Résumés
Résumé
Cette étude dresse le portrait statistique des tendances reliées au processus d’acquisition de l’indépendance résidentielle au Canada chez les individus nés entre 1942 et 1981. Après un bref préambule visant à inscrire ce processus dans le cadre plus englobant de l’entrée dans la vie adulte, les auteurs examinent, à l’aide de données issues de l’Enquête sociale générale de 2001, divers indices liés au calendrier et à l’intensité du premier départ du foyer parental et du premier retour vers le milieu familial. Toutes les analyses sont fondées sur des comparaisons entre les sexes, les provinces et les cohortes de naissance. Une attention spéciale est également accordée aux motifs allégués pour justifier ces départs et ces retours. De façon globale, les résultats suggèrent une tendance à l’allongement de l’étape « jeunesse » intercalée entre l’adolescence et l’âge adulte ainsi qu’une propension accrue à aborder l’autonomie résidentielle via une période charnière de semi-autonomie.
Abstract
This paper describes the statistical trends that characterise the process of becoming residentially independent in Canada among individuals born between 1942 and 1981. It starts by situating this process into the more general context of the entry into adulthood and then gives an overview of the timing and intensity of first home-leaving episodes and first returns to the parental home using data drawn from the 2001 General Social Survey. Comparisons are made between genders, provinces and birth cohorts. Specific attention is also paid to the reasons given by the respondents to account for these departures and returns. Results reveal a trend toward a prolongation of youth, conceived as an intermediate stage between adolescence and adulthood, as well as an increasing propensity to enter full residential independence through semi-autonomy.
Corps de l’article
Depuis environ une quinzaine d’années la littérature scientifique regorge de références à ce qu’il est convenu de nommer l’allongement de la jeunesse. De façon généralisée, on assiste à une augmentation importante des taux de cohabitation intergénérationnelle dans la plupart des pays occidentaux en raison du report du calendrier du départ du foyer parental chez les jeunes mais également à cause de la plus forte propension de ceux-ci à revenir s’établir dans leur milieu d’origine après une plus ou moins brève période d’autonomie résidentielle. Le cycle de la vie familiale se trouve ainsi considérablement modifié par de telles séquences d’allers-retours qui tendent à conférer à la composition des ménages un caractère instable dû à la succession, dans des intervalles souvent rapprochés, de phases de contraction et d’expansion.
Le cas particulier des jeunes Canadiens s’inscrit au coeur de la même tendance avec une extension d’une cohorte à l’autre de la cohabitation jeunes/parents (Beaupré et al., 2006a; Statistique Canada, 2002; Boyd et Norris, 1999; Ravanera et al., 1995). Bien entendu, le rythme des départs du foyer parental ainsi que la dynamique liée au processus d’acquisition de l’autonomie résidentielle varient énormément d’une personne à l’autre en fonction des caractéristiques propres aux individus et à leur milieu familial. Par exemple, la présence de conflits intergénérationnels peut tendre à accélérer le départ des individus (Molgat, 2003; Bozon et Villeneuve-Gokalp, 1994) alors que la poursuite d’études post-secondaires incitera au contraire les jeunes à alléger leur fardeau économique en demeurant chez leurs parents jusqu’à l’obtention du diplôme convoité (Beaupré et Le Bourdais, 2001). Des différences en termes de « destination » au départ peuvent également être alléguées afin de rendre compte des divergences de trajectoires résidentielles. On sait par exemple que la probabilité de vivre un épisode de retour vers le milieu familial est plus élevée chez les jeunes qui quittent leur domicile d’origine pour étudier que chez ceux qui partent dans le but de former une union (Beaupré et al., 2006b; Goldscheider et Goldscheider, 1993; Young, 1987).
Le présent article vise à fournir un portrait descriptif du contexte dans lequel se sont effectués les départs du foyer parental et les retours vers ce même milieu d’origine chez des jeunes adultes canadiens nés entre 1942 et 1981. Outre la question de la caractérisation de l’échelonnement des transitions d’une cohorte à l’autre, nous aborderons celle de l’évolution quantitative au fil du temps des raisons invoquées pour justifier les départs et les retours. Nous examinerons également l’aspect séquentiel des trajectoires résidentielles en jetant un coup d’oeil à la durée moyenne écoulée entre le premier départ et le premier retour ainsi qu’au nombre moyen de départs effectués par chaque individu. Les résultats seront présentés par sexe, par cohorte et par province canadienne et proviennent en totalité des données de l’Enquête rétrospective sur la famille de 2001 réalisée par Statistique Canada.
Considérations théoriques
Les études ayant pour point focal la jeunesse ont connu un succès retentissant depuis les années 1990 et ce, en dépit de l’apophtegme de Bourdieu voulant que la jeunesse ne soit qu’un mot (Bourdieu, 1980). Le mérite en revient principalement à Olivier Galland (1991) qui en a permis l’étude à l’intérieur d’un cadre analytique faisant appel à la notion d’entrée dans la vie adulte. Érigée en concept autonome et distinct de celui d’adolescence, la jeunesse concerne dans cette perspective une transition s’effectuant sur trois axes, soit l’axe scolaire/professionnel, l’axe conjugal/familial et l’axe résidentiel, point de mire de cet article. Selon Galland, cette transition s’accomplit au fur et à mesure que les « bornes » marquant l’entrée dans la vie adulte sont franchies. Ces bornes sont au nombre de quatre : la fin des études, l’insertion professionnelle, le départ du foyer parental et la formation d’une union stable. À ces quatre bornes peut parfois se greffer une cinquième, plus accessoire, qui concerne la naissance d’un premier enfant. Ainsi, la fin de la jeunesse et, de façon corrélative, l’appartenance définitive et irréversible à l’âge adulte correspondraient sur le plan de l’expérience à la réunion des trois critères suivants : indépendance financière, autonomie résidentielle et intégration matrimoniale.
Si le franchissement de toutes ces bornes n’apparaît pas systématiquement nécessaire afin de définir sociologiquement « un véritable adulte », il n’en demeure pas moins qu’une telle approche présente l’avantage d’apporter un aspect fort concret à l’étude d’un phénomène qui serait autrement difficile à cerner. En effet, sans l’éclairage qu’offre le contexte des transitions constitutives du passage à l’âge adulte, la jeunesse se retrouve en quelque sorte vidée de son contenu biographique et ne se conçoit plus qu’en termes d’âge. Or, l’on peut bien adopter une convention qui permette, par exemple, d’assimiler à la catégorie « jeunes », ceux et celles qui n’ont pas encore quitté le domicile familial mais il est autrement plus malaisé de définir cette catégorie en fonction de l’âge des individus. Il serait de mauvais ton en sciences sociales de décréter que la jeunesse se termine irrévocablement à l’âge de 18, 25 ou 30 ans et ce, de façon universelle. Autrement dit, sans le recours au calendrier des pratiques sociales quantifiables que sont ces transitions, la jeunesse n’est effectivement qu’un mot.
Il est possible d’arguer, comme l’ont fait certains auteurs (voir Hamel, 2003 par exemple), que les retards désormais fréquents caractérisant le franchissement des bornes de l’entrée dans la vie adulte plaident en faveur d’une reconceptualisation de la notion de jeunesse à la lumière des observations récentes concernant l’allongement du calendrier et l’instabilité croissante des étapes qui la composent :
Les bornes choisies à des fins analytiques émanent ainsi du modèle de socialisation qui correspond à une jeunesse située et datée, celle des jeunes qui s’est formée durant la période d’après-guerre dans les sociétés occidentales. C’est en référence à leur cheminement que se fixe le calendrier de l’entrée dans la vie adulte scandée (...) Non seulement ce calendrier est-il propre à cette jeunesse mais, de surcroît, il met en exergue des bornes qui en marquent la progression. Peut-on y recourir pour étudier la jeunesse actuelle sur le plan sociologique ? (...) Leur relativité se révèle au vu des jeunes d’aujourd’hui.
Hamel, 2003, p.36
Si certains sociologues cherchent à renouveler l’étude de la jeunesse en allant glaner des repères conceptuels et analytiques dans la théorie de la structuration de Giddens (1987), dans la formulation de la sociologie de l’expérience de Dubet (1994), de même que dans les écrits plus récents de Bourdieu (1994; Bourdieu et Wacquant, 1992), la tâche des démographes reste profondément ancrée dans l’analyse de l’intensité et du calendrier des changements de statut jalonnant le passage à l’âge adulte. À défaut de cerner les tenants et les aboutissants expérientiels de la jeunesse vécue, ce qui ne peut être fait qu’en recourant à l’analyse qualitative, les démographes peuvent-ils du moins décrire en détail l’évolution des caractéristiques statistiques des phénomènes à travers le prisme de l’âge, de la cohorte d’appartenance et de la durée. C’est ce que nous tenterons de réaliser ici en traitant de l’aspect résidentiel de l’entrée dans la vie adulte.
Les études portant sur l’autonomie résidentielle
Sans être nécessairement explicite, l’adéquation conceptuelle entre départ du domicile familial et autonomie résidentielle est sous-jacente à bon nombre d’études sur le sujet. Or, il est manifeste que cette adéquation peut être remise en cause lorsque les départs ne sont pas définitifs et qu’ils donnent lieu à au moins une séquence de retour au domicile parental (voir par exemple Tang, 1997 à ce sujet) ou quand les liens résidentiels et économiques ne sont pas totalement rompus entre le milieu d’origine et celui de destination, occasionnant un rapport de dépendance unidirectionnel entre jeunes et parents (Buck et Scott, 1993; Goldscheider et Da Vanzo, 1989; Barker, 1972).
À cet effet, certains auteurs ont préféré établir une distinction conceptuelle entre départ définitif du domicile parental (leaving home) et éloignement temporaire de ce dernier (living away) (Buck et Scott, 1993), alors que d’autres ont introduit les concepts de semi-autonomie et d’indépendance résidentielle prénuptiale (Goldscheider et Goldscheider, 1993) qui permettent de tenir compte d’une réalité faisant figure d’intermédiaire entre une forme de dépendance totale envers le milieu parental et la « vie indépendante » en tant que telle. Il va de soi que les destinations au départ sont on ne peut plus liées à la dynamique d’acquisition de l’autonomie résidentielle. Ainsi, ceux qui décohabitent dans le but de former une union stable, voire une famille, ont une probabilité de retour beaucoup moindre que ceux qui partent pour poursuivre des études post-secondaires ou accomplir leur service militaire. Ces derniers, une fois le diplôme obtenu ou le service terminé, risquent fort de revenir vivre chez leurs parents en attendant d’être indépendants financièrement (Beaupré et al., 2006b; Goldscheider et Goldscheider, 1994).
Pour cette raison, nous accorderons ici une attention toute particulière aux motifs de décohabitation ainsi qu’à ceux concernant la justification des retours. De telles informations s’avèrent éclairantes quant à l’évolution des tendances liées à la dynamique d’acquisition de l’autonomie résidentielle au fil des cohortes. L’analyse détaillée des motifs de retour selon la cohorte de naissance et la province de résidence est d’autant plus novatrice qu’à notre connaissance, les rares études canadiennes portant sur les retours vers le milieu familial (Gee et al., 1995; 2003; Mitchell et al., 2000; 2004) ne comportent aucune comparaison interprovinciale systématique. Dans leur analyse des retours à la maison, par exemple, Beaupré et al. (2006b) incluent la province comme simple variable de contrôle dans les modèles statistiques. Les auteurs ne cherchent pas à voir si les motifs de départ ou de retour varient entre provinces et donc si les processus de décohabitation diffèrent sensiblement d’une province à l’autre.
En revanche, nous n’aborderons pas ici la question des déterminants du départ du foyer parental et des retours vers le milieu familial car le sujet des motifs de décohabitation mérite d’être traité isolément. Il est désormais connu que divers facteurs relatifs à la situation familiale, aux caractéristiques socio-économiques des jeunes ainsi qu’au contexte culturel dans lequel s’inscrit l’entrée dans la vie adulte ont une influence prépondérante sur la probabilité de départ de même que sur le calendrier de la décohabitation. Quelques études canadiennes ont porté sur le sujet et le lecteur pourra s’y référer afin d’avoir une idée plus précise des résultats de la recherche empirique à ce sujet (voir les études récentes de Beaupré et al., 2006a et b; Mitchell, 2006; Turcotte, 2006; ainsi que Beaupré et Le Bourdais, 2001; Lapierre-Adamcyk et al., 1995; Zhao et al., 1995).
Données et méthodes
Les données dont sont tirés nos résultats sont issues de l’Enquête rétrospective sur la famille (cycle 15 de l’Enquête sociale générale, ci-après ESG 2001) réalisée par Statistique Canada par le biais d’entrevues téléphoniques ayant eu lieu entre février et décembre 2001[1]. Cette enquête de nature ponctuelle permet la collecte d’une somme d’informations rétrospectives concernant les trajectoires matrimoniales, parentales, éducatives, professionnelles et migratoires de répondants âgés de 15 ans et plus et vivant au sein de ménages privés dans l’une des dix provinces du Canada. Le questionnaire comprend également des sections relatives à la composition des ménages, à la famille d’origine ainsi qu’aux valeurs et attitudes des personnes interviewées par rapport à des thèmes tels que le mariage, l’argent et les relations familiales. Il s’agit d’une enquête à plan de sondage complexe, conçu en fonction du découpage en strates et en grappes de la population du territoire canadien effectué par les statisticiens d’enquête de Statistique Canada. La probabilité d’échantillonnage de chaque individu est donc calculée en tenant compte de sa représentativité régionale et des pondérations sont fournies avec les données de l’enquête afin de conférer un aspect populationnel aux informations fournies par les répondants. Par voie de conséquence, les résultats présentés dans cet article sont tous issus de données pondérées.
La section sur les départs et les retours du questionnaire de l’ESG 2001 est structurée de façon à ce que l’on puisse distinguer les individus vivant toujours chez leurs parents au moment de l’enquête, ceux qui avaient effectué un seul départ et ceux qui en avaient effectué plusieurs. Par la suite, il est demandé aux répondants ayant expérimenté au moins un épisode de départ de dire en quel mois et en quelle année ils ont quitté le domicile familial pour mener une vie indépendante. Dans le cas des répondants ayant effectué plus d’un départ, l’on ajoute une précision concernant le rang du départ :
En quel mois et en quelle année avez-vous quitté pour la PREMIÈRE fois le domicile familial pour mener une vie indépendante ?
Ou bien :
En quel mois et en quelle année avez-vous quitté pour la DERNIÈRE fois le domicile familial pour mener une vie indépendante ?[2]
L’on demande ensuite aux répondants la raison principale du départ en question en suggérant les choix suivants : 1) pour étudier; 2) pour travailler; 3) pour se marier/vivre avec son(sa) conjoint(e); 4) pour être indépendant(e), avoir son chez soi; 5) parce que vos parents ont été hospitalisés/sont décédés; 6) parce que vous avez immigré au Canada[3]; 7) à cause de problèmes ou de conflits familiaux; 8) pour une autre raison.
Dans le cas des retours, la structure du questionnaire est légèrement différente. Il est certes possible de connaître la date du premier retour pour les individus ayant quitté au moins une fois le domicile parental et y étant retourné au moins une fois également. En revanche, pour des raisons liées à la construction du questionnaire, les dates relatives au dernier retour n’ont été obtenues que dans le cas des répondants qui vivaient toujours chez leurs parents au moment de l’enquête mais qui avaient quitté le domicile familial au moins une fois. Cette catégorie ne comprenant qu’un très petit nombre de personnes dont l’immense majorité se situent à l’intérieur d’un même groupe d’âge, l’information relative au dernier retour s’avère donc virtuellement inutilisable.
En ce qui concerne la raison principale du retour, les choix suggérés étaient les suivants : 1) perte d’emploi; 2) rupture du couple; 3) raison financière; 4) a obtenu un grade (ou diplôme) ou a quitté l’école; 5) fin de semestre (année scolaire); 6) autre.
Il importe de noter qu’aucune indication à propos de la durée minimale de résidence hors du domicile parental n’est spécifiée dans le questionnaire de l’ESG 2001 afin de définir ce qui doit être considéré comme un véritable départ ou un véritable retour. Ainsi, il est probable que, selon les répondants concernés, une absence de quelques semaines du domicile parental soit jugée comme un départ ou non. De façon similaire, il est également possible que certains répondants aient déclaré un séjour de deux mois au domicile des parents effectué entre deux années scolaires comme un retour alors que d’autres individus ayant vécu une situation semblable n’aient pas songé à le faire. La perception subjective des répondants, quant à ce qu’est véritablement un départ et un retour, influe donc grandement sur l’état de l’information disponible. En l’absence de critère permettant de classifier les événements en fonction de leur durée, nous retiendrons donc la totalité des cas de figure[4].
Mentionnons aussi que les tableaux présentés dans la section suivante concernent les répondants qui étaient âgés entre 20 et 60 ans exacts au moment de l’enquête, soit les générations 1942-1981. La décision de ne pas retenir les générations plus âgées résulte d’un désir de minimiser les imprécisions de dates liées à la mémoire des répondants compte tenu du fait que les événements évoqués sont, de par leur nature, relativement anciens pour cette catégorie de répondants. Quant aux individus âgés de moins de 20 ans au moment de l’enquête, ils ont été éliminés par souci de laisser aux répondants une durée d’exposition minimale de cinq ans au risque d’effectuer un premier départ du foyer parental, les bornes inférieure et supérieure que nous avons fixées pour l’étude de l’événement étant les âges exacts de 15 et 30 ans. Les générations sont regroupées en groupes quinquennaux ou décennaux dans les analyses qui suivent.
Des 13 646 répondantes et des 10 664 répondants que comprend l’enquête, nous avons retenu 9417 femmes et 7755 hommes appartenant aux générations 1942-1981 pour notre échantillon analytique final. De ces effectifs, 719 femmes et 578 hommes ont été retranchés car ils étaient à l’extérieur du Canada au moment où ils ont quitté le domicile familial pour la première fois. Nous avons également tenu compte de la mobilité interprovinciale des répondants afin de replacer 137 femmes et 157 hommes dans la province où ils demeuraient lorsque la décohabitation a eu lieu. Nos effectifs finaux pour les analyses des départs par quartiles sont donc composés de 8698 femmes, dont 7765 (89,3 %) ont quitté le foyer parental entre les âges de 15 et 30 ans, et de 7177 hommes dont 6072 (84,6 %) ont également effectué cette transition. En ce qui concerne l’analyse des motifs de départ, nous avons dû éliminer 11 cas féminins et 14 cas masculins pour lesquels la raison principale du départ était inconnue, ce qui ramène notre effectif à 7754 femmes et 6058 hommes.
Des 7765 répondantes et 6072 répondants qui ont quitté le domicile parental entre les âges de 15 et 30 ans, 1811 femmes (23,3 %) et 1530 hommes (25,3 %) ont effectué un premier retour vers le milieu familial[5]. Ces effectifs ont encore une fois été ajustés afin de tenir compte de la mobilité internationale et interprovinciale des répondants. Ainsi, 69 femmes et 56 hommes ont dû être écartés de l’échantillon car ils n’avaient pas encore immigré au Canada lorsqu’ils ont vécu l’événement et 39 cas féminins de même que 56 cas masculins ont été replacés dans la province où ils résidaient au moment d’effectuer le retour. Notre échantillon final en ce qui a trait aux analyses relatives aux retours est donc composé de 1727 femmes et de 1461 hommes.
Enfin, les quartiles concernant l’âge au premier départ ainsi que la proportion d’individus ayant effectué un retour à 20, 25 et 30 ans ont été obtenus par le biais des tables de Kaplan-Meier (1958), une méthode non-paramétrique destinée à fournir une estimation de la fonction de survie dans un état particulier (ici, il s’agit du fait de résider au domicile parental dans le premier cas et du fait de ne plus y résider dans le second cas). La formulation mathématique en est la suivante :
Dans cette équation, nt représente le nombre d’individus exposés au risque de changer d’état au temps t et dt représente le nombre de cas effectuant effectivement un changement d’état au temps t. La fonction de survie estimée est donc égale au produit de tous les quotients ainsi calculés pour chaque unité de temps inférieure ou égale à tk.
Comme nous nous intéressons ici à l’entrée dans la vie adulte des jeunes, nos conclusions porteront essentiellement sur les départs et les retours ayant eu lieu entre le 15e et le 30e anniversaire des répondants, les transitions trop précoces ou trop tardives relevant selon nous d’une dynamique autre que celle liée au passage à l’âge adulte. Il est donc inévitable que, dans la plus jeune cohorte considérée (les générations 1972-1981), une certaine proportion de répondants disparaissent de la population en observation avant la fin de la période d’exposition au risque, sans avoir vécu le changement d’état étudié[6]. Dans de tels cas, les répondants disparaissent simplement du total des nt à la fin de l’intervalle où ils cessent d’être à risque; ils sont donc comptabilisés dans les numérateurs et les dénominateurs de tous les intervalles où ils sont effectivement à risque de vivre l’événement étudié.
Les départs
L’âge au premier départ
Le Canada dans son ensemble
Les figures 1 et 2 illustrent la progression des âges au premier départ du foyer parental pour l’ensemble du Canada par le biais de l’âge médian et de l’âge au premier et au troisième quartiles[7]. On y remarque qu’à l’échelle canadienne, l’âge au premier quartile, soit l’âge auquel le quart des femmes ont effectué un premier départ, est remarquablement constant d’un groupe de générations à un autre, se situant autour de 18,5 ans. Le cas des hommes est sensiblement différent dans la mesure où un effet de cohorte est bel et bien observable à l’échelle canadienne. Identique à celui des femmes pour les générations 1942-71, l’âge au premier quartile connaît une progression notable d’une année complète, passant de 18,5 ans (cohorte 1967-71) à 18,8 ans (cohorte 1972-76) à 19,5 ans (cohorte 1977-81), signe que l’allongement du calendrier de l’autonomie résidentielle concerne également les départs les plus précoces chez les individus âgés de moins de trente ans au moment de l’enquête.
Cette tendance semble se maintenir chez les hommes en ce qui a trait à l’âge médian. Ainsi, l’âge auquel la moitié de la cohorte a quitté le foyer parental une première fois passe de 20,7 ans à 23,5 ans entre les générations 1967-71 et 1977-81. Une évolution similaire caractérise l’âge médian au premier départ chez les femmes qui, bien qu’en constante progression depuis la cohorte 1952-56, atteint des sommets au sein des deux cohortes les plus jeunes (respectivement 20,5 ans et 21,4 ans). C’est toutefois véritablement dans le cas des départs ayant lieu après l’âge médian qu’un allongement de calendrier considérable est observé. Chez les deux sexes, on note une augmentation progressive de l’âge au troisième quartile qui passe de 24 (cohorte 1952-56) à 27,8 ans (cohorte 1972-76) chez les hommes et de 22 (cohorte 1947-51) à 24,5 ans (cohorte 1972-76) chez les femmes.
Comparaisons interprovinciales
– 1er quartile. Le tableau 1 présente les quartiles d’âge au premier départ par sexe, cohorte de naissance et province de résidence. Il révèle que l’apparente homogénéité intergénérationnelle observable sur la figure 1 masque en fait certaines différences notables entre les provinces. On notera qu’au sein des deux cohortes les plus âgées, ce sont les femmes originaires des Prairies et des Maritimes qui ont tendance à quitter la demeure parentale de façon plus précoce (âge au premier quartile de 18,0 ans ou moins), alors que les résidentes du Québec et de l’Ontario ont un âge au premier quartile équivalent à la moyenne canadienne. Cette précocité demeurera le fait des résidentes des Prairies pour la cohorte 1962-71. Elle s’estompera toutefois chez les femmes appartenant à la plus jeune cohorte à l’intérieur de laquelle une certaine similitude peut être observée pour l’ensemble des provinces, à l’exclusion de l’Ontario où l’âge au premier quartile se situe près de dix mois au-dessus de la moyenne canadienne.
Les quartiles concernant la cohorte 1972-81 sont des estimations tenant compte du fait que tous les individus de ces cohortes ne sont pas observés jusqu’à leur 30ème anniversaire.
En ce qui concerne les hommes, soulignons le cas des Québécois issus de la cohorte 1942-51 dont l’âge au premier quartile (19,5 ans) est résolument supérieur à celui des autres Canadiens. Nous verrons plus loin que, chez les Québécois de cette génération, le mariage constituait une raison au départ plus populaire que dans les autres provinces alors que la poursuite d’études en tant que motif de décohabitation était moins souvent invoquée. Cette différence en termes de destination explique sans doute partiellement le cas du Québec qui cessera d’être particulier dès la cohorte suivante. Ce sont cependant les Québécois qui ont l’âge au premier quartile le plus élevé (19,8 ans) pour les générations nées entre 1972 et 1981, suivis de près par les Ontariens (19,5 ans); ils demeurent beaucoup plus lents à quitter le foyer parental que les jeunes hommes originaires des Maritimes (18,9 ans) et des Prairies (18,4 ans).
– Médiane. Dans le cas des deux sexes, le Québec et l’Ontario sont les deux provinces pour lesquelles l’âge médian est le plus nettement au-delà de la moyenne canadienne jusqu’à la cohorte 1962-71 (où elles sont rejointes par les provinces de l’Atlantique dans le cas des hommes). Par la suite, seule l’Ontario se distingue des autres provinces par le caractère tardif de l’âge médian au départ (1,8 et 2,1 ans au-dessus de la moyenne canadienne chez les femmes et les hommes respectivement). Encore une fois, c’est dans les Prairies que les départs sont les plus précoces pour les deux sexes et l’ensemble des cohortes (sauf chez les hommes de la cohorte 1942-51 où l’âge médian est supérieur à celui des Maritimes et de la Colombie-Britannique).
– Troisième quartile. La quasi-totalité des provinces montrent une tendance à l’augmentation au fil du temps de l’âge au troisième quartile, à l’exception du Québec où l’on observe une espèce de plateau pour les générations nées entre 1952 et 1971. Cette augmentation pourrait correspondre à un changement dans les motifs de départ, alors que les unions ont été progressivement délaissées au profit de la poursuite d’études et du désir de mener une vie indépendante (voir plus bas). Par ailleurs, une tendance similaire semble caractériser les hommes originaires des Prairies appartenant au même groupe de générations.
De plus, on constate en Ontario et en Colombie-Britannique que, si la tendance se maintient, moins des trois quarts des hommes nés entre 1972 et 1981 auront quitté le nid familial au jour de leur trentième anniversaire. Cet allongement de calendrier est moins frappant chez les femmes issues de la même cohorte, sans doute en raison d’une propension moins forte à décohabiter tardivement en Colombie-Britannique. Retenons tout de même le cas spécifique de l’Ontario, seule province où l’âge au troisième quartile des femmes se situe bien au-delà de la barre des 25 ans (26,9 ans).
Proportion d’individus n’ayant pas quitté le domicile familial à 30 ans
Si certaines variations de calendrier ont pu être décelées entre les cohortes, force est de constater que les changements ont d’abord à voir avec l’intensité du phénomène et qu’ils concernent au premier chef les jeunes hommes. D’après le tableau 2, ceux-ci affichent une propension à demeurer au domicile familial jusqu’au trentième anniversaire qui passe de 10 % dans la cohorte 1942-1951 à 24,5 % au sein des générations 1972-81. Ce dernier pourcentage est vraisemblablement surestimé puisqu’une partie des jeunes de ce groupe n’a pas été observée jusqu’à son trentième anniversaire. Il n’en est pas moins révélateur de la forte tendance récente à privilégier la cohabitation intergénérationnelle au-delà de 25 ans, voire de 30 ans. Les provinces s’illustrant le plus dans le creuset de cette tendance sont l’Ontario et la Colombie-Britannique alors que la plus faible proportion de jeunes encore à la maison à 30 ans se retrouve au Québec malgré un échelonnement plutôt lent du rythme des départs.
Les pourcentages concernant la cohorte 1972-81 sont des estimations tenant compte du fait que tous les individus de ces cohortes ne sont pas observés jusqu’à leur 30ème anniversaire.
Il est également possible de noter une tendance à l’accroissement du nombre de jeunes femmes demeurant au domicile familial jusqu’à 30 ans bien que la réduction de l’intensité des départs féminins ne soit en rien comparable à celle des départs masculins. À l’échelle canadienne, l’augmentation de la proportion de jeunes femmes cohabitant de façon prolongée n’est que de 4,2 % entre la première et la dernière cohorte considérées et le pourcentage caractérisant les générations féminines 1972-81 est à peine supérieur de 2,7 % à celui de la cohorte masculine 1942-51. La décomposition par province de l’intensité du phénomène révèle des tendances similaires à celles précédemment observées pour les hommes : les jeunes femmes sont plus nombreuses à demeurer chez leurs parents après 30 ans en Ontario et en Colombie-Britannique et plus enclines à quitter le nid familial au Québec. Le cas des Prairies est toutefois éloquent en ceci qu’il marque un changement de comportements entre la cohorte 1962-71 et celle de 1972-81 (la proportion de jeunes femmes demeurant au foyer jusqu’à 30 ans double presque en passant de 8,4 % à 14,8 %) de même qu’un rapprochement entre l’intensité des départs féminins et masculins (respectivement 14,8 % et 16,9 %). Faut-il déceler là un effet de la convergence des motifs liés au départ des individus des deux sexes dans les trois provinces appartenant à cette région canadienne ? En vérité, et nous examinerons le problème de façon plus détaillée au cours de la prochaine section, la connaissance des motifs de prolongement de la cohabitation s’avérerait autant, sinon plus éclairante que celle des motifs de décohabitation pour répondre à cette question. Malheureusement, l’on songe rarement dans les enquêtes à poser des questions sur les phénomènes qui s’inscrivent dans la continuité car il semble préférable d’expliquer les changements et, partant, les trajectoires de vie. Il n’empêche que la stabilité dans un état particulier est également affaire de trajectoire et qu’il n’est pas plus insensé de poser la question « pourquoi êtes-vous resté ? » plutôt que celle « pourquoi êtes-vous parti ? ». Or, en l’absence d’une telle source d’information, c’est toute une partie de la réponse qui se trouve occultée.
Les destinations au départ
Les figures 3 et 4 de même que le tableau 3 donnent un aperçu de la popularité relative des principaux motifs de décohabitation par sexe pour chacune des cohortes à l’étude. Si nous avons pu remarquer précédemment certaines différences d’intensité et de calendrier entre cohortes, nous constaterons ici que la variation observée en termes de « destinations » au départ révèle une sensibilité tout aussi importante aux clivages dus au genre et à la province de résidence qu’à celui attribuable à la cohorte de naissance.
Commençons par le cas des femmes, avec la figure 3 qui présente, pour l’ensemble du Canada, la distribution des motifs de départ selon la cohorte de naissance. À l’échelle canadienne, pour les trois cohortes les plus âgées, la raison qui s’avère la plus commune afin de justifier le premier départ du foyer parental est la formation d’une union. Il va sans dire que l’immense majorité des unions auxquelles il est fait référence ici sont en fait des mariages. Il n’est toutefois pas exclu que les départs les plus récents, c’est-à-dire ceux ayant eu lieu dans les années 1980 et 1990, concernent des unions libres et ce, plus particulièrement dans le cas du Québec. Même si, au niveau canadien, cette seule destination totalise la moitié des cas féminins pour les générations 1942-51, on remarque au tableau 3 que ce sont près de deux femmes sur trois (64,4 %) au Québec qui quittaient le domicile familial dans le but de se marier (ou, à tout le moins, de s’établir en couple). En revanche, à peine le tiers des femmes originaires des Prairies adoptaient un comportement similaire en raison, principalement, de la popularité déjà grande d’une destination alternative : la poursuite d’études post-secondaires. Notons également que 19 % de ces dernières ont déclaré avoir quitté leur foyer d’origine dans le but de travailler, proportion qui n’est surpassée ailleurs au pays que par les femmes des provinces atlantiques. En dernier lieu, on ne peut passer sous silence le cas particulier de la volonté d’indépendance qui caractérise déjà plus d’une femme sur quatre en Colombie-Britannique. À la lueur de tels résultats, il est tentant de conclure que les comportements moins traditionnels relatifs au processus d’acquisition de l’autonomie résidentielle chez les femmes ont pour origine la partie occidentale du pays.
La formation d’une union s’affirme encore comme le motif le plus invoqué pour ce qui concerne le groupe de générations suivant. On assiste en revanche à une augmentation très notable et généralisée du recours à la volonté d’indépendance pour justifier les départs féminins (voir la figure 3). Encore loin du peloton de tête à l’échelle du pays, ce motif de décohabitation qui, à la différence des autres, ne coïncide a priori avec aucun événement tangible du cycle de vie, occupe cependant la première place en Colombie-Britannique. Il se retrouve au second rang partout ailleurs au Canada sauf au Québec où plus d’une femme sur deux part pour former un couple via le mariage ou l’union libre (tableau 3). À ce titre, la popularité croissante de la volonté d’indépendance en tant que raison principale du départ du domicile familial engendre une diminution de près de 5 % de la catégorie « études » dans les Prairies. Cette catégorie se maintient toutefois au-delà de la barre des 20 % dans cette région, de même que dans les Maritimes où elle connaît l’augmentation la plus appréciable.
C’est véritablement au sein de la cohorte 1962-71, dont la majorité des membres ont vécu le départ du foyer parental au cours des années 1980 et de la première moitié de la décennie 1990, que le désir d’indépendance est devenu le principal motif de décohabitation des jeunes femmes partout au Canada, à l’exclusion du Québec et de l’Ontario où il figure au second rang après la formation d’unions. Il importe cependant de mentionner que c’est au cours de la décennie 1980 que l’union libre a connu une très large diffusion au Québec et que la formation d’un couple y était sans doute beaucoup moins contraignante qu’ailleurs. Il n’est d’ailleurs pas illogique de penser que, dans le cas particulier du Québec, volonté d’indépendance et formation d’une union libre ne sont pas nécessairement des alternatives mutuellement exclusives, l’absence relative de contraintes sociales s’exerçant sur la co-résidence des jeunes couples permettant, le cas échéant, la réalisation simultanée de ces deux objectifs. De façon concomitante à la progression du désir d’indépendance, on note un accroissement similaire des études en tant que destination au départ, l’Ontario ravissant même la première place aux Prairies et aux Maritimes dans ce domaine, en raison notamment d’un gonflement du pourcentage relié au travail dans ces provinces.
En ce qui a trait à la cohorte la plus jeune, elle est en parfaite continuité avec la précédente : prédominance de la volonté d’indépendance (près du tiers des Canadiennes et de la moitié des jeunes femmes en provenance de la Colombie-Britannique) et progression de la catégorie « études », cette dernière se retrouvant même au premier rang dans les provinces atlantiques et en Ontario. Encore une fois, ce résultat tient peut-être en partie au fait que les femmes âgées de 20-29 ans en 2001 n’ont pas toutes été observées jusqu’à leur trentième anniversaire. Notons que le Québec occupe toujours la première place en matière de formation d’unions en dépit de la chute prononcée du pointage de cette catégorie et qu’il franchit finalement la barre des 20 % en ce qui concerne la poursuite d’études post-secondaires.
Chez les hommes, les deux cohortes les plus âgées présentent une plus grande hétérogénéité en termes de destinations au départ en raison principalement de la relative importance du travail en tant que motif de décohabitation. Bien que ce dernier ne décroche la première place que dans les provinces de l’Atlantique au sein de la cohorte 1942-51, il se retrouve bon deuxième, après le mariage, partout ailleurs au Canada sauf en Colombie-Britannique où le désir de mener une vie indépendante constitue déjà le motif dominant avec une popularité relative de plus de 30 % (tableau 3). Étant donné que, dans cette province, seulement 19,3 % des départs masculins au sein de cette cohorte sont attribuables à la formation d’une union (contre 42,1 % chez les femmes), il est permis de supposer que les changements de norme en matière de décohabitation ont affecté les comportements masculins avant les comportements féminins en Colombie-Britannique. Par contre, ces changements ne sont pas homogènes dans toute la partie occidentale du Canada car les résultats concernant les Prairies révèlent tout autre chose : les hommes de cette cohorte ont quitté le nid familial dans des proportions similaires pour le travail, la formation d’union ou par besoin d’indépendance (obtenant tout de même une proportion relativement plus faible que les femmes dans le cas de l’union et plus forte que celles-ci dans celui de l’indépendance). Il n’en demeure pas moins que les femmes de cette cohorte, originaires des Prairies, sont également source d’innovation en matière de motifs de décohabitation car elles sont presque aussi nombreuses à quitter le domicile familial dans le but d’étudier que dans celui de se marier!
Le délaissement progressif de l’union comme raison au départ se fait par ailleurs sentir dès la cohorte suivante où, encore une fois, seul le Québec fait figure d’exception. On constatera toutefois que la formation d’unions demeure plus populaire comme destination immédiate que le travail rémunéré qui se classe bon troisième à l’échelle canadienne (figure 3). Il n’en est pas moins très populaire chez les hommes des Maritimes où il arrive deuxième (23,8 %) après la formation d’union (28,1 %) mais avant la volonté d’indépendance (21,5 %; tableau 3). À cet égard, les comportements de décohabitation des hommes de cette cohorte, originaires des provinces atlantiques, ressemblent étrangement à ceux des hommes de la cohorte précédente qui résidaient dans les Prairies.
Enfin, les deux cohortes les plus jeunes suivent la tendance précédemment observée chez les femmes et caractérisée par une montée en flèche du désir d’indépendance, principalement dans l’ouest du pays, puis d’une progression subséquente des départs liés aux études, particulièrement notable en Ontario. Au Québec, un plus fort pourcentage de jeunes hommes quittent le nid familial pour former un couple par rapport aux autres provinces mais cette proportion demeure toutefois très en deçà de celle observée chez les jeunes Québécoises. Les départs relatifs au travail sont, quant à eux, beaucoup plus fréquents chez les hommes des Maritimes et n’accusent aucune perte de popularité dans cette région entre les cohortes 1962-71 et 1972-81.
Les retours
Intensité et calendrier
Les figures 5 et 6 présentent, pour les femmes et les hommes qui ont quitté une première fois le foyer parental, la proportion cumulée de ceux qui étaient revenus vivre chez leurs parents à 20, 25 et 30 ans selon la cohorte de naissance. On observe une progression régulière au fil des cohortes de l’intensité de ces retours et ce, plus nettement à partir de l’âge de 25 ans. Ainsi, le pourcentage d’hommes ayant effectué un retour vers le milieu familial à 25 ans fait plus que doubler en 30 ans, passant de 10 % dans la cohorte 1942-46 à plus de 25 % dans celle de 1972-76 (figure 6). Il atteint près de 40 %[8] dans la cohorte 1977-81, mais ce pourcentage risque d’être surestimé, étant donné que les hommes qui ont quitté tôt le domicile parental et sont donc les plus susceptibles d’y retourner, sont surreprésentés au sein de cette cohorte âgée d’à peine 20-24 ans au moment de l’enquête.
À la différence des départs où un effet de genre était clairement identifiable, les retours semblent évoluer dans la direction d’une relative homogénéité intersexe. Bien que les figures 5 et 6 soient révélatrices à propos des différences entre les sexes en matière d’intensité des retours à l’échelle canadienne, le tableau 4 montre que les particularités régionales sont les mêmes chez les hommes et les femmes. Dès la cohorte 1942-51, on remarque la plus grande prédisposition qu’avaient les jeunes à effectuer un retour au domicile familial dans les deux extrémités du pays, soit dans les provinces atlantiques et en Colombie-Britannique. Cette tendance régionale se maintient au sein des groupes de générations suivants pour lesquels on observe également une croissance de l’intensité des retours dans les Prairies et en Ontario. Ces provinces obtiennent d’ailleurs un pourcentage estimé de retours supérieur à celui de la Colombie-Britannique pour la cohorte la plus récente, ce qui est peut-être lié à l’importance des études comme motif de départ dans ces deux régions. Fait notable, pour l’ensemble des cohortes considérées, le Québec demeure très en deçà de la moyenne canadienne.
Les pourcentages à 25 et 30 ans relatifs à la cohorte de naissance 1972-81 sont des estimations tenant compte du fait que tous les individus de ces cohortes ne sont pas observés jusqu’à leur 30ème anniversaire.
Il est tentant d’établir un lien entre la popularité de l’union libre chez les jeunes Québécois et leur plus faible propension à effectuer un retour vers le milieu familial. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, c’est au Québec que la formation d’union est invoquée en plus grande proportion dans le but de justifier le premier départ du domicile familial et ce, pour tous les groupes de générations concernés. Les départs, légèrement plus tardifs dans cette province, semblent par ailleurs refléter une véritable forme d’indépendance résidentielle associée dans une plus forte proportion à la co-résidence conjugale. En revanche, les provinces caractérisées par des départs plus précoces, souvent motivés par la poursuite d’études, voire le simple désir de mener une vie indépendante, seraient associées à un contexte de semi-autonomie résultant en un nombre plus élevé de retours.
On peut bien sûr arguer que les unions libres qui ont caractérisé et caractérisent toujours l’entrée dans la vie adulte des jeunes Québécois sont relativement instables (voir Dumas et Bélanger, 1997) et qu’elles ne sauraient correspondre sur le plan conceptuel à l’indépendance résidentielle associée à la nuptialité dont parlent Goldscheider et Goldscheider (1993). Cet argument n’est sans doute pas infondé puisque, comme nous le verrons plus loin, les ruptures d’unions occupent une place importante en tant que motifs de retour au Québec, ce qui n’est absolument pas le cas dans les autres provinces. Il n’en demeure pas moins que les résultats sont là : le pourcentage de Québécois(es) ayant effectué un premier retour à chaque âge rond est inférieur à celui des jeunes issus d’autres provinces, quelle que soit la cohorte considérée.
Quoi qu’il en soit, il apparaît clairement que la progression observée de l’intensité des retours demeure liée à celle des départs justifiés par la poursuite d’études et la volonté de mener une vie indépendante. On notera à ce propos une forte similitude entre les sexes en ce qui concerne les proportions de retours à chaque âge (comparer les figures 5 et 6), ce qui est quelque peu surprenant si l’on prend en considération les différences marquées que l’on observait dans le cas du premier départ. Il faut probablement voir là une confirmation du contexte généralisé de semi-autonomie qui semble être devenu caractéristique de l’axe résidentiel du passage à l’âge adulte depuis que la formation d’unions et, a fortiori, le mariage ne figurent plus au panthéon des principaux motifs de décohabitation.
Bien que l’intensité des retours progresse d’une cohorte à l’autre, on notera que leur calendrier demeure relativement constant au fil du temps, du moins en ce qui concerne les jeunes femmes. Ainsi, la proportion de retours effectués avant le vingtième anniversaire de naissance représente environ 40 % du nombre de premiers retours vécus avant l’âge de 30 ans alors que celle à 25 ans se situe entre 85 % et 90 % du même total. En revanche, dans le cas des jeunes hommes, la proportion de retours effectués à 20 ans a quelque peu décru au fil des cohortes alors que celle à 25 ans représente généralement moins de 85 % du nombre total de retours vécus à 30 ans. Le calendrier des retours est donc sensiblement plus lent chez les hommes, particulièrement en ce qui a trait aux retours effectués au cours des âges suivant immédiatement la fin de l’adolescence. Il n’y a à cela rien de bien surprenant si l’on considère que ce calendrier est tributaire de celui des départs qui, en raison de son allongement, laisse peu de place aux retours précoces.
Les motifs de retour
Une tentative de catégorisation des retours selon le motif invoqué est présentée dans les figures 7 et 8 de même que dans le tableau 5[9]. En raison de la relative rareté du phénomène, les cohortes ont été fusionnées en groupes de vingt générations afin d’éviter les problèmes afférents aux faibles effectifs lors du recoupement avec la cohorte de naissance et la province de résidence. La catégorie « raisons liées à l’emploi » concerne la perte d’emploi proprement dite ainsi que les changements d’emploi ou les transferts d’ordre professionnel. La catégorie « insécurité financière » implique par conséquent que le retour a été motivé par une situation de précarité économique non liée à une perte d’emploi. La catégorie « études », quant à elle, comprend les raisons suivantes : obtention du diplôme convoité, abandon scolaire, fin de semestre et changement d’établissement. Finalement, la catégorie « autre » est composée de tous les motifs suivants : fin de la participation à des activités militaires (guerre, service), raisons familiales (changement dans la situation familiale du ménage d’origine, mort ou maladie d’un membre de la famille, demande de retour émanant d’un parent, etc.), raisons liées à la santé des individus, volonté de retour (solitude, ennui, expérience décevante ou traumatisante, ...) ainsi que toute autre raison non spécifiée. On remarquera d’emblée que cette dernière catégorie est beaucoup plus populaire que dans le cas des départs. Elle obtient même le premier rang en ce qui concerne les retours effectués par les Québécois des deux sexes des générations 1942-61 (tableau 5) et arrive ex aequo avec les études pour l’ensemble des femmes canadiennes des générations 1962-81 (figure 7).
Une telle situation est révélatrice quant à la nature même des retours qui s’avèrent plus sensibles aux variations interindividuelles et, conséquemment, plus rébarbatifs à une quelconque tentative d’analyse typologique. Certaines configurations régionales sont néanmoins identifiables. Ainsi, sans grande surprise, une forte proportion (33,3 %) des hommes originaires des Maritimes nés entre 1942 et 1961, dont un grand nombre quittaient le foyer familial pour des raisons liées à l’emploi, reviennent pour cause de perte d’emploi (tableau 5). Au sein des mêmes cohortes, 27 % des Québécois qui ont effectué un retour l’ont fait pour cause de rupture d’union. La spécificité du Québec eu égard au statut de l’union libre contribue sans doute fortement à un tel état de fait. Pour ce qui est des autres provinces, les retours y sont généralement liés en proportions à peu près égales aux trajectoires scolaires et à l’insécurité financière. Ce sont par ailleurs ces deux catégories qui sont les plus souvent évoquées au sein des groupes de générations suivants puisqu’au niveau canadien, environ 60 % des retours sont motivés par des raisons liées aux études ou à la précarité économique (figure 8).
Les retours féminins présentent, quant à eux, certaines spécificités. Tout d’abord, chez les générations 1942-61, on remarque une proportion nettement supérieure de retours justifiés par la perte d’emploi dans l’est du pays (16,6 % et 18,0 % respectivement dans les Maritimes et au Québec) par rapport aux autres provinces, bien que ce motif de retour n’arrive qu’au troisième rang après les trajectoires scolaires et les autres raisons (tableau 5). Un pourcentage important de cette dernière catégorie étant attribuable aux raisons familiales, il est permis de supposer que les cas de retours motivés par la nécessité qu’éprouvaient les membres du ménage d’origine de recevoir une quelconque assistance de la part de leur fille se sont également avérés plus fréquents dans la partie orientale du pays que dans les autres provinces[10]. En ce qui concerne les autres motifs de retour, les études occupent le premier rang en Ontario et dans les Maritimes (principalement à cause de la cohorte 1952-61), et l’insécurité financière joue un rôle de premier plan en Colombie-Britannique et dans les Prairies.
Les femmes nées entre 1962 et 1981 ont, quant à elles, effectué la plupart de leurs retours pour des raisons liées à leurs trajectoires scolaires à deux exceptions près : la Colombie-Britannique dont le principal motif de retour est l’insécurité financière (33,3 % des cas) et le Québec où 43 % des retours relèvent de la rupture d’union. Dans le premier cas, il est aisé de dresser un parallèle entre une forte proportion de départs motivés par la volonté d’indépendance des jeunes femmes et un pourcentage élevé de retours attribuables à des problèmes financiers. Le second cas reflète, quant à lui, l’instabilité des premières unions libres dans lesquelles se sont engagées les jeunes Québécoises au cours des années 1980-90. Si, dans cette province, les femmes ont été plus nombreuses que les hommes à invoquer la formation d’union en tant que motif de décohabitation, elles auront également été plus sujettes à rentrer au bercail pour cause de rupture d’union. Un tel constat sème le doute à propos de la supposée équivalence entre formation d’union et indépendance résidentielle formelle. Sans aucun doute, la première union libre telle qu’expérimentée par les femmes appartenant aux cohortes les plus récentes n’a pas la même signification contextuelle que le mariage des femmes issues des générations précédentes.
Durée moyenne écoulée entre le premier départ et le premier retour
Le tableau 6 présente la durée moyenne du premier épisode d’indépendance résidentielle pour les individus ayant effectué un retour vers le milieu familial. Les distributions de ces durées étant aplaties, nous présentons ici les écarts-types, entre parenthèses, afin de donner une idée de la dispersion de ces variables.
On remarque que, de façon générale, les femmes tendent à revenir au domicile familial après une période d’éloignement légèrement plus longue que les hommes. Seule la cohorte 1962-71 fait figure d’exception et l’apparente homogénéité qu’on y décèle semble aller de pair avec une certaine similarité observée entre les deux sexes relativement aux motifs de décohabitation et de retour.
L’évolution de cette durée ne permet pas réellement de déceler une véritable tendance vers un raccourcissement ou une prolongation de la période d’« autonomie » des jeunes au fil des cohortes car les longues durées caractérisant la cohorte la plus récente sont probablement attribuables au fait que tous les individus ne sont pas observés jusqu’à leur 30ème anniversaire plutôt qu’à une particularité de cette cohorte[11]. On note quand même la spécificité du Québec où les retours, tant masculins que féminins, en plus d’être moins fréquents, semblent survenir après une période de vie autonome plus longue. Faut-il voir là un effet de l’union libre qui prolongerait la durée d’indépendance résidentielle des Québécois par rapport à celle de leurs compatriotes qui ont quitté le nid familial pour d’autres raisons ? Sans doute cet argument constitue-t-il une partie de l’explication en ce qui concerne les cohortes les plus jeunes (particulièrement dans le cas des femmes dont les ruptures d’unions constituent le principal motif de retour). Il est cependant difficile d’interpréter les situations liées aux retours des deux cohortes les plus âgées car : 1) les retours y sont moins fréquents; 2) la durée moyenne du premier épisode d’indépendance résidentielle des jeunes Québécois nés entre 1952-61 n’excède pas la moyenne canadienne contrairement à ce que l’on observe au sein des autres cohortes; 3) la catégorie de motifs de retour la plus invoquée par les jeunes de ces générations est la catégorie « autres », ce qui ne fournit pas beaucoup d’indications quant aux trajectoires biographiques des individus, sinon qu’elles sont soumises à une forte variabilité interindividuelle.
Certaines comparaisons intersexes sont tout de même révélatrices quant aux différences concernant les motifs de décohabitation ou de retour. Par exemple, au sein de la cohorte 1942-51 en Colombie-Britannique, la principale raison du départ des femmes était l’union alors que celle des hommes était le désir d’indépendance. Or, la différence absolue entre leurs durées moyennes est de près d’un an et demi (3,3 ans contre 1,9 ans; tableau 6), ce qui est à la fois élevé et plutôt indicatif du caractère moins formel et irréversible des départs effectués par volonté d’indépendance. Pour la même cohorte, chez les jeunes originaires des Maritimes, on note un écart d’un an entre les durées d’éloignement des deux sexes (avec toutefois un écart-type plus élevé chez les hommes). Lorsque l’on sait que les hommes reviennent principalement pour des raisons liées à la précarité de leur emploi et que le principal motif de retour des femmes a à voir avec leur cheminement scolaire, on comprend mieux que celles-ci s’éloignent en moyenne trois ans, soit la durée approximative d’une formation technique professionnelle ou d’un premier cycle universitaire.
Nombre moyen de départs par individu
Indice d’intensité rarement disponible, le nombre moyen de départs par individu permet non seulement de mesurer l’ampleur du phénomène étudié mais rend également possible l’établissement d’un lien entre les tendances provinciales en matière d’intensité et de calendrier, d’une part, et celles des motifs de décohabitation, d’autre part. De plus, puisqu’il était demandé aux répondants de déclarer le nombre total de fois où ils avaient quitté le foyer parental, cet indice fournit une estimation indirecte de la propension au retour des jeunes vers le milieu familial. On retrouve dans le tableau 7 ces nombres moyens de même que les écarts-types qui y sont associés. En raison des distributions généralement asymétriques et leptocurtiques du nombre de départs, les mesures de dispersion que sont les écarts-types s’avèrent souvent plus éclairantes que les moyennes elles-mêmes.
Premier constat : on remarque une homogénéité généralisée à l’échelle canadienne tant chez les hommes que chez les femmes pour les générations 1942-51. La grande majorité des membres de cette cohorte n’ont quitté le foyer parental qu’une seule fois, d’où une moyenne très près de 1. Les écarts-types plus faibles chez les femmes indiquent que les cas de retours étaient tout de même plus fréquents chez les hommes. Il n’y a rien de très surprenant dans ces résultats : la majeure partie des gens quittaient le domicile familial dans le but de se marier ou de travailler. L’investissement dans un couple et, subséquemment, une famille tout comme la participation au marché du travail ont fort probablement agi comme des facteurs contribuant à l’amenuisement de la probabilité de retour des hommes et des femmes.
Une certaine forme de régionalisation de l’intensité des départs est observable chez les hommes dès la cohorte 1952-61, et chez les femmes à partir de la cohorte 1962-71. Il est aisé de remarquer que, pour toutes les cohortes successives, le nombre moyen de départs du domicile familial dans les provinces des Maritimes et des Prairies se situe sensiblement au-dessus de la moyenne canadienne. Dans le cas particulier des Prairies, l’on peut mettre sur le compte de la précocité du calendrier du premier départ cette plus forte propension aux allers-retours, la littérature sur le sujet suggérant effectivement l’existence d’un lien entre précocité du départ et probabilité de retour (Beaupré et al., 2006b; Gee et al., 1995; Young, 1987). Il est également possible de penser que les départs, tant masculins que féminins, effectués dans la majorité des cas par volonté d’indépendance ou pour la poursuite d’études sont plus aisément assimilables à ce que Goldscheider et Goldscheider (1993) nommaient l’indépendance résidentielle prénuptiale. Cette dernière constitue, en effet, une forme de semi-autonomie plus propice à générer des retours au domicile familial que l’indépendance nuptiale proprement dite. Le cas particulier de la Colombie-Britannique pour les générations féminines 1952-71 viendrait alors renforcer cette interprétation puisque c’est dans cette province que les jeunes femmes appartenant à ces générations ont le plus souvent évoqué le désir d’indépendance afin de justifier leur premier départ.
Le cas des Maritimes est sensiblement différent dans la mesure où seul le calendrier féminin de l’âge au premier départ témoigne d’une certaine précocité. Or, le nombre moyen de départs est supérieur à la moyenne nationale chez les deux sexes. Sans doute doit-on voir là un effet de la précarisation du marché de l’emploi dans les provinces atlantiques au cours des décennies 1980-90, la popularité du travail en tant que destination étant de loin plus marquée dans cette région que dans les autres provinces canadiennes. On peut également déceler un effet concomitant de la volonté d’indépendance des jeunes qui, comme partout au Canada, a connu une certaine progression dans les Maritimes.
En dernier lieu, mentionnons le nombre important d’individus n’ayant jamais effectué un premier départ au sein de la cohorte 1972-81, qui fait en sorte que certaines provinces obtiennent une moyenne inférieure à un départ. Surtout notable chez les jeunes hommes, ce constat n’en concerne pas moins les deux sexes en Ontario et au Québec. Dans le premier cas, le caractère tardif du calendrier du premier départ est très certainement en cause; dans le second, ce sont les retours qui s’y font plus rares.
Synthèse et conclusion
À la lueur des observations issues des statistiques descriptives, il est possible de dégager quelques grandes tendances reliées au processus d’acquisition de l’autonomie résidentielle au Canada.
Premièrement, on assiste à un allongement généralisé du calendrier des départs du foyer parental, particulièrement en ce qui concerne ceux ayant lieu après l’âge médian au départ.
Deuxièmement, la proportion de jeunes encore établis au domicile familial à 30 ans augmente d’une cohorte à l’autre. Cette augmentation est plutôt faible chez les jeunes femmes et beaucoup plus importante chez les jeunes hommes.
Troisièmement, les motifs de décohabitation invoqués sont passés de la formation d’unions (et du travail dans les Maritimes) à la poursuite d’études et à la volonté d’indépendance. Cette tendance a clairement évolué d’ouest en est au fil des cohortes.
Quatrièmement, l’intensité des retours a considérablement progressé d’une cohorte à l’autre. En revanche, leur calendrier demeure relativement constant de même que le temps moyen écoulé entre le premier départ et le premier retour.
Cinquièmement, les retours sont plus malaisés à catégoriser en fonction des motifs allégués. On note cependant qu’à l’exception des tendances régionales caractéristiques de l’est du pays (perte d’emploi, ruptures d’unions, raisons familiales), les principales raisons évoquées étaient, dans une majorité de cas, liées aux trajectoires scolaires des individus ou à l’insécurité financière.
Quelles conclusions pouvons-nous tirer de ces constatations ? Tout d’abord, il semble raisonnable d’avancer que le Canada tend à se diriger de plus en plus vers un contexte généralisé de dépendance des jeunes envers leurs parents. On distingue ceux qui partent tôt, principalement dans le but de poursuivre des études, et qui courent de fortes chances de rentrer au bercail à une étape quelconque de leur cheminement scolaire (fin de semestre académique ou obtention du diplôme) de ceux qui partent plus tard et sont en train de forger une nouvelle norme en matière de calendrier de la décohabitation. Dans une bonne proportion de cas, le début de la vingtaine est donc marqué soit par une autonomie partielle, soit par une dépendance totale sur le plan résidentiel. Cet état de fait est en grande partie imputable à la démocratisation des études post-secondaires de même qu’au prolongement de leur durée. Cependant, les individus qui quittent par simple volonté d’indépendance courent eux aussi un risque élevé de devoir retourner chez leurs parents pour cause d’insécurité financière, non pas parce que les chances qu’ils perdent leur emploi sont élevées mais tout simplement parce que mener une vie indépendante coûte cher.
Il faut dire que, depuis que la formation d’unions n’est plus qu’un motif marginal de décohabitation, les conditions de logement des jeunes sont devenues plus précaires dans la mesure où ils doivent recourir à des stratégies résidentielles qui concourent à les maintenir dans un état de semi-autonomie (hébergement dans des maisons de chambres ou des résidences universitaires, dépendance financière envers les parents) ou d’instabilité (colocation) qui accroît leur probabilité de devoir retourner au foyer parental (voir Molgat, 1997; 1999). Le cas du Québec où la proportion de départs liés à la formation d’unions est tout de même supérieure à celle des autres provinces en raison de la forte popularité de l’union libre s’avère illustratif quant au lien entre conjugalité et autonomie résidentielle. Certes, ces unions sont plus instables que les mariages et les dissolutions qui en résultent comptent pour un pourcentage non négligeable des motifs de retour. Un fait demeure cependant : elles vont de pair avec des départs plus tardifs et une moindre propension au retour. À cet égard, nous pouvons suggérer l’hypothèse que le Québec, du moins en ce qui concerne les premiers départs féminins, occupe une position intermédiaire entre l’indépendance résidentielle nuptiale définitive dont parlent Goldscheider et Goldscheider (1993) et la semi-autonomie résidentielle observée dans les autres provinces, laquelle est liée principalement aux départs motivés par la poursuite d’études et la volonté d’indépendance.
Et, de façon plus globale, qu’est-ce que cela nous apprend sur la jeunesse ? En réponse au clin d’oeil de Bourdieu qui n’y discernait qu’un épiphénomène, qu’un concept englobant servant à chapeauter un amalgame hétéroclite de champs sociaux dont chacun possède ses propres lois spécifiques, nous pouvons simplement rétorquer que, si l’on appréhende la jeunesse par le biais du franchissement des bornes jalonnant l’entrée dans la vie adulte comme l’a fait Galland (1991), elle est bien réelle et plus visible que jamais. Et elle a pour caractéristique principale une lenteur prononcée et statistiquement généralisée à franchir les bornes en question. Cela est vrai pour l’axe scolaire/professionnel, pour l’axe conjugal/familial et même pour l’axe résidentiel à l’intérieur duquel l’acquisition de l’indépendance définitive semble passer de façon de plus en plus naturelle par une prolongation des périodes de dépendance et de semi-autonomie.
Parties annexes
Notes
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[*]
Cette recherche a bénéficié de l’appui financier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). Les auteurs remercient Pascale Beaupré, analyste de Statistique Canada, pour ses judicieux conseils en regard de l’analyse du départ des enfants du foyer parental à partir des données de l’Enquête sociale générale de 2001. Les analyses ont été réalisées au Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales (CIQSS), qui procure aux chercheurs un accès aux microdonnées détaillées des enquêtes de Statistique Canada. Les opinions exprimées par les auteurs n’engagent qu’eux-mêmes.
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[1]
Avant l’Enquête rétrospective sur la famille de 2001, deux autres cycles de l’Enquête sociale générale ont comporté des informations relatives au départ du foyer parental. Ainsi, l’article de Lapierre-Adamcyk et al. (1995) repose sur des analyses menées à partir des données issues du cycle 5 (1990) sur la famille et les amis et celui de Beaupré et Le Bourdais (2001) se fonde sur des résultats provenant du cycle 10 (1995) sur la famille. L’analyse détaillée des retours n’est en revanche devenue possible qu’à partir du cycle 15.
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[2]
Les résultats tirés de l’information relative au dernier départ ne seront pas présentés ici pour trois raisons principales. En premier lieu, des départs de différents rangs se retrouvent amalgamés sous l’étiquette « dernier départ ». Deuxièmement, une telle information ne concerne que le dernier départ au moment de l’enquête et il y a donc possibilité qu’il ne s’agisse que d’un départ intermédiaire dans le cas des répondants dont la trajectoire biographique résidentielle était incomplète au moment où ils ont été interviewés. Finalement, d’un point de vue sociologique, la signification du premier départ revêt une plus grande importance dans la mesure où l’on conçoit que le changement de statut vécu par les individus (dépendance ( indépendance) s’opère au moment du premier départ. En ce sens, le premier départ constitue un marqueur biographique de premier plan en dépit de la réversibilité potentielle du nouveau statut acquis.
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Puisque nous ne nous intéressons qu’aux départs affectant des ménages établis sur le territoire canadien, les répondants ayant fourni une réponse positive à cette catégorie ont été retirés de l’échantillon sous étude.
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En fait, il aurait été possible d’éliminer les départs dont la durée a été très courte dans les cas où la date du retour est connue mais, en l’absence d’indication précise au sujet d’une durée minimale dans le questionnaire, nous avons jugé qu’il n’y avait pas là erreur de mesure et nous nous sommes bornés à éliminer les cas où il y avait simultanéité parfaite entre le départ et le retour. En ce qui concerne les retours, bien que certains puissent ne correspondre qu’à une durée très courte, nous avons également jugé bon de les conserver car nous croyons que les raisons invoquées pour les justifier s’avèrent éclairantes quant à leur nature. Par exemple, un retour de deux mois dû à la fin d’un semestre académique correspond à une réalité sociale précise, c.-à-d. le fait que de nombreux étudiants retournent passer l’été chez leurs parents entre deux années scolaires. De telles situations constituent près de 20 % de notre échantillon total de retours, cohortes et sexes confondus, et ne sauraient être éliminées des analyses sans risque sérieux d’un biais de sélection défavorable aux cas de semi-autonomie.
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Si nous ne considérions que les retours qui ont eu lieu avant l’âge de 30 ans, nos effectifs seraient respectivement composés de 1633 femmes et de 1373 hommes. Cependant, par souci d’éviter les problèmes liés aux faibles tailles d’effectifs lors du croisement avec la cohorte de naissance et la province de résidence, nous considérerons l’ensemble des cas de retours lors de l’analyse des motifs qui y sont reliés.
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C’est en fait le cas de tous les individus âgés de moins de 30 ans au moment de l’enquête qui n’avaient pas encore quitté le domicile familial au moins une fois lorsqu’ils ont été interviewés.
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Ces quartiles sont calculés en utilisant la totalité des individus à risque (tous les membres d’une cohorte donnée) et non pas uniquement ceux qui ont effectué un premier départ.
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Un pourcentage de près de 40 % peut sembler excessif mais il s’agit en fait du pourcentage de retours effectués par des jeunes ayant déjà quitté le foyer parental. Si l’on considère qu’au sein de la cohorte 1977-81, 54,5 % des jeunes hommes avaient quitté le foyer parental à l’âge de 25 ans et, que de ce nombre, 39,2 % ont effectué un premier retour avant l’âge de 25 ans, l’on se retrouve avec un total de 21,4 % de l’ensemble des hommes de la cohorte ayant réellement effectué un retour avant l’âge de 25 ans.
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Encore une fois, les réponses fournies par les répondants contiennent une certaine part de subjectivité. Ainsi, un retour favorisé par un contexte de recherche d’emploi consécutif à l’obtention d’un diplôme peut être déclaré, selon le répondant, comme étant justifié par la fin des études, l’insécurité financière ou une « raison liée à l’emploi ». Nous avons ici simplement distingué quatre grands axes (travail, études, union, pauvreté) et une catégorie résiduelle (autre).
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Il est intéressant de noter que la catégorie « autres » comprend plus de retours motivés par des raisons familiales au Québec et dans les Maritimes où les femmes de ces générations quittaient principalement pour aller travailler et former des unions alors que la volonté de retour est surtout représentée dans les provinces de l’Ouest où un grand nombre de départs ont été justifiés par le désir d’indépendance.
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Les problèmes propres aux trajectoires biographiques incomplètes jouent ici sur deux plans : celui du premier départ et celui du premier retour. On assiste par conséquent à une surreprésentation des cas les plus susceptibles d’avoir vécu les deux événements avant la fin de la vingtaine, soit ceux qui ont quitté très jeunes le domicile familial et ceux dont l’âge avoisinait l’âge limite de 30 ans au moment de l’enquête.
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