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Mesure et déterminants des substitutions linguistiques[Notice]

  • Alain Bélanger et
  • Patrick Sabourin

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  • Alain Bélanger
    Institut national de la recherche scientifique, Centre Urbanisation–Culture–Société

  • Patrick Sabourin
    Institut national de la recherche scientifique, Centre Urbanisation–Culture–Société

Dans un article publié en 2006, Coleman dresse un portrait de la dynamique démographique de plusieurs pays européens et montre que les rapides changements de la composition ethnique de la population résultant de l’immigration mèneraient à la minorisation de la population d’origine s’ils devaient se poursuivre à moyen terme. Ce constat ne diffère pas, en théorie, de celui posé par d’autres démographes s’étant intéressés à la dynamique de régimes démographiques où sous-fécondité et immigration entrent en interaction (Espenshade, 1986 ; Espenshade, Bouvier et Arthur, 1982 ; Mitra, 1983) et, comme le note Coleman, il n’est pas difficile à démontrer empiriquement. Mais son propos va plus loin et il suggère que cette nouvelle dynamique s’apparente à une nouvelle transition démographique, car le recours à une forte immigration de plus en plus distincte de la population d’accueil par ses caractéristiques ethnoculturelles (apparence, culture, langue et religion) pour combler une fécondité déficitaire modifiera la composition des populations nationales et leur identité culturelle. Il semble incontestable que cette « troisième transition démographique », selon les termes de Coleman, modifiera la composition des populations d’accueil en ce qui a trait à son apparence ou les religions qui y sont pratiquées. Les récentes projections de Statistique Canada (2010) sur la diversité ethnique en sont une illustration convaincante pour le Canada et ses régions métropolitaines. On peut néanmoins se questionner sur la pérennité des changements qui découlent de ce processus démographique en ce qui concerne d’autres traits culturels, comme la composition linguistique de la population par exemple, du moins en ce qui concerne les pays où une seule langue domine. Aux États-Unis, toutes les langues étrangères, y compris l’espagnol, dont les effectifs de locuteurs sont pourtant en forte croissance à cause de l’importante immigration de Latino-Américains, subsistent rarement comme langue d’usage principal au-delà de la seconde génération (Waters et Jiménez, 2005). Les États-Unis demeurent, comme toujours, un cimetière des langues allochtones (Rumbaut, Massey et Bean, 2006). Dans les pays (ou régions) où cohabitent plusieurs langues, la situation peut être différente. Certes, sous une perspective générationnelle la persistance des langues allochtones n’y sera probablement pas significativement plus longue que dans les pays (ou régions) unilingues, mais la langue qu’adopteront ces allophones en s’intégrant à leur nouvelle communauté (langue d’usage public, langue de travail) et la langue qu’ils choisiront d’apprendre à leurs enfants aura d’importantes conséquences sur l’équilibre linguistique préexistant dans la société d’accueil (Bélanger, Sabourin et Lachapelle, 2011). Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que tous les articles qui composent ce numéro spécial des Cahiers sur la mesure et les déterminants des transitions linguistiques s’intéressent à des régions où deux langues sont en contact et en compétition. Les deux premiers articles s’intéressent à la situation des langues vernaculaires dans les Communautés autonomes espagnoles, les autres articles sont consacrés à la situation canadienne et surtout québécoise. L’article de Jiménez-Salcedo nous apparaît extrêmement intéressant pour les Canadiens qui s’intéressent aux questions de dynamique linguistique, bien qu’il porte sur des enquêtes catalanes. L’auteur, manifestement très familier avec la situation canadienne, ne manque jamais de faire le lien entre les concepts utilisés en Catalogne et ceux utilisés au Canada. Il offre aussi un excellent résumé du contexte sociopolitique et de la politique linguistique catalane. Deux lois à portée linguistique, inspirée « des combats du français au Québec », ont été adoptées respectivement en 1983 et 1998 avec l’objectif d’assurer la survie de la langue qui, contrairement au français au Canada, n’a pas de reconnaissance officielle sur l’ensemble du territoire espagnol, où seule la langue espagnole possède ce statut. De plus, le catalan n’a pas, même en Catalogne, un poids démographique aussi …

Parties annexes