Résumés
Résumé
L’auteure examine ici la portée du paradigme musical dans la philosophie de Wittgenstein. Le cadre de cet examen est l’approche à partir de Wittgenstein de ce que les philosophes ont aujourd’hui à dire de la signification musicale. Deux styles d’approche sont suggérés, l’un projectif bien marqué par l’idée de « musikalische Gedanke » dans le Tractatus et révélateur d’une filiation à laquelle appartient Wittgenstein, et l’autre horizontal suivant l’axe grammatical du rapport esthétique d’appropriation du geste de l’oeuvre à travers une écoute active. Cette conception intègre une exploration de la résonance des aspects, dans une troisième phase qui ne sera pas développée. Comment Wittgenstein remplit-il certains critères d’appartenance à ce que Lydia Goehr appelle « la quête formelle de l’autonomie du musical » est une question qui conduit l’auteure à re-situer le nouage musique et société chez Wittgenstein, par contraste avec Adorno, en mettant en relief les conditions auxquelles une compréhension interne d’un « contenu formel » (Granger) peut se combiner ici avec le contexte d’une pratique.
Soulez met donc l’autonomie musicale selon Wittgenstein à l’épreuve du contexte des formes de vie, dans une phase où dominent les « jeux » d’une grammaire comparative motivée par l’analogie de la compréhension d’une phrase du langage avec celle de la compréhension d’une phrase musicale. Mettant l’accent sur le caractère actif de la compréhension, doublée d’une performance, l’auteure entend montrer comment Wittgenstein pense la musique avec la société autrement qu’Adorno, donc sans référence dialectique. La clef est une connexion inédite entre immanentisme de la signification musicale à l’échelle d’une phrase, comme le pense Wittgenstein et ses contemporains de l’École de Vienne, et un schéma esthético-pragmatique de « context-dependency ». De là s’ensuit une forme d’autonomie compatible avec la sphère extramusicale. Si « tout un monde se tient dans une phrase musicale », comme le dit Wittgenstein, c’est bien au sens où un motif répercute certains aspects d’un « monde » auquel nous contribuons en le « faisant ».
Abstract
The author examines here the importance of the musical paradigm in Wittgenstein’s philosophy. The framework for this examination is to start from Wittgenstein, and to look at what today’s philosophers have to say about musical meaning. Two styles of approach are suggested, one projective and marked by the idea of “muskalische Gedanke” as it is found in the Tractatus and reveals a tradition within which Wittgenstein’s work can be inscribed, and the other horizontal, following the grammatical axis of the aesthetic relationship of the appropriation of the gesture of the work through active listening. This conception integrates an exploration of the resonance of these aspects, in a third phase which the other does not develop here. How does Wittgenstein satisfy certain criteria for belonging to what Lydia Goehr calls “the formal quest for the autonomy of the musical” is a question which leads the author to resituate the bond between music and society in Wittgenstein, in contrast to Adorno, by showing the conditions with which an internal comprehension of “formal content” (Granger) can be combined here with the context of a practice.
Soulez then confronts Wittgenstein’s notion of musical autonomy with the context of forms of life, in a phase in which the “games” of a comparative grammar dominate, motivated by the analogy of the comprehension of a linguistic proposition with the comprehension of a musical phrase. Placing the accent on the active character of comprehension, doubled with a performance, the author shows how Wittgenstein thinks about music and society differently than Adorno, and without reference to dialectics. The key to this is a newly found connection between an immanent approach to musical meaning at the level of the phrase, as Wittgenstein and his Vienna School contemporaries understood it, and an aesthetico-pragmatic schema of context-dependency. From there, a form of autonomy follows, compatible with the extra-musical sphere. When Wittgenstein says that “a whole world is held in a musical phrase”, he means it in the sense of a motif which reflects certain aspects of a “world” to which we contribute by having “made” it.
Parties annexes
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