Introduction[Notice]

  • Estibaliz Jimenez et
  • François Crépeau

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  • Estibaliz Jimenez
    Docteure en criminologie
    Chercheure invitée, École de criminologie, Université de Montréal
    estibaliz.jimenez@umontreal.ca

  • François Crépeau
    Titulaire de la Chaire Hans et Tamar Oppenheimer
    Professeur de droit international public, Faculté de droit, Université McGill
    francois.crepeau@mcgill.ca

La criminalisation de l’immigration irrégulière est une tendance lourde des deux dernières décennies. Le passage irrégulier d’une frontière ou le dépassement du temps de séjour autorisé par un visa ne sont, au fond, que des infractions administratives, qui ne portent atteinte, en soi, ni à des personnes (la vie et la sécurité d’aucun individu ne sont menacées), ni à des biens (rien n’est abîmé ou détruit), ni à la sécurité nationale (l’immense majorité des migrants est parfaitement inoffensive). Pourtant, les États ont développé tout un discours sur la « menace migratoire » et ont construit le migrant irrégulier – péjorativement appelé illegal ou clandestino ou « sans-papiers » – en une figure répulsive chargée de nombreux maux sociaux : augmentation de l’insécurité locale, perte de la cohésion sociale, accroissement du chômage, dissémination des maladies transmissibles... Cette tendance n’est pas nouvelle. On peut la faire remonter au début des années 1980, alors que la fermeture relative des frontières à l’immigration de travail consécutive aux trois chocs pétroliers de la décennie précédente – conjuguée à une démocratisation des communications internationales et des transports transcontinentaux – conduisait à une augmentation phénoménale des demandes d’asile et des filières de migration clandestine. En effet, si les migrations des Trente Glorieuses étaient très souvent irrégulières en Europe, les besoins de main-d’oeuvre étaient tels que la régularisation administrative du statut migratoire se faisait sans discussion. Après les années 1970, devant la montée du chômage et de l’inflation, la situation change. En effet, l’époque voit le développement de discours politiques anti-immigration qui chargent les migrants d’au moins une partie de la responsabilité de la « crise » : « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop », selon la célèbre formule de Jean-Marie Le Pen dès 1978. En Europe, cette transformation accompagne la création du marché unique européen : l’accord de Schengen de 1985 vise essentiellement la suppression des contrôles de personnes aux frontières intérieures de l’Union européenne comme attribut de la citoyenneté européenne, alors que sa traduction juridique sous la forme de la Convention de Schengen de 1990 (accompagnée de la Convention de Dublin adoptée quasi simultanément) prévoit un appareil « compensatoire » complexe de contrôles sécuritaires aux frontières extérieures de l’Union européenne. La « sécurité migratoire » fait donc irruption sur la scène politique. Ce qui était une activité humaine grossièrement coordonnée par des services sociaux ou du travail jusque dans les années 1970 est devenu une pièce clé de l’agenda sécuritaire de tous les États du Nord global, ainsi que de nombreux États de destination au Sud. Le migrant constitue désormais un « risque sécuritaire », qui fait partie d’un continuum de menaces globales – comprenant aussi le terrorisme, le trafic d’armes, le trafic de drogues, et la criminalité mafieuse, par exemple – et qui doit être géré au moyen de techniques tirées de l’analyse de risques (Bigo, 1996, 2008 ; Acosta-Sanchez, 2008 ; Friman, 2008). Les attentats du 11 septembre 2001 consolideront cette vision de l’immigration irrégulière alors même que, paradoxalement, aucun des terroristes n’était migrant irrégulier. Les États-Unis dépensent aujourd’hui plus en immigration enforcement que pour toutes les activités du FBI, des douanes, de la lutte antidrogue et des services secrets réunis (Meissner et al., 2013). Les États deviennent donc extrêmement soucieux de maintenir leur contrôle sur les politiques migratoires, symbole fort de la légitimité de leur pouvoir, laquelle est, par ailleurs, mise en cause par une mondialisation qui lamine leur capacité d’établir des politiques économiques et sociales distinctives. Le contrôle des personnes aux frontières est devenu un enjeu électoral dans de nombreux pays et les conséquences sociales et …

Parties annexes