Introduction. Björkographie : l’émergence des études sur Björk dans le champ universitaire[Notice]

  • Martin Guerpin et
  • Grégoire Tosser

À l’image des carrières d’artistes majeurs de la fin du xxe siècle comme David Bowie, Kate Bush ou Prince, le parcours musical et artistique de Björk (née en 1965) se distingue par un renouvellement constant de sa production, un naturel expérimental souvent inscrit dans un format de chanson aux émotions directes et un désir de l’inconnu, de l’aventure, de la recherche continue. Chanteuse d’exception, Björk occupe également dans sa création des rôles variés et tient à y mêler les outils du passé et du présent en écrivant sur partition tout en expérimentant les dernières applications musicales sur ordinateur et tablette. Ayant grandi au sein d’une communauté hippie, elle apprend le piano et la flûte, et découvre, en parallèle de sa passion pour la pop des Beatles ou de Chaka Khan, la musique de Karlheinz Stockhausen et de Claude Debussy. Cet héritage, entre cultures savante et populaire, se manifeste tout au long de son oeuvre, qui témoigne sur plus de trente ans d’une vision esthétique en perpétuelle mutation et toujours inclassable, tant les styles abordés y semblent éclectiques, depuis le punk et la new wave durant les années 1980, jusqu’au jazz, la pop, ou le trip-hop, en passant par la techno et les programmations électroniques. Pourquoi aujourd’hui lui consacrer un numéro spécial ? Parce que les quelques qualités qui viennent d’être rapidement énoncées semblent montrer que son oeuvre représente d’ores et déjà une contribution majeure à l’évolution de la musique (tous genres confondus) du début du xxie siècle. Et parce que les travaux ici réunis entendent compléter une bibliographie des travaux universitaires sur Björk (nous l’appellerons « björkographie »), dispersée, mais, pour une artiste vivante, déjà conséquente. Cette introduction est donc conçue comme une première synthèse de cette björkographie, qui sera abordée sous ses aspects chronologiques et thématiques. Comme dans le domaine du jazz et des musiques populaires amplifiées, les premières publications sur Björk ne proviennent pas du milieu universitaire. Elles sont l’oeuvre de critiques musicaux fascinés par l’univers de la chanteuse et intéressés par le succès commercial qu’elle rencontre peu de temps après le début de sa carrière solo (Debut, 1993). De fait, c’est entre 1995 (année de la sortie de son deuxième album solo, Post) et 2003 que fleurissent les premières biographies consacrées à Björk. Fait remarquable, ces biographies destinées au grand public ne sont pas publiées exclusivement en anglais – signe que Björk est parvenue très rapidement à une renommée internationale, notamment en Europe. S’ajoute à ces ouvrages un site remarquable, bjork.fr, qui, quoique non officiel, peut être considéré comme une véritable encyclopédie consacrée à la chanteuse et à son oeuvre. Dans un second temps, ces ouvrages ont été complétés par des travaux universitaires plus pointus, dont la dynamique ne s’est pas démentie jusqu’à aujourd’hui. Les raisons de l’intérêt suscité par la chanteuse dans les milieux académiques sont les mêmes qui, quelque quarante ans plus tôt, ont présidé à l’introduction des études sur le jazz puis à celle des musiques populaires amplifiées dans la musicologie francophone : d’un côté, la montée en légitimité artistique de musiques traditionnellement laissées à l’écart par la musicologie et, de l’autre, l’émergence de publications et de chercheurs capables d’aborder cette musique et conscients qu’ils pouvaient en espérer des débouchés dans un milieu musicologique en train de s’ouvrir à de nouveaux répertoires, afin de répondre à l’évolution de la demande étudiante. Ces deux raisons croisées expliquent l’apparition, à partir de 2005, d’articles pionniers sur Björk dans des revues musicologiques de renom (Twentieth-Century Music, Music Analysis, Music Theory Online). En 2009, la publication d’une première monographie …

Parties annexes