Volume 41, numéro 1, printemps 2008 40 ans de Criminologie : perspectives d’avenir Sous la direction de Dominique Robert et Guy Lemire
Sommaire (9 articles)
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Introduction
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Billets des directeurs de Criminologie
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Passer les titres en revue : contribution à l’histoire de Criminologie
Dan Kaminski
p. 17–46
RésuméFR :
Cet article se présente comme une contribution à l’histoire formelle de la revue Criminologie. Une histoire formelle signifie fondamentalement une histoire des signes et repose sur l’hypothèse selon laquelle les mots – plus spécifiquement les mots contribuant à la formation des titres des articles publiés – constituent des sources utilisables pour une connaissance diachronique de la discipline à laquelle ils appartiennent. Pour réaliser cette histoire, on s’est d’abord penché sur le catalogue de la revue, soit l’ensemble des titres publiés entre 1968 et 2005. Ce fichier est composé de 527 références comprenant des informations telles que l’auteur, le titre, l’année, le titre du numéro, la nationalité de l’auteur et la nature de la contribution. Une deuxième série d’analyses a porté sur les thèmes des livraisons, thèmes indiqués par le titre général donné à chaque numéro (67 numéros entre 1968 et 2005). Finalement, une analyse des éditoriaux de tous les numéros publiés pendant la même période complète les analyses. Cette recherche empirique permet non seulement de tracer les contours de la transformation de la revue Criminologie, mais plus largement ceux de la discipline.
EN :
This article is a contribution to the formal history of the journal Criminologie. A formal history implies a history of the signs. It rests upon the hypothesis according to which words – most especially those used in the title of the articles – are a valuable source to map the history of criminological discipline. In order to achieve this goal, we first scrutinized the journal catalogue. This file is made of the 527 references with such information as the authors’ name, article’s title, publication year, title of the issue, authors’ nationality and type of article. The second series of analysis focused on the topic of the issues as indicated by their titles (67 issues between 1968 and 2005). Finally, a thorough analysis was performed on the editorials for each issue covering the whole period under study. This empirical research allows us to trace not only the evolution of the journal Criminologie but more broadly of the discipline it respresents.
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Les enjeux à venir pour la criminologie clinique : approche développementale et intégration avec les sciences biomédicales
René Carbonneau
p. 47–82
RésuméFR :
Au cours des dernières décennies, la criminologie clinique a connu un essor qui annonce des changements importants pour la recherche et l’intervention à venir. Les études longitudinales sur les facteurs de risque, sur l’apparition des comportements antisociaux et sur leur trajectoire à travers la vie des individus ont d’abord produit un ensemble de connaissances qui ont permis une meilleure compréhension du phénomène de la délinquance dans une perspective développementale. Puis, l’évolution fulgurante de la recherche en sciences biomédicales et son impact sur la compréhension de l’étiologie et sur le traitement des problèmes de santé mentale, lesquels recoupent de façon importante les comportements antisociaux, ont entraîné l’émergence du paradigme bio-psycho-social comme base d’étude et d’intervention en criminologie clinique. Les résultats des études en neurosciences et en génétique du comportement sont particulièrement éloquents quant à l’utilité de ce paradigme pour aborder dans sa totalité le phénomène délinquant. Si l’avènement de l’approche bio-psycho-sociale dans un cadre développemental et son impact sur la compréhension du comportement antisocial sont récents, les possibilités sans précédent qui s’offrent maintenant aux chercheurs et aux intervenants en criminologie clinique rendent la poursuite active de cette nouvelle stratégie incontournable.
EN :
In the last decades, clinical criminology has undergone a significant evolution which announces important changes to come for research and intervention in the field. Longitudinal studies on risk factors, age at onset and trajectories of antisocial behaviour throughout development have resulted in an important body of knowledge allowing for a better understanding of delinquent behaviour in a developmental perspective. Furthermore, the striking evolution of research in biomedical sciences and its impact on our understanding of the etiology and on the treatment of mental health problems, notoriously associated with criminal behaviour, have seen the bio-psycho-social paradigm emerging as the basis of research and intervention for clinical criminologists. Results of studies in neurosciences and behaviour genetics especially underscore the importance of this paradigm to fully understand delinquency. If the emergence of the bio-psycho-social paradigm in a developmental perspective and its impact on our understanding of antisocial behaviour are relatively recent, the tremendous possibilities it opens now to researchers and clinicians make this new strategy essential in the field of clinical criminology.
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Les effets de vérité du discours de l’ADN pénal au Canada
Martin Dufresne et Dominique Robert
p. 83–102
RésuméFR :
À une vitesse folle, l’ADN est devenu un fétiche, un symbole chargé d’une force presque divine. Le système pénal n’échappe pas à ses charmes. Cet article porte sur l’ADN tel qu’il est produit lors des débats au comité permanent de la Chambre des communes qui sont à la base de la politique canadienne sur les empreintes génétiques. À travers l’analyse des mémoires soumis au comité, nous attirons l’attention sur deux effets de vérité produits par le discours de l’ADN pénal, soit la production d’un système pénal à la recherche de la vérité (par opposition à la recherche de la justice) et la réification des infracteurs en criminels monstrueux.
EN :
In an incredible short period, DNA became a cultural icon, a symbol invested with an almost divine power. The penal system doesn’t escape it. This contribution aims at uncovering the way DNA is constructed in the debates of the standing committee of the House of Commons. Those debates lead to the Canadian DNA policy. Through the analysis of the briefs, we point at two effects of truth that are produced by the penal DNA discourse. The first is the construction of the penal system as truth searching mechanism (rather than a justice mechanism) and the second is the production of the monstrous criminal.
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Saisir la sécurité privée : quand l’État, l’industrie et la police négocient un nouveau cadre de régulation
Massimiliano Mulone et Benoît Dupont
p. 103–131
RésuméFR :
L’accroissement substantiel de l’industrie de la sécurité a profondément changé la manière dont la sécurité est gouvernée aujourd’hui. Une récente proposition législative de la province de Québec sur la sécurité privée – Loi sur la sécurité privée – nous a servi de point de départ pour répondre à deux objectifs, soit tenter de définir l’objet « sécurité privée » et comprendre les liens qu’entretient cette sécurité privée avec l’État et la police. Une analyse de la littérature grise accompagnant cette loi (mémoires déposés à l’Assemblée nationale du Québec et consultations particulières de la Commission des institutions) nous a permis de décrire les divers morcellements de la sécurité privée, ainsi que la difficulté à la circonscrire clairement, les frontières l’entourant étant larges et poreuses. En outre, notre analyse a mis en lumière certaines spécificités de l’État dans la gouvernance de la sécurité – soit sa capacité à légiférer et à légitimer – qui continuent à peser sur l’industrie. Enfin, il est observé que l’industrie de la sécurité privée ne tente pas tant de se substituer à la police que de se construire une place à part, qui lui soit propre et, si est possible, libre de toute contrainte.
EN :
The dramatic growth of the security industry has significantly altered the way security is governed today. We relied on a recent bill on private security enacted by the province of Québec to question two dimensions, that is the definition of the object ‘private security,’ as seen by the state, and the existing ties of this private security with the state and the public police. Drawing from submissions (white papers) made to the parliamentary committee reviewing the Bill and from transcripts of the hearings held in Parliament, we designed a four-layer model to describe the vagueness of the delimitations of private security, as well as its inner divisions. Then, we shed some light on the capacity of the state to legislate and legitimate, thus keeping the state in a very strategic, and partially unchallengeable, position in the governance of security. Finally, we found that the private security doesn’t want so much to replace the public police than create its own place in the field of security.
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Haute et basse police après le 11 septembre
Jean-Paul Brodeur
p. 133–151
RésuméFR :
La distinction entre la haute police (police politique) et la basse police (police criminelle ordinaire) a accru sa pertinence dans le prolongement des attentats terroristes du 11 septembre 2001 (9/11). Ce texte reprend le contenu du paradigme de la haute police proposé en 1983 et répond à certaines critiques qui lui ont été récemment adressées. Nous proposons d’abord une remise à date des caractéristiques de la haute police. Celle-ci est considérée comme une police d’absorption, d’amalgame des pouvoirs au profit du pouvoir exécutif, de protection de l’État et d’infiltration de la société par des indicateurs de police. Nous montrons ensuite que les différentes commissions d’enquête qui se sont penchées sur les lacunes de l’action policière et des services de renseignement dans la prévention des attentats du 9/11 ont trouvé que la distinction entre la haute et la basse police était encore plus profonde qu’on ne l’avait anticipé. Dans une troisième partie du texte, la question de l’existence d’une haute police privée est abordée. Bien que l’existence d’une haute police privée ne puisse maintenant être remise en question, cette haute police privée ne possède qu’en partie les traits qui définissent le modèle initial de la haute police publique. Dans la dernière partie, le contraste entre haute et basse police est examiné à la lumière de sa résonance symbolique.
EN :
The distinction between high and low policing is increasingly relevant in the wake of the terrorist attacks of 11 September 2001. This paper reviews the content of the high policing paradigm and addresses recent criticism. Its first part provides an update of the defining features of high policing : absorbent policing, power conflation favouring the executive, the primacy of protecting the state and massive use of infiltration through of covert informants. It is, thereafter, argued that the high and low police distinction is considered to run deeper than anticipated by the various bodies reporting on the policing and intelligence failure to prevent 9/11. In part three, the place of private security agencies in high policing is assessed. Private high policing must be taken into account, but it only shares in some of the defining features of high policing and is lacking in others. Finally, the contrast between high and low policing is examined in relation to symbolic significance.
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Conceptualisation et réforme des processus policiers à l’ère de la mondialisation : l’économie politique de la sécurité humaine
Michael Kempa
p. 153–175
RésuméFR :
Le présent article vise à alimenter la réflexion sur les façons par lesquelles les criminologues pourraient étudier, voire réformer, les processus policiers dans le contexte de la mondialisation. Les virages socio-politico-économiques et écologiques imposés par ladite mondialisation présentent des problèmes de « sécurité humaine » auxquels on répond par de nouvelles formes d’« intervention policière » étrangères aux paradigmes existants de la criminologie. Dans cet article, nous présentons un aperçu de ces nouvelles tendances. On avance que la conception actuelle des services policiers, à savoir la notion des processus techniques perfectibles, continue à dominer la pensée des criminologues, praticiens et spécialistes, et ce, au détriment de l’atteinte d’une sécurité humaine à long terme. En nous inspirant d’un vaste corpus d’ouvrages en sciences sociales, nous proposons aux criminologues de situer la police et les « processus policiers » à l’intérieur de la notion de « gouvernance de la sécurité », celle-ci étant elle-même inscrite dans le cadre plus large d’une « économie politique de la sécurité humaine » : une architecture de transformation socio-politico-économique ancrée dans des idées, des croyances et des valeurs occidentales considérée tour à tour comme étant exploitée sciemment par les élites, fondamentalement viciée ou encore contraignante, le tout aux dépens de la sécurité humaine à long terme.
EN :
This paper reflects upon possible future directions for the ways in which criminologists think about, and attempt to engage the reform of, policing in the context of “globalization.” The socio-politico-economic and ecological shifts associated with globalization pose many intensified challenges to “human security,” which have seen the rise of many unusual forms of “policing responses.” Many of these threats and responses are unfamiliar to established criminological paradigms. This paper overviews these developments. It is argued that established visions of policing as a set of perfectible technical processes continue to dominate both practitioner and scholarly thinking in the criminological field, to the detriment of the achievement of long-term human security. I thereby draw upon a range of social science literatures to suggest that criminologists situate notions of “policing” within the more general conceptual category of “the governance of security.” In turn, both of these categories of practices are embedded in a broader “political economy of human security”: an architecture for socio-politico-economic transformation that is premised upon Western ideas, beliefs and values that can variously be seen as exploitable by elites with ill intentions, structurally flawed, and/or conceptually constraining in ways that undermine long-term human security.
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Nouveaux courants en criminologie : « études sur la justice » et « zémiologie »
Marie-Andrée Bertrand
p. 177–200
RésuméFR :
S’appuyant sur trois bilans assez négatifs de la discipline dressés par des criminologues canadiens connus, l’auteure de cet article analyse les conditions dans lesquelles est née la criminologie afin d’éclairer ce qui rend si difficile la critique de fond de son objet, le crime. Les experts invoquent le caractère appliqué et normatif de la discipline, sa proximité avec le pouvoir politique, ainsi que le climat social et politique, national et international, favorable à un retour aux orientations répressives et à une gestion actuarielle du pénal. Mais comment expliquer alors que des groupes de criminologues britanniques et irlandais, vivant dans un contexte social et politique analogue à celui des Canadiens, aient réussi à se tailler un objet d’étude au-delà du droit pénal, et qu’au Canada même une commission nationale du droit en arrive à questionner radicalement l’objet de la criminologie et à se rallier à la notion de « tort social grave » comme sujet d’étude et d’intervention ? L’auteure suggère que la professionnalisation de la discipline au Canada rend difficile toute critique immanente. Malgré tout, elle voit des signes d’un possible renouvellement de la criminologie dans l’intérêt que manifestent des départements pour les « Justice Studies » et dans le mouvement amorcé par l’Association canadienne de criminologie et sa revue qui ajoutent le mot « justice » à leur nom.
EN :
Experts in the field agree that criminology has shown its lack of capacity to examine critically its object, crime, as defined in penal law and see four factors that have contributed to these lacunae, the applied and normative character of the discipline, its proximity to political power, the national and international social climates that favour penal repression and actuarial management rather than intellectual enlightenment. But then, asks the author, how to explain that under similar social and political conditions, a group of British and Irish social scientists have emancipated themselves from the discipline and chosen a larger field of study, beyond criminology as they say? And how was it possible for the Canadian Law Commission to explore the radical question “What is a crime ?” and to put twelve researchers at work on case studies that demonstrate the incapacity of penal law to apprehend and control severe social harms, rejoining the British and Irish colleagues’ move ? Is the professionalization of the discipline responsible for criminology’s difficulty to “think critically” ? The author sees a glimmer of hope in the will to change name shown by some criminology departments, a small move that the Canadian Association and Journal of Criminology have already made, adding the word “justice” to their title.