Le tournant affectif des recherches en communication numériquePrésentation[Notice]

  • Camille Alloing et
  • Julien Pierre

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  • Camille Alloing
    Professeur, Département de communication sociale et publique, Université du Québec à Montréal, Canada

  • Julien Pierre
    Professeur, Département Culture et Communication, Audencia Business School, France

Le « tournant affectif » désigne ce moment scientifique où la recherche a reconsidéré les émotions. En les objectivant, par de nouveaux protocoles de mesure ou par une prise en compte de leur rôle dans les activités humaines et sociales, les disciplines relevant autant des sciences du vivant que des humanités ont placé les émotions à la source des phénomènes psychosociaux, les émotions « précédant » la raison (Damasio, 1994). Or, dans ce grand virage épistémique, les émotions et les affects se sont parfois retrouvés mélangés. Les sciences du vivant, celles de la psyché et même des sciences du social se sont chacune emparées de cet objet, revigorant les approches qui font leur spécificité, pour au final produire au sein du champ des connaissances des acceptions très diverses de ce que sont les émotions et les affects. Dans ce contexte, comment les sciences de la communication peuvent-elles se positionner? Que peuvent-elles s’approprier pour enrichir leur compréhension des phénomènes communicationnels? Que peut apporter une approche communicationnelle à la compréhension des émotions et des affects? Le propos de cette introduction est de revenir, dans un premier temps, sur une somme d’approches qui ont toutes différemment modélisé les émotions, en partant du corps pour aller vers le social (et vice versa). Nous verrons globalement les principales incidences que ces approches ont pu produire dans les disciplines, aussi bien en matière d’apports que d’impasses. Le deuxième temps de cette introduction sera celui d’une mise en relief des propositions centrées sur une approche affective, et avouons-le d’emblée fortement inspirée de la philosophie de Spinoza. À travers la relecture qu’en font des auteurs contemporains, nous établirons de quelle manière cette pensée éclaire un certain nombre de processus communicationnels qui ont cours dans l’environnement numérique. Pour les auteures et auteurs de ce numéro, dont les textes seront présentés par la suite, chacun à sa manière, avec son cadre théorique et ses méthodes, dans des terrains tous différents, propose une instanciation de ce qui apparaît comme des « modes » affectifs, partant des éléments qui vont nous permettre de décomposer ce qui dans un affect produit de la puissance. Comme l’appel situait les propositions dans l’environnement numérique, le lecteur sera alors en mesure de comprendre la puissance dont sont investis conjointement les infrastructures du web et leurs usagers, c’est-à-dire les tensions qui les animent et qui circulent entre les uns et les autres. Dans un premier mouvement, un ensemble de chercheurs se situent dans une perspective darwinienne des émotions, les présentant comme des fonctions de survie propres aux mammifères (Darwin et Prodger, 1998; Ekman, 1999; Plutchick, 1980). Cependant, il n’y a pas de consensus sur le nombre basique d’émotions postulées comme universelles ni sur la composition ou le fonctionnement des réactions émotionnelles. Comme le montre Petit (2018), On retrouve ainsi ce qui est devenu le triptyque de l’analyse psychologique, s’attachant à saisir la conjugaison des processus cognitifs, émotionnels et comportementaux. Même si on en trouve trace déjà chez Aristote, qui articule la compréhension, la sensation et la volition, cette combinaison va irriguer la psychologie moderne principalement à partir des travaux de Moses Mendelssohn, en 1755, qui le premier appelle à étudier ensemble ces trois processus. Mendelssohn fera ainsi le pont entre la théorie de l’action de Spinoza, dont il s’avoue être un disciple, et la psychologie clinique qui naîtra peu après (Hilgard, 1980). On retrouvera ensuite cette même combinaison dans la psychologie du consommateur, avec les travaux fondateurs de Howard et Sheth (1969), depuis lors enseignée dans toutes les formations en commerce et communication. Les émotions sont alors autant une question hormonale et de plasticité cérébrale (Damasio, 1994; …

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