elles répondent également de façon prosociale à des situations à potentiel conflictuel comparativement aux garçons (Tolin & Foa, 2006). Les différences observées entre les garçons et les filles pourraient aussi être expliquées par le fait que les parents élèvent leurs enfants différemment selon leur genre ; ils tendent à encourager davantage l’empathie, l’autorévélation et la proximité physique chez les filles, et l’indépendance et la compétence physique chez les garçons. Par la suite, cette différenciation serait renforcée lors des interactions avec les pairs (Rose & Rudolph, 2006).

L’absence de différence significative à l’égard des autres formes de violence communautaire doit toutefois être nuancée. Il se peut que la faible proportion de jeunes ayant rapporté des événements propres à un climat de violence ou encore des événements de violence sexuelle ne permette pas de déceler une différence significative. La littérature souligne que les filles sont les principales victimes de violence sexuelle, et ce, tout au long de leur vie (Tolin & Foa, 2006). Les données de la présente étude montrent que deux fois plus d’adolescentes que d’adolescents sont victimes de violence sexuelle, bien que ce résultat ne se soit pas révélé significatif. Ainsi, ces formes de violence devraient tout de même être considérées dans l’établissement des politiques de prévention destinées aux enfants et aux adolescents.

Dans la mesure où les résultats obtenus permettent de faire ressortir les tendances générales associées à la violence communautaire, il est possible d’envisager leur portée pour l’ensemble de la société. Considérant que les résultats obtenus confirment le fait que plus l’enfant vieillit, plus il vit des expériences de violence communautaire dans différents milieux, des programmes de prévention primaire offerts à l’extérieur du milieu familial devraient être implantés à l’école et dans la communauté. Actuellement, le Rapport mondial sur la violence et la santé soutient qu’il subsiste un manque à ce niveau de prévention. Beaucoup d’efforts sont mis à réparer les dommages causés par la violence plutôt qu’à la prévenir (Krug et al., 2002). L’entrée à l’école secondaire semble être un moment privilégié pour intervenir, puisque tel que démontré par les résultats de la présente étude, à l’adolescence, la violence communautaire semble davantage s’installer et se diversifier par rapport à l’enfance. À cet effet, des programmes de prévention primaires pourraient permettre de sensibiliser l’ensemble des membres de la communauté, les amenant à se sentir plus concernés par la violence chez les enfants et les adolescents. Ainsi, une meilleure prévention de la violence vécue dans le voisinage pourrait être possible. Des campagnes médiatiques peuvent être envisagées, permettant de sensibiliser les jeunes eux-mêmes à la violence à laquelle ils peuvent être exposés, mais aussi l’ensemble de la communauté au rôle que chacun peut jouer en intervenant rapidement lorsqu’il est témoin de violence chez les jeunes. Le milieu scolaire devrait également s’assurer de bien outiller son personnel pour que ses membres arrivent à déceler, mais également à aborder la violence avec les jeunes. Il s’agit d’un sujet délicat qui peut mettre plus d’une personne mal à l’aise.

Forces et limites de l’étude

La présente étude présente plusieurs forces. L’utilisation de deux vastes échantillons issus d’une méthode d’échantillonnage aléatoire a permis de dresser un portrait détaillé de la violence communautaire en contexte québécois, en tenant compte d’une diversité de manifestations et de leur fréquence respective. L’instrument de mesure utilisé a permis l’élaboration d’une mesure conceptuellement valide de la violence communautaire.

Néanmoins, cette étude possède certaines limites. Malgré la méthode d’échantillonnage randomisé employée, les échantillons ne sont pas représentatifs de la population québécoise sur certaines variables, telles que le niveau de scolarisation des parents et le revenu familial. Aussi, le fait que le parent agisse comme répondant pour les jeunes âgés de 6 à 11 ans limite les interprétations possibles à l’égard des résultats. Certains parents pouvaient ne pas être au fait de ce qui se produisait à l’extérieur du milieu familial. En ce sens, le fait que les données ont été recueillies auprès d’un seul informateur constitue aussi une limite ; certains des répondants, tant les parents que les adolescents, ont pu minimiser ou amplifier le nombre d’événements violents vécus. De plus, le fait que plusieurs des items présentent une faible variance (85 % et plus des jeunes ayant rapporté ne pas avoir vécu ou ne pas avoir été témoin de la forme de violence abordée) a eu certaines répercussions sur les analyses effectuées, notamment sur les analyses de cohérence interne. Lorsque les indices de cohérence interne ont été calculés pour chacune des composantes, ceux-ci variaient de faibles à modérés.

Pour les recherches futures, il serait intéressant de mesurer les répercussions des différentes formes de violence communautaire sur la santé mentale et l’adaptation psychosociale des jeunes, selon l’âge et le genre. Aussi, il serait intéressant de comparer la place occupée par la maltraitance et la violence dans les relations amoureuses, en comparaison de celle occupée par la violence communautaire, dans le vécu violent des jeunes, toujours en tenant compte de l’âge et du genre des victimes.