Résumés
Résumé
Cet article, issu d’une étude qualitative menée dans une maison d’arrêt en France, propose d’analyser et de décrire les formes d’inégalités, de discrimination et de privilèges sur lesquels se fonde l’ordre en détention. Sur la base d’une discussion de différents problèmes théoriques soulevés par l’analyse de la complexité des relations surveillants-détenus, du poids des contraintes sécuritaires sur l’ensemble des logiques d’action, ou encore des jeux d’identités et d’identifications en détention, nous décrivons trois types de position occupées par les détenus : d’abord le « stratège » qui développe un véritable contre-pouvoir tout en participant activement au contrôle des autres détenus ; ensuite le « tacticien » qui, au jour le jour, ruse pour améliorer son quotidien ; enfin, le « soumis » qui est l’objet de persécutions et de formes d’oppression spécifiques. À travers la description de cette structure de domination, nous montrons que l’institution ne vise pas tant à dépersonnaliser les détenus pour fonder de nouvelles identités conformes à l’institution qu’à s’appuyer plus pragmatiquement sur les capacités différentielles d’initiative et les inégalités sociales en détention pour minimiser les sources de désordre. In fine, ce constat nous conduit à proposer une redéfinition partielle du concept d’institution totale.
Abstract
This paper is based on data from a qualitative research conducted in a french jail and proposes an analysis and a description of the different forms of inequality, discrimination and privileges on which carceral order is built. After discussing different theoretical questions dealing with the complexity of the relationships between guards and inmates, the impact of security constraints on action, and the questions of identity and identification in detention, we describe three different types of prisoner positions. First, the “strategist” who develops a counter power and is actively embedded in the process of controling other prisonners. Second, the “tactician” who uses cunning every day in order to make his stay in detention better. Third, the “submissive” who is the object of specific forms of persecution and oppression. Through the description of this domination structure, we argue that the institution does not try to depersonalize the prisonners to build new identities in accordance with the institution but instead rests upon differentiated capacities of action and social inequalities to minimize disorder. This interpretation leads us to propose a new partial definition of the concept of total institution.
Parties annexes
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