Une pionnière des théories sur les prisons pour femmesEntretien avec Marie-Andrée Bertrand[Notice]

  • Mylène Jaccoud

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  • Mylène Jaccoud
    Professeure titulaire, École de criminologie, Université de Montréal
    Centre international de criminologie comparée (CICC)
    mylene.jaccoud@umontreal.ca

Présentation

Marie-Andrée Bertrand est professeure émérite de l’Université de Montréal (1997), docteure en criminologie de l’Université de Berkeley, Californie (1967). Elle a fait carrière à l’École de criminologie et au Centre international de criminologie comparée (1963 à 1996) et au Programme de PhD en sciences humaines appliquées (1989 à 2009). Elle est Officier de l’Ordre national du Québec (2005), Chevalier de l’Ordre de la Pléiade, Ordre de la francophonie (2001), et a reçu le Prix Esdras Minville en sciences sociales (1994). Ses recherches ont porté sur la question des femmes et celle des drogues en droit pénal, et les théories de la connaissance en sciences humaines et sociales. Sur le plan théorique, elles sont marquées par la Théorie critique de l’École de Francfort. En politique pénale, c’est le courant abolitionniste qui a inspiré tous ses travaux.

Presentation

Marie-Andrée Bertrand is Professor Emeritus of University of Montreal (1997) ; she is Doctor in Criminology from University of California, Berkeley 1967. She has taught and done research at the School of Criminology and the International Center for Comparative Criminology at University of Montreal from 1963 to 1996, and within the Applied PhD Human Sciences Program from 1989-2009, also at University of Montreal. She is Officer of the Quebec National Order (2005), Chevalier de l’Ordre de la Pléiade (2001), and recipient of the Prix Esdras Minville in social sciences (1994). The main subjects of her studies and publications are the question of women in criminology, women’s prisons, and the drug problem in criminal law. Her theoretical and ethical perspectives come from the Frankfurt Critical School and the abolitionist perspective.

Presentación

Marie-Andrée Bertrand es profesora emérita de la Universidad de Montreal (1997), doctora en criminología de la Universidad de California en Berkeley (1967). Fue profesora e investigadora en la Escuela de criminología y el Centro internacional de criminología comparada (1963-1996) y el programa de doctorado en ciencias humanas aplicadas (1989-2009), de la Universidad de Montreal. Recibió numerosas distinciones, entre ellas la Orden Nacional de Quebec (2005), la Orden de la francofonía (2001, Chevalier de l’Ordre de la Pléiade), y el premio Esdras Minville en ciencias sociales (1994). Investigó principalmente sobre las mujeres, la prisión y las drogas en el derecho penal, así como sobre la teoría del conocimiento en las ciencias humanas y sociales. Su perspectiva teórica y ética forma parte de la Escuela Crítica de Francfort y de la corriente abolicionista.

En 1967, quand je commence à enseigner au Département de criminologie de Montréal, ce sont ces orientations théoriques qui m’inspirent ; elles résonnent dans mon premier séminaire qui porte sur la question des femmes dans leur rapport au pénal ; ma thèse s’intitule Les représentations sociales des femmes criminelles, une analyse des rôles sociaux imposés qui déterminent la quantité et la nature de leur déviance. La contrainte « de genre » est tellement déterminante qu’elle explique le très petit pourcentage des personnes de sexe féminin parmi les accusés et les condamnés et la relative clémence des peines qui leur sont imposées. Je vérifie empiriquement cette hypothèse en France, en Belgique et au Canada. Mais le rôle social dévolu aux femmes et leur statut sont-ils les mêmes sous d’autres régimes et selon le niveau de développement économique ? J’obtiens des subventions de recherche et j’étends mon observation à deux pays socialistes, la Hongrie et la Pologne, ainsi qu’à deux pays d’Amérique latine, la Colombie et le Vénézuéla, où les traditions sociales et familiales sont tenaces. En Occident et dans les pays très développés, les femmes représentent environ 10 % des accusés dans les années 1970 ; dans les pays d’Europe de l’Est où le socialisme a fait des femmes des égales aux hommes ou presque dans l’accès au travail et à l’éducation, le pourcentage est de 20 à 25 %. En Amérique du Sud, au contraire, la très grande majorité des femmes est confinée au foyer et représente à peine 2 ou 3 % des délinquants. La criminologie tente de réunir dans une théorie générale des explications et une compréhension valides de la criminalité et de la déviance ; plus j’avance plus je vois la force du droit lui-même dans la construction ou la confirmation des statuts sociaux et des exclusions sociales. Sans me réconcilier tout à fait avec l’idée d’une « discipline criminologique » je vois grandir un discours utile et légitime sur la criminalité et le criminel, qu’il faut travailler sans cesse à déconstruire et reconstruire. En 1973, quand je retourne à Berkeley comme professeure invitée, le campus a bien changé et moi aussi. Je suis devenue féministe, très sensible aux privilèges de classe et de race, et critique de l’institution universitaire. Avant de revenir à Berkeley, j’ai appuyé ouvertement la contestation du programme d’études menée par les étudiants en criminologie à Montréal en 1968, j’ai réclamé avec eux des enseignements s’inspirant de la criminologie critique élaborée par nos collègues britanniques Taylor, Walton et Young. À Berkeley, en 1973, j’ai constaté qu’on allait plus loin. J’ai assisté et participé à une révolution intellectuelle et sociopolitique. En criminologie comme dans tous les départements des sciences sociales, la critique du libéralisme social et économique et juridique était la règle. Le marxisme faisait son chemin chez les étudiants aux cycles supérieurs et chez les jeunes professeurs des sciences humaines et sociales ; trois collègues de criminologie se sont vus refuser la permanence à cause de leurs écrits marxistes, deux devront aller se chercher des emplois dans un autre État, le troisième, sur un autre campus de l’Université de Californie. Les Black Studies avaient fait leur entrée en force en sciences sociales et humaines et même en droit et en criminologie ; le féminisme avait fleuri dans plusieurs départements, la critique du racisme était bien présente. J’ai tiré un grand avantage de cette vie intellectuelle débordante, de ces courants de pensée et des mouvements qui les animaient. Je lisais, discutais et publiais abondamment, portée par la vitalité de ce campus. Le retour à Montréal n’a pas été facile. Mais en 1974-1975, …

Parties annexes