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Dans le volume 1 du numéro thématique « Communication interculturelle et internationale », nous avons amorcé l’actualisation des apports théoriques et des résultats de travaux contribuant au développement du champ de la communication interculturelle et internationale (CII). Certains articles y exploraient davantage des enjeux de communication associés aux contextes de communication à l’international ( Brassier-Rodrigues et Cognard ; Kane ) et d’autres, les échanges et les rencontres interculturelles sous diverses formes ( Frame ; Le Gallo ; Souissi ).
Nous y avons de plus proposé une définition de la communication interculturelle et internationale, permettant de mieux circonscrire ce champ d’études et de recherche en mouvance (Bouchard, Bourassa-Dansereau et Le Gallo) :
La communication interculturelle et internationale (CII) se réfère aux processus communicationnels caractérisant les interactions, les relations et les échanges entre les acteurs de la communication, en contextes interculturels et internationaux. La CII porte sur les enjeux caractérisant l’espace communicationnel, commun et partagé, qui résulte et participe à la rencontre avec, entre et agissant sur les acteurs de la communication (individus, groupes, États, régions du monde, mouvements transnationaux et acteurs non étatiques). La CII insiste sur l’interaction soutenue et ininterrompue de l’interculturel et de l’international dans les processus communicationnels; les aspects communicationnels interculturels étant contextualisés par les enjeux internationaux et les dimensions communicationnelles internationales étant contextualisées par les enjeux interculturels.
Ce deuxième numéro s’inscrit dans cette mouvance. Il poursuit le développement du champ de la CII amorcé dans le volume 1 et présente de nouveaux travaux théoriques et résultats de recherche qui y sont ancrés. Il enrichit le développement du champ en mettant en valeur la riche recherche francophone dans ce domaine. Les articles réunis dans ce numéro proposent plus spécifiquement des réflexions sur les thèmes de la communication médiatique et diasporique sur le continent africain et sur le thème des rencontres, des relations et des échanges interculturels (à l’international et au Québec).
L’article de Jean-Jacques Bogui et Julien Atchoua examine la communication internationale en se consacrant à l’étude des médias diasporiques en ligne sur le continent africain. Il cherche à identifier les motivations et les stratégies visant à influencer le traitement de l’information. Les auteurs ont mené des entretiens semi-directifs auprès de membres de la diaspora africaine installés au Canada quant aux contenus qu’ils diffusent sur les médias diasporiques en ligne. Premier constat : les médias diasporiques en ligne participent à l’émergence d’un espace public transnational alors qu’ils offrent « aux diasporas l’occasion de s’informer et de se rapprocher plus aisément de la communauté d’origine et d’obtenir plus aisément des informations sur leur sphère géographique d’origine ». Les auteurs observent également que les contenus diffusés dans ces médias par les diasporas posent un regard différent sur l’actualité sociopolitique du continent africain et « répond[ent] plus spécifiquement à un sentiment de déficit de transparence dans la diffusion d’informations sociopolitiques relatives à leur sphère géographique d’origine ».
Sarah Rakotoary aborde, dans son article, les usages de Facebook par la diaspora malgache installée en France dans la construction d’une communauté transnationale. Autour d’un évènement international, le Forum de la diaspora malgache, organisé en octobre 2017 et largement publicisé sur Facebook, l’autrice s’est intéressée aux enjeux interculturels et internationaux pris en compte dans ce contexte de communication entre les différents groupes composant la diaspora malgache. Au moyen d’une analyse de contenu, d’observations participantes et d’entretiens compréhensifs, Rakotoary constate que les retombées auprès de la population restent disparates et que les enjeux interculturels et internationaux semblent minimisés, dans la mesure où des représentations divergentes de la diaspora circulent (prolétaire, élitiste et socioéconomique). L’autrice conclut que le Forum de la diaspora malgache « a eu pour finalité une déconstruction de la notion même de diaspora malgache, faisant ainsi émerger des sentiments de révolte face au caractère exclusif de l’évènement ».
Toujours autour du thème de la communication internationale et du continent africain, l’article de Zhao Huang traite des médias et des antennes de l’Institut Confucius implantés dans des villes africaines pour promouvoir le soft power chinois. L’auteur explique que l’Institut Confucius et ses nombreuses antennes sont devenus des relais par lesquels la Chine déploie des activités relevant de la diplomatie publique, par lesquels elle communique avec les populations africaines. Par une observation ethnographique intensive, l’auteur a effectué son travail de terrain au sein de l’Institut Confucius rattaché à l’Université de Nairobi au Kenya. Il a réalisé des entretiens semi-directifs auprès de directeurs, d’enseignants et d’étudiants de l’Institut. L’analyse des nombreuses activités éducatives et culturelles qui en a découlé a permis à l’auteur d’observer la création d’« un réseau relationnel de sympathie, de gratitude et d’interdépendances » autour de l’Institut et d’un « modèle chinois de diplomatie publique [qui] mêle étroitement des pratiques de propagande externe, notamment à travers un storytelling et des activités sociales [et qui permet] de tisser des relations extraprofessionnelles amicales entre les Chinois et les Kenyans ».
L’article suivant aborde la communication interculturelle et la communication internationale au sein de l’Union européenne (UE). Éric Dacheux s’intéresse à la création de l’espace public européen interculturel annoncé par l’Union européenne, illustré par sa devise « Unis dans la diversité ». Celle-ci a inspiré la rédaction de la politique de communication visant à créer un espace de médiation et d’engagement où pourrait s’exprimer une interculture commune. Le questionnement au cœur des réflexions de l’auteur est le suivant : « La politique de communication mise en œuvre par l’exécutif de l’UE (la Commission européenne) à destination de 500 millions d’Européens peut-elle favoriser la création d’un espace de médiation et d’engagement qui soit à la fois commun et respectueux de la diversité culturelle? » Pour Dacheux, cet article s’inscrit au carrefour des domaines de la communication internationale et de la communication interculturelle. Ses conclusions indiquent que la politique de communication de l’UE est « sans effets performatifs majeurs » : « les deux dimensions constitutives de l’espace public européen (la médiation et l’engagement) ne sont pas absentes – il existe bel et bien un “espace public européen en construction” », mais « il ne suffit pas de mettre en œuvre une stratégie de communication cohérente et de multiplier les outils de communication pour que se développe un espace public [européen] large et populaire ». L’auteur conclut également que cette étude sur la politique de communication européenne permet de comprendre que le croisement entre communication interculturelle et communication internationale nécessite aussi de valoriser la dimension politique.
Enfin, Jorge Frozzini, Audrey Gonin et Marie-Josée Lorrain traitent de communication interculturelle dans le milieu du travail au Québec, l’un des principaux espaces où se côtoient la population immigrante et les personnes natives d’une société d’accueil. À partir du point de vue de personnes immigrantes sur leur parcours relatif à l’emploi, les auteurs présentent quelques stratégies permettant le passage d’une expérience de discrimination et de non-reconnaissance à un dialogue qui soutient une participation démocratique des néo-Québécois. Leurs analyses montrent que certaines stratégies demandent un investissement non négligeable au sein de secteurs plus favorables à une ouverture auprès des personnes issues de l’immigration et que leurs stratégies adoptent diverses formes. Selon les auteurs,
le fait de favoriser l’implication citoyenne des néo-Québécois en milieu de travail, mais aussi dans la vie démocratique des quartiers, des écoles, des municipalités, etc., est riche de potentialités […]. Non seulement cette participation permet de rompre l’isolement dont souffrent souvent les néo-Québécois, mais elle s’avère aussi une occasion de dialogue, en tant que communication favorisant l’adaptation réciproque, mais aussi le développement de compétences, de part et d’autre (populations néo-québécoise et native).
En conclusion à ce numéro, nous proposons un entretien réalisé par Christian Agbobli, professeur au Département de communication sociale et publique de l’UQAM et membre fondateur du Groupe d’études et de recherches axées sur la communication internationale et interculturelle (GERACII), avec Hamid Mowlana, professeur émérite en relations internationales à la School of International Service de l’American University (Washington, DC) et considéré comme l’un des fondateurs du champ de la communication internationale. Conçu pour un public de chercheuses et chercheurs francophones, cet entretien permet de dresser un portrait de la contribution remarquable d’Hamid Mowlana au domaine de la communication internationale. Dans cet entretien, Mowlana propose ses propres réflexions sur les liens unissant la communication interculturelle et la communication internationale ainsi que sur les questions méthodologiques liées à l’étude des enjeux de la CII.