Résumés
Résumé
Cette étude s’intéresse aux facteurs associés à l’acquisition du vocabulaire réceptif des enfants d’âge préscolaire en examinant plus spécifiquement la relation entre diverses caractéristiques de l’environnement familial et économique dans lequel les enfants grandissent. Les analyses de cette étude reposent sur les données de l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ÉLDEQ), dont 1 782 enfants âgés d’environ 3 1/2 ans ont répondu à l’Échelle de vocabulaire en images Peabody (ÉVIP). Cette étude met d’abord en évidence le rôle de la précarité économique et des activités de stimulation des parents sur l’acquisition du vocabulaire réceptif chez les jeunes enfants. Elle fait également ressortir l’importance des données longitudinales prospectives pour mieux cerner ce qui, dans l’environnement familial et économique des enfants, peut contribuer à favoriser le développement des habiletés cognitives des enfants.
Abstract
This study addresses the factors associated with receptive vocabulary acquisition in children of preschool age. It specifically examines the link between various characteristics of the family and the economic environment in which children are growing up. The analyses in this study are based on data from the Québec Longitudinal Study of Child Development (QLSCD), in which 1 782 children approximately 3½ years old were administered the Peabody Picture Vocabulary Test (PPVT). The study reveals the role of economic insecurity and parental stimulation activities in receptive vocabulary acquisition of toddlers. It also indicates the importance of prospective longitudinal data in gaining a better understanding of the family and economic factors that can help foster the development of cognitive skills in children.
Corps de l’article
Introduction
En démographie sociale, les travaux qui ont cherché à identifier les facteurs associés à la réussite scolaire des enfants ont accordé une large place à l’environnement familial et particulièrement aux comportements conjugaux des parents. Beaucoup d’entre eux reposent sur l’idée que les changements, qu’entraînent la séparation des parents ou encore les recompositions familiales, ont une incidence sur les enfants dans la mesure où les tensions qui accompagnent les premiers ou l’investissement en temps que nécessitent les seconds, affecteraient négativement les capacités d’encadrement et d’interactions parents/enfants (pour une revue des principaux travaux voir : Fisher et autres, 2003; Sunn et Li, 2001). Dans le contexte où la réussite scolaire est généralement associée à l’insertion professionnelle et économique et, plus globalement, à l’adaptation sociale des individus, on comprend dès lors l’intérêt de ces travaux.
La dynamique sous-jacente aux relations observées a toutefois été peu élucidée; certains auteurs estiment que les difficultés d’ajustement, transitoires ou permanentes, vécues par les enfants peuvent être attribuables au stress qu’entraînent les changements familiaux, à un effet de sélection, à la dynamique familiale préexistante ou encore aux fluctuations économiques qui accompagnent les changements familiaux (Amato, 2000; Booth et Amato, 2001; Demo et Cox, 2000; Joshi et autres, 1999).
De manière générale, le fait de considérer l’environnement familial de l’enfant sous le seul angle des changements familiaux, induits par les comportements conjugaux des parents, limite notre compréhension du milieu dans lequel les enfants grandissent et se développent. En effet, on peut penser que le fonctionnement familial, les pratiques parentales ou encore le soutien fourni par la famille et l’entourage contribuent à mieux cerner les facteurs associés au bien-être et au développement des enfants (Ryan et Adams, 1998).
S’agissant plus spécifiquement du développement cognitif des enfants, il ressort que la précarité économique et en particulier celle vécue de façon précoce et persistante jouerait un rôle crucial, même une fois pris en compte un ensemble de variables décrivant l’environnement familial, alors que la mobilité conjugale des parents aurait un effet assez modeste (Duncan et Brooks-Gunn, 1997; McLanahan et Sandefur, 1994).
Dans cette présentation, nous nous intéressons aux habiletés cognitives des enfants avant leur entrée à l’école. En particulier, nous examinons la relation entre diverses caractéristiques de l’environnement familial et économique dans lequel les enfants grandissent et les résultats obtenus à l’Échelle de vocabulaire en images Peabody (ÉVIP) vers l’âge de 3½ ans. Précisons que l’ÉVIP est un test de vocabulaire réceptif[1] pouvant être employé comme indicateur des habiletés cognitives; le résultat à ce test s’avérerait un excellent « prédicteur » du succès scolaire (Dunn et autres, 1993).
Statégies d’analyse
Source de données et échantillon d’analyse
Les analyses de la présente étude reposent sur les données de l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ÉLDEQ) réalisée par l’Institut de la statistique du Québec. Son objectif premier est de connaître les précurseurs de l’adaptation sociale, les cheminements de cette adaptation et ses conséquences. L’échantillon initial admissible pour le suivi longitudinal était de 2 120 enfants nés en 1997-1998 de mères vivant au Québec, à l’exclusion de celles vivant dans les régions socio-sanitaires du Nord-du-Québec, du territoire cri, du territoire inuit et de celles vivant sur des réserves indiennes[2]. Parmi ces enfants, 1 950 ont participé au quatrième passage[3] de l’ÉLDEQ réalisé en 2001. Ils avaient alors environ 3½ ans. Parmi ces derniers, seuls ceux qui ont répondu à l’Échelle de vocabulaire en images Peabody (ÉVIP)[4] dans sa version française ou anglaise ont été retenus dans les analyses (1 782 enfants). La version française de l’échelle utilisée dans l’ÉLDEQ est une adaptation du Peabody Picture Vocabulary Test - Revised (PPVT - R) de Dunn et Dunn (1981)[5].
Modèle d’analyse et variable dépendante
Les analyses qui suivent ont été réalisées à l’aide du modèle de régression linéaire simple ordinaire (MCO) afin d’identifier les facteurs associés au score total brut obtenu à l’ÉVIP[6]. L’utilisation du score brut plutôt que du score standardisé s’explique par le fait que les enfants de l’échantillon d’analyse ont pratiquement tous le même âge. Les scores observés varient de 2 à 91 et la moyenne se situe à 28,2 (écart-type = 14,6).
Variables indépendantes[7]
Le choix des variables indépendantes repose sur des travaux ayant porté sur le développement cognitif des jeunes enfants; il visait à la fois à maximiser le potentiel des données prospectives recueillies dans le cadre de l’ÉLDEQ depuis la naissance de l’enfant. La plupart des travaux recensés sur le sujet ont été menés aux États-Unis et en Grande-Bretagne, pays reconnus pour leur expérience en matière d’enquêtes longitudinales prospectives (pour une revue de littérature voir par exemple Bruniaux et Galtier, 2003; Demo et Cox, 2000). Au Canada, l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ), ayant débuté en 1994, a donné le coup d’envoi à quelques travaux sur le sujet (Gagné, 2003; Lefebvre et Merrigan, 1998; Ryan et Adams, 1998). En reprenant certains instruments administrés dans l’ELNEJ, dont l’ÉVIP, l’ÉLDEQ se prête à l’analyse des facteurs associés à la maturité scolaire chez les enfants québécois. Les variables retenues sont de trois types : les caractéristiques de l’environnement familial de l’enfant, les caractéristiques de l’enfant et celles de la mère.
Dans un premier temps, des analyses bivariées ont été réalisées entre les diverses variables d’intérêt et le score obtenu à l’ÉVIP en séparant les enfants en deux groupes, selon qu’ils se situent ou non dans le quartile supérieur de l’échelle. La grande majorité de ces variables se sont révélées associées à l’ÉVIP au seuil de 0,10 et ont été conservées pour l’analyse multivariée[8].
Les variables relatives à l’environnement familial de l’enfant sont : les changements survenus dans la situation conjugale des parents depuis la naissance de l’enfant (deux parents biologiques présents depuis la naissance; en famille monoparentale depuis la naissance; au moins une recomposition avec un nouveau conjoint depuis la naissance; autres changements : séparation temporaire ou définitive des parents biologiques); les épisodes de précarité économique vécus par la famille depuis la naissance de l’enfant (jamais; sous le seuil de faible revenu; sous le seuil de faible revenu de manière transitoire; sous le seuil de faible revenu de façon persistante; sous le seuil de faible revenu à la naissance seulement); les pratiques parentales positives au passage de 2001 (le quartile supérieur de l’échelle; autres); les habitudes de lecture (n’a jamais fait la lecture; a initié les activités de lecture avant le passage de 1999 [17 mois]; a initié les activités de lecture entre les passages de 1999 et 2000 [17 et 29 mois]; a initié des activités de lecture entre les passages de 2000 et 2001 [29 et 41 mois]); le niveau de verbalisation du parent répondant (le quartile supérieur aux passages de 1999 ou de 2000; autres); le soutien social (le quintile inférieur au passage de 1999 ou 2001; autres); et le fonctionnement familial (le quintile inférieur aux passages de 1998 ou de 1999; autres).
Les variables qui rendent compte des caractéristiques de l’enfant sont : le sexe; le rang de naissance (rangs 1 et 2; rang 3 et plus); la perception de la santé (santé bonne, passable ou mauvaise; autres); l’allaitement (n’a pas été allaité; allaité pendant moins de 4 mois; allaité pendant 4 mois et plus ) et le principal mode de garde au passage de 2001 (au domicile; milieu familial; garderie; jamais gardé).
Les variables relatives à la mère sont : le moment auquel la mère est entrée ou retournée sur le marché du travail suite à la naissance de l’enfant (n’a pas travaillé depuis la naissance; a travaillé avant que l’enfant n’atteigne 5 mois; a travaillé alors que l’enfant était âgé de 5 mois à moins de 12 mois; a travaillé alors que l’enfant était âgé de 12 mois et plus); son statut d’immigrante; la perception de la santé (santé bonne, passable ou mauvaise à au moins un temps entre les passages de 1998 et 2001; autres) et son niveau de scolarité (sans diplôme d’études secondaires; diplôme d’études secondaires; diplôme d’études postsecondaires [sauf universitaires]; diplôme d’études universitaires).
Étant donné la forte corrélation observée entre les changements familiaux et la précarité économique de la famille, deux modèles distincts ont été construits pour évaluer les facteurs associés à l’acquisition du vocabulaire chez les jeunes enfants; ils sont présentés ci-dessous. Du fait que les variables du plan de sondage ont été prises en compte, seuls les résultats associés aux scores ÉVIP dont le seuil est inférieur à 0,05 sont considérés comme étant significatifs.
Résultats
Nous avons d’abord cherché à cerner le rôle des variables relatives à l’environnement familial de l’enfant (modèle 1). Comme on peut le voir au tableau 1, comparativement aux enfants ayant vécu avec leurs deux parents biologiques depuis la naissance, ceux dont les parents se sont séparés obtiennent de moins bons résultats à l’ÉVIP, qu’il y ait eu recomposition familiale ou non par la suite.
Par contre, les enfants ayant vécu en famille monoparentale depuis leur naissance ne semblent pas désavantagés, comparativement à ceux qui ont toujours vécu avec leurs deux parents biologiques.
À l’exception des pratiques parentales positives, toutes les autres variables de l’environnement familial retenues sont significativement associées à l’ÉVIP. Ainsi, les habitudes de lecture et les capacités de communication du parent répondant sont liées aux scores obtenus. Les résultats montrent qu’au-delà de la mobilité conjugale des parents, les enfants vivant dans une famille présentant des problèmes de fonctionnement ou ne bénéficiant que d’un faible soutien de la famille et de l’entourage, performent moins bien au test.
L’effet des variables relatives à l’environnement familial subsiste même suite à l’inclusion des caractéristiques de l’enfant (tableau 1 – modèle 2). Tout d’abord, peu importe l’environnement familial, on note que les enfants de rang 3 et plus sont moins performants. Ensuite, le fait d’être perçu comme étant en moins bonne santé semble aussi être négativement associé aux résultats obtenus à l’ÉVIP. Il est intéressant de noter que les enfants allaités pendant 4 mois ou plus affichent une meilleure performance que ceux qui ne l’ont pas été. Enfin, comparativement aux enfants ne fréquentant pas de service de garde de manière régulière, les enfants gardés à leur domicile et, dans une moindre mesure ceux fréquentant un service de garde en milieu familial, présentent de meilleurs résultats. Cela traduit peut-être en partie l’effet de la situation économique des parents puisque les familles mieux nanties ont davantage tendance à utiliser les services de garde (données non présentées).
L’ajout des caractéristiques de la mère aux précédentes (tableau 1 – modèle 3) vient toutefois modifier ce portrait de façon sensible. En effet, du côté des caractéristiques de l’environnement familial, seules les habitudes de lecture et les capacités verbales du parent répondant demeurent significativement associées aux scores obtenus à l’ÉVIP. Par exemple, les enfants à qui on a commencé à faire la lecture avant l’âge de 1½ an obtiennent de meilleurs scores que ceux à qui on n’a jamais fait la lecture de manière régulière. On observe également de meilleurs résultats chez les enfants pour lesquels cette habitude a commencé plus tardivement.
Quant aux caractéristiques de l’enfant, nous avons décidé de conserver la variable sexe même si celle-ci n’est pas ressortie comme significativement associée aux scores obtenus à l’ÉVIP dans le modèle 2. Dans la majeure partie des travaux consacrés à ce sujet, on trouve en effet que les garçons sont moins bien performants que les filles, ce qui est également observé dans le modèle 3. Pour ce qui est des autres caractéristiques de l’enfant, on note la disparition de l’effet lié à l’état de santé et au mode de garde. Cela traduit sans doute le lien entre ces variables et certaines caractéristiques de la mère comme son niveau d’éducation ou son insertion dans le marché du travail.
À cet égard, on constate que le niveau de scolarité complété est associé de façon positive aux résultats qu’obtiennent les enfants à l’ÉVIP. Ainsi, les enfants dont la mère possède un diplôme d’études universitaires ont de meilleurs résultats que ceux dont la mère est munie d’un diplôme d’études postsecondaires. À l’inverse, comparativement à ce dernier groupe, les enfants dont la mère n’a pas de diplôme d’études secondaires sont relativement défavorisés. Il en est de même pour ceux dont la mère déclare être en moins bonne santé. Le statut d’immigrante de la mère joue également sur l’acquisition du vocabulaire chez les enfants québécois, ceux dont la mère est immigrante affichant de moins bons résultats. Enfin, il est à noter qu’une fois les autres facteurs pris en compte, le moment où la mère est retournée sur le marché du travail ne ressort pas comme étant significativement associé au score obtenu par les enfants à l’échelle de vocabulaire.
Quand on remplace les changements familiaux depuis la naissance par la situation de précarité économique de la famille (tableau 2 – modèle 4), on remarque d’abord que celle-ci s’avère fortement associée à la performance des enfants à l’ÉVIP. En effet, les enfants dont la famille a connu une situation de faible revenu de façon transitoire ou persistante affichent de moins bons résultats que les autres. Même en substituant la situation économique de la famille aux changements familiaux, plusieurs variables de l’environnement familial continuent d’être associées aux résultats des enfants (comparer les modèles 1 et 4).
En ce qui concerne les caractéristiques de l’enfant, le sexe, le rang de naissance ou encore la durée d’allaitement s’avèrent associés au score ÉVIP même une fois prise en compte la situation économique des familles (tableau 2 – modèle 5). Par contre, l’état de santé global de l’enfant n’exercerait pas d’effet sur sa performance à l’ÉVIP, une fois considérée la situation économique dans laquelle ce dernier a grandi (tableau 2 – modèle 5). Cela pourrait tenir en partie au fait que les enfants issus de milieux socio-économiques moins favorisés affichent généralement un moins bon état de santé (Séguin et autres, 2003).
À l’exception des enfants qui ont connu une situation de faible revenu uniquement dans les mois entourant la naissance, l’effet de la précarité économique persiste lorsqu’on considère l’ensemble des variables. L’effet lié au niveau de scolarité des mères et à leur statut d’immigrante demeure. Par contre, tout comme dans le modèle final intégrant les changements familiaux, le moment où la mère est retournée sur le marché du travail, ainsi que le mode de garde, ne jouent plus de manière significative, une fois les autres variables considérées (tableau 2 – Modèle 6).
Discussion
Les résultats obtenus vont dans le sens des nombreux travaux qui ont montré un lien significatif entre la précarité économique et le développement cognitif des enfants, et cela, même lorsqu’on tient compte d’un ensemble de variables (Duncan et Brooks-Gunn, 1997; Seccombe, 2000; Bruniaux et Galtier, 2003). On constate tout d’abord que les enfants ayant connu une situation de faible revenu uniquement dans les mois entourant la naissance ne se distinguent pas de ceux qui n’ont jamais connu de telles conditions. Cela montre l’importance de disposer de données longitudinales quand on veut cerner l’effet de la précarité économique. Ainsi, la perte de revenu liée à l’arrivée d’un enfant peut contribuer à faire basculer temporairement certaines familles sous le seuil de faible revenu. Ces situations de pauvreté conjoncturelle ne doivent pas être confondues avec celles vécues de manière persistante ou répétée.
L’absence d’effet net rattaché à la mobilité conjugale des parents vient également appuyer divers travaux qui ont montré que la structure familiale avait peu ou pas d’effet sur les capacités intellectuelles des enfants (pour une revue, voir Bruniaux et Galtier, 2003). Diverses recherches menées sur le sujet révèlent en fait que la mobilité conjugale des parents affecterait davantage le comportement ou encore la réussite scolaire, en particulier chez les adolescents (Hanson, McLanahan et Thomson, 1997; Pagani et autres, 1997).
Au chapitre des pratiques parentales, nos résultats montrent que seules celles qui sont directement liées à la stimulation des enfants sur le plan cognitif s’avèrent fortement associées aux scores de l’ÉVIP. Ainsi, à l’instar de plusieurs études, on constate que les pratiques de lecture ainsi que les capacités de communication parent/enfant jouent un rôle dans l’acquisition du vocabulaire chez les enfants d’âge préscolaire (Gagné, 2003; Lefebvre et Merrigan, 1998). Ce n’est pas le cas des variables décrivant la qualité des relations entre les membres de la famille ou le niveau de soutien social reçu, à partir du moment où on introduit des variables d’ordre socioéconomique (par exemple, la précarité du revenu ou la scolarité de la mère).
Si on considère l’éducation de la mère, on observe comme tant d’autres auteurs le rôle joué par celle-ci. Cela peut être attribuable au fait que les mères plus scolarisées sont en mesure d’offrir un environnement plus stimulant pour le développement langagier de leurs enfants (Baharudin et Luster, 1998; Miller et Davis, 1997). Par contre, la rapidité avec laquelle la mère intègre ou réintègre le marché du travail après la naissance ne semble pas entrer en jeu. Ce résultat va dans le sens contraire de ce qui a été observé par Waldfogel et autres (2002) aux États-Unis, lesquels ont observé que le travail des mères pendant les 12 premiers mois suivant la naissance avait une incidence négative sur la performance ultérieure des enfants à l’ÉVIP. Cela est peut-être attribuable, du moins en partie, à la construction même de cette variable qui intègre à la fois un indicateur du statut socioéconomique des familles et des modalités d’interaction mères-enfants, lesquels sont déjà pris en compte dans les variables incluses dans les autres modèles.
Contrairement aux résultats de l’étude de Lefebvre et Merrigan (1998), nos résultats montrent que le statut d’immigrante de la mère joue négativement sur l’acquisition du vocabulaire d’écoute chez les enfants âgés d’environ 3½ ans. À l’évidence, cette variable est très grossière et ne permet pas de distinguer ce qui relève de l’appartenance ethnoculturelle ou encore des langues apprises par l’enfant. Étant donné les petits nombres d’enfants nés de mères immigrantes il n’est pas possible de raffiner davantage cette variable de manière à ce qu’elle puisse faire ressortir ces diverses dimensions. Les analyses réalisées auprès des mêmes enfants alors qu’ils fréquentaient la maternelle, révèlent toutefois clairement que l’apprentissage du vocabulaire français ou anglais constitue un défi supplémentaire pour les enfants exposés à une autre langue (Desrosiers et Ducharme, 2006). Il sera néanmoins important de suivre ces enfants afin de voir comment évolue leur apprentissage du vocabulaire durant les premières années scolaires.
Une fois prises en compte la scolarité de la mère et la situation économique des familles, la santé globale de la mère continue d’être associée à la performance des jeunes enfants à l’ÉVIP, alors que la perception de la santé de l’enfant ne joue plus. Au-delà de la santé physique ou mentale de la mère, cette variable pourrait traduire l’effet de la qualité ou de l’intensité des interactions parents/enfants. Par exemple, une mère en excellente ou en très bonne santé est peut-être mieux disposée à amorcer diverses activités de stimulation favorisant le développement cognitif de son enfant.
Fait intéressant, nos résultats montrent, à l’instar d’autres recherches, que la durée de l’allaitement est associée à la performance des enfants à l’ÉVIP (voir par exemple Angelsen, Jacobsen et Bakketeig, 2001; Anderson, Johnstone et Remley, 1999). Selon divers travaux, l’effet net exercé par la durée de l’allaitement pourrait être lié à la proximité physique, connue pour favoriser le lien d’attachement mère/enfant et le sentiment de sécurité chez l’enfant, ou encore à la présence de certains acides gras dans le lait maternel pouvant contribuer au développement optimal du cerveau (Lucas et Morley, 1992; Birch et autres, 2000).
Au-delà des activités que font les parents pour favoriser l’acquisition du vocabulaire chez leur enfant, le rang de naissance exerce un effet net sur les scores ÉVIP. Selon certains auteurs, cela serait observable dans les premières années de vie de l’enfant (Goldfield et Reznick, 1990; Hoff-Ginsberg, 1998) et serait attribuable au fait que les parents utilisent, avec les enfants, des modalités d’interactions verbales qui diffèrent selon leur rang de naissance (Pine, 1995; Hoff-Ginsberg, 1998). Quant à l’effet du sexe, quelques études ont montré que comparativement aux garçons, les filles étaient davantage stimulées par leurs parents sur le plan cognitif (Miller et Davis, 1997).
Enfin, contrairement à certaines études révélant que le type de garde est positivement associé au développement cognitif et langagier des enfants (Miller et Davis, 1997), notre analyse n’a pas détecté un tel lien. Mentionnons, toutefois, que la typologie utilisée ne rend pas compte de la qualité des services de garde, qualité que l’on sait associée au développement des jeunes enfants, spécialement en milieu défavorisé (Melhuish, 2001).
Conclusion
Soulignons que les analyses présentées ici visaient à rendre compte des facteurs associés au fait que certains enfants réussissent relativement mieux que d’autres. Elles ne permettent donc pas d’identifier les caractéristiques des enfants qui présenteraient un retard en ce qui a trait à l’apprentissage du vocabulaire. De plus, le fait de n’avoir utilisé qu’une seule mesure de l’ÉVIP, alors que les enfants étaient âgés de 3½ ans, ne nous fournit qu’une image partielle des capacités langagières des enfants d’âge préscolaire. Or, un suivi des enfants entre l’âge de 3½ans et la fin de la maternelle révèle que près du tiers des enfants vont voir leur position relative sur l’échelle de l’ÉVIP (retard relatif, dans la moyenne, niveau plus avancé) changer durant cette période (Desrosiers et Ducharme, 2006).
Les résultats obtenus au terme de ces analyses ont fait ressortir l’importance de disposer de données longitudinales prospectives pour mieux comprendre le rôle de l’environnement familial et économique dans l’acquisition du vocabulaire chez les jeunes enfants. En effet, le fait de pouvoir recourir à des observations faites à plusieurs moments dans le temps nous a permis de construire des variables qui prennent en compte les divers changements venant affecter la vie des familles et des individus qui les composent. Nous avons vu notamment que la vulnérabilité économique conjoncturelle liée à l’arrivée d’un enfant ne peut être mise sur le même pied que les difficultés persistantes vécues par certaines familles. Cela dit, l’effet net exercé par la précarité économique demeure difficile à expliquer et pourrait traduire, entre autres, l’effet de variables non mesurées comme le niveau de stress plus élevé ou encore la fatigue et l’anxiété ressenties plus souvent par les parents de milieux défavorisés.
Ces premières analyses exploratoires devront être poursuivies si on veut être en mesure de comprendre pourquoi certains enfants se développent mieux que d’autres et, en particulier, ceux provenant de milieux défavorisés sur le plan socio-économique.
Parties annexes
Annexe
Annexe
Notes
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[1]
Il est à noter que l’ÉVIP s’adresse à tout sujet, analphabète ou non, qui peut entendre les mots et voir les images. Ce test est aussi valable pour les personnes qui ont des troubles du langage, la réponse n’étant pas nécessairement verbale.
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[2]
Pour une description détaillée du plan d’échantillonnage, voir Jetté et Des Groseilliers (2000).
-
[3]
L’ÉLDEQ est une enquête à passages répétés dont la fréquence est annuelle jusqu’à la fin de la deuxième année du primaire.
-
[4]
Étant donné la non-réponse globale observée pour le test ÉVIP, une pondération particulière a été produite pour ces enfants selon la méthode décrite dans Plante et autres, 2004. À noter que parmi les répondants au test (1 805), 23 ont été exclus : 12 l’ont été en raison de la présence de problèmes chroniques de développement (autisme, etc.) et 11 autres cas parce qu’ils n’avaient pas eu de contact régulier avec leur mère biologique à un temps donné entre les passages de 1998 et de 2001 (les enfants en familles d’accueil, les enfants dont la mère est décédée et les enfants dont le père a la garde exclusive). Compte tenu du faible nombre de cas exclus (1,3%), aucune analyse visant à détecter des biais potentiels n’a été conduite.
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[5]
La version française de ce test a été validée par Dunn, Thériault-Whalen et Dunn (1993). L’administration de ce test se fait individuellement à l’aide d’un manuel comprenant les images des items à identifier. L’échelle complète comporte des items d’entraînement suivis par 170 autres classés par ordre croissant de difficulté. Le point de départ du test dépend de l’âge de l’enfant. À l’âge d’environ 3½ ans, on propose entre 25 et 50 items au jeune répondant (selon son habileté) qui doit choisir l’image qui illustre le mieux la signification du mot stimulus prononcé à haute voix par l’intervieweuse.
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[6]
Mentionnons dès à présent que la pondération et l’effet dû au plan de sondage complexe ont été considérés dans le calcul des estimations et de leur précision pour les analyses réalisées à l’aide du modèle de régression. Pour ce faire, nous avons utilisé le logiciel SUDAAN.
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[7]
La définition des variables est présentée au tableau A.1 en annexe.
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[8]
La répartition de l’échantillon selon les variables indépendantes retenues pour l’analyse multivariée est présentée au tableau A.2 à l’annexe. Parmi les variables examinées, celles concernant la perception du quartier ou le soutien des grands-parents n’ont pas été retenues. De même, les variables relatives aux conditions de naissance (faible poids à la naissance, complications néonatales), au nombre total d’heures de garde et à la présence d’un enfant plus jeune ne se sont pas avérées associées au fait d’appartenir ou non au quartile supérieur de l’échelle de l’ÉVIP et n’ont pas été conservées dans la suite des analyses. Notons enfin que la précision des estimations pour ces analyses a été calculée à l’aide de l’effet de plan moyen (1,3) de l’enquête.
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[9]
Tirée de l’inventaire du milieu familial et adaptée du « Home Observation for Measurement of the Environment » largement utilisé pour le dépistage des milieux à risque (Caldwell et Bradley, 1984). Le HOME est reconnu pour être largement associé à divers tests de développement cognitif (Guo et Mullan-Harris, 2000).
-
[10]
McCormick et autres, 1989.
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