Résumés
Résumé
La pratique du confiage d’enfants peut-elle servir à niveler les inégalités scolaires en Afrique ? Nous postulons que cet effet de nivellement dépend de trois paramètres du confiage, à savoir sa prévalence, sa distribution et son effet bénéfique sur l’éducation des enfants confiés. Nous utilisons des biographies familiales pour évaluer ces trois paramètres au Cameroun. On constate que, bien que le confiage reste courant, son effet sur la réduction des inégalités scolaires est limité, puisque, en termes d’accès et en termes d’impact scolaire, cette pratique ne profite pas d’abord aux plus pauvres. Ces résultats laissent croire que les politiques de réduction des inégalités scolaires en Afrique ne peuvent pas miser exclusivement sur les solidarités informelles mises en oeuvre à travers le confiage.
Abstract
Can the practice of child fostering help to level out educational inequalities in Africa? The authors of this study hypothesize that this levelling effect is dependent on three parameters of child fostering, that is, its prevalence, distribution, and beneficial effect on the education of fostered children. The researchers use family histories to evaluate these three parameters in Cameroon. They find that, although fostering is still common, it has only a limited effect in reducing educational inequalities because, in terms of access to the fostering network and its educational impact, it does not primarily help the most disadvantaged. These findings suggest that policies to reduce educational inequalities in Africa cannot solely count on the informal networks of solidarity set up through fostering.
Corps de l’article
De nombreux pays africains continuent d’affirmer une volonté de réduire les inégalités de scolarisation, dans le cadre de réformes nationales du secteur éducatif mais aussi à l’occasion de plusieurs forums internationaux (Jomtien, 1990; UN, 2000). Même si ce discours concerne souvent les inégalités entre filles et garçons, il évoque de plus en plus les inégalités liées aux ressources familiales, dans un contexte de crise économique et de transition démographique (Knodel et Jones, 1996; Boyle, 1996; Lloyd, 1994). D’un côté, les transitions démographiques en cours, qui contribuent à diversifier la taille et la structure des familles, sont susceptibles d’entraîner un accroissement des inégalités dans les ressources disponibles par enfant (Lloyd, 1994; Eloundou-Enyegue et Stokes, 2005). De l’autre, les difficultés économiques ainsi que la surmortalité et la morbidité liées au VIH-sida créent de nouvelles catégories d’enfants vulnérables dont les besoins éducatifs requièrent des moyens nouveaux (Bicego, Rutstein et Johnson, 2003; Joint United Nations Programme, 2003; Case, Paxon et Ableidinger, 2004). Dans les pays où les ressources publiques sont très limitées et les mécanismes formels de sécurité sociale peu développés, l’apport potentiel des institutions informelles de solidarité, telle la pratique du confiage, devient essentiel (Lundberg et Over, 2000; Case et al., 2004).
Cette pratique, qui consiste à confier la garde d’un enfant à des parents ou amis pendant une période prolongée, est courante en Afrique (Isiugo-Abanihe, 1985; Bledsoe et Isiugo-Abanihe, 1989; DHS, 2005) [1] et elle améliorerait la participation scolaire des enfants confiés (Lloyd et Blanc, 1996; Case et al., 2004; Akresh, 2005; Pilon, 2005). Toutefois, on connaît mal l’effet « tampon » de cette pratique, c’est-à-dire sa capacité de réduire les inégalités scolaires au niveau macroscopique. Dans quelle mesure les systèmes de confiage offrent-ils un mécanisme efficace et durable de réduction des inégalités scolaires en Afrique ? Pour répondre à cette question, il faut une approche à la fois macroscopique et historique. Dans cette perspective macroscopique, notre étude analyse trois aspects du confiage qui déterminent son effet de nivellement pour l’ensemble de la société, à savoir 1) sa prévalence, 2) sa distribution, et 3) son impact sur l’éducation des enfants confiés. Pour apporter un éclairage historique, nous examinons cet effet de nivellement sur une période de trente-cinq années au cours de laquelle l’Afrique subsaharienne a connu plusieurs changements susceptibles de modifier l’offre et la demande de confiage. L’article comprend cinq sections. Après cette introduction, la section suivante résume brièvement quelques travaux sur le confiage en Afrique et la perspective qui sous-tend notre analyse. La troisième section passe en revue les aspects méthodologiques (données, mesures et modèles statistiques). La quatrième section présente les principaux résultats et la dernière résume et discute ces résultats.
Revue de littérature et approche d’analyse
Peu d’études ont mesuré l’effet du confiage sur le nivellement des inégalités scolaires au niveau macroscopique, mais cette question a reçu l’éclairage indirect ou partiel des travaux sur les motivations qui entourent le confiage (Isiugo-Abanihe, 1985; Mahieu, 1989), ses déterminants (Castle, 1995; Ainsworth, 1996; McDaniel et Zulu, 1996; Vandermeersch, 2002) ou, de façon plus directe, son micro-impact (Lloyd et Blanc, 1996; Case et al., 2004; Akresh, 2005; Pilon, 2005). Les études sur les types de confiage présentent une grande diversité, que la typologie soit basée sur l’âge des enfants confiés (Vandermeersch, 2002), sur le niveau de prise en charge et la nature des liens de parenté entre les familles d’origine et d’accueil (Case et al., 2004), ou sur le but du confiage, que celui-ci soit motivé par l’éducation, l’emploi, ou une situation de crise familiale (Isiugo-Abanihe, 1985). La même diversité se retrouve dans les déterminants du confiage. Pour les familles d’origine, le confiage serait un investissement dans la mobilité sociale des enfants, même s’il induit une perte de main-d’oeuvre et de compagnie dans l’immédiat. Pour les familles d’accueil, l’hébergement des enfants confiés serait dicté par un mélange d’altruisme, de pression familiale, de paiement en retour de faveurs passées, de validation de la réussite sociale, ou de besoin de main-d’oeuvre (Caldwell, 1982; Mahieu, 1989; Lee et al., 1994; Schultz, 1995; Castle, 1995; Ainsworth, 1996; Rapoport, 2002). Ces études soulignent aussi l’importance des ressources familiales et communautaires. Même face au devoir de solidarité familiale, la décision d’héberger un enfant dépend des ressources du ménage d’accueil. Ainsi, selon Rapoport (2002), les ménages gabonais qui pratiquent l’accueil ont un loyer près de deux fois plus élevé (84 900 FCFA contre 49 100 FCFA) et un revenu près de 1,5 fois plus élevé que ceux qui ne le pratiquent pas. La direction des flux de confiage dépend aussi de la présence d’infrastructures — notamment scolaires — dans la communauté d’accueil.
En marge de ces travaux sur les types et les motivations, quelques études ont examiné de manière plus directe le micro-impact du confiage sur la participation scolaire des enfants (Lloyd et Blanc, 1996; Case et al., 2004; Akresh, 2005; Pilon, 2005). Ces études font généralement apparaître une corrélation entre statut de confiage et participation scolaire, notamment une scolarisation plus élevée parmi les enfants confiés que parmi les enfants non confiés. Akresh (2005) observe au Burkina Faso, parmi les enfants confiés, des taux de participation scolaire de 3,6 % supérieurs à ceux des frères et soeurs non confiés. Toutefois, les avis divergent quant à la capacité du confiage de réduire les inégalités scolaires. Akresh (2005) décrit un scénario optimiste dans lequel le confiage améliore la participation scolaire aussi bien pour les enfants confiés que pour les enfants des familles d’accueil. Dans un scénario moins bénin (Case et al., 2004), les enfants confiés seraient traités dans les familles d’accueil en fonction du lien de parenté existant. Dans une telle situation, le confiage n’aurait pas nécessairement l’effet de nivellement escompté, même s’il profite à quelques-uns des enfants. L’apport singulier de notre étude est précisément de distinguer l’impact du confiage au niveau individuel des enfants confiés (que nous dénommons micro-impact) de l’impact sur l’inégalité scolaire au niveau macroscopique, que nous dénommons effet de nivellement ou effet « tampon ». Nous postulons que cet effet « tampon » dépend de trois paramètres principaux, à savoir la prévalence, la distribution, et le micro-impact du confiage. Une analyse macroscopique de l’effet « tampon » du confiage requiert donc un examen de ces trois paramètres.
Une approche macroscopique
Plusieurs études ont examiné le micro-impact du confiage sur la participation scolaire au niveau individuel (Lloyd et Blanc, 1996; Case et al., 2004; Akresh, 2005; Pilon, 2005), mais ces analyses n’éclairent qu’en partie la question du nivellement des inégalités. En effet, trois conditions sont nécessaires pour induire un effet « tampon » substantiel au niveau macroscopique : 1) le nombre d’enfants confiés doit être important; 2) les opportunités de confiage doivent être prioritairement accessibles aux enfants pauvres; 3) le confiage doit avoir un effet bénéfique sur la participation scolaire des enfants, et surtout celle des enfants pauvres. Chacune de ces conditions est nécessaire et aucune n’est suffisante pour un effet de nivellement substantiel. Une forte prévalence du confiage n’induira pas nécessairement un nivellement scolaire. De même, l’accès des pauvres aux réseaux de confiage ne réduit pas forcément les inégalités de scolarisation au niveau macroscopique. Les travaux d’Akresh (2005), en particulier, décrivent le confiage comme un jeu à somme non nulle dans lequel le confiage profite à la fois aux enfants confiés et aux enfants biologiques des familles d’accueil. Dans ce contexte, et quelle que soit son intensité, le confiage n’est pas de nature à réduire les inégalités scolaires. Une analyse macroscopique complète de l’effet de nivellement du confiage devrait donc intégrer les données sur la prévalence, la distribution et le micro-impact du confiage. Il est également important d’évaluer la durabilité de cet effet de nivellement et, dans cette optique, une analyse historique est souhaitable.
Une perspective historique
Plusieurs transformations socioéconomiques survenues en Afrique subsaharienne depuis les années 1960 sont théoriquement susceptibles de modifier l’offre et la demande de confiage et, ultimement, son effet de nivellement (Ngondo a Pitshandenge, 1996; Eloundou-Enyegue et Stokes, 2002). Parmi les moteurs de la demande, on peut noter plusieurs changements démographiques, telles l’urbanisation, la baisse de fécondité depuis les années 1990, et la montée de l’épidémie de VIH-sida (NAS, 1993; Joint United Nations Programme, 2003; Case et al., 2004). D’importants changements économiques, notamment l’insertion progressive des familles dans une économie de marché et la demande de main-d’oeuvre domestique dans les ménages urbains, influencent aussi cette demande. Enfin, plusieurs changements sociaux concernant les inégalités socioéconomiques ou la disponibilité d’infrastructures scolaires en milieu rural sont à relever.
Les changements dans l’offre sont aussi déterminants. Les crises économiques des années 1980 et 1990 ont réduit la capacité des ménages urbains d’accueillir et scolariser de nouveaux enfants confiés (Lange, 1993; Courade, 1994; Coussy et Vallin, 1996). Ces crises ont pu influencer l’offre de confiage à travers leurs effets sur le chômage urbain et la baisse des revenus réels (Courade, 1994; Eloundou-Enyegue et Stokes, 2002). Dans une enquête réalisée par Courade (1994) au Cameroun, les répondants mentionnaient ainsi la réduction de l’assistance aux parents parmi les stratégies d’adaptation à la crise, stratégie plausible dans un contexte où les revenus moyens et l’emploi avaient gravement diminué et les coûts de l’éducation des enfants augmenté. Au début des années 1990, les revenus réels de certains salariés camerounais du secteur public avaient baissé de près de 70 % sous l’effet combiné de baisses de salaires et de la dévaluation du franc CFA (Courade, 1994). Dans le même temps, on assistait à une augmentation des coûts de scolarisation liée à une hausse des frais de scolarité, aux subventions indirectes, au recours à des répétiteurs, ou à la nécessité de transférer les enfants dans des établissements privés (Boyle, 1996). Au total, donc, le Cameroun a connu d’importants changements susceptibles d’accroître la demande et l’offre de confiage. Puisque ces diverses transformations ont été notées dans plusieurs autres pays africains, l’étude sur le Cameroun peut renseigner sur les tendances qui se manifestent dans d’autres pays de la région.
Données et mesures
Notre étude utilise des données issues d’une enquête démographique menée en 1995 (dite Enquête population scolarisation, ou EPS, 1995) auprès de 812 ménages dans 17 communautés urbaines et rurales de la province du Centre Cameroun. L’échantillon était tiré en trois étapes, comportant une sélection au hasard de quatre départements dans la province, puis une sélection de quatre communautés au sein de chacun des ces départements, et enfin une sélection d’un minimum de 35 ménages dans chacune de ces communautés. Yaoundé, la capitale administrative, était également couverte, et huit quartiers y ont été sélectionnés au hasard après stratification, de manière à ce que soient retenus trois quartiers pauvres, deux quartiers moyens, et trois quartiers riches, la classification des quartiers se faisant sur la base de la qualité des logements. Au sein des ménages échantillonnés, nous avons interviewé l’épouse du chef de ménage (ou le chef de ménage féminin) et, occasionnellement, une autre femme si d’autres femmes éligibles (15 ans et plus) étaient présentes.
Le questionnaire comprenait un module biographique dans lequel les enquêteurs utilisaient des calendriers pour reconstruire des biographies familiales, comprenant le détail année par année des itinéraires scolaires, migratoires, et résidentiels des enfants. Reconstruire des récits de vie représente un défi de collecte remarquable qui a nécessité des dispositions particulières. Pour obtenir une reconstruction aussi complète et fiable que possible, les enquêteurs ont sollicité la participation de plusieurs membres du ménage pour certains des modules, notamment les itinéraires scolaires des enfants. La conception et l’administration du questionnaire permettaient de vérifier la cohérence interne des récits de vie : Au début de l’entretien, les enquêteurs recueillaient dans un fichier-enfants des informations de base sur chacun des enfants biologiques, en particulier leur statut d’inscription scolaire actuel, la classe la plus haute atteinte, l’année d’entrée à l’école et (éventuellement) l’année et la raison de l’abandon scolaire. Ce n’est que plus tard que les enquêteurs entamaient une reconstruction approfondie des itinéraires scolaires, en utilisant des calendriers spécialement conçus dans ce but. Il était donc possible de vérifier la cohérence interne des itinéraires scolaires, par comparaison avec d’autres événements familiaux et avec les informations enregistrées précédemment dans le fichier-enfants.
Ces biographies ont permis de créer une base de données historiques qui sert de support statistique aux analyses présentées ici. Chacun des enregistrements dans cette base représente une année dans la vie d’un enfant, et chaque enfant peut ainsi générer plusieurs enregistrements, un par année depuis son entrée à l’école jusqu’au premier événement terminal, que ce soit un abandon scolaire, un décès, la date de passage de l’enquête, ou l’âge de 24 ans. Les femmes échantillonnées avaient donné naissance à un total de 3082 enfants, parmi lesquels 2257 étaient entrés à l’école. Ces enfants ont généré un total de 17 208 personnes-années d’observation pour lesquelles nous avons des informations sur le statut d’inscription scolaire et de confiage, et sur plusieurs autres caractéristiques socioéconomiques. Cette base de données présente deux avantages majeurs : d’un côté, elle permet l’analyse détaillée des changements survenus dans la pratique du confiage sur une longue période; de l’autre, elle permet des analyses qui prennent en compte les changements dans les variables explicatives. Toutefois, contrairement aux travaux récents d’Akresh (2005), par exemple, nos analyses sont limitées par le manque d’informations sur les familles d’accueil. Bien plus, notre observation se limite aux enfants dont les mères étaient en vie au moment du passage de l’enquête, et elle exclut de ce fait les orphelins et sous-estime probablement la prévalence du confiage. Ce biais est une donnée importante à considérer dans nos conclusions.
Mesures
Variables dépendantes. Les variables dépendantes de cette étude — le confiage et l’abandon scolaire — sont dichotomiques, la modalité 1 étant attribuée aux personnes-années au cours desquelles l’enfant se trouvait en confiage, ou abandonnait l’école. Les variables indépendantes sont regroupées en quatre catégories : contexte historique, caractéristiques démographiques des enfants, demande de confiage et offre de confiage (voir le tableau 1).
Contexte historique. Nous utilisons une variable « période » pour distinguer quatre périodes historiques : les décennies 1960-1969, 1970-1979, 1980-1989 et le quinquennat 1990-1995. Ces périodes couvrent des phases différentes de l’histoire socioéconomique récente du Cameroun (World Bank, 2001). La période 1960-1969 est la moins mouvementée, avec un décollage économique lent et une stabilité démographique. Cette stabilité démographique se maintient au cours de la décennie suivante, mais d’importants progrès économiques surviennent et se maintiennent durant l’essentiel de la décennie suivante. En revanche, la période 1990-1995 cumule plusieurs changements, notamment le début de baisse de la fécondité, une crise économique, et la montée de l’épidémie de VIH-sida. Cette dernière période devrait en théorie voir les changements les plus importants dans la pratique du confiage. Au-delà d’une simple comparaison, notre analyse explique les changements historiques par rapport aux caractéristiques des enfants, à la demande, et à l’offre de confiage.
Caractéristiques démographiques. Les caractéristiques examinées ici incluent des variables de contrôle classiques telles que le sexe des enfants, leur âge et leur rang de naissance. Les enfants de sexe féminin et masculin peuvent avoir des risques de confiage différents, en raison de la discrimination sexuelle dans les investissements éducatifs et dans la participation aux tâches ménagères. La variable sexe indexe les filles tandis que la variable âge distingue 5 groupes d’âge, moins de 5 ans, de 5 à 9 ans, de 10 à 14 ans, de 15 à 19 ans et de 20 à 24 ans. La variable rang de naissance compte trois catégories : aînés, du 2e au 4e enfant, et suivants (5e et rangs supérieurs).
Demande de confiage. Les indicateurs de demande incluent des variables telles que le niveau de ressources par enfant dans la famille d’origine, le niveau d’études, l’évolution scolaire et le statut matrimonial de la mère. Le niveau de revenus par enfant est une variable importante qui combine les ressources parentales et la taille de la progéniture. Pour tenir compte de la notion de dilution des ressources familiales (Blake, 1989), nous divisons les ressources familiales par le nombre d’enfants, afin d’obtenir un indicateur du niveau de ressources disponibles par enfant. Le niveau des ressources s’évalue sur la base des biens de consommation durables du couple. Les enfants sont ainsi répartis en cinq quintiles; le premier regroupe à peu près le cinquième des enfants dont le niveau de ressources individuel est le plus bas, et le quintile 5 le cinquième des enfants qui jouissent du niveau le plus élevé (pour une description plus détaillée, voir la note b du tableau 1).
La variable « cycle d’études » indexe les enfants inscrits dans l’enseignement secondaire ou post-secondaire. La demande de confiage devrait être plus élevée pour les enfants inscrits au secondaire ou au supérieur, surtout lorsqu’ils sont issus de familles à revenus modestes ou que leurs parents biologiques résident en milieu rural ou loin d’un établissement d’enseignement secondaire. La variable « progrès scolaire par rapport à l’âge » distingue les enfants selon qu’ils sont très en retard, en retard, en avance, ou « en phase », c’est-à-dire avancent normalement par rapport à leur âge (voir la note c du tableau). Cette variable est importante dans la mesure où le confiage pourrait se faire sur la base des performances scolaires. Le statut matrimonial de la mère représente un autre indicateur de demande et, a priori, les mères non mariées devraient avoir un recours plus important au confiage.
Offre de confiage. L’analyse inclut aussi deux indicateurs d’offre, l’emploi des frères et les conditions macroéconomiques. Le premier indicateur d’offre identifie les enfants ayant au moins un frère employé. Le second indicateur d’offre mesure les conditions macroéconomiques en termes relatifs, notamment en comparant le revenu national moyen par habitant durant l’année en cours au niveau moyen au cours des trois années précédentes.
Analyses statistiques
Conformément aux objectifs de l’étude et à sa perspective macro-scopique, nos analyses examinent respectivement la prévalence, la distribution et l’impact du confiage sur la scolarisation des enfants confiés. L’accent est mis sur l’évolution historique dans ces trois paramètres. Nos données permettent cette analyse historique, mais aussi l’estimation de modèles statistiques tenant compte des changements qui, année après année, touchent les modalités des variables explicatives. Nous combinons des modèles bivariés et multivariés d’une complexité croissante. Les modèles statistiques utilisés pour l’analyse de la prévalence du confiage ont la forme :
où p représente la probabilité de confiage, T la période historique, X les caractéristiques démographiques de l’enfant, Dd la demande de confiage et Ss l’offre de confiage.
L’analyse complète comprend quatre modèles successifs. Le premier modèle, bivarié, inclut uniquement la période (T) comme variable explicative. Un second modèle augmente le précédent en isolant l’influence des caractéristiques démographiques des enfants. Les troisième et quatrième modèles font les ajustements correspondant aux changements de la demande (modèle 3) et de l’offre de confiage (modèle 4). Au total, donc, on voit changer le coefficient β1 — centre d’intérêt de cette analyse — avec les contrôles statistiques successifs.
Les analyses de la distribution sociale du confiage utilisent des tabulations croisées et des modèles multivariés. Ces deux analyses répondent à deux questions complémentaires : les tabulations croisées décrivent la distribution des enfants confiés suivant l’origine familiale. En d’autres termes, parmi tous les enfants confiés, quelle est la proportion qui est issue des quintiles les plus pauvres (en termes de niveau de ressources disponibles par enfant) et comment cette proportion a-t-elle évolué historiquement ? Les modèles multivariés, quant à eux, décrivent la probabilité de confiage au sein de chaque quintile et son évolution dans le temps. Ces analyses utilisent la forme de modèle déjà décrite (équation 1), à la différence que des modèles différents sont estimés pour chacun des quintiles.
Enfin, l’analyse de l’impact du confiage sur l’abandon scolaire requiert des modèles logistiques multivariés exprimant la probabilité d’abandon scolaire en fonction du statut de confiage mais aussi d’autres déterminants de l’abandon scolaire. Le modèle statistique correspondant est de la forme :
où, cette fois-ci, p représente la probabilité d’abandon scolaire, F le statut de confiage, et X toutes les variables de contrôle, en l’occurrence le sexe de l’enfant, son origine familiale, son rang de naissance, son niveau dans le cycle scolaire, son statut de répétition dans la classe actuelle, l’emploi des frères et le statut matrimonial de la mère.
Contrairement aux analyses précédentes, qui ont un caractère descriptif, l’analyse ci-dessus postule un lien de cause à effet; on se heurte malheureusement à un problème d’endogénéité potentielle entre décisions de confiage, ressources familiales et abandon scolaire. Une association entre ces variables pourrait refléter, non des liens de cause à effet, mais simplement la possibilité d’un choix endogène régi par les « préférences » et les « opportunités » des familles. Même si on isole plusieurs indicateurs de ces préférences et possibilités (exemple l’instruction des parents), il se peut que des facteurs non mesurés soient en fait à l’origine du lien entre confiage et abandon scolaire. Nous remédions à ce problème en utilisant des modèles statistiques — notamment la procédure PHREG sous SAS — qui font les ajustements nécessaires pour tenir compte des caractéristiques fixes des familles (Allison, 1999). Nous avons estimé des modèles séparés pour chacune des quatre périodes historiques afin de détecter des changements éventuels dans l’effet du confiage.
Pour toutes nos analyses de régression logistique, les coefficients logistiques obtenus résument l’effet des variables correspondantes sur la variable dépendante concernée. En plus de ces coefficients, nos tableaux présentent des rapports de cote qui s’obtiennent par exponentiation des coefficients logistiques et indiquent l’effet multiplicateur d’un accroissement d’une unité de la variable indépendante concernée sur le risque de confiage ou d’abandon scolaire. Puisqu’ils sont plus faciles à interpréter, ce sont ces rapports de cote que nous utilisons dans la discussion de nos résultats.
Résultats
Prévalence du confiage
Le tableau 2 résume les changements historiques observés dans la prévalence du confiage. Il présente les changements en termes bruts (modèle 1) et après ajustement pour les caractéristiques des enfants (modèle 2), la demande de confiage (modèle 3) et l’offre de confiage (modèle 4). En termes bruts, la prévalence du confiage s’est accrue dans le temps. Par rapport à 1960-1969, la prévalence du confiage s’est multipliée par 1,48 au cours de la décennie 1970-1979, 1,97 au cours de la décennie 1980-1989, et 2,32 au cours de la période 1990-1995. Cet accroissement est moindre mais reste significatif pour les deux dernières périodes (rapport de cote de 1,52 en 1980-1989 et de 1,77 en 1990-1995) après ajustement pour les caractéristiques démographiques des enfants. Toutefois, si l’on contrôle pour la demande de confiage, les changements ne sont plus significatifs au seuil de probabilité de 5 %, même s’ils le sont au seuil de 10 % pour la période 1990-1995 (modèle 3). Ces résultats se maintiennent si l’on contrôle en plus pour des indicateurs d’offre de confiage, notamment l’emploi des frères et les conditions macroéconomiques (modèle 4). En somme, les changements bruts dans la prévalence du confiage s’expliquent surtout par un changement dans la demande de confiage. À demande égale, la probabilité de confiage n’a pas changé de façon significative dans le temps.
Les données du tableau 2 (modèle 4) montrent par ailleurs que, lorsque leur effet est significatif, les autres variables influencent la probabilité de confiage dans le sens attendu. En particulier, la prévalence du confiage augmente avec l’emploi des frères [2] (1,36) et l’inscription au cycle secondaire (3,29), et elle diminue lorsque la mère est mariée (0,55), lorsque les enfants sont légèrement en retard (0,86) ou en phase (0,70) dans leur parcours scolaire, lorsque le niveau des ressources disponibles par enfant dans la famille d’origine est élevé (0,77) ou très élevé (0,42), et pour les non-aînés (0,53 pour les rangs 2 à 4, et 0,23 pour les rangs supérieurs à 4). Par contre, bien que les filles soient plus souvent confiées que les garçons dans la plupart des pays africains (McDaniel et Zulu, 1996), le Cameroun échappe à cette tendance générale (McDaniel et Zulu, 1996). Nos résultats indiquent ainsi une probabilité de confiage moins élevée chez les filles (0,88). Même si les ménages d’accueil préfèrent recevoir des enfants de sexe féminin pour des raisons liées à une plus grande participation (présumée) aux tâches domestiques, les familles d’origine pourraient elles aussi — et pour des raisons similaires — préférer conserver leurs filles. Dans une telle situation de préférence commune pour les filles, la proportion de filles parmi les enfants confiés dépendra alors du pouvoir de négociation des familles d’origine et d’accueil.
Distribution du confiage
Le confiage aura un effet de nivellement d’autant plus élevé qu’il est accessible aux familles vulnérables. Il est donc utile de suivre les changements historiques dans la distribution sociale des opportunités de confiage. Le tableau 3 présente la répartition des enfants confiés selon l’origine familiale. Comme l’indiquent ces données, la représentation des quintiles moyens (quintiles 2 et 3) parmi les enfants confiés s’est accrue historiquement. En particulier, la part du quintile 3 est passée de 7,0 % en 1960-1969 à 24,8 % en 1990-1995, et celle du quintile 2 de 18,6 % à 26,0 %. Une telle représentation favorise la réduction des inégalités scolaires dans la mesure où elle s’effectue au détriment du quintile supérieur, dont la représentation s’est réduite de moitié, passant de 37,2 % en 1960-1969 à 11,6 % en 1990-1995. Toutefois, les familles les plus vulnérables (quintile 1) sont relativement sous-représentées parmi les enfants confiés. Entre 1960-1969 et 1990-1995, le quintile 1 est seulement passé de 13,9 % à 16,2 %, pour une moyenne de 15,4 % au lieu des 20 % attendus si la distribution des opportunités de confiage s’était faite de manière proportionnelle. Le confiage n’obéirait donc pas entièrement à une logique d’assistance, mais serait peut-être lié à la capacité des familles d’origine d’assurer des services en retour. Le faible taux de confiage au niveau du quintile 1 peut s’interpréter comme résultant d’un accès insuffisant aux réseaux de confiage ou d’un pouvoir de négociation plus faible, donc de plus faibles opportunités. L’accroissement historique du taux de confiage en termes bruts (il est passé de 5,6 % en 1960-1969 à 12,2 % en 1990-1995) n’a pas profité prioritairement aux enfants les plus pauvres.
Afin de mieux comprendre les changements historiques dans le confiage, nous avons estimé des modèles statistiques séparés pour chacun des quintiles. Les résultats de ces analyses, présentés au tableau 4, suggèrent plusieurs conclusions : premièrement, la probabilité de confiage ne s’est accrue historiquement que pour deux classes moyennes : les quintiles 3 et 4. Pour ces groupes, et par rapport à la décennie 1960-1969, la probabilité de confiage s’est multipliée par 3,92 et 3,64 au cours des périodes 1980-1989 et 1990-1995 (pour le quintile 3) et par 2,14 et 2,29 au cours des périodes 1980-1989 et 1990-1995 (pour le quintile 4). Aucun accroissement n’est noté pour les autres quintiles, y compris le quintile le plus vulnérable (soit le premier).
Une deuxième conclusion importante est qu’au-delà de plusieurs similitudes (tendance à confier les aînés ou les adolescents inscrits au secondaire), la logique qui sous-tend le confiage semble varier d’un quintile à l’autre, la différence la plus remarquable concernant l’influence de la performance scolaire des enfants. La logique d’investissement parmi les quintiles 1, 2, et 3 semble privilégier les enfants les plus prometteurs sur le plan scolaire. Au sein du quintile 1, par exemple, la propension au confiage est plus élevée pour les enfants en phase (1,96) ou en avance par rapport à leur âge (2,92). Les familles correspondant aux quintiles 2 et 3 semblent également privilégier les enfants en avance scolaire par rapport à leur âge. Ceux-ci ont des risques relatifs de confiage de 2,17 et 1,77 (respectivement) par rapport aux enfants très en retard dans leurs études. À l’inverse, les quintiles 4 et 5 semblent pratiquer un confiage de réforme, marqué par une plus grande propension à confier les enfants très en retard dans leur parcours scolaire. Au sein du quintile 5 par exemple, le risque de confiage pour ces enfants en retard est presque deux fois plus élevé que pour les autres catégories. Parallèlement à la logique de discrimination qui favorise, au sein des familles pauvres, l’investissement dans les enfants perçus comme les plus prometteurs académiquement, on note une discrimination selon le sexe et une moins grande propension à confier les filles (c’est-à-dire investir dans leur éducation). Les filles issues des quintiles 1 et 3 sont en effet moins susceptibles d’être confiées (0,72 et 0,65, respectivement) que les garçons des mêmes groupes. Par contre, la propension au confiage est plus grande pour les filles au sein du quintile 5 (1,39).
Au total, pour les familles pauvres, le confiage semble régi par un souci d’investir dans les enfants jugés les plus susceptibles de rentabiliser cet investissement, et cette stratégie est moins courante parmi les familles plus aisées. À cette différence de stratégie s’ajoute une différence d’accès. Historiquement, l’accès aux opportunités de confiage s’est amélioré pour les quintiles médians (3 et 4), mais pas pour les plus pauvres. Ces différences de stratégie et d’accès compromettent l’effet de nivellement du confiage sur les inégalités scolaires. La logique utilisée par les familles pauvres pour choisir les enfants à confier donne à penser que les performances scolaires supérieures notées parmi les enfants confiés n’indiqueraient pas exclusivement un effet causal du confiage, mais peut-être en partie un effet de sélection. Par ailleurs, l’accès relativement limité du quintile le plus pauvre aux opportunités de confiage compromet la capacité des enfants issus de ce groupe de compenser leur déficit en ressources.
Micro-impact du confiage
Le confiage aura un effet de nivellement s’il améliore la participation scolaire des enfants confiés et surtout si cette amélioration est plus visible pour les enfants issus des familles les plus pauvres. Notre analyse examine donc les changements historiques dans le micro-impact du confiage. Les résultats du tableau 5 font ressortir la relation statistique entre statut de confiage et risque d’abandon scolaire, dans l’ensemble et pour trois périodes historiques. En raison de la faible taille de notre échantillon, les périodes 1960-1969 et 1970-1979 sont regroupées en une seule catégorie.
L’analyse d’ensemble montre que le risque d’abandon scolaire dépend des ressources disponibles par enfant, du sexe, du rang de naissance, du cycle d’éducation et du statut de redoublement. Ce risque baisse à mesure que le niveau de ressources disponibles par enfant augmente. Par rapport aux enfants du premier quintile, les enfants des quintiles 2, 3, 4 et 5 sont moins susceptibles d’abandonner l’école (rapports de cote de 0,37, 0,12, 0,05, et 0,01, respectivement). Le risque d’abandon scolaire est plus élevé chez les filles (1,58) que chez les garçons. Par rapport aux premiers-nés, les enfants de rang 2 à 4 ont un risque d’abandon moins élevé (0,65) et les enfants de rang supérieur à 4 ont un risque encore moins élevé (0,24). Les abandons sont plus élevés parmi les élèves qui redoublent, qu’ils en soient à la première reprise (2,75) ou à plus d’une reprise (9,56) d’une année donnée.
S’agissant de notre variable principale (le statut de confiage), l’analyse d’ensemble met en évidence une relation inverse entre statut de confiage et risque d’abandon scolaire. En moyenne, le risque d’abandon scolaire d’un enfant confié est environ 0,67 fois celui d’un enfant non confié ayant les mêmes caractéristiques. Une analyse séparée par période historique montre néanmoins que ces différences ne sont devenues statistiquement significatives qu’au cours de la dernière période, 1990-1995, où le besoin d’assistance est en principe devenu plus important.
Il est utile d’analyser si les bénéfices scolaires du confiage varient d’un quintile à l’autre. Pour avoir un effet de nivellement substantiel, les avantages individuels du confiage devraient a priori être plus importants pour les enfants les plus pauvres. Comme le montrent les résultats inscrits au tableau 6, cette attente ne se confirme pas statistiquement, puisque nous obtenons des rapports de cote non significatifs de 1,18, 2,00, 1,31, et 1,41 (respectivement) pour les quintiles 2 à 5, par rapport au quintile 1. Bien plus, l’effet de sélection noté dans les familles les plus pauvres renforce notre conclusion que le confiage ne profite pas prioritairement aux plus pauvres.
En somme, bien que la prévalence du confiage varie entre les quintiles, les bénéfices éducatifs du confiage sont comparables quelle que soit l’origine familiale des enfants confiés. Pour les familles d’accueil, la décision majeure porterait donc sur l’acceptation ou le refus d’accueillir un enfant supplémentaire. Contrairement aux résultats de Case et al. (2004), qui laissent croire à un traitement différencié des enfants en fonction des familles d’origine, nos résultats tendent à montrer que, dans ce contexte particulier, les familles d’accueil assistent à peu près sans discrimination les enfants confiés, une fois prise la décision de les héberger. Ces deux conclusions ne sont toutefois pas incompatibles, dans la mesure où beaucoup de confiages évoqués par Case et ses collègues s’effectuaient dans un contexte d’urgence lié au décès des parents. Les différences de traitement parmi les enfants confiés au Cameroun pourraient s’accentuer si le confiage d’urgence devenait plus fréquent avec la montée de l’épidémie du VIH-sida.
Conclusion et discussion
Le confiage d’enfants peut-il contribuer durablement et efficacement à la réduction des inégalités scolaires en Afrique subsaharienne ? Notre analyse de la prévalence, de la distribution et du micro-impact du confiage au Cameroun montre les limites de cette pratique comme mécanisme de régulation des inégalités scolaires. Bien que le confiage reste courant et bien que l’on observe une moins grande probabilité d’abandon scolaire chez les enfants confiés, l’effet de nivellement escompté est limité par trois facteurs : le premier est l’accès relativement limité des enfants les plus pauvres aux réseaux de confiage. Alors que la représentation des quintiles moyens (2 et 3) parmi les enfants confiés s’est accrue historiquement, celle des enfants du premier quintile — a priori les plus démunis — reste relativement faible. Les flux de confiage ne suivent donc pas entièrement une logique d’assistance, mais dépendraient de l’accès aux réseaux de confiage. Le deuxième facteur a trait à la logique qui semble guider la sélection des enfants à confier. Nos analyses donnent à penser que les familles pauvres tendent à confier leurs enfants les plus performants sur le plan scolaire. Même si cette logique de sélection profite aux enfants confiés, elle n’est pas de nature à réduire, au niveau macroscopique, l’inégalité entre familles riches et familles pauvres. Le troisième point est que le confiage améliore la participation scolaire de manière relativement indifférenciée. Puisqu’il ne profite prioritairement aux pauvres ni en termes d’accès ni en termes d’impact, son influence sur le nivellement des inégalités est limitée.
En outre, rappelons-le, notre base de données n’inclut pas d’enfants orphelins de mère; il est donc probable que nos analyses sous-estiment la probabilité du confiage ou son effet tampon en général. Elles donnent quand même un aperçu des inégalités parmi les enfants dont les mères étaient en vie au moment du passage de notre enquête
Ces résultats ont deux implications. Sur le plan scientifique, ils confirment les conclusions de travaux précédents qui ont fait ressortir une corrélation entre statut de confiage et participation scolaire, mais ils nous incitent à nuancer l’interprétation de cette corrélation. D’une part, elle n’est pas nécessairement le signe d’un effet causal du confiage, et pourrait bien résulter de la logique de sélection qui pousse certaines familles (notamment les plus pauvres) à confier leurs enfants les plus prometteurs sur le plan scolaire. D’autre part, même si elle indiquait un effet causal, cette corrélation au niveau individuel n’implique pas nécessairement une réduction des inégalités scolaires au niveau de la société, surtout dans ce contexte où l’accès aux opportunités de confiage semble plus limité pour les enfants les plus pauvres.
Sur le plan des politiques, nos résultats laissent croire que les programmes visant à réduire les inégalités scolaires ne peuvent pas miser exclusivement sur les solidarités informelles mises en oeuvre à travers le confiage. Même si le confiage permet la prise en charge de nombreux enfants démunis ou orphelins, les pays africains ne peuvent pas faire l’économie d’une politique spécifique d’aide aux enfants vulnérables. Plusieurs pays ont par exemple pris des mesures pour assurer la gratuité des études primaires, et ces initiatives peuvent réduire les écarts de scolarisation. Toutefois, elles sont insuffisantes dans un contexte de compétition scolaire accrue, de privatisation de l’enseignement et de diversification dans la qualité de l’enseignement reçu (Boyle, 1996; Buchmann, 2001). Pour améliorer leurs chances de succès dans la compétition scolaire, les enfants les plus vulnérables ont besoin d’un appui formel qui s’ajoute à celui qu’offrent actuellement les réseaux de confiage. Même si l’identification des enfants les plus vulnérables reste difficile (Case et al., 2004), la plus grande difficulté est de mettre en oeuvre des politiques qui vont compléter l’action des mécanismes informels existants au lieu de se substituer à eux. L’apport combiné des mécanismes informels actuels et d’une aide publique ciblée est indispensable à l’heure où l’augmentation du coût de la vie en milieu urbain, les transitions démographiques en cours et l’épidémie du VIH-sida soulèvent des inquiétudes sur les inégalités socioéconomiques à venir.
Parties annexes
Notes
-
[1]
Les données issues des Enquêtes démographiques et de santé (EDS 2005) pour le Cameroun indiquent par exemple qu’en 1998, 13,4 % des enfants vivaient sans l’un ou l’autre de leurs parents.
-
[2]
Les enfants qui ont au moins un frère ou une soeur employé sont plus susceptibles d’être confiés (OR = 1,44; p < 0,001) que ceux qui n’en ont pas. Ce résultat est similaire à ceux de Rapoport (2002) pour le Gabon, selon lesquels le cercle d’accueil ne s’élargit généralement qu’aux frères et soeurs du couple et à leurs enfants.
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