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Introduction

La mixité linguistique dans les couples soulève diverses questions quant aux langues qui sont transmises aux enfants. Plusieurs études ont montré que l’exogamie était un facteur qui ne favorisait pas la transmission de la langue maternelle du parent en situation de minorité (Bouchard-Coulombe, 2011a ; Harrison, 2000 ; Houle, 2011 ; Lachapelle, 1989 et 1990 ; Lachapelle et Henripin, 1980 ; Landry, 2003 ; Turcotte, 2006). La force d’attraction de la langue anglaise hors Québec, en particulier dans les contextes où les francophones sont faiblement concentrés, constitue une situation pouvant poser divers défis quant à la transmission de la langue française au Canada (Landry, 2003)[1].

La question de la transmission de la langue française aux enfants de couples exogames est importante. Cette transmission est associée aux enjeux relatifs à la pérennité de cette langue dans le pays, aux difficultés de son apprentissage dans un contexte minoritaire, au rôle de chacun des parents, des communautés et des institutions. Cette question concerne également le maintien et le développement de la vitalité de la francophonie au Canada.

Divers aspects méritent d’être analysés en détail afin de mieux saisir les facteurs ayant une incidence sur la transmission de la langue française chez les enfants demeurant au Québec et dans le reste du Canada. C’est l’objectif général de cet article. Celui-ci comprend quatre parties. Dans la première partie, on présente notre cadre théorique, qui est celui de la transmission culturelle. Nous nous basons en grande partie sur la contribution de Cavalli-Sforza et Feldman (1981), complétée par l’ouvrage de Schönpflung (2009a), qui fournissent tous deux un certain nombre d’énoncés permettant de formuler des hypothèses de travail. La deuxième partie présente les sources de données, les variables et les méthodes utilisées tout au long de cet article. Dans la troisième partie sont analysées, à partir des données du Recensement de 2011 et des Recensements de 1991, 1996, 2001 et 2006, les tendances de la transmission du français en tant que langue maternelle aux enfants de 17 ans et moins dont au moins un des parents est francophone, ainsi que quelques facteurs linguistiques, démographiques et géographiques qui en favorisent ou non la transmission : la composition linguistique de la famille, en l’occurrence les familles exogames et endogames, le sexe du parent francophone, le sexe de l’enfant et le lieu de résidence (Québec ou reste du Canada). À l’aide d’une analyse de régression logistique, on examine dans la quatrième partie les différents facteurs qui influencent la transmission du français chez les jeunes enfants (3 à 11 ans) en fonction du cadre d’analyse. On considère dans cette quatrième partie trois cas de figure : la transmission du français en tant que langue maternelle, la transmission du français en tant que langue parlée à la maison (que le français soit la langue maternelle ou non de l’enfant) et la transmission du français en tant que langue parlée à la maison chez les enfants dont cette langue n’a pas été déclarée comme langue maternelle.

La transmission culturelle et la transmission de la langue

Le cadre d’analyse que nous adoptons dans cet article est inspiré du cadre conceptuel plus général de la transmission culturelle (Cavalli-Sforza et Feldman, 1981). La transmission culturelle s’effectue non seulement des parents aux enfants, comme dans le cas de la transmission génétique, mais aussi entre personnes n’ayant aucun lien de parenté entre elles. La transmission peut donc se produire à l’intérieur d’une même génération. Pour la transmission de la langue, on peut, par analogie, considérer que la transmission de la langue maternelle s’apparente à la transmission génétique tandis que la transmission de la langue en tant que langue parlée à la maison peut se produire au cours de la vie de l’individu, soit à l’intérieur d’une même génération.

Trois vecteurs de la transmission culturelle ont été identifiés par Cavalli-Sforza et Feldman (1981) et ont été repris dans un certain nombre de travaux, que ce soit dans les domaines de la psychologie, de la sociologie ou de l’économie (Bisin et Verdier, 2000 ; Schönpflung, 2009a). Ces trois vecteurs sont la transmission verticale, qui s’effectue des parents aux enfants, la transmission horizontale, qui consiste en une transmission entre les membres d’une même génération, et la transmission oblique, qui s’opère entre des membres des générations plus anciennes aux enfants (par exemple, des grands-parents aux petits-enfants).

Les auteurs ont emprunté cette terminologie à l’épidémiologie, qui a constitué une source d’inspiration pour leur étude de la transmission culturelle (p. 54). Les auteurs distinguent également le contexte du vecteur de la transmission. Dans le cas de la transmission verticale, le contexte est clairement celui de la famille. Dans les vecteurs horizontal et oblique, la transmission peut s’opérer dans un contexte intrafamilial ou extrafamilial. La transmission est horizontale et intrafamiliale quand il y a plusieurs enfants dans la famille ou le ménage. La transmission horizontale extrafamiliale est celle qui résulte de l’interaction entre l’enfant et ses pairs, en particulier en milieu scolaire et là où se forment les réseaux d’amitié. La transmission oblique est intrafamiliale lorsque d’autres adultes du ménage contribuent à l’éducation des enfants, par exemple des grands-parents ou d’autres membres de la famille vivant ou non dans le ménage. Enfin, la transmission oblique est extrafamiliale lorsque les adultes de la génération des parents peuvent servir de modèle aux enfants, par exemple les enseignants. La distinction entre transmission intrafamiliale et extrafamiliale est particulièrement pertinente dans le cas de la transmission de la langue maternelle, parce que c’est d’abord par les interactions avec les proches que la langue se transmet et que l’apprentissage du langage se produit durant les premières années de vie de l’enfant, avec des variations selon l’aspect linguistique considéré (vocabulaire, phonologie, grammaire, etc.) (Crystal, 1987). Ainsi, du point de vue du langage, la transmission verticale est en interaction soutenue avec la variante intrafamiliale des vecteurs oblique et horizontal. Par contre, la transmission extrafamiliale peut influencer la transmission des compétences et des pratiques linguistiques, dont la langue parlée à la maison, mais moins la langue maternelle, compte tenu du fait que celle-ci est fixée chez l’enfant à un âge relativement tôt, autour de deux ou trois ans.

L’une des propositions les plus importantes qui ressort du cadre d’analyse de la transmission culturelle est que l’homogénéité des transmetteurs assure une meilleure transmission du trait culturel qui est transmis. Dans un groupe ou une société homogène et géographiquement peu mobile, la transmission culturelle tend à être conservatrice, c’est-à-dire que le changement culturel est lent et les différences entre les individus et entre les populations sont faibles (Cavalli-Sforza, Felgman, Chen et Dornbusch, 1982 ; Schönpflug, 2009c). Dans le cas de la transmission des langues, cette proposition semble évidente. D’autres l’ont formulée en termes d’exposition (Hoff, 2006 ; Houle, 2011) : plus les enfants sont exposés à la langue maternelle des parents dans l’environnement familial et social, plus cette langue a de chance d’être utilisée et transmise efficacement (plus rapidement et complètement). Au contraire, une société hétérogène permet des changements culturels plus rapides. Comme on l’a déjà mentionné plus haut, la diversité linguistique à l’intérieur de la famille et dans l’environnement social pose des contraintes quant à la transmission des langues, d’où l’importance ici de différencier le Québec du reste du Canada, étant donné que la concentration des groupes linguistiques diffère.

Nous présentons ici quelques-unes des propositions, pour la plupart tirées de l’ouvrage de Schönpflug (2009a), qui nous ont guidées pour formuler des hypothèses de travail dans le cadre de notre étude. Du point de vue du développement, la transmission de la culture des parents aux enfants traverse plusieurs phases. C’est durant l’enfance que les enfants sont l’objet des efforts de transmission culturelle les plus intenses de la part des parents (Schönpflung et Bilz, 2009). À mesure que l’enfant gagne en autonomie, il devient de plus en plus capable d’opérer une sélection dans ce que ses parents désirent lui transmettre. À l’adolescence, on peut même observer une transmission « décalée » : les adolescents peuvent s’opposer à la transmission parentale reçue mais, plus tard, accepter le trait culturel auquel ils s’étaient opposés. L’effet des pairs et des adultes non apparentés sur la transmission culturelle se fait sentir dès que les enfants commencent à fréquenter l’école, et les vecteurs de la transmission extrafamiliale horizontale et oblique commencent donc dès ce moment à entrer en interaction avec la transmission verticale (Cavalli-Sforza et Feldman, 1981). La direction de la transmission est donc susceptible de changer à mesure que l’enfant grandit. Dans le cas de la transmission de la langue, Houle (2011) a montré que la transmission des langues maternelles des immigrants au Canada à leurs enfants (deuxième génération) diminue au moment de l’entrée à l’école (entre 6 et 12 ans) par rapport aux premières années de vie, mais s’accroît à son niveau initial entre 13 et 17 ans. Cette tendance en fonction de l’âge est certainement valable pour d’autres éléments linguistiques comme la langue parlée à la maison ou la « connaissance » de la langue, étant donné que l’effet de l’âge sur les pratiques langagières est étroitement lié aux transitions scolaires.

Outre l’âge de l’enfant, le sexe du parent transmetteur peut avoir un effet sur la transmission des traits culturels chez l’enfant. Certains traits sont plus susceptibles d’être influencés par la mère, d’autres par le père, tandis que d’autres encore sont ne sont pas reliés au sexe du transmetteur (Cavalli-Sforza et collab., 1982 ; Schönpflug, 2009b). Dans le cas de la transmission de la langue maternelle, la recherche montre que l’influence de la mère sur la transmission de la langue est plus importante que celle du père (Bouchard-Coulombe, 2011a). Ceci est attribuable au fait que ce sont les mères qui demeurent plus souvent au foyer pour s’occuper des jeunes enfants et elles sont souvent plus proches d’eux, physiquement et émotionnellement, dans leurs premières années de vie.

Le niveau d’éducation des parents est une « ressource » qui peut avoir un effet positif sur la transmission culturelle parents-enfants. Une scolarité plus élevée peut être associée à une plus grande acceptabilité du modèle parental aux yeux des enfants, et donc à une transmission verticale plus efficace. De plus, des parents plus scolarisés ont, en général, de meilleures compétences en tant que transmetteurs de la culture (Schönpflung et Bilz, 2009). Mais les parents ne représentent pas les seuls modèles dont les enfants peuvent s’inspirer (Cavalli-Sforza et Feldman, 1981). Dans une société hétérogène, contexte qui est souvent celui de la transmission du français aux enfants au Canada, le modèle alternatif de la langue anglaise peut représenter un modèle concurrent au français. Par ailleurs, le lien entre scolarité des parents et transmission de la langue n’apparaît pas comme un facteur significatif dans les contextes homogènes. Dans son étude sur la transmission des langues chez les couples exogames au Québec, et qui incluait les couples anglais-français, Bouchard-Coulombe (2011b) a conclu à l’absence d’effet du niveau de scolarité de la mère sur la transmission du français.

Pour les parents immigrants, l’effet de l’éducation aurait un effet ambivalent : d’une part, les parents plus scolarisés seraient plus désireux de transmettre leur langue d’origine à leurs enfants mais, d’autre part, ils vont aussi désirer procurer à leurs enfants les meilleurs outils pour que ceux-ci s’adaptent le mieux possible à la société d’accueil (Portes et Schauffler, 1994). L’examen de l’effet du niveau de scolarité de la mère sur la transmission des langues immigrantes[2] au Canada indique que ce niveau est associé à une transmission moins importante de ces langues (Houle, 2011 ; Turcotte, 2006). Aux États-Unis, Alba, Logan, Lutz et Stults (2002) ont montré qu’un plus grand nombre d’années de scolarité des parents tendait à renforcer l’unilinguisme anglais chez les enfants d’immigrants, tandis que Portes et Schauffler (1994) ont noté que le niveau d’éducation des parents n’avait pas d’effet sur la transmission des langues immigrantes. Dans un cadre social hétérogène où coexistent les deux langues officielles, il est possible que l’effet de l’éducation des parents ait également un effet ambivalent sur la transmission de la langue, que ce soit une transmission en tant que langue maternelle ou en tant que langue parlée.

L’immigration accroît l’hétérogénéité de la population et, selon l’hypothèse formulée ci-dessus, contribue à accélérer le changement culturel. Dans le contexte de notre étude, le changement culturel pourrait signifier une transmission du français plus lente et donc moins importante. L’autre effet de l’immigration est qu’elle contribue à l’hétérogénéité linguistique des couples, à travers la mixité des unions qu’engendre une population immigrée disponible sur le marché matrimonial. Dans les études sur la transmission culturelle au sein des populations immigrantes, l’efficacité de la transmission des traits culturels d’origine est réduite parce que ceux-ci peuvent s’avérer dysfonctionnels dans la société hôte (Schönpflung et Bilz, 2009). Les enfants peuvent être peu disposés à accepter certains de ces traits, et les parents peuvent être peu disposés à transmettre certains de ces éléments culturels, car ceux-ci sont jugés inadaptés à la société d’accueil. Le cas de la transmission de la langue maternelle est un bon exemple de cette situation. Même en situation d’endogamie linguistique, la transmission des langues maternelles des immigrants est loin d’être complète et, dans les cas de mixité, les taux de transmission sont inférieurs à 20 % (Harrison, 2000).

Dans les cas de transmission horizontale et oblique, la structure de la famille et du ménage est associée à la transmission verticale et intrafamiliale. Le nombre d’enfants intervient dans la transmission culturelle par l’entremise des efforts que les parents doivent déployer pour transmettre les traits culturels souhaités (Schönpflug, 2009b). Plus le nombre d’enfants dans la famille est élevé, plus petite sera la part de l’effort de transmission que recevra chaque enfant. Toutefois, l’effort nécessaire fourni par les parents peut être réduit si les enfants plus âgés ou d’autres membres de la famille ou du ménage participent à cette transmission.

Données, variables et méthodes

Les analyses effectuées pour cette étude ont été réalisées à partir des données tirées des recensements canadiens de 1991 à 2011. Toutefois, c’est le Recensement de 2011, administré à 100 % de la population, qui a été utilisé pour la modélisation par régression logistique. Les résultats de la série historique couvrant la période 1991-2006 sont tirés du questionnaire détaillé du recensement (20 % des ménages).

Pour 2011, la population à l’étude se compose de plus d’un million d’enfants (1 157 605) de 17 ans ou moins vivant dans un ménage dont le couple est constitué de parents de sexe différent et dont au moins un des deux est de langue maternelle française. De ce nombre, 927 305 enfants habitent au Québec et 230 300 dans le reste du Canada. Dans les analyses de régression, seuls les enfants nés ou adoptés de l’union en cours et ayant de 3 à 11 ans sont pris en compte dans les analyses (soit 486 190 enfants). Les enfants de familles recomposées, c’est-à-dire les enfants nés ou adoptés dans le cadre d’une union antérieure à l’union actuelle, ne font donc pas partie des analyses détaillées[3].

La langue maternelle se définit comme la première langue apprise à la maison dans l’enfance et encore comprise le jour du recensement. Il est possible qu’une personne déclare plus d’une langue maternelle : il s’agit des cas de réponse multiple. Dans cette étude, l’enfant et le parent sont considérés comme étant francophones lorsque le français est déclaré comme langue maternelle, unique ou en combinaison avec une autre langue. Dans le cas de la langue déclarée pour les enfants spécifiquement, les réponses sont fournies par un répondant adulte, généralement l’un des parents (ou les deux). Ceci peut avoir un effet sur la langue déclarée pour l’enfant, selon que le répondant adulte soit francophone ou non[4]. De plus, d’un recensement à l’autre, le déclarant pour l’enfant peut modifier la déclaration de la langue maternelle de l’enfant.

Un couple exogame comprend une femme et un homme mariés ou en union libre et habitant le même ménage, l’un ayant le français comme langue maternelle et l’autre l’anglais ou une langue non officielle. Lorsque la langue maternelle de la mère est le français, on dira qu’il s’agit d’une famille exogame maternelle. Inversement, lorsque c’est le père qui est le parent francophone dans le couple, on dira qu’il s’agit d’une famille exogame paternelle. Lorsque les deux conjoints ont le français comme langue maternelle, on parlera d’un couple endogame. On utilisera donc dans ce texte les expressions de couples ou de familles francophones exogames et endogames.

La transmission de la langue est mesurée par la comparaison entre la langue de l’enfant et la langue maternelle des parents. Lorsque l’enfant a la même langue que sa mère ou son père, nous considérons que le parent a transmis sa langue. Nous considérons que la langue peut être transmise sous des formes autres que la langue maternelle, soit comme langue parlée à la maison, soit comme langue « connue »[5]. Dans ces deux dernières situations, on compare la langue parlée à la maison ou connue des enfants à la langue maternelle des parents[6]. Il est à noter que nous incluons dans la partie descriptive tous les enfants de 17 ans ou moins dans notre mesure de la transmission de la langue, donc les nouveau-nés. Une étude a révélé que les nourrissons étaient en mesure d’apprendre une ou deux langues très tôt dans leur vie. Même s’ils n’ont pas encore appris à parler et à formuler des phrases, le cerveau des nouveau-nés est en mesure de différencier les langues que les parents parlent (Gervain et Werker, 2013).

Les variables que nous traitons dans la première partie de l’étude, qui porte principalement sur la transmission de la langue maternelle, sont les suivantes : le type de famille, endogame ou exogame, le sexe du parent francophone dans les familles exogames et le lieu de résidence (Québec ou reste du Canada). De plus, nous présentons les taux de transmission selon les deux autres caractéristiques linguistiques des enfants, soit la langue parlée à la maison et la langue connue.

Pour les modèles de régression logistique, qui s’intéressent à la fois à la transmission de la langue maternelle et à la langue parlée à la maison, nous avons restreint la population des enfants à ceux ayant de 3 à 11 ans. D’une part, la langue maternelle n’est pas nécessairement fixée avant l’âge de trois ans, et nous avons donc choisi d’exclure les plus jeunes enfants. D’autre part, pour les enfants plus âgés (12 à 17 ans), s’est posée la question de l’exposition au risque de cohabiter avec des enfants plus âgés. En effet, plus les enfants sont âgés, plus il est probable qu’ils ne soient plus membres du ménage. Cette situation fait en sorte que la variable du nombre d’enfants mineurs dans la famille qui rend compte du vecteur de la transmission horizontale intrafamiliale peut être biaisée pour les enfants plus âgés, car la fratrie et les enfants « autres » qui sont susceptibles d’influencer leurs pratiques linguistiques peuvent ne plus être présents à la maison à cause de leur âge, ou ne sont plus considérés comme des enfants mineurs étant donné qu’ils ont 18 ans ou plus.

Nous avons calculé plusieurs variables visant à quantifier les différents vecteurs de la transmission culturelle. Nous avons également inclus des facteurs de contrôle qui prennent la forme de variables contextuelles calculées au niveau des subdivisions de recensement (SDR) de 2006 (selon les frontières de 2011). Pour la transmission verticale, la principale variable est celle du caractère endogame ou exogame du couple et, dans ce dernier cas, du sexe du parent francophone et de la connaissance du français par le parent non francophone. Nous avons inclus une deuxième variable linguistique qui indique si les parents sont allophones, c’est-à-dire si leur langue maternelle est une langue autre que le français ou l’anglais. Cette information est tirée des informations fournies à la question sur la langue maternelle. La grande majorité des couples francophones sont toutefois formés de deux conjoints dont la langue maternelle est exclusivement une langue officielle : la proportion est de 93,3 % au Québec et de 87,8 % hors Québec.

Quatre variables caractérisent la famille de recensement : l’âge de la mère à la naissance de l’enfant, le sexe et l’âge des enfants mineurs et le nombre de ces enfants au sein de la famille. Les données du recensement permettent de bien cerner la composition des ménages et donc de mesurer les vecteurs intrafamiliaux vertical, horizontal et oblique. La limite inhérente à ces variables est qu’elles ne tiennent pas compte des membres de la famille qui ne vivent pas dans le même ménage que les enfants. Les variables familiales sont au nombre de deux.

  • La première est la composition linguistique des enfants hors famille de recensement (dont les enfants en famille d’accueil) et des enfants d’un seul des deux conjoints, ayant moins de 18 ans et vivant au sein du ménage. Les enfants retenus pour mesurer cette variable intrafamiliale sont ceux plus âgés que l’enfant de référence d’au plus six ans. Ainsi, pour les enfants de 11 ans, on ne considère que les autres enfants de 12 à 17 ans, pour les enfants de 10 ans, ceux de 11 à 16 ans, et ainsi de suite jusqu’aux enfants de 3 ans pour lesquels on considère, pour le calcul de la variable intrafamiliale de la transmission horizontale, les enfants de 4 à 9 ans.

  • La deuxième est la composition linguistique de la population de 18 ans ou plus (adultes) vivant au sein du ménage, exception faite des deux conjoints et de leurs enfants, que ceux-ci soient mariés ou non. Cette dernière variable exclut donc les personnes de 18 ans ou plus classifiées comme enfants dans la famille de recensement.

Ces deux variables de composition du ménage ont été codées de la façon suivante : la catégorie de référence est l’absence de la sous-population considérée dans le ménage, la deuxième catégorie représente la situation où les membres de la sous-population considérée sont majoritairement de langue maternelle française et la troisième catégorie la situation où la majorité des membres de la sous-population considérée n’a pas le français comme langue maternelle. Ces situations de corésidence sont toutefois assez rares chez les familles francophones. Ainsi, moins de 6 % des enfants de 3 à 11 ans issus de couples francophones vivent au sein d’un ménage caractérisé par la présence d’autres enfants plus âgés d’au plus six ans ou d’autres adultes ne faisant pas partie de la famille de recensement de l’enfant[7].

Les variables extrafamiliales sont des variables calculées au niveau des SDR. Ces variables ont deux fonctions dans les modèles. D’une part, elles opérationnalisent les vecteurs oblique et horizontal de la transmission culturelle. D’autre part, elles isolent l’influence d’un certain nombre de facteurs qui n’ont pas pu être mesurés au niveau individuel puisque le Recensement de 2011 ne contient aucune question sur le statut d’immigrant, le lieu de naissance, le niveau d’éducation ou le revenu. Ces variables proviennent donc du Recensement de 2006. Il est à noter que ces deux fonctions ne sont pas nécessairement exclusives. Dans les faits, la transmission horizontale (entre pairs) extrafamiliale est extrêmement difficile à opérationnaliser. Nous avons ainsi choisi une variable déjà utilisée dans d’autres travaux, soit la proportion de la population totale de la SDR dont le français est la langue maternelle.

Nous avons également calculé, au niveau des SDR, le revenu relatif des familles francophones par rapport aux familles anglophones. Aux fins de ce calcul, nous n’avons considéré que les familles où les deux conjoints étaient de même langue maternelle, soit « français » et « français et une langue non officielle » dans le cas des familles francophones, et « anglais » et « anglais et une langue non officielle » dans le cas des familles anglophones. Le revenu relatif se définit en calculant le ratio entre le revenu moyen des familles francophones et le revenu moyen des familles anglophones. L’intégration de cette variable a pour but de tenir compte de l’effet « modèle de référence » ou « prestige » sur les enfants ou sur leurs parents associé à la richesse ou au bien-être relatif du groupe linguistique francophone par rapport au groupe anglophone. Elle devrait donc mener, selon les hypothèses posées ci-dessus, à une transmission plus importante du français dans la mesure où ce modèle culturel est plus prestigieux et attrayant d’un point de vue socioéconomique.

Trois variables servent principalement de contrôle. Elles visent à tenir compte de la composition de la population. Ces trois variables sont la proportion des personnes de 25 ans ou plus détenant un diplôme universitaire, la proportion de la population née au Québec et la proportion de la population qui est immigrante. La variable d’éducation, qui ne remplace pas la mesure du niveau d’éducation individuel des parents, vise à isoler l’influence des caractéristiques socioéconomiques de la population de la SDR. En effet, une population hautement diplômée est plus susceptible de vivre en milieu urbain, d’être mieux nantie économiquement et de connaître davantage les deux langues officielles et de les utiliser plus fréquemment au travail. Le fait de vivre dans une SDR où le statut socioéconomique général de la population est plus élevé devrait être associé à une meilleure transmission de la langue française hors Québec et à une plus faible transmission du français (une meilleure transmission de l’anglais) au Québec. La proportion de la population née au Québec et la proportion de la population qui est immigrante sont deux indicateurs de l’hétérogénéité de la population. Une population née au Québec plus importante dans la SDR devrait être associée à une transmission du français plus élevée, du fait que cette population accroît le caractère francophone de la SDR. Au contraire, une population immigrante plus importante accroît l’hétérogénéité de la population et devrait donc être associée à une plus faible transmission du français dans les SDR hors Québec, parce que les immigrants auront plus tendance à favoriser l’intégration par l’anglais de leurs enfants, situation plus fonctionnelle. Au Québec, l’effet devrait être l’inverse et associé une plus forte transmission du français. Il faut cependant considérer que ces variables ont été construites à partir du Recensement de 2006, soit cinq ans plus tôt que le Recensement de 2011. Pour les parents d’enfants de 3 à 11 ans, cela signifie que les caractéristiques du milieu socioéconomique peuvent avoir une incidence non pas tant sur les enfants eux-mêmes que sur les choix des parents au moment où ils ont conçu et élevé leurs enfants alors que ceux-ci étaient encore en très bas âge[8].

Les résultats sont présentés en deux parties. La première partie est descriptive et traite principalement de la transmission de la langue maternelle. La deuxième partie est « explicative » et repose sur des analyses de régression logistique dont l’objectif est de tester le modèle de transmission culturelle appliqué à la transmission du français au Canada, soit en tant que langue maternelle, soit en tant que langue parlée le plus souvent ou régulièrement à la maison. Trois séries de modèles à étapes (step-wise) sont présentées pour les modèles de transmission de la langue maternelle, dont deux pour le Canada excluant le Québec : une série pour les couples endogames et une pour les couples exogames. Pour le Québec, nous ne présentons qu’une série de modèles pour les couples exogames, la transmission du français chez les couples endogames y étant si élevée (99,5 %) qu’il n’y a rien à expliquer.

Nous présentons également quatre autres modèles pour les couples exogames, deux pour le Québec deux pour le reste du Canada. Le premier modèle porte sur la transmission de la langue en tant que langue parlée à la maison (le plus souvent ou régulièrement). Le français parlé à la maison peut être, dans ce cas, la langue maternelle de l’enfant ou non. Le deuxième modèle met l’accent sur la transmission du français en tant que langue parlée à la maison, mais seulement pour les enfants dont le français n’est pas la langue maternelle. On examine ici la situation d’un groupe d’enfants plus spécifique. Ces modèles visent à mieux cerner les effets des facteurs extrafamiliaux de transmission de la langue les plus pertinents pour une transmission de la langue autrement que comme langue maternelle.

De plus, on devrait s’attendre à trouver que les variables de composition du ménage et les caractéristiques de l’enfant (son sexe et surtout son âge) sont davantage liées à la transmission de la langue en tant que pratique linguistique plutôt qu’en tant que langue maternelle.

Niveau et tendance de la transmission du français au Canada

Former une union avec un partenaire de langue maternelle différente signifie faire un choix quant à la langue transmise aux enfants, à celle utilisée à la maison et à celle apprise en milieu scolaire. La langue maternelle déclarée constitue un indicateur clé mesurant la transmission de la langue. En effet, la langue maternelle provient de la famille d’origine et contribue à la construction du bagage culturel et identitaire que l’enfant acquiert et qu’il est susceptible à son tour de transférer à ses enfants. De plus, c’est la langue maternelle reçue du ou des parents qui est ensuite transmise à la génération suivante. Un parent qui ne transmet pas sa langue maternelle à ses enfants a très peu de chance, sinon aucune, de voir cette langue transmise à ses petits-enfants. La transmission de la langue maternelle est un facteur essentiel dans la reproduction des groupes linguistiques (Lachapelle et Henripin, 1980 ; Lachapelle et Lepage, 2010).

En 2011, le recensement canadien dénombrait plus de 1,1 million d’enfants de 17 ans ou moins dont au moins un des deux parents était de langue maternelle française. De ces enfants, 255 305 vivaient dans une famille exogame francophone, c’est-à-dire qu’un seul de leur parent avait déclaré le français comme langue maternelle, ce qui représentait 22,1 % des enfants ayant des parents francophones au Canada. Hors du Québec, cette proportion était de 66,8 %, soit six fois plus qu’au Québec, où les enfants de familles exogames francophones représentaient 10,9 % des enfants de parents francophones (tableau 1).

Partout au Canada, le pourcentage d’enfants vivant dans une famille exogame est à la hausse. Ainsi, hors Québec, la proportion d’enfants de 17 ans ou moins vivant dans une famille exogame est passée de 56,5 % en 1991 à 66,8 % en 2011 (tableau 2). Inversement, le pourcentage d’enfants de familles endogames francophones a quant à lui connu une diminution, passant de 43,5 % à 33,2 % durant cette période. Au Québec, la tendance est similaire : entre 1991 et 2011, la proportion d’enfants vivant au sein d’une famille francophone exogame est passée de 7,4 % à 10,9 %, tandis que la proportion d’enfants vivant au sein de familles francophones endogames a décru, passant de 92,6 % en 1991 à 89,1 % en 2011.

La tendance à la hausse du nombre d’enfants de familles exogames est en partie attribuable à la baisse générale du poids démographique de la population francophone et au fait que cette population est moins concentrée dans certaines régions du pays. En effet, la population de langue maternelle française au Canada représentait 22,1 % de la population totale en 2011 (Corbeil, 2012), une baisse de deux points de pourcentage par rapport à 1991, où cette proportion s’établissait à 24,3 % (Lachapelle et Lepage, 2010). Cette baisse démographique de la population francophone a contribué à favoriser la formation d’unions exogames au fil du temps.

Tableau 1

Enfants de 17 ans ou moins vivant au sein de familles francophones, selon le type de famille (1991 à 2011), et nombre d’enfants (2011), Québec et reste du Canada

Enfants de 17 ans ou moins vivant au sein de familles francophones, selon le type de famille (1991 à 2011), et nombre d’enfants (2011), Québec et reste du Canada
Source : Statistique Canada, Recensements de 1991, 1996, 2001, 2006 et 2011

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Comme on l’a déjà signalé, la littérature montre que la mère est généralement le parent dans le couple qui est le plus susceptible de transmettre sa langue maternelle. Les données du Recensement de 2011 vont également dans ce sens. En 2011, 38,6 % des enfants de 17 ans ou moins ayant une mère francophone et vivant dans une famille exogame hors Québec avaient le français comme langue maternelle, pourcentage qui correspond au taux de transmission du français dans ce type de couple. En comparaison, lorsque le père était francophone, les enfants étaient deux fois moins susceptibles d’avoir le français comme langue maternelle, soit dans une proportion de 19,3 %.

Ces résultats mettent non seulement en évidence les différences entre les mères et les pères francophones dans la transmission de la langue française, mais également le fait que, hors Québec, la majorité des enfants de familles exogames ont l’anglais comme langue maternelle. En effet, la proportion d’enfants de familles exogames de mères francophones qui avaient l’anglais comme langue maternelle s’établissait en 2011 à 60,6 %, et ce taux s’établissait à 78,7 % lorsque c’était le père qui était francophone (tableau 2).

On constate qu’au Québec, même si les taux de transmission de la langue française sont plus élevés que dans le reste du Canada, le sexe du parent francophone a aussi une incidence sur le choix de la langue transmise. En 2011, 82,5 % des enfants vivant dans une famille exogame française maternelle avaient aussi le français comme langue maternelle, contre 64,8 % des enfants de familles exogames françaises paternelles. Par ailleurs, les proportions d’enfants ayant l’anglais comme langue maternelle étaient de 15,6 % chez les enfants de famille exogame maternelle et de 28,4 % chez les enfants de famille exogame paternelle (tableau 2).

La transmission de la langue française n’est pas totale chez les enfants de famille endogames francophones hors Québec, alors que nous avons vu que le taux de transmission atteint 99,5 % au Québec chez ce type de couple. En 2011, le taux de transmission de la langue française aux enfants de parents endogames francophones hors Québec s’établissait à 91 %, soit trois fois plus que le taux de transmission des enfants de familles exogames (29,1 %). Ce résultat met non seulement en évidence des différences entre les enfants de familles exogames et les enfants de familles endogames, mais également l’effet contraignant du contexte minoritaire des populations francophones vivant dans le reste du Canada.

De façon plus générale, les niveaux de taux de transmission du français selon le type de couple (exogame ou endogame) et le lieu de résidence (Québec ou hors Québec) permettent d’obtenir une première approximation de l’effet des composantes de la transmission culturelle intrafamiliale et extrafamiliale sur la transmission du français : celle-ci atteint son maximum dans le cas des couples francophones endogames du Québec et son minimum chez les couples francophones exogames hors Québec. L’écart le plus important est celui observé entre les taux des couples endogames et exogames hors Québec (différence de 61,6 points de pourcentage) et est minimal entre les couples endogames du Québec et hors Québec (8,5 points de pourcentage). L’effet de l’exogamie sur le taux de transmission du français apparaît donc plus important que l’effet de résidence hors Québec, en supposant bien sûr que ces deux facteurs soient indépendants, ce qui n’est pas assuré, puisque dans certains cas l’anglicisation des francophones a précédé la rencontre du conjoint.

Tableau 2

Pourcentage des enfants de 17 ans ou moins selon la langue maternelle de l’enfant et le type de famille francophone, Québec et reste du Canada, 2011

Pourcentage des enfants de 17 ans ou moins selon la langue maternelle de l’enfant et le type de famille francophone, Québec et reste du Canada, 2011
Source : Statistique Canada, Recensement de 2011

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La transmission de la langue française a eu tendance à augmenter chez les couples exogames hors Québec au cours des deux dernières décennies. Le taux de transmission du français chez les couples exogames maternels est ainsi passé de 23,0 % en 1991 à 38,6 % en 2011, un bond de 16 points de pourcentage (tableau 3). Quant aux enfants de familles exogames paternelles, le taux de transmission a presque doublé au cours de la même période. Ce taux s’établissait à 10,1 % en 1991, alors qu’il était de 19,3 % en 2011.

Comme dans le reste du Canada, les taux de transmission de la langue française au Québec dans les familles exogames ont aussi connu une hausse, plus particulièrement dans les familles où le père est le parent francophone. Le taux de transmission du français en tant que langue maternelle est ainsi passé de 54,8 % en 1991 à 64,8 % en 2011 chez les enfants de familles exogames paternelles.

Tableau 3

Taux de transmission (%) du français selon le type de famille francophone et l’année de recensement, Québec et reste du Canada

Taux de transmission (%) du français selon le type de famille francophone et l’année de recensement, Québec et reste du Canada
Source : Statistique Canada, Recensements de 1991, 1996, 2001, 2006 et 2011

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Si la langue maternelle de la mère a une incidence importante dans la transmission de la langue française, la connaissance que l’autre parent a du français a également un effet notable. Les analyses ont montré que le sexe du parent francophone avait une incidence sur la transmission de la langue française dans les familles exogames, les mères de langue maternelle française étant en général plus susceptibles de transmettre leur langue maternelle à leurs enfants que les pères de langue maternelle française. Le fait que l’autre parent (non francophone) puisse soutenir une conversation en français est une caractéristique ayant un impact considérable sur la transmission linguistique.

Hors Québec, chez les enfants de familles exogames maternelles dont le père parle le français, 63,4 % se sont vu transmettre le français, soit plus du double de la proportion des enfants dont le père non francophone n’avait aucune connaissance du français (30,3 %) (tableau 4). Chez les enfants de familles exogames paternelles francophones, l’écart était encore plus prononcé : 40,4 % des enfants se sont vu transmettre le français lorsque la mère non francophone parlait français, alors que chez les enfants dont la mère n’avait aucune connaissance en français cette proportion était quatre fois plus faible, soit de 10,2 %.

Tableau 4

Taux de transmission du français (%) selon le type de couple, le sexe du parent francophone et la connaissance du français du parent non francophone, familles francophones exogames, Québec et reste du Canada, 2011

Taux de transmission du français (%) selon le type de couple, le sexe du parent francophone et la connaissance du français du parent non francophone, familles francophones exogames, Québec et reste du Canada, 2011
Source : Statistique Canada, Recensement de 2011

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Au Québec, les taux de transmission sont plus élevés, mais le rôle de la mère est comparable à celui qu’elle exerce dans le reste du Canada. Pour la transmission de la langue maternelle, par exemple, les taux de transmission en situation d’exogamie maternelle sont plus élevés qu’en situation d’exogamie paternelle, mais lorsque le père non francophone a une connaissance du français, le taux de transmission atteint 84,7 % alors qu’il n’est que d’un peu plus de 60 % dans le cas où le père n’a aucune connaissance du français. En situation d’exogamie paternelle, le fait que la mère non francophone parle français fait passer le taux de transmission de 34,5 % à près de 68 %.

En bref, les taux de transmission de la langue française dans les familles exogames au Canada illustrent bien le fait qu’un contexte familial plus homogène d’un point de vue linguistique, du fait que les deux parents aient une connaissance du français, même si ce n’est pas la langue maternelle de l’un d’eux, favorise la transmission de la langue, ce qui confirme l’une des hypothèses que nous avons posées. Ces résultats illustrent aussi, encore une fois, le rôle joué par la mère dans le processus de transmission. Même en situation d’exogamie paternelle, cas où la transmission est la moins élevée, le fait que la mère parle le français contribue de façon significative à accroître le taux de transmission. Cela vaut également lorsque le père non francophone est capable de soutenir une conversation en français, bien que l’effet soit moins marqué.

Avant de présenter les modèles de régression, examinons les taux de transmission du français chez les familles francophones selon le type de transmission, c’est-à-dire selon que le français est transmis aux enfants de 17 ans ou moins en tant que langue maternelle, en tant que langue parlée le plus souvent ou régulièrement à la maison ou en en tant que langue connue. Le tableau 5 montre ces taux selon le type de couple et la région de résidence et pour les cinq derniers recensements. Les données pour la transmission de la langue maternelle reprennent les données du tableau 3.

De façon générale, c’est-à-dire pour les deux régions et le type de couple, la transmission du français est plus intense lorsque l’on considère de simples connaissances en français que lorsqu’on ne prend en compte que l’acquisition de la langue maternelle. Les taux de transmission du français en tant que langue parlée à la maison se situent entre les deux. L’évolution entre 1991 et 2011 suit la même tendance pour les trois types de transmission.

Il y a pourtant quelques différences intéressantes à mettre en relief. En situation d’exogamie, tant hors Québec qu’au Québec, la prévalence de la transmission en tant que langue parlée à la maison et en tant que langue connue est plus importante que la prévalence de la transmission de la langue maternelle. Chez les couples endogames, le fait de mesurer la transmission du français au moyen de la langue parlée à la maison ou au moyen de la langue connue se traduit au contraire par une faible hausse du taux de transmission, voire par une baisse hors Québec dans le cas de la langue parlée à la maison.

En situation d’exogamie, une partie de la transmission de la langue se fait donc autrement que par la transmission de la langue maternelle, et le phénomène n’est pas marginal. Au Recensement de 2011, 20 % des enfants de familles francophones en situation d’exogamie maternelle parlant le français à maison, soit plus de 17 000 enfants de 17 ans ou moins, n’avaient pas cette langue comme langue maternelle. Chez les familles en situation d’exogamie paternelle, ce pourcentage se chiffrait à plus de 35 %, pour un total de 23 500 enfants. Chez les couples endogames, la situation est bien différente puisque ce pourcentage est de 0,5 %, soit moins de 5 000 enfants. Hors Québec, ces pourcentages sont plus élevés, soit 31 % chez les familles exogames maternelles et 51 % les familles exogames paternelles. Il apparaît donc qu’une partie de la non-transmission de la langue maternelle chez les couples exogames francophones est compensée par la transmission du français en tant que langue d’usage au foyer (ou en tant que langue connue), et cette compensation est d’autant plus grande que le taux de transmission de la langue maternelle est faible.

Tableau 5

Taux de transmission du français (%) selon le type de transmission et le type de couple francophone, Québec et reste du Canada, 1991-2011

Taux de transmission du français (%) selon le type de transmission et le type de couple francophone, Québec et reste du Canada, 1991-2011

Remarques : Le symbole — indique que l’information est non disponible. Aux Recensements de 1991 et 1996, la partie B de la question sur la langue parlée à la maison, portant sur les autres langues parlées régulièrement à la maison, n’a pas été posée. Elle ne l’a été qu’à partir du Recensement de 2001.

Source : Statistique Canada, Recensements de 1991, 1996, 2001, 2006 et 2011

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Est-ce que la transmission de la langue maternelle et la transmission de la langue en tant que langue parlée à la maison obéissent aux mêmes facteurs ? La partie qui suit tente de répondre à cette question.

Analyses multivariées de la transmission de la langue

Afin de mesurer l’effet des modes de la transmission culturelle de la langue française chez les enfants de familles francophones exogames et endogames au Canada, nous avons élaboré quatre séries de modèles de régression logistique. Les modèles ont pour but de tester la force des modes de transmission dans leurs composantes intra- et extrafamiliales selon la composition linguistique de la famille. Ces facteurs se rattachent à la fois aux caractéristiques de la famille et aux vecteurs de la transmission horizontale et oblique d’une part et aux caractéristiques socioéconomiques du lieu de résidence (de la SDR) d’autre part. Les deux premières séries de modèles ont pour but d’examiner les facteurs de transmission de la langue maternelle chez les couples francophones vivant hors Québec, soit un modèle pour les couples endogames et un pour les couples exogames (tableaux 6 et 7). Une troisième série de modèles s’intéresse aux couples exogames au Québec (tableau 8). La quatrième série de modèles porte sur la transmission de la langue en tant que langue parlée à la maison (le plus souvent ou régulièrement) chez les couples exogames du Québec et ceux hors Québec (tableau 9). Nous avons considéré deux cas de figure : les modèles 1 prennent en considération tous les enfants, que ceux-ci se soient vu transmettre le français comme langue maternelle ou non, tandis que les modèles 2 n’incluent que les enfants dont le français n’est pas la langue maternelle.

Les tableaux 6 et 7[9] présentent deux séries de modèles pour les familles francophones hors Québec, soit les familles endogames et les familles exogames. Ces deux situations apparaissent si différentes que l’on a choisi de les analyser séparément. Par ailleurs, même si les enfants de familles endogames sont plus susceptibles d’avoir le français comme langue maternelle que les enfants de familles exogames, des similarités s’observent. La série du tableau 6 sur les enfants de couples endogames comprend trois modèles hiérarchisés (à étapes). Le premier introduit les caractéristiques de la famille, comme le sexe des enfants ou le nombre d’enfants dans la famille. Au modèle 2 s’ajoutent les variables spécifiques aux vecteurs de transmissions horizontale et oblique tandis que le modèle 3 comprend toutes les variables, y compris les quatre variables contextuelles.

Tableau 6

Modèles de régression logistique prédisant la transmission de la langue maternelle (rapports de cote), familles francophones endogames, Canada hors Québec, 2011

Modèles de régression logistique prédisant la transmission de la langue maternelle (rapports de cote), familles francophones endogames, Canada hors Québec, 2011

a Catégorie de référence.

b Enfants ayant de 1 à 6 ans de plus que l’enfant de référence.

c Variable métrique (continue).

*

Les parents ont, en plus du français, une langue non officielle comme langue maternelle.

Source : Statistique Canada, Recensement de 2011 (Recensement de 2006 pour les variables contextuelles)

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Chez les familles francophones endogames hors Québec, le fait que l’un des deux parents ait, en plus du français, une langue maternelle non officielle réduit le taux de transmission. Ce résultat est stable d’un modèle à l’autre et paraît donc assez robuste. Selon l’hypothèse suggérée par la théorie de la transmission culturelle, la présence d’une langue non officielle accroît l’hétérogénéité au sein du couple francophone, et devrait donc avoir comme effet de réduire la transmission du français en faveur d’une autre langue. Des données non présentées montrent que dans ces types de couple, si le français n’est pas transmis, c’est alors l’anglais qui l’est dans la majorité des cas plutôt qu’une langue non officielle[10]. L’effet de l’environnement anglophone est probablement l’explication sous-jacente à ce résultat.

Tableau 7

Modèles de régression logistique prédisant la transmission de la langue maternelle (rapports de cote), familles francophones exogames, Canada hors Québec, 2011

Modèles de régression logistique prédisant la transmission de la langue maternelle (rapports de cote), familles francophones exogames, Canada hors Québec, 2011

a Catégorie de référence.

b Enfants ayant de 1 à 6 ans de plus que l’enfant de référence.

c Variable métrique (continue).

Source : Statistique Canada, Recensement de 2011 (Recensement de 2006 pour les variables contextuelles)

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Le fait d’être une fille augmente légèrement la probabilité d’avoir le français comme langue maternelle. On observe également que le taux de transmission est plus élevé chez les enfants de 6 à 11 ans que chez ceux de 3 à 5 ans. Ce résultat contredit l’hypothèse selon laquelle l’effort de transmission de la part des parents se réduit à mesure que les enfants grandissent. Toutefois, il n’est pas possible de distinguer, dans le cadre de ce travail, l’effet de génération de l’effet d’âge sur la transmission. Pour ce qui est de la langue maternelle, qui est normalement fixée chez l’enfant très tôt dans la vie, l’explication la plus plausible de ce résultat, que l’on observe également chez les couples exogames hors Québec, est sans doute liée à un effet de génération.

Le fait de vivre au sein d’une famille endogame francophone comptant plus de deux enfants d’âge mineur tend à réduire le taux de transmission du français. Ce dernier résultat est cohérent avec une des hypothèses de la transmission culturelle, celle voulant que plus le nombre d’enfants est élevé dans la famille, plus l’effort de transmission que les parents peuvent accorder à chaque enfant est réduit.

Le groupe de variables mesurant l’incidence, sur la transmission de la langue maternelle, des caractéristiques associées à la transmission horizontale et oblique, soit la composition des autres d’adultes et des autres enfants vivant au sein du ménage selon leur langue maternelle et la proportion de personnes de langue maternelle française demeurant dans la même SDR, ont des effets légèrement différents chez les deux groupes de famille. La présence d’autres adultes majoritairement de langue maternelle française dans le ménage n’augmente pas (et diminue même légèrement) le taux de transmission, alors que la présence d’autres adultes majoritairement de langue maternelle « autre » le réduit de façon notable. Quant à la présence d’autres enfants, la présence majoritaire d’enfants francophones augmente le taux de transmission tandis que la présence majoritaire d’enfants de langue maternelle autre que le français réduit le taux de transmission. On constate facilement que l’effet de la présence d’enfants est plus important sur le taux de transmission que la présence d’adultes ne faisant pas partie de la famille. L’effet de la composition linguistique de la SDR de résidence (variable métrique) est, quant à lui, positif : une plus forte proportion de francophones dans la SDR est associée à un taux de transmission du français plus élevé.

Les modèles complets (couples endogames et exogames) comprennent quatre variables métriques (continues) rattachées aux caractéristiques linguistiques et socioéconomiques de la population environnante (même SDR). Il s’agit du pourcentage des personnes de 25 ans et plus ayant fait des études universitaires, du revenu relatif des familles francophones par rapport aux familles anglophones, du pourcentage de la population née au Québec et du pourcentage de la population immigrante. L’effet de ces variables pointe dans la direction attendue. Le niveau socioéconomique de la population de la SDR (mesuré par la proportion des adultes de 25 ans et plus détenant un diplôme universitaire) accroît le taux de transmission et l’effet n’est pas négligeable. Le revenu relatif des familles francophones est également associé à un taux de transmission plus élevé du français. Ce dernier résultat peut être mis directement en relation avec les hypothèses de la transmission culturelle : l’effet de « modèle » positif ou de prestige associé à un revenu plus élevé ou l’effet de meilleures compétences de transmetteur des parents associées à une meilleure situation économique. Notons que ces deux effets sont de nature différente : l’effet « modèle/prestige » peut jouer tant sur les parents transmetteurs que sur les enfants lorsque ceux-ci ont atteint un certain âge, tandis que l’effet de compétences n’affecte que les parents. Les deux autres variables contextuelles ont l’effet attendu et sont significatives.

Le tableau 7 sur les couples exogames introduit la variable de connaissance du français par le conjoint non francophone (modèle 1). Comme on l’a vu dans la partie descriptive, le fait que le parent non francophone parle le français est associé à un taux de transmission plus élevé. Des quatre situations possibles, c’est toutefois chez les familles exogames maternelles où le père a des connaissances en français que la transmission du français est la plus complète. À l’autre extrême, le taux de transmission est le plus faible chez les couples exogames paternels où la mère n’a aucune connaissance du français. L’effet de cette variable sur le taux de transmission est stable d’un modèle à l’autre. Une variable commune distingue principalement les couples endogames des couples exogames : la présence d’un conjoint allophone. À ces deux variables s’ajoutent deux variables contextuelles. La présence de parents allophones a un effet diamétralement opposé dans les deux types de familles. Chez les familles endogames, cette caractéristique est associée à une réduction significative du taux de transmission tandis qu’au sein des familles exogames, cette caractéristique est associée à une augmentation du taux de transmission. Dans les couples exogames où un conjoint est francophone et l’autre est allophone, le choix de la langue transmise aux enfants s’avère le choix le plus fonctionnel tant du point de vue de la famille que de celui du fonctionnement en société (à l’école par exemple et, plus tard, sur le marché du travail). En situation d’exogamie, si ce n’est pas l’anglais qui est transmis aux enfants, c’est le français qui l’est dans la majorité des cas plutôt qu’une langue non officielle. Ce résultat est confirmé pour le Québec et pour l’ensemble du Canada par Lachapelle (1989 et 1990) et par Bouchard-Coulombe (2011a), qui ont montré que le taux de transmission du français est plus élevé chez les couples formés d’un francophone et d’un allophone que chez ceux formés d’un francophone et d’un anglophone. De toute évidence, le contexte majoritaire du groupe francophone, comme c’est le cas au Québec, n’explique pas à lui seul ce résultat.

Deux variables contextuelles ont des effets différents chez les couples endogames et exogames hors Québec. Pour les familles exogames, une plus forte proportion de personnes nées au Québec dans la SDR réduit le taux de transmission du français, tandis qu’une proportion plus importante d’immigrants l’augmente. Ces effets sont toutefois de faible ampleur (0,997 et 1,001 respectivement).

Toutes les autres variables agissent de la même manière chez les familles endogames et chez les familles exogames, mais l’intensité de leur effet est différente. La présence d’autres enfants majoritairement de langue maternelle autre que le français a un effet comparable sur le taux de transmission dans les familles endogames, alors que l’effet est moins marqué chez les familles exogames. Dans les familles exogames, la présence d’autres membres de langue maternelle autre que le français est une situation qui ajoute moins à l’hétérogénéité de la famille (qui est déjà hétérogène du fait de l’exogamie du couple) que dans le cas des familles endogames, ce qui peut expliquer les différences entre les types de famille en ce qui a trait à la présence d’autres membres non francophones dans le ménage.

Une autre différence concerne l’effet des trois premières variables contextuelles. Hors Québec, leur impact sur le taux de transmission du français est nettement plus important pour les couples endogames que pour les couples exogames. Ainsi, le rapport de cote pour la variable du pourcentage de la population de langue maternelle française dans la SDR est de 1,043 chez les familles endogames et de 1,020 chez les familles exogames. L’effet du revenu relatif des familles francophones va dans le même sens : le rapport de cote se chiffre à 1,786 chez les familles endogames hors Québec contre 1,358 chez les familles exogames[11].

La troisième série de modèles concerne les couples exogames au Québec (tableau 8). Les analyses descriptives présentées dans les première et deuxième parties ont illustré les différences entre le Québec et le reste du Canada quant à la transmission de la langue française. Même si l’exogamie familiale est un facteur qui favorise un taux de transmission du français moins élevé, tant au Québec que hors Québec, il n’en reste pas moins que le taux de transmission du français reste près de deux fois plus élevé au Québec que dans le reste du Canada, ce qui est dû au contexte linguistique spécifique de cette province.

Tableau 8

Modèles de régression logistique prédisant la transmission de la langue maternelle (rapports de cote), familles francophones exogames, Québec, 2011

Modèles de régression logistique prédisant la transmission de la langue maternelle (rapports de cote), familles francophones exogames, Québec, 2011

a Catégorie de référence.

b Enfants ayant de 1 à 6 ans de plus que l’enfant de référence.

c Variable métrique (continue).

Source : Statistique Canada, Recensement de 2011 (Recensement de 2006 pour les variables contextuelles)

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Il ressort du tableau 8 que les mêmes conclusions s’appliquent aux couples exogames du Québec et aux couples exogames hors Québec. On note toutefois quelques différences. Par exemple, la présence d’une langue maternelle non officielle dans le couple augmente le taux de transmission dans une mesure plus importante au Québec qu’à l’extérieur du Québec. Au Québec, il n’y a pas d’effet lié au niveau socioéconomique dans la SDR (représenté par le pourcentage de la population des 25 ans et plus détenant un diplôme universitaire) sur la transmission de la langue (nous avions émis l’hypothèse que l’effet serait négatif). Conformément aux hypothèses posées, un accroissement de la proportion de la population immigrante dans la SDR est associé à un accroissement du taux de transmission du français et, comparativement aux couples exogames hors Québec, l’effet est assez important (1,014 contre seulement 1,001 dans le cas des couples exogames hors Québec).

La dernière série de modèles porte sur les couples exogames au Québec et hors Québec. On examine les facteurs de transmission de la langue en tant que langue parlée à la maison (le plus souvent ou régulièrement). On sait que la langue maternelle ne change plus beaucoup après 2 ou 3 ans, mais ce n’est pas le cas de la langue parlée à la maison, qui peut changer au cours de la vie (Castonguay, 1976 ; Corbeil et Houle, 2013 ; Termote, 2011). Le tableau 9 propose deux cas de figure, sous forme de deux modèles : le modèle 1 repose sur l’ensemble des enfants de 3 à 11 ans indépendamment de leur langue maternelle tandis que le modèle 2 s’intéresse aux enfants de 3 à 11 ans de langue maternelle autre que le français. Étant donné que la langue parlée à la maison est plus malléable que la langue maternelle, on s’attend à ce que le modèle de transmission culturelle s’applique avec plus de force à la première qu’à la seconde, en raison d’un effet plus important des vecteurs horizontal et oblique de la transmission qui peuvent influencer directement les pratiques linguistiques des enfants à la maison.

Tableau 9

Modèles de régression logistique prédisant la transmission du français en tant que langue parlée à la maison (rapports de cote), tous les enfants (modèle 1) et seulement les enfants dont la langue maternelle n’est pas le français (modèle 2), familles francophones exogames, Québec et reste du Canada, 2011

Modèles de régression logistique prédisant la transmission du français en tant que langue parlée à la maison (rapports de cote), tous les enfants (modèle 1) et seulement les enfants dont la langue maternelle n’est pas le français (modèle 2), familles francophones exogames, Québec et reste du Canada, 2011

a Catégorie de référence.

b Enfants ayant de 1 à 6 ans de plus que l’enfant de référence.

c Variable métrique (continue).

Source : Statistique Canada, Recensement de 2011 (Recensement de 2006 pour les variables contextuelles)

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Les résultats présentés au tableau 9 ne corroborent pas cette hypothèse. Dans l’ensemble, les mêmes facteurs influencent la transmission de la langue maternelle et celle de la langue parlée à la maison. Il y a cependant des différences entre les deux transmissions, et elles concernent principalement la variable qui rend compte de la présence d’une langue non officielle au sein du couple et la variable correspondant aux caractéristiques individuelles des enfants, soit leur sexe et leur âge. Certaines variables contextuelles présentent également des différences selon le type de transmission. Les variables reliées à la composition du ménage ont un effet comparable sur chaque type de transmission et il en va de même pour le type de famille et l’âge de la mère.

Hors Québec, on a vu que la présence d’une langue non officielle au sein du couple accroît de manière générale le taux de transmission de la langue maternelle. On observe l’effet inverse dans le cas de la transmission du français en tant que langue parlée à la maison, sauf dans une situation (dans le modèle 1, quand la mère est seule à avoir une langue non officielle). L’effet à la baisse sur le taux de transmission de la langue est accentué quand on considère uniquement les enfants qui n’ont pas le français comme langue maternelle (modèle 2).

Au Québec, parmi les couples exogames, l’effet de la présence d’une langue non officielle au sein du couple augmente le taux de transmission tant de la langue maternelle que de la langue parlée à la maison chez tous les enfants, mais cet effet est moins important dans le cas de la langue parlée à la maison. Chez les enfants n’ayant pas le français comme langue maternelle, l’effet de cette variable réduit le taux de transmission de la langue parlée à la maison, sauf quand la mère est seule à avoir déclaré une langue non officielle, mais la réduction est moindre que dans le cas des couples exogames francophones vivant hors Québec.

Il apparaît donc que la transmission du français en tant que langue parlée à la maison épouse une dynamique différente de celle de la transmission du français en tant que langue maternelle chez les couples composés d’au moins un allophone. Entre autres, on voit bien que l’usage du français à la maison chez les enfants vivant au sein de ces couples sera plus répandu si l’enfant a également hérité du français en tant que langue maternelle.

Le sexe de l’enfant a un effet sur le taux de transmission du français. Les filles ont une probabilité plus élevée que les garçons d’avoir le français comme langue maternelle ou comme langue parlée à la maison. Cet effet est accentué dans le cas de la transmission du français en tant que langue parlée à la maison, tant au Québec que dans le reste du Canada. L’âge de l’enfant a un effet limité, mais non nul, sur le taux de transmission de la langue maternelle et, considérant la définition de celle-ci dans les recensements canadiens, on peut penser qu’il s’agit d’un effet de génération (ou un effet de période du point de vue des parents). Dans le cas de la langue parlée à la maison, on sait que les transferts linguistiques se produisent principalement à deux étapes de la vie : soit au moment où les enfants entreprennent leurs études primaires, soit au moment de la mise en couple. Le tableau 9 met bien en relief le fait que les enfants de 6 à 11 ans et qui fréquentent l’école primaire présentent un taux de transmission du français en tant que langue parlée à la maison beaucoup plus élevé que les enfants plus jeunes, et cet effet est accentué dans le cas où les enfants n’ont pas le français comme langue maternelle (modèles 2).

Enfin, on peut observer quelques différences dans l’effet des variables contextuelles sur le taux de transmission. Les deux principales concernent la variable « population née au Québec dans la SDR » et la variable « population immigrante dans la SDR ». La première a comme effet d’augmenter le taux de transmission du français en tant que langue parlée à maison, alors qu’elle le réduisait dans les modèles de transmission de la langue maternelle. Dans le second cas, la variable réduit la transmission du français en tant que langue parlée à maison dans trois des quatre modèles, alors qu’elle l’augmentait dans les modèles de transmission de la langue maternelle.

Conclusion

Cet article a analysé divers aspects de la transmission linguistique chez les enfants de parents francophones au Canada. On a illustré les différences quant à la transmission de la langue française selon la composition linguistique de la famille, en l’occurrence les familles exogames et endogames, et selon le lieu de résidence, soit le Québec ou le reste du Canada.

On s’est particulièrement intéressé au rôle de la famille comme principal vecteur de transmission linguistique, soit la transmission verticale des parents aux enfants. Il ressort de nos analyses de régression logistique que la composition linguistique de la famille constitue un facteur clé dans la transmission de la langue chez les enfants de parents francophones, et que la mère y tient un rôle particulier. Les résultats ont mis en évidence que, hors Québec, l’exogamie apparaît comme un facteur plus contraignant sur le taux de transmission du français que l’effet de résidence. En effet, les enfants de familles exogames dont la mère a le français comme langue maternelle sont plus sujets à avoir eux-mêmes le français comme langue maternelle que les enfants de familles exogames paternelles (de père francophone). De même, lorsque la mère est non francophone mais qu’elle a une connaissance du français, la transmission du français en est affectée à la hausse.

Nos analyses ont aussi illustré que le fait de vivre dans un contexte minoritaire n’était pas sans conséquence. Même si les enfants de familles endogames francophones hors Québec sont en général nettement plus susceptibles d’avoir le français comme langue maternelle qu’une autre langue, les caractéristiques sociales du milieu de vie ont une incidence plus importante sur le taux de transmission du français chez les familles endogames que chez les familles exogames. Ainsi, les résultats des variables contextuelles indiquent que les rapports de cote affichent des variations plus importantes (ou des écarts plus importants par rapport à la valeur de référence) dans le cas de transmission de la langue maternelle chez les couples endogames que chez les couples exogames.

D’un point de vue théorique, le modèle de la transmission culturelle, formulé originellement par Cavalli-Sforza et Feldman et développé par d’autres auteurs, s’applique partiellement au cas de la transmission de la langue française au Canada. Même si nos données ne permettent pas de saisir l’état définitif de la transmission (lorsque les enfants sont devenus adultes) et toute la complexité des modes de transmission, les variables utilisées dans les modèles ont en général bien répondu aux hypothèses construites à partir de la revue de littérature.

Bien que les données du recensement fournissent une multitude d’informations sur les caractéristiques démographiques et linguistiques de la population permettant d’examiner les facteurs associés à la transmission de la langue française, celles-ci ne nous renseignent pas sur la qualité du français chez les populations et sur le rôle des institutions publiques et privées dans la continuité de la transmission et de l’apprentissage de la langue française au Canada. De plus, l’effet de la famille élargie sur la transmission du français reste imparfait, du fait qu’on n’a pas d’information sur les personnes vivant hors du ménage. Des études supplémentaires sur ce sujet seraient pertinentes.