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Des premières années de Circuit à la mise en scène d’opéra : entretien avec Jean-Jacques Nattiez[Notice]

  • Maxime McKinley

Ce préambule étant posé, j’aimerais commencer par mettre en regard deux de vos publications : le cinquième numéro de la collection de Circuit, intitulé Opéra ? Gauvreau, Provost, Kagel (vol. 3, no 2), et votre récent livre sur la mise en scène d’opéra. Dans l’éditorial de ce dossier de Circuit paru en 1992, vous évoquiez une « effervescence nouvelle » pour la « création lyrique » (p. 5) : une effervescence, déjà moins nouvelle, que l’on constate aussi dans votre récent livre. Puis, dans un entretien avec Pauline Vaillancourt à propos de la compagnie Chants Libres, reproduit dans ce même numéro de Circuit, vous lui demandiez si elle accepterait d’être définie comme une « chantactrice » (p. 68), un mot-valise que vous utilisez également dans votre dernier ouvrage, comme traduction du terme « Sing-Schauspieler » de Wagner (p. 94). Pourriez-vous nous dire quelques mots sur votre trajectoire face à l’opéra, ce qui a changé et ce qui demeure, entre ces deux publications de 1992 et 2019 ? Mon intérêt pour l’opéra et la mise en scène d’opéra remonte à bien avant 1992. Durant mon adolescence, mon père, à la fois professeur de français et critique musical, me faisait écouter chaque été les retransmissions radiophoniques du Festival de Bayreuth en me demandant de suivre la réduction des oeuvres pour chant et piano posée devant moi. Il m’a ainsi communiqué le virus de l’opéra et de Wagner si bien que, en 1962, à seize ans, je me faisais embaucher par Wolfgang Wagner pour travailler comme machiniste au théâtre bavarois. Il s’agissait d’effectuer un travail d’été dans le cadre d’un concours ouvert aux jeunes lycéens. J’ai eu une chance extraordinaire, car cette année-là, Bayreuth avait programmé huit des dix opéras de Wagner au répertoire, ce qui m’a permis d’entrer de manière concentrée, approfondie et vivante dans son oeuvre. De plus, les distributions de 1962 étaient somptueuses. Je n’oublierai jamais, sous la direction inspirée de Karl Böhm, les prestations, dans Tristan et Isolde, de Wolfgang Windgassen et de Birgit Nilsson que, de surcroît, Wieland Wagner avait eu l’idée géniale de faire mourir… debout. Il prenait à la lettre et donnait à voir la didascalie métaphysique du livret : « Elle meurt comme transfigurée. » J’en parle, du reste, dans le livre que vous avez la gentillesse d’aborder dans vos colonnes (p. 192-193). Débarquant sans expérience de ma petite ville de province (Amiens), j’étais ainsi confronté à ce que l’art lyrique pouvait offrir d’exceptionnel et amené à pénétrer les caractéristiques du style novateur de mise en scène inauguré par le Nouveau Bayreuth au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Le rapport de voyage que je devais envoyer aux commanditaires de mon séjour à Bayreuth aura été mon premier travail sur la mise en scène d’opéra, et l’ouvrage paru en 2019 est l’aboutissement d’un intérêt soutenu tout au long de ma carrière pour Wagner, l’opéra et la mise en scène lyrique, déclenché par le séjour à Bayreuth de 1962. Le prolongement de cet intérêt s’est manifesté de deux façons. D’une part, j’ai écrit six ouvrages sur Wagner : Wagner androgyne, Les esquisses de Wagner pour Siegfried’s Tod, Analyses et interprétations de la musique, consacré au solo de cor anglais de Tristan, Wagner antisémite et Les récits cachés de Richard Wagner. Art poétique, rêve et sexualité : du Vaisseau fantôme à Parsifal. À cela s’ajoute Tétralogie. Wagner, Boulez, Chéreau : essai sur l’infidélité, préfiguration du livre qui nous occupe aujourd’hui. J’étais retourné à Bayreuth en 1979 pour étudier cette autre mise en scène historique que fut la Tétralogie dite du …

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