À une époque où les études critiques des genres et des sexualités sont nombreuses, diversifiées et fondamentales à la compréhension de l’historicité et du développement des théories et des pratiques cinématographiques et télévisuelles, la publication d’un dossier thématique sur l’émergence d’une pensée queer au sein des études cinématographiques et télévisuelles francophones nous semble tout à fait appropriée et nécessaire. À la fois puissante et difficile à saisir, la théorie queer s’oppose aux « normes » (Foucault 1994 ; Butler 2004) : dans un premier temps, aux normes de genre et de sexualité, et dans des approches plus poussées des penseur·euse·s queer of colour (Ahmed 2006 ; Ferguson 2004 ; Gopinath 2005 ; Muñoz 1999, 2009, 2020 ; Cervulle 2010), aux normes de race, de classe sociale (Henderson 2013), d’âge et de capacités (McRuer 2006). Dans ce dossier, nous adoptons cette perspective queer au sens large. Politique, cette posture nous permet de remettre en question la régulation de la sexualité en lien serré avec la négociation des codes culturels de genre, ainsi que l’imbrication d’autres « normes » dans les dispositifs sociaux, culturels et économiques du cinéma. Il importe de rappeler que la pensée queer a émergé en lien avec le militantisme queer pendant les années 1980 dans des contextes anglo-saxons où la pandémie du sida faisait des ravages dans plusieurs communautés homosexuelles en milieux urbains. En réponse à l’inaction des gouvernements face à cette pandémie et à une intensification de l’homophobie, des militant·e·s et des intellectuel·le·s se sont réapproprié l’insulte queer (pédé), un mot qui évoquera désormais des stratégies d’intervention sociopolitique, des pratiques de production culturelle et des styles de pensée irrévérencieux et radicaux. Il existe des courants de militantisme queer en France et au Québec depuis les années 1980, et le film récent 24 Battements par minute (Robin Campillo, 2017) communique de manière remarquable l’urgence et l’intensité du mouvement contre le sida à Paris durant les années 1990. Toutefois, le terme et la théorie queer font face à une certaine ambivalence, voire hostilité de la part des mouvements et des organisations gais et lesbiens, ainsi que dans les débats publics dans ces deux contextes (Fassin 2005 ; Laprade 2014 ; Provencher 2016 ; Perreau 2016). C’est la journaliste culturelle B. Ruby Rich (1992, 2013) qui a forgé le terme new queer cinema au début des années 1990 pour décrire un courant cinématographique indépendant, mettant en scène des thématiques associées à la fluidité des genres, des sexes et des sexualités, tout en contribuant à la subversion de nos compréhensions traditionnelles de ces enjeux. À l’époque, le courant éclectique new queer cinema comprenait des documentaires (Tongues Untied [1989] de Marlon Riggs, Looking for Langston [1989] de Isaac Julien et Paris Is Burning [1990] de Jennie Livingstone), des longs métrages (Poison [1991] et Safe [1995] de Todd Haynes ; Edward II [1991] et Blue [1993] de Derek Jarman), ainsi que des vidéos expérimentales (productions de Stuart Marshall et de Sadie Bening) et des vidéos militantes (réalisations de John Greyson, Richard Fung et du collectif DIVA TV). Depuis, le phénomène subversif s’est amarré à la conception même du cinéma et de la télévision et s’affaire à bouleverser les conventions esthétiques, narratives, non narratives et documentaires/non fictives (Pidduck 2004 ; Rouleau 2016). Harry M. Benshoff et Sean Griffin (2006) font explicitement le parallèle entre le new queer cinema et la théorie et l’activisme queer, mettant quant à eux l’accent sur la dimension réflexive de ces films : « New Queer Cinema is a metacinema that simultaneously represents queer characters and concerns but also comments upon the form of those representations. This …
Parties annexes
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