Résumés
Résumé
Au cours de l’histoire de l’Espagne, les diverses autorités ont essayé d’unifier le pays notamment en promouvant la culture castillane au détriment des particularités identitaires locales, et en interdisant l’usage des langues régionales. Mais, depuis la fin des années 1980, de nouvelles dispositions législatives ont permis de proclamer le caractère co-officiel de certaines langues régionales, et des lois de « normalisation linguistique » réglementent l’emploi de ces langues dans le domaine de l’enseignement. On s’est interrogé sur l’efficacité d’un système d’enseignement bilingue, et par conséquent sur le maintien, ou le déclin, de l’importance du rôle de la famille dans la diffusion des langues, suite à l’introduction des langues régionales dans l’enseignement. Cet article met en évidence que les pouvoirs publics se sont partiellement substitués à la famille quant à la transmission de ce patrimoine culturel que sont les langues régionales, en obligeant leur apprentissage à l’école. C’est la raison pour laquelle la proportion de la population qui maîtrise la langue régionale de sa Communauté autonome augmente, y compris chez les non-natifs.
Abstract
In the past, the various successive spanish authorities have tried to unify the country, promoting the Castilian culture at the expense of local identity features, and by prohibiting the use of regional languages. But since the late 1980s, new laws have to declare the nature of some co-official regional languages, and laws of « linguistic normalization » will regulate the use of languages in education. They questioned the effectiveness of a bilingual education system, and consequently on the maintenance, or decline, the importance of the role of family in the dissemination of languages, following the introduction of regional languages in education. This article will highlight that the government has been partially substituted for the family in the transmission of cultural heritage that represent the regional languages by requiring their learning in school. That is why the proportion of people who master the language in these autonomous communities is increasing, including among non-natives of these Communities.
Corps de l’article
Introduction
L’article 3 de la Constitution espagnole de 1978 énonce, dans son premier alinéa, que « le castillan est la langue espagnole officielle de l’État ». Cependant, le second alinéa de l’article précité prévoit que « les autres langues espagnoles seront également officielles dans les Communautés autonomes respectives en accord avec leurs Statuts ». C’est ainsi que, bien qu’une dizaine de langues soient utilisées par une proportion importante de la population espagnole, seules quatre d’entre elles bénéficient, dans certaines Communautés autonomes en Espagne, d’un statut de co-officialité au même titre que l’espagnol (Vernet i Llobet, 1994). Ce statut particulier est alloué à l’aranais, au basque, au catalan et au galicien.
L’aranais, sorte d’occitan, est co-officiel, au même titre que le catalan et l’espagnol, uniquement dans le Val d’Aran, territoire situé au nord-ouest de la Catalogne. Cette aire géographique est très restreinte (620 km²) et ne concerne qu’un très faible effectif de la population espagnole, c’est pourquoi nous n’étudierons pas la transmission de l’aranais dans cet article.
Le basque est co-officiel dans la Communauté autonome du Pays basque et dans une partie de la Communauté forale de Navarre.
Le catalan bénéficie de ce statut de co-officialité au sein des Communautés autonomes de Catalogne, des îles Baléares et dans la Communauté valencienne (où il est appelé « valencien »).
Le galicien affiche un statut de co-officialité dans la Communauté autonome de Galice.
Au cours de l’histoire de l’Espagne, les diverses autorités successives ont essayé d’unifier le pays notamment en promouvant la culture castillane au détriment des particularités identitaires locales. Le régime autoritaire franquiste (1936-1975) alla jusqu’à interdire l’usage des langues régionales, qui ne furent donc employées qu’au sein du foyer familial et à l’insu du pouvoir. À partir de 1975, date de la mort du général Franco, l’Espagne est progressivement réorganisée sous la forme d’un État composé de 17 Communautés autonomes (Colin, 1988). Ce nouveau statut va permettre aux Communautés d’adopter des lois linguistiques en conformité avec la Constitution de l’État espagnol (Siguán, 1992). Dès 1979 au Pays basque[1] et en Catalogne[2], dès 1981 en Galice[3], le caractère co-officiel de la langue régionale est proclamé lors du vote du statut de la Communauté autonome[4]. Par la suite, en 1982-1983, de nouvelles lois dites « de normalisation linguistique » vont permettre de réglementer l’emploi des langues dans le domaine de l’enseignement. Ces dernières ont pour objectif de faire en sorte que tous les élèves suivent un enseignement à la fois en castillan et dans la langue régionale, afin qu’au terme de leur scolarité, tous puissent s’exprimer dans les langues officielles de leur Communauté autonome.
Cette législation a une double finalité. D’abord, une finalité pratique, puisque la connaissance des langues officielles est nécessaire pour travailler au sein du secteur public local ou pour participer à la vie politique régionale. En effet, les lois linguistiques prévoient par exemple que, dans ses relations avec l’administration, chacun ait le droit d’être servi dans la langue officielle de son choix. Mais aussi, et surtout, la législation vise à consolider une identité culturelle, dont la connaissance de l’idiome local constitue le fer de lance (Joly, 2004 ; Assier-Andrieu, 1997). D’aucuns considèrent cette politique comme une revanche face aux nombreuses dispositions répressives du passé, qui visaient la castillanisation de l’Espagne. Désormais, l’alinéa 3 du troisième article de la Constitution espagnole de 1978 va jusqu’à énoncer que : « La richesse des différentes modalités linguistiques de l’Espagne est un patrimoine culturel qui fera tout particulièrement l’objet de respect et de protection ».
Il est toutefois permis de s’interroger sur l’efficacité d’un système d’enseignement bilingue, ainsi que sur le maintien (ou le déclin ?) de l’importance du rôle de la famille dans la diffusion des langues, notamment du fait de l’introduction des langues régionales dans l’enseignement. Alors que nous nous sommes précédemment intéressés aux mécanismes de la transmission du basque dans la Communauté autonome du Pays basque (Valdes et Tourbeaux, 2010), il s’agit ici d’intégrer dans l’analyse les autres Communautés autonomes dont la langue vernaculaire bénéficie d’un statut de co-officialité au même titre que l’espagnol. Nous allons en premier lieu mesurer le poids des langues régionales dans les Communautés autonomes de Galice, de Catalogne et du Pays basque en utilisant les données relatives à la connaissance et à la transmission des langues disponibles pour ces trois Communautés[5]. Nous verrons ensuite comment s’opèrent aujourd’hui l’apprentissage et la transmission de ces langues, en nous intéressant notamment au rôle de la famille.
Le contexte sociolinguistique
La connaissance des langues régionales
La part de la population qui connaît le basque, c’est-à-dire qui le comprend, même de manière imparfaite[6], augmente au fil du temps au sein du Pays basque (graphique 1). Toutefois, elle demeure inférieure (60 % en 2006) à ses équivalentes en Catalogne (où près de 95 % de la population comprend le catalan) et en Galice (où 97 % des habitants comprennent le galicien en 2003).
Cette progression du basque est valable pour tous les âges, sauf chez les plus de 60 ans pour lesquels le phénomène tend à s’inverser (graphique 2). À chaque enquête, on constate que ce sont les jeunes qui ont les meilleurs taux, et ces taux sont en progression. En 2006, plus de 90 % des 10-14 ans connaissent le basque alors que ce n’était le cas que de 65 % de cette tranche d’âge en 1986. Aux âges intermédiaires, on remarque une hausse de la connaissance du basque avec le temps, dans des générations qui n’ont pas pu bénéficier — du fait de leur âge — d’une scolarisation en langue basque. Ceci pourrait s’expliquer aussi par un usage décomplexé du basque au sein du foyer familial dans les dernières années du franquisme.
De même, ce sont les plus jeunes qui comprennent le plus le catalan (plus de 90 %), tandis que de façon générale un peu moins de 90 % des plus de 75 ans déclarent le comprendre. En Galice, les différences entre les classes d’âge sont encore moindres puisque 97 % de la population, sans distinction d’âge, comprend le galicien.
Le degré de connaissance des langues régionales
En ce qui concerne la capacité de la population des Communautés à s’exprimer dans une langue régionale, nous pouvons tout d’abord constater qu’au sein du Pays basque, la proportion de connaissance du basque augmente au fil du temps, aussi bien pour ceux qui ont un niveau intermédiaire[7] de la langue que pour ceux dont le niveau est élevé (tableau 1). Ces derniers sont les plus nombreux et, en 2006, ils représentent 37 % de la population totale.
L’analyse par âge nous montre que — à l’instar de ce que l’on a vu précédemment concernant la compréhension de la langue — plus l’enquête est récente, plus les jeunes sont nombreux à avoir une bonne connaissance du basque et plus le contraste est fort avec les tranches d’âge supérieures (graphique 3).
En Catalogne, les données transmises par Idescat ne fournissent pas d’indication sur le degré de connaissance du catalan parlé. Elles nous indiquent seulement si une personne parle ou non la langue. On sait ainsi que les trois quarts de la population parlent le catalan. Aux âges élevés, la proportion est plus faible, quoiqu’elle demeure globalement importante (un peu moins des deux tiers chez les 60 ans et plus) ; les jeunes sont donc là aussi ceux qui parlent le plus la langue régionale — aux alentours de 80 % pour les moins de 30 ans (graphique 4).
Enfin, en Galice en 2003, parmi les 97 % de la population déclarant comprendre le galicien, près de 90 % savent le parler (tableau 2). Ce sont 66 % des moins de 50 ans qui le parlent couramment, et 70 % des plus de 50 ans.
Il nous faut maintenant rendre compte de la situation démographique de chacune de ces Communautés pour montrer dans quel contexte s’insère l’analyse sociolinguistique que nous venons d’effectuer.
La situation démolinguistique
Depuis les années 1970, les populations de la Galice et du Pays basque sont relativement stables. En 2007, on compte près de 2,8 millions d’habitants en Galice, contre un peu plus de 2,1 millions dans la Communauté autonome du Pays basque. En revanche, depuis la fin des années 1990, la population de la Communauté autonome de Catalogne augmente, dépassant légèrement les 7,2 millions en 2007 (contre 6,2 millions en 1999).
Ces évolutions ne s’expliquent pas par les flux migratoires, les flux d’entrées et de sorties qui touchent ces territoires tendant à se compenser, de sorte que les soldes migratoires n’ont qu’une influence marginale. En outre, même s’ils sont plus élevés depuis le début des années 2000, les indicateurs conjoncturels de fécondité (ICF) de ces Communautés autonomes demeurent à des niveaux extrêmement faibles, bien en dessous du seuil de renouvellement des générations[8]. C’est ainsi que la diminution du nombre de naissances par femme, conjointement à l’augmentation de l’espérance de vie, a entraîné le vieillissement des populations considérées : moins de 20 % des individus appartiennent au groupe des plus jeunes. Au milieu des années 2000, ces derniers sont moins nombreux que ceux du groupe des 60 ans et plus, qui forment un peu plus de 20 %. Pratiquement 60 % des résidents des Communautés autonomes ont donc entre 20 et 59 ans. Cela signifie que la proportion de femmes en âge de procréer est relativement élevée, et c’est ce qui empêche la population de diminuer au Pays basque et en Galice malgré un ICF moribond, et ce qui permet à la population catalane de croître, l’ICF y étant un peu plus élevé (1,45 enfant par femme en 2006 en Catalogne, contre 1,22 au Pays basque et 1,02 en Galice).
La quasi-totalité (90 %) des résidents de la Galice sont nés dans leur Communauté autonome, contre 72 % de ceux du Pays basque nés effectivement au Pays basque et 66 % des résidents de la Catalogne qui en sont natifs. C’est parmi les 50 ans et plus que les non-natifs de ces territoires sont les plus nombreux, ce qui témoigne des anciens flux d’immigration (graphique 5).
Il nous faut désormais examiner quelles sont les aptitudes de la population non native des Communautés autonomes dans les langues régionales.
La connaissance de la langue régionale par les non-natifs des Communautés autonomes
La part de la population qui connaît le basque a nettement augmenté depuis 1986, et ce, quelle que soit l’origine des individus (tableau 3). En moyenne, la moitié des natifs de la Communauté autonome du Pays basque connaît le basque, cette proportion étant beaucoup plus faible chez les non-natifs. Néanmoins, le niveau de connaissance de la langue basque par les non-natifs du Pays basque s’est nettement amélioré depuis 1986, date à laquelle ces derniers étaient presque 90 % à n’avoir aucune connaissance de la langue, alors qu’en 2006 cette proportion dépasse à peine les 70 %.
En 2001[9], la quasi-totalité (99 %) des natifs de la Communauté autonome de Catalogne comprend le catalan, de même que 90 % des Espagnols y résidant mais nés dans une autre Communauté autonome (tableau 4). La proportion d’étrangers comprenant la langue est légèrement plus faible, mais dépasse tout de même les deux tiers (69 %). En revanche, la proportion sachant parler la langue varie considérablement selon l’origine : 89 % des natifs de la Communauté autonome savent parler le catalan, ce qui n’est le cas que de 47 % des Espagnols nés dans une autre Communauté et de 37 % des étrangers. À l’exception de 2001, les étrangers parlent davantage le catalan que les Espagnols nés dans une autre Communauté autonome, avec des pourcentages variant selon les années entre 40 et 51 % pour les premiers et entre 30 et 39 % pour les derniers.
En Galice, on peut tout d’abord noter une moindre compréhension du galicien chez les non-natifs de la Communauté autonome de Galice (tableau 5). Néanmoins, la majorité des non-natifs comprend très bien la langue (environ 60 %), notamment les étrangers (62 %). S’agissant du degré de connaissance du galicien, la forte proportion de natifs sachant parler le galicien (92 %) contraste avec une part plus faible de non-natifs parlant la langue (moins de 70 %). Alors qu’environ 60 % des non-natifs disent bien comprendre le galicien, seul un quart (27 %) de ceux d’une autre Communauté savent bien le parler, cette proportion atteignant 41 % chez les étrangers.
Analyse
Même si une part non négligeable de la population non originaire de la Communauté autonome du Pays basque a une connaissance du basque, cette proportion est bien moindre que son équivalent dans les autres Communautés autonomes. On peut certainement attribuer ce fait à ce que le basque soit un isolat linguistique sans aucun lien de parenté avec les langues indo-européennes (Morvan, 1996). De fait, la langue est réputée être l’une des plus complexes au monde, ce qui rend son acquisition difficile, en particulier pour les non-natifs sans parenté avec des locuteurs du basque.
En revanche, le catalan et le galicien sont des langues romanes assez proches du castillan, et donc plus facilement assimilables par ceux qui sont nés dans d’autres Communautés autonomes espagnoles (Boyer et Alén Garabato, 1997). Rappelons que, selon nos résultats, une part importante de la population née à l’étranger maîtrise ces langues. Cela s’explique pour les uns parce qu’une partie d’entre eux sont originaires de l’espace linguistique catalan qui s’étend jusqu’en France et en Andorre (Jaillardon, 1992), et pour les autres parce que les Portugais — relativement nombreux en Galice (Lopez Trigal, 1996) — n’éprouvent aucune difficulté vis-à-vis du galicien, celui-ci appartenant au même sous-groupe linguistique galégo-portugais[10].
Le rôle de la famille dans la transmission des langues régionales
La transmission du basque
Pour analyser le rôle de la famille dans l’apprentissage de la langue basque, nous avons retenu comme critère de différenciation la langue maternelle de chaque individu, c’est-à-dire la première langue apprise dans la petite enfance (avant 3 ans). On distingue de cette façon les personnes ayant appris dans leur petite enfance uniquement la langue basque, celles ayant appris uniquement l’espagnol, celles ayant appris de façon simultanée le basque et l’espagnol, et enfin celles qui n’ont appris ni le basque ni l’espagnol.
Dans la Communauté autonome du Pays basque, la répartition de la population selon la langue maternelle demeure stable entre 1986 et 2006, avec une prépondérance de ceux ayant appris uniquement l’espagnol (autour de 75 %), suivi de ceux ayant appris uniquement le basque (20 %), puis des bilingues (4 %). Les autres, c’est-à-dire ceux ayant appris une autre langue que le basque ou l’espagnol, forment une proportion marginale de la population (moins de 2 %).
Or nous avons vu (graphique 1) que durant cette période, c’est entre 40 et 55 % de la population du Pays basque qui connaît le basque. Cela prouve donc que certains (entre 16 et 31 %) l’ont appris après l’âge de 3 ans, probablement en dehors de la famille, et sans doute à l’école (Service central des Publications du Gouvernement basque, 1995).
En analysant, âge par âge, la distribution de la population selon la langue maternelle, on note que, chez les moins de 20 ans, la part du basque comme langue maternelle augmente au fil des enquêtes, notamment pour les plus jeunes, passant de 16 à 22,5 % entre 1986 et 2006 pour les moins de 15 ans (graphique 6). C’est l’inverse pour les plus de 50 ans, le basque étant leur langue maternelle dans une moindre mesure.
La transmission du catalan
En Catalogne, la langue initiale correspond à la première langue que la personne interrogée a déclaré avoir parlée, c’est-à-dire la langue « transmise dans le processus de socialisation familiale des individus ». Les données concernant la langue initiale sont issues de l’Enquête d’usages linguistiques de la population de 2008 (voir annexe 2). On distingue de cette façon les personnes qui ont eu pour langue initiale uniquement le catalan, celles ayant eu uniquement l’espagnol, celles ayant appris de façon simultanée le catalan et l’espagnol et enfin celles n’ayant appris ni le catalan ni l’espagnol.
À l’instar de ce que nous avons observé au Pays basque, les familles catalanes choisissent majoritairement de transmettre une seule langue à leurs enfants. La transmission simultanée du catalan et de l’espagnol ne concerne ainsi que moins de 5 % des personnes interrogées (tableau 6). Plus de 50 % des personnes interrogées déclarent avoir appris l’espagnol au cours de leur petite enfance, un tiers seulement ayant appris le catalan. Pourtant, plus des deux tiers de la population déclarent parler la langue : là aussi, une part importante de la population a fait cet apprentissage ultérieurement, vraisemblablement hors de la famille.
Notons que les plus âgés ont davantage appris le catalan dans leur petite enfance que les jeunes générations, une partie des parents ayant préféré apprendre le castillan à leurs enfants. L’enseignement du catalan s’est donc fait pour ces derniers par l’entremise des pouvoirs publics plutôt que par la famille.
La transmission du galicien
L’Enquête sur les conditions de vie des familles de 2003 fournit de l’information sur la répartition de la population (âgée de 5 ans et plus) en fonction de la langue dans laquelle les individus ont appris à parler, ce qui correspond à la langue maternelle. On distingue de cette façon les personnes ayant appris à parler uniquement en galicien, celles ayant appris à parler uniquement en espagnol et celles ayant appris à parler de façon simultanée en galicien et en espagnol. L’Institut galicien de statistiques (IGE) ne fournit pas de données sur les personnes ayant appris à parler dans une autre langue que le galicien ou l’espagnol, par « manque de taille de l’échantillon », c’est-à-dire que leur part est marginale au sein de la population. En outre, cette enquête nous renseigne sur le moyen par lequel les personnes qui savent parler le galicien l’ont appris.
Un peu plus de la moitié (53 %) des personnes enquêtées indiquent avoir appris à parler uniquement en galicien, tandis que moins d’un tiers (31 %) affirment avoir appris à parler uniquement en espagnol (tableau 7). Moins d’un cinquième (17 %) ont appris les deux langues. La grande majorité (70 %) a donc appris le galicien comme première langue, pendant l’enfance. On discerne cependant, là aussi, une évolution au sein des générations en ce qui concerne la première langue d’apprentissage. Ainsi, plus de 80 % des plus de 50 ans déclarent avoir appris à parler en galicien, et plus de 70 % uniquement dans cette langue. Les plus jeunes sont seulement 58 % à avoir eu le galicien comme première langue (34 % comme unique langue et 24 % en partage avec l’espagnol).
On dispose également, grâce à l’Enquête, d’information sur les moyens par lesquels les répondants (âgés de 5 ans et plus) ont appris le galicien : c’est bien au sein de la famille que cet apprentissage s’est fait majoritairement, puisque plus de 80 % des répondants déclarent avoir acquis cette langue ainsi (tableau 8). Environ 30 % affirment l’avoir apprise à l’école. Il faut noter que dans cette enquête la transmission de la langue galicienne peut se faire par plusieurs biais complémentaires, de sorte qu’un même individu peut déclarer avoir appris la langue à la fois au sein de la famille et à l’école.
L’analyse des moyens par lesquels les individus ont appris le galicien selon le groupe d’âge permet de nuancer ce constat. En effet, les plus de 50 ans qui ont appris la langue à l’école sont peu nombreux (5 %), car l’enseignement du galicien n’était pas réglementé lorsqu’ils étaient en âge scolaire. À l’inverse, les plus jeunes (âgés de 5 à 29 ans) ont bénéficié de la nouvelle réglementation, de sorte que plus des deux tiers (67 %) d’entre eux ont appris le galicien à l’école. Rappelons que, au sein de cette tranche d’âge, une plus grande proportion a déclaré avoir appris à parler uniquement en espagnol dans la petite enfance (42 % contre 34 % en galicien). Pour ces nouvelles générations, la langue est transmise aussi bien par l’école que par la famille, la tendance étant à ce que l’école prenne le relais de la famille, et c’est d’ailleurs elle qui a aujourd’hui le rôle le plus important dans la transmission de la langue régionale.
Conclusion
Cette étude nous a tout d’abord permis de mettre en évidence que la connaissance générale des langues régionales, c’est-à-dire leur compréhension, augmente au sein des Communautés autonomes espagnoles depuis que des données administratives (recensements et statistiques de population) permettent d’en effectuer des mesures, c’est-à-dire depuis 1986 au Pays basque et 1991 en Catalogne. En revanche, on ne dispose que de l’Enquête sur les conditions de vie des familles de 2003 en ce qui concerne la Galice. Cette dernière montre une proportion très élevée de personnes maîtrisant le galicien.
Le degré de compréhension, tout comme la capacité de pouvoir parler la langue régionale, semblent s’améliorer pour les natifs de ces Communautés autonomes, ainsi que pour les non-natifs, mais dans une moindre mesure. Pour ces derniers, et particulièrement au Pays basque, la difficulté de la langue est susceptible de limiter l’apprentissage.
Dans tous les cas, il est à noter que les pouvoirs publics se sont partiellement substitués à la famille quant à la transmission de ce patrimoine culturel que sont les langues régionales, en obligeant leur apprentissage à l’école. C’est la raison pour laquelle la proportion de non-natifs qui maîtrisent la langue dans ces Communautés autonomes augmente, notamment pour ceux ayant effectué la totalité de leur scolarité dans les écoles de la Communauté autonome. Bien évidemment, il en va de même pour les natifs des Communautés autonomes, que leurs parents maîtrisent ou non la langue régionale.
En fait, dans un contexte de vieillissement de la population — et de risque de diminution à terme —, les Communautés autonomes vont certainement faciliter la venue de nouveaux résidents afin de conserver une structure par âge favorable d’un point de vue économique (pour le maintien d’un taux élevé de population active). Elles font donc le pari d’intégrer ces populations exogènes en leur facilitant l’accès à la culture régionale et en obligeant les enfants de ces dernières à s’en imprégner par l’apprentissage de la langue régionale au sein de l’institution scolaire. À terme, ces « nouveaux » locuteurs transmettront eux aussi, en parallèle avec l’école, cette langue qui n’était pourtant pas leur langue maternelle. Ils deviendront alors à leur tour porteurs de l’identité de la Communauté.
Parties annexes
Annexes
Annexe 1. Localisation géographique des Communautés autonomes de Catalogne, de Galice et du Pays basque au sein du territoire espagnol
Annexe 2
Les sources de données démolinguistiques
Les données démographiques, telles que les effectifs de population de la Communauté autonome du Pays basque, les indices conjoncturels de fécondité (ICF) ou la répartition par groupes d’âge, proviennent de l’Institut national de statistiques espagnol (INE), de l’Institut basque de statistiques (Eustat), de l’Institut de statistiques de Catalogne (Idescat) et de l’Institut galicien de statistiques (IGE).
Pour la Communauté autonome du Pays basque
Les données nous ont été fournies par Eustat.
Elles résultent d’une part des questions démolinguistiques posées lors des recensements (Censo de Población y Viviendas) de 1991 et 2001, et d’autre part de la statistique de population et logements (Estadística de Población y Viviendas) effectuée entre chaque recensement, c’est-à-dire en 1986, 1996 et 2006. Cette statistique se base sur le registre de population d’Eustat, et combine différentes sources administratives.
Elles incluent les personnes de 2 ans et plus.
Les trois questions relatives à la langue posées lors du recensement concernent :
le niveau de connaissance du basque
la langue maternelle
la langue parlée à la maison.
Dans cet article n’ont été utilisées que la question relative à la connaissance du basque et celle relative à la langue maternelle, car l’étude porte uniquement sur la dynamique de transmission familiale de la langue et non sur son usage.
Pour la Communauté autonome de Catalogne
Les données nous ont été fournies par Idescat.
Elles résultent
des questions démolinguistiques posées lors des recensements (Cens de Població) de 1991 et 2001 ;
des statistiques de population (Estadística de població) de 1996 et de 2006, basées sur le registre de population d’Idescat et combinant différentes sources administratives ;
des registres municipaux de population (Padrons Municipals d’Habitants) de 1986, 1996 et 2007.
Elles incluent les personnes de 2 ans et plus.
Les données concernant la langue initiale sont issues de l’Enquête d’usages linguistiques de la population de 2008 (Enquesta d’usos lingüístics 2008, ou EULP08).
Pour la Communauté autonome de Galice
Les données nous ont été fournies par l’IGE, et résultent de l’Enquête sur les conditions de vie des familles de 2003, plus précisément du module sur la connaissance et l’utilisation du galicien.
Elles incluent les personnes de 5 ans et plus.
Notes
-
[1]
Ley básica de Normalización del Uso del Euskera (Ley 10/1982 de 24 de noviembre).
-
[2]
Lei 7/1983 de Normalització Lingüística a Catalunya (abrogée en 1998 par la Lei 1/1998 de 7 de gèr de Politica Lingüistica).
-
[3]
Lei 3/1983 do 15 de xuño de Normalización Lingüística.
-
[4]
Voir en annexe 1 la localisation des trois Communautés autonomes au sein du territoire espagnol.
-
[5]
Voir en annexe 2 le détail des sources utilisées.
-
[6]
La mesure de la proportion de la population qui comprend le basque a été affinée en fonction du niveau de compréhension. Les personnes interrogées avaient le choix de répondre « bien », « avec difficulté » ou « mal » aux sous-questions suivantes : Comprenez-vous le basque ? Parlez-vous le basque ? Lisez-vous le basque ? Écrivez-vous le basque ? Sur la base de leurs réponses, les auteurs de cet article ont créé une typologie synthétique de niveaux de connaissance à partir de celle fournie par Eustat. Nous considérons que ceux qui ont un niveau élevé ou intermédiaire en langue basque « connaissent le basque ». Le « niveau élevé » correspond à ceux qui comprennent, parlent, lisent et écrivent bien le basque. Le niveau intermédiaire correspond à ceux qui comprennent bien le basque ou avec difficulté, le parlent bien ou avec difficulté, et savent le lire et l’écrire bien ou avec difficulté. Enfin, l’absence de connaissance du basque s’applique à ceux qui ne comprennent pas et ne parlent pas le basque.
-
[7]
Voir la note précédente à propos de la définition des niveaux de connaissance du basque.
-
[8]
C’est au tournant des années 1980 que, pour ces trois Communautés autonomes, l’ICF est passé en dessous de la barre dudit seuil.
-
[9]
Les données sur le niveau de connaissance de catalan selon le lieu de naissance ne sont pas disponibles pour l’année 2007, c’est pourquoi nous présentons ici les résultats de 2001.
-
[10]
Notons que ce n’est que vers 1500 que l’on a commencé à distinguer le galicien du portugais : auparavant ils ne constituaient qu’une seule et même langue. Les deux langues demeurent aujourd’hui très proches.
Bibliographie
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