FR :

À la demande du compositeur Pierre Mercure, le poète Claude Gauvreau écrit, en 1949, un livret d’opéra intitulé Le vampire et la nymphomane. Surpris et désemparé devant ce langage « exploréen » que lui soumet le poète, il se désiste. En 1996, c’est au tour du compositeur Serge Provost de s’intéresser au théâtre de Gauvreau. La création de son opéra, le 24 septembre de cette année-là, suscite de nombreux « prépapiers » et plusieurs critiques, tant du côté du théâtre que de la musique. Il souhaitait, par la mise en musique, donner du sens à un texte qui en est dépourvu. Mais, posons la question : en le comprimant ainsi dans une structure musicale rigide, ce texte de Gauvreau ne risquait-il pas de perdre toute sa portée « exploréenne » ? La mise en musique du texte de Gauvreau aura suscité deux polémiques, celle de Mercure, en 1949, et celle de Provost, en 1996.

EN :

In 1949, at the request of composer Pierre Mercure, the poet Claude Gauvreau wrote a libretto for an opera entitled Le vampire et la nymphomane. But the poet’s “explorean” language surprised and bewildered Mercure, and he withdrew. In 1996, the composer Serge Provost became interested in Gauvreau’s theatre piece. The premiere of his opera, on September 24th of the same year, attracted a great deal of prepublication notice and criticism from the theatre and music worlds. Prevost’s aim was to use music to give sense to a text that was nonsensical. But this raises the question: does being squeezed into a rigid musical structure ruin the “explorean” character of Gauvreau’s work? Setting Gauvreau’s text to music incited controversy two times: for Mercure, in 1949, and Provost, in 1996.

FR :

Cet article porte sur les trois oeuvres pour piano solo du compositeur québécois Serge Provost composées entre 1981 et 1996 : Anagramme (ou Le tombeau de Mishima), Étal-Surgissements et La cloche du temple. Ayant joué moi-même ces trois oeuvres, il s’agit ici pour moi, en tant qu’interprète, de livrer mes impressions sur l’oeuvre et de transmettre au lecteur toute la poésie qui s’y trouve. J’ai retracé l’historique de ces trois oeuvres, ainsi que les notes de programme du compositeur qui sont très enrichissantes. Mon rôle est aussi de donner des pistes aux pianistes quant à l’interprétation de ces oeuvres pour lesquelles la recherche constante du son est primordiale. Comment apprivoiser le texte, en comprendre la grande architecture, être sans cesse à l’écoute des multiples résonances de l’instrument, de l’espace-temps, de la liberté dans le rubato ? La musique de Serge Provost nous parle d’âme et de beauté. En dernière partie de l’article, mes souvenirs d’une récente visite à ce grand créateur.

EN :

This article focuses on three works for solo piano composed by Quebec composer Serge Provost between 1981 and 1996: Anagramme (or Le tombeau de Mishima), Étal-Surgissements, and La cloche du temple. Having played these works, my aim here is to give my impressions of the work as a performer and convey to the reader the poetry that lies within. I have retraced the history of the work, and looked at the composer’s programme notes, which are very enriching. My role is also to give pianists pointers on performing these works, which are above all a constant research into sound. How do you tame a text, understand its overarching architecture, remaining always attentive to the multiple resonances of the instrument, space-time, and the freedom of the rubato? Serge Provost’s music speaks to us of soul and beauty. At the end of the article, I remember a recent visit with this great artist.

FR :

La majeure partie des oeuvres de la dernière période créatrice de Serge Provost, soit depuis son retour de l’Ircam (France) en 1995-1996, où il s’est notamment initié à la composition assistée par ordinateur (cao) et à l’approche française de l’électronique en direct, sont des pièces mixtes pour instruments, sons préenregistrés et traitement en temps réel. Traçant un continuum allant du phénomène sonore à la conception du matériau et à sa mise en espace à l’aide du dispositif électronique, les oeuvres de Provost déploient une esthétique singulière et engagée suivant trois axes poétiques : les oeuvres à caractère personnel témoignant d’éléments autobiographiques ; celles qui dialoguent avec l’histoire, le temps et l’espace ; et les oeuvres à portée ouvertement politique et sociale. Cet article montrera ainsi comment la pensée spectrale qui irrigue le travail du compositeur prend forme dans les oeuvres mixtes composées entre 2001 et 2013, avec une attention aux dimensions tant techniques qu’esthétiques.

EN :

Most of the works from Serge Provost’s most recent creative period, since his return from Ircam (France) in 1995-96, where he was introduced to computer-aided composition (cac) and the French approach to live electronics, are mixed pieces for instruments, pre-recorded sounds and real-time processing. Tracing a continuum from sound phenomenon to the conception of the material and its unfolding in space via electronic apparatus, Provost’s works reflect a singular and committed aesthetic along three poetic axes: works of a personal nature bearing witness to autobiographical elements, those that engage in a dialogue with history, time and space, and works with an overtly political and social scope. This article will show how the spectral thinking that permeates the composer’s work takes shape in the mixed works composed between 2001 and 2013, with attention to both technical and aesthetic dimensions.