Résumés
Résumé
L’auteur de cet article propose d’étudier l’évolution des salles de cinéma et des lieux de projection indépendants dans la capitale chinoise depuis les années 1990, leur place dans la ville, l’augmentation du nombre de spectateurs et l’évolution des pratiques culturelles, ainsi que les différentes politiques culturelles mises en place, entre encouragement au développement des salles et répression des réseaux indépendants. La vitesse de l’accroissement du parc de salles dans les grandes villes chinoises, à l’échelle de cette immense nation, du jamais vu dans le monde, y est soulignée à travers l’étude des principaux circuits d’exploitants à Pékin.
Abstract
This article examines the growth of movie theatres and independent screening venues in the capital of China since the 1990s, their place in the city, the increase in the size of the audience and the evolution of cultural practices, in addition to the various cultural policies which have been established, such as encouraging the opening of movie theatres and the repression of independent circuits. The author underscores the speed with which the number of cinemas has grown in this immense country’s large cities, an unprecedented phenomenon in the world, through the study of the main exhibition circuits in Beijing.
Corps de l’article
Au début des années 2000, les étudiants de l’Académie du cinéma de Pékin allaient au cinéma dans la salle située à l’entrée de l’Académie. Les deux projections hebdomadaires, une pour les films chinois et une pour les films étrangers, avaient lieu le soir, après les cours. Les billets étaient souvent offerts par l’école, surtout pour les films chinois. Cela permettait d’augmenter artificiellement le nombre d’entrées des films officiels. Des réalisateurs et des acteurs, pour certains issus de l’Académie, venaient régulièrement présenter leur film. Une autre salle de cinéma, celle de la Cinémathèque, projetait une fois par semaine des films étrangers, dont des films français. Les projections d’anciens films chinois étaient plus rares. Les autres salles de cinéma de la capitale étaient peu nombreuses, comparées à la taille de la ville. Aller au cinéma, même pour des étudiants de la discipline, n’était pas une habitude très fréquente. Le choix était restreint en raison des quotas de films étrangers et de la censure, les billets étaient chers, l’équivalent d’environ sept ou huit euros, et dans le même temps, il était très facile de trouver une grande partie de la filmographie mondiale des années 1920 à 2000 piratée en DVD, pour une somme avoisinant un euro. Dans ces conditions, l’exploitation de films en salles restait relativement faible. Elle était même en crise depuis le début des années 1990, avec une chute de la fréquentation des films chinois. Pourtant, 15 ans plus tard, le marché chinois du cinéma est sur le point de devenir le premier mondialement. Certaines prévisions annoncent même qu’il dépassera le marché américain aux alentours de 2020 [1], et les jeunes diplômés âgés de 18 à 31 ans représentent près des trois quarts des spectateurs [2]. Alors que s’est-il passé pendant cette période ?
Cet article propose de répondre à cette question à partir de sources chinoises et d’observations effectuées sur le terrain. Les sources écrites utilisées sont principalement les éditions du Chinese Film Market Review des années 2007 à 2014, et le Research Report on Chinese Film Industry 2012. Le Chinese Film Market Review est un rapport officiel en chinois publié par la Chinese Film Distribution and Screening Association (Zhongguo dianying faxing fangying xiehui), en collaboration avec la Chinese City Movie Theater Development Association (Zhongguo chengshi yingyuan fazhan xiehui) et la China Film Producers Association (Zhongguo dianying zhipianren xiehui). C’est un bilan annuel de l’état de l’exploitation des salles en Chine, par ville, par région et par circuit de salles. Le Research Report on Chinese Film Industry 2012 est une analyse des chiffres de l’industrie du cinéma en Chine en 2011 publiée par le Chinese Film Association Industry Research Center (Zhongguo dianyingjia xiehui chanye yanjiu zhongxin). Ces documents informent sur l’état de l’exploitation cinématographique en Chine de 2002 à 2014. Ils permettent d’avoir des données chiffrées sur l’ensemble de cette période cruciale dans l’évolution de l’exploitation cinématographique en Chine. Bien que très précis, le Chinese Film Market Review et le Research Report on Chinese Film Industry 2012 restent toutefois des documents officiels dans un pays qui exerce encore un contrôle sur les statistiques du cinéma. Il convient donc de prendre ces statistiques avec précaution, même si les chiffres donnés dans ces publications semblent bien correspondre aux observations sur le terrain, en particulier à Pékin. Ces bilans ne prennent cependant pas en compte les projections de films chinois indépendants, ceux produits en dehors des circuits officiels, sans le soutien des studios d’État et sans l’autorisation du Bureau du cinéma, qui sont distribués dans des circuits parallèles, contre la volonté du gouvernement.
Réformes du cinéma et urbanisation
Les années 1990 et 2000 sont celles des réformes de l’industrie du cinéma chinois, avec une libéralisation progressive de la production, de la distribution et de l’exploitation de films. La programmation des salles passe d’un système planifié entièrement contrôlé par l’État à un système répondant aux exigences du marché et du public, même si le cinéma reste encore censuré. Le parc de salles de cinéma se développe dans toute la Chine. Dans les plus grandes villes chinoises, à Pékin comme à Shanghai, Chongqing, Shenzhen, Chengdu ou Guangzhou, le nombre de cinémas augmente très fortement. Cette augmentation se fait dans un contexte de mutation accélérée des villes chinoises et de développement économique rapide qui modifie les espaces urbains et les modes de vie, favorisant l’émergence d’une classe moyenne citadine et d’une société des loisirs. Ces bouleversements transforment largement l’exploitation des films en Chine.
Les réformes de l’industrie du cinéma
Durant les premières décennies des réformes qui suivent l’ouverture économique et politique de la Chine en 1978, l’industrie du cinéma, comme l’ensemble de l’économie chinoise, passe progressivement d’un système planifié à une économie de marché. Le mouvement s’accélère véritablement durant les années 1990 sous l’impulsion de réformes mises en place par le State Administration of Radio Film and Television (SARFT). La production, la distribution et l’exploitation des films ne doivent plus se faire uniquement selon des critères politiques comme c’était le cas auparavant. Les entrées en salles et les recettes doivent désormais être prises en compte. Le monopole de la China Film Corporation sur l’achat et la distribution de films est peu à peu remis en cause pour offrir plus de libertés aux exploitants dans le choix des films, leurs période et durée de projection.
À partir de 1995, la législation sur la distribution de films étrangers évolue vers plus d’ouverture et de films récents. En 2001, après l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce, les quotas de films étrangers passent de 10 à 20 par an, puis à 34 en 2012, et le monopole de la China Film Corporation sur la distribution de films prend officiellement fin. Les sociétés étrangères sont désormais autorisées à investir dans la construction de multiplexes (Zhang 2009, p. 61-69) qui vont progressivement remplacer les « unités de projection » alors en place. Cette évolution de la réglementation sur la distribution de films et l’exploitation cinématographique en Chine crée un contexte favorable à la construction de salles de cinéma, renforcé par le développement économique et par l’urbanisation de la Chine.
La mutation des grandes villes chinoises
Dans le même temps que les réformes de l’industrie du cinéma, la Chine connaît une révolution urbaine sans précédent dans son histoire. Chaque année, ce sont presque 20 millions de Chinois qui viennent des campagnes s’installer en ville, faisant progresser le taux d’urbanisation du pays (Descamps 2012, p. 53). Pékin, Shanghai, Shenzhen, Guangzhou, Chongqing, Chengdu, Wuhan, Nanjing et Tianjin, les plus grandes villes chinoises, comptent chacune déjà plusieurs millions d’habitants et leurs populations ne cessent d’augmenter. Cette explosion de l’urbanisation est un défi pour les autorités qui doivent loger les nouveaux citadins. Les chantiers de construction prolifèrent et les paysages urbains des villes se transforment. Les grands immeubles et les autoroutes urbaines remplacent les ruelles et les cours carrées. Les centres commerciaux situés dans les grands immeubles se multiplient. Cette urbanisation accélérée transforme aussi les infrastructures des villes (Hubert 2012, p. 16), dont les salles de cinéma qui s’installent dans ou à proximité des nouveaux centres commerciaux.
Cette mutation des villes chinoises se produit dans un contexte de développement économique, lui aussi sans équivalent par son ampleur et sa rapidité. Ce développement transforme les modes de vie des Chinois, en particulier des jeunes citadins de la « classe moyenne » qui constituent aujourd’hui une très large partie du public des salles. En 25 ans, le niveau de vie des citadins chinois a été bouleversé. Les plus jeunes, ceux nés à partir des années 1980 et qui ont grandi dans cette société en plein développement, sont plus ouverts que leurs aînés à la nouvelle société des loisirs qui se met progressivement en place dans les villes chinoises et dont le cinéma est une des composantes.
La situation des salles de cinéma en Chine
Occultée pendant les premières années de la décennie 2000, l’évolution de l’équipement en salles de cinéma de la Chine est devenue un phénomène qui intéresse désormais les journaux français et occidentaux, en particulier depuis le rachat par le groupe chinois Wanda du circuit de salles américaines AMC en 2012, qui donne naissance au premier groupe mondial de salles. Le Centre national du cinéma et de l’image animée, le journal Le Monde ou encore Radio France Internationale, ont rendu compte de la progression rapide du nombre de salles, évoquant « un parc de salles désormais gigantesque [3] », un « grand bond en avant [4] » ou un « boom du cinéma [5] ». Si ces textes peuvent parfois paraître un peu trop enthousiastes car ils ne prennent pas en compte toutes les nuances de ce développement rapide, ils rendent cependant compte d’une réalité qui bouleverse le cinéma à l’intérieur de la Chine mais aussi dans le monde.
Évolution dans les grandes villes chinoises
La construction de salles de cinéma en Chine se concentre essentiellement dans les villes comme Pékin, Shanghai, Chongqing, Shenzhen, Chengdu ou Guangzhou, et a lieu simultanément avec la mutation urbaine en cours dans tout le pays. Si le nombre de nouvelles salles construites à partir des années 2000 paraît très important, il est donc à mettre en rapport et à relativiser avec cette urbanisation rapide.
Le nombre de salles
Entre 2002 et 2014, le nombre d’établissements et d’écrans des principaux circuits de salles dans les villes chinoises a été multiplié par plus de quatre pour les établissements et par plus de dix pour les écrans. En 2002, on compte 1 024 établissements pour 1 845 écrans [6]. En 2014, on compte 4 866 établissements pour 24 879 écrans [7]. Sont ainsi construits 95 établissements (272 écrans) en 2005, 82 établissements (366 écrans) en 2006, 102 établissements (493 écrans) en 2007 [8], puis 118 établissements (570 écrans) en 2008 et 142 établissements (626 écrans) en 2009 [9].
L’ampleur du nombre de constructions est la même dans toutes les plus grandes villes du pays. Entre 2009 et 2014, le nombre d’établissements progresse de 100 % à Pékin et celui des écrans progresse de 152 %. C’est la même tendance à Shanghai avec une progression de 252 % du nombre d’établissements et de 226 % de celui des écrans. En 2014, les deux villes représentent respectivement 7,77 % et 6,88 % des recettes en salles du marché national [10]. Après Pékin et Shanghai, les villes les plus importantes pour l’exploitation de films sont Chongqing, Shenzhen, Chengdu et Guangzhou. Elles connaissent toutes une forte progression du nombre d’établissements et d’écrans, atteignant jusqu’à plus de 400 % d’augmentation du nombre d’établissements à Chongqing, une des villes les plus peuplées de Chine.
Dans les régions ou provinces moins développées, les salles sont aussi concentrées dans les grandes villes. Urumqi (environ trois millions d’habitants), la capitale du Xinjiang, la région autonome ouïghoure située à l’ouest de la Chine, compte huit établissements pour 59 écrans [11] et Taiyuan (environ trois millions d’habitants), dans la province de Shanxi, au nord-est de la Chine, compte huit établissements pour 45 écrans [12].
Les équipements et les lieux des nouvelles salles
À partir de 2004, le gouvernement lance un programme de développement des salles numériques. Sur les 626 nouveaux écrans construits en 2009, 500 sont équipés de projecteurs numériques, soit environ 80 %. La même année, le nombre de salles équipées de projecteurs numériques 2K est de 2 000 et représente environ 30 % des recettes et des entrées (le nombre de salles IMAX est de dix dans toute la Chine, dont trois à Pékin) [14]. Après ces premières années de forte augmentation du nombre de salles et de spectateurs, la hausse se poursuit, particulièrement dans les grandes villes.
Les salles construites pendant cette période occupent une place différente dans la ville par rapport aux anciennes salles ou unités de projection. Elles sont dans ou à proximité des nouveaux quartiers et centres commerciaux, et leur intérieur a évolué, avec des salles pouvant accueillir plus de spectateurs et offrir plus de confort. Ces nouveaux établissements sont des multiplexes comprenant le plus souvent sept ou huit écrans, allant parfois jusqu’à dix. Ils participent à l’affichage des « nouvelles valeurs » commerciales de la Chine promues par les autorités. La place accordée dans les cinémas à l’achat de boissons et autres consommations est importante. Des comptoirs sont situés en bonne place à l’entrée des cinémas, à proximité des guichets. La programmation de films commerciaux chinois ou américains renforce l’ambition commerciale des nouveaux multiplexes faits pour attirer le plus de monde possible en mettant l’accent sur le confort des salles et les qualités techniques des équipements. Il ne s’agit pas dans ces nouvelles salles de défendre le cinéma indépendant ou d’art et essai mais de promouvoir un cinéma commercial.
Le nombre de spectateurs et des recettes
L’augmentation du nombre de salles depuis les années 2000 va de pair avec la hausse de la fréquentation et des recettes, des hausses qui profitent autant aux films chinois qu’aux films étrangers, essentiellement américains. En 2008, Les trois royaumes (Chi bi, John Woo) attire ainsi 9,58 millions de spectateurs et Kung Fu Panda (John Stevenson et Mark Osborne) 6,61 millions [15]. Six ans plus tard, en 2014, Transformers : L’âge de l’extinction (Transformers: Age of Extinction, Michael Bay) attire 47,29 millions de spectateurs et les deux films chinois Breakup Buddies (Xin hua lu fang, Hao Ning) et The Monkey King (Xi you ji : Da nao tian gong, Pou-Soi Cheong) attirent respectivement 34,03 millions et 24,92 millions de spectateurs [16]. Comme le montrent ces quelques exemples de films chinois et américains arrivés en tête du box-office en Chine à quelques années d’intervalle, l’évolution du nombre de spectateurs est très significative pendant cette période. Dans les villes, la fréquentation et les recettes des circuits de salles sont en très forte progression, passant respectivement de 73,03 millions de spectateurs et 1,6 milliard de yuans en 2005 [17] à 836,3 millions de spectateurs et 29,636 milliards de yuans en 2014 [18].
Plusieurs raisons expliquent cette importante hausse : l’augmentation très forte du nombre d’habitants dans les villes où sont construites les nouvelles salles ; l’augmentation du pouvoir d’achat des citadins, favorisée par la croissance de l’économie ; mais aussi un changement de comportement des Chinois qui vont plus au cinéma que dans les années 1990, encouragés par les politiques des gouvernements successifs qui souhaitent développer les industries culturelles nationales et particulièrement le cinéma en mettant en place des réformes, et ce, malgré le phénomène des DVD pirates apparus au début des années 2000, auquel a succédé la possibilité de voir des films sur le web, légalement ou non. Ce phénomène concerne l’ensemble de la Chine et pas seulement les principales villes de l’est comme Pékin et Shanghai, et ce sont les jeunes adultes qui forment la plus large partie du public, comme le montre l’étude The Research Report on Chinese Film Industry 2012. En 2011, 75,5 % du public des salles sont des personnes âgées de 18 à 31 ans. Les personnes âgées de 41 à 60 ans ne représentent que 3,4 % du public, et celles âgées de plus de 60 ans seulement 0,8 %. Le niveau de scolarité du public est lui aussi fortement marqué puisque 71,3 % des spectateurs sont étudiants ou diplômés d’universités. L’augmentation du nombre de spectateurs est un phénomène qui concerne essentiellement les jeunes ayant un bon niveau d’éducation, autant les hommes que les femmes [20]. Les personnes âgées de plus de 60 ans et les citadins peu qualifiés en sont exclus, comme une large partie des ouvriers et des paysans dont les revenus ne permettent pas l’achat régulier de billets de cinéma. Ce changement radical de comportement par rapport aux générations précédentes, encouragé par les politiques des autorités en faveur du développement des industries culturelles, annonce un phénomène s’inscrivant dans la durée et progressant parallèlement au développement de l’économie chinoise.
Les salles de cinéma à Pékin
Contrairement à Paris qui est de loin la principale ville française en nombre de salles, Pékin, la capitale chinoise, n’est qu’une des nombreuses très grandes villes de Chine équipées de plusieurs salles. Bien qu’elle soit la première ville en termes de marché, d’autres comme Shanghai, Shenzhen ou Guangzhou en représentent aussi une part importante. L’évolution du nombre de salles, du nombre de spectateurs et des recettes dans ces grandes villes est équivalente. La situation étudiée dans le cas de Pékin n’est donc pas exceptionnelle en Chine, mais s’avère un exemple parmi d’autres du développement du cinéma depuis une quinzaine d’années.
L’évolution du nombre de salles, de spectateurs et des recettes
Pékin compte en 2014 150 établissements et 915 écrans [22] ; 21 établissements et 145 écrans ont encore été construits cette année-là [23]. L’évolution du nombre de salles dans la capitale est constante depuis le milieu des années 2000. Le nombre d’établissements a quasiment doublé en sept ans, et ceux comptant plus de dix salles sont de plus en plus nombreux. En 2014, 17 établissements étaient dans ce cas [24]. Une grande partie des salles de cinéma se concentre dans deux quartiers : le quartier Chaoyang, à l’est, et le quartier Haidian, le quartier des universités, au nord de la capitale. Ces deux quartiers représentent respectivement 36,18 % et 23,45 % des recettes de la capitale [25]. Parallèlement à cette augmentation du nombre de salles, Pékin connaît entre le début des années 2000 et 2014 une très forte augmentation du nombre de spectateurs et des recettes.
Les circuits de salles à Pékin
En 2006, dans les circuits de salles, le nombre de spectateurs est de 8,65 millions pour 320 millions de yuans de recettes. Le marché de Pékin est dominé par trois circuits : le circuit local Beijing New Film Association (53,86 % des entrées de la capitale) et les deux principaux circuits nationaux, China Film Stellar (35,70 % des entrées) et Wanda (7,01 %). Les recettes en salles représentent 13,48 % des recettes nationales [28]. En 2014, les trois principaux circuits de salles à Pékin sont toujours la Beijing New Film Association, la China Film Stellar et Wanda. La Beijing New Film Association, avec 28 établissements réalisant plus de 5 millions de yuans de recettes, 213 écrans et 13,44 millions de spectateurs en 2014 [29] est le premier groupe à Pékin en termes d’établissements, d’écrans, d’entrées et de parts de marché. Viennent ensuite le groupe China Film Stellar avec 16 établissements et 134 écrans, puis le groupe Wanda avec trois établissements et 28 écrans et le groupe Shanghai Lianhe avec trois établissements et 32 écrans.
La Beijing New Film Association, dixième dans le classement des groupes nationaux avec 100 établissements et 585 salles en Chine, est le plus important groupe originaire de Pékin. Sa part de marché national est de 3,45 % (contre 14,28 % pour Wanda et 8,3 % pour China Film Stellar)[30]. Le groupe s’est développé sur le plan national avec des salles dans plusieurs provinces, mais Pékin, avec presque 60 % des recettes nationales du groupe, représente son principal marché [31]. Aucun autre groupe originaire de Pékin ne s’est véritablement développé dans l’ensemble du pays.
Le groupe China Film Stellar est le deuxième circuit de salles à Pékin (le deuxième aussi sur le plan national, avec 286 établissements pour 1 727 écrans et 244 545 places [32], derrière le groupe Wanda). Il est passé à Pékin de 10 établissements en 2008 à 12 en 2009 (de 49 à 66 écrans) [33] puis à 16 établissements et 134 écrans en 2014. La capitale représentait cette année-là 21 % des entrées nationales du groupe. Guangdong, avec 18 établissements et 126 écrans, représente 15,6 % des entrées nationales du groupe [34]. Parmi les cinq établissements de China Film Stellar réalisant le plus de recettes, le premier est situé à Shenzhen et les quatre suivants à Pékin. Les deux établissements du groupe qui font le plus d’entrées dans la capitale sont la Beijing UME Guoji Yingcheng qui attire 1,35 million de spectateurs et la Beijing UME Hua Xing qui attire 1,05 million de spectateurs en 2014 [35].
Le groupe Wanda, celui qui a attiré l’attention des médias après son rachat du groupe américain AMC en 2012, est le troisième circuit de la capitale. Le groupe s’est fortement développé sur le plan national depuis le milieu des années 2000 alors que le groupe Wanda investit massivement dans l’immobilier. Entre 2005 et 2014, le nombre de spectateurs des salles du groupe passe de 2,38 millions en 2005 [36] à 101,74 millions en 2014 [37]. En 2009, Wanda possède 51 établissements pour 388 écrans. En 2012, au moment du rachat d’AMC, l’ensemble des articles publiés dans la presse écrite ou sur le web évoque les chiffres de 86 établissements pour 730 écrans [38]. En 2014, le groupe possède 182 établissements, 1 617 écrans et 272 611 places [39]. À Pékin, le groupe possède seulement trois établissements et 28 écrans contre cinq établissements et 52 écrans à Shanghai [40]. Dans la plupart des autres villes où le groupe est présent, il l’est avec un seul établissement comprenant entre cinq et dix écrans. Cette présence nationale se répercute sur la répartition des recettes. Pékin représente seulement 3,75 % des recettes nationales du groupe (la capitale en représentait 12,27 % en 2009) [41]. Les établissements de Wanda qui attirent le plus de spectateurs et font le plus de recettes sont situés à Shanghai et Guangzhou. En termes d’entrées, le premier établissement du groupe situé à Pékin, le Beijing Wanda Yingcheng CBD, n’est que quatrième sur le plan national. En 2008, il attirait 1,13 million de spectateurs pour 49,13 millions de recettes [42]. En 2014, le même établissement attire 920 000 spectateurs pour 60,28 millions de yuans de recettes [43].
En plus de la Beijing New Film Association, la China Film Stellar et Wanda, d’autres circuits de salles sont présents dans la capitale, en particulier des circuits nés dans d’autres grandes villes et qui se sont développés sur le plan national. Le groupe Guangdong Dadi, originaire de la ville de Guangdong, compte en 2014 491 établissements pour 2 359 écrans répartis dans plusieurs villes et provinces chinoises [44]. Guangdong, avec 57 établissements pour 265 écrans, représente presque un quart des recettes nationales du groupe, tandis que Pékin, avec seulement trois établissements et 14 écrans en représente moins de 1 %. Le groupe Shanghai Lianhe, originaire de la ville de Shanghai, est dans une situation proche de celle du groupe Guangdong Dadi, avec une forte concentration de ses établissements dans sa ville d’origine. Le groupe compte en 2014 223 établissements et 1 220 écrans répartis dans plusieurs villes et provinces chinoises [45], dont 39 établissements et 239 écrans à Shanghai, représentant 38 % des recettes nationales. Pékin, avec trois établissements, 32 écrans et 7,48 % des recettes nationales du groupe représente son troisième marché dans l’ensemble de la Chine.
La politique tarifaire
En 2014, le prix moyen d’un billet de cinéma dans la capitale est de 43,91 yuans [46] (il est à Shanghai de 43,79 yuans, à Chongqing de 33,04 yuans, à Guangzhou de 39,77 yuans et à Shenzhen de 41,17 yuans) [47]. Les prix varient suivant les films et les séances. Le prix d’un billet pour un film à succès aux heures d’affluence peut aller jusqu’à 100 yuans, et descendre à 40 yuans à une heure creuse. Des systèmes de cartes de fidélité prépayées existent aussi et permettent un rabais pouvant varier de 20 à 30 % sur le prix affiché. Dans les entrées des cinémas, les différents prix sont affichés pour chaque film, suivant les séances.
Avec l’augmentation du niveau de vie et des salaires dans les grandes villes, le cinéma est désormais accessible à une partie de plus en plus importante de la population, mais le prix des billets de cinéma dans les salles chinoises représente toujours un problème d’accès pour les plus bas revenus comme ceux des travailleurs migrants, très nombreux dans la capitale. Avec une moyenne d’une quarantaine de yuans, le billet représente une part trop importante des salaires de ces travailleurs situés entre 2 000 et 3 000 yuans, dont une grande partie est envoyée à leur famille dans les différentes provinces. De fait, les travailleurs migrants sont exclus du public.
L’alternative aux circuits officiels ?
Parallèlement aux nouvelles grandes salles construites pour la distribution et l’exploitation de films commerciaux et officiels se sont aussi développés, bien que dans une moindre proportion, des festivals et des réseaux de lieux de projection de films indépendants, dans des cafés ou des galeries d’art, aucune salle de cinéma indépendante ne pouvant être légalement exploitée en dehors des circuits. Ces lieux de projection proposent des films de fiction ou des documentaires chinois tournés sans autorisation du bureau du cinéma, et donc non distribuables dans les salles commerciales. Ce type de projection s’est développé à partir du début des années 2000, en même temps que l’apparition des DVD. Alors que le développement des salles de cinéma est encouragé par des politiques culturelles favorables mises en place par les gouvernements chinois successifs, la répression s’abat régulièrement sur les organisateurs de ces festivals et ces réseaux de projection de films indépendants qui dénoncent souvent les dérives du pouvoir. Il s’agit pour les autorités de continuer à exercer une forme de censure sur le cinéma. Les films indépendants documentaires et de fiction révèlent les aspects les plus sombres du développement économique chinois : les conditions de vie des travailleurs migrants ; les déplacements de population liés à l’urbanisation ; la corruption et les lacunes du système judiciaire ; et toutes sortes de problèmes que les autorités veulent cacher.
Dans son ouvrage consacré au cinéma indépendant, Judith Pernin (2015, p. 107-109) répertorie plusieurs lieux de projection de films indépendants dans la capitale, dans des cafés autour de l’Académie du cinéma de Pékin ou dans des galeries d’art, dans des sortes de « ciné-clubs non officiels » établis par des associations de critiques, d’artistes, de réalisateurs indépendants ou d’enseignants. Les projections dans ces lieux ne sont pas commerciales, sont irrégulières et restreintes à un public d’initiés. Même si plus récemment, l’établissement Broadway Cinematheque (trois salles et 400 places) projette dans de meilleures conditions et pour un public plus large des films indépendants, ces projections ne peuvent pas constituer l’alternative à une distribution officielle dans les circuits commerciaux.
Conclusion
Le fort développement de l’équipement dans les salles de cinéma en Chine est un phénomène apparu il y a une vingtaine d’années et qui est lié au développement économique et à l’urbanisation du pays. Il s’inscrit dans la durée. Le nombre de salles de cinéma va continuer d’augmenter dans les prochaines années dans les grandes villes comme dans les provinces. Le marché chinois va rejoindre, puis dépasser, celui des États-Unis très prochainement, probablement avant 2020. La composition du public des salles, essentiellement âgé de moins de 40 ans, indique que l’augmentation de la fréquentation des salles de cinéma peut elle aussi s’inscrire dans la durée, ce public continuant à aller voir des films après 40 ans. Les plus jeunes, contrairement à leurs aînés qui allaient la plupart du temps voir des films dans les salles de projection des unités de travail, ont pris l’habitude d’aller au cinéma dans des multiplexes. Cette émergence du marché chinois du cinéma a des conséquences sur le cinéma mondial. Des studios américains pensent désormais leurs films aussi pour ce marché (Iron Man 3, Shane Black, 2013 ; Transformers: Age of Extinction, Michael Bay, 2014, etc.), en prenant en compte le public et la censure, et les coproductions franco-chinoises se multiplient depuis les accords de 2010 avec des producteurs français qui souhaitent profiter de l’accès aux salles chinoises permis par ces accords. Le cinéma chinois, qui s’est imposé depuis les années 1990 auprès des cinéphiles du monde entier et dans les festivals internationaux avec des réalisateurs indépendants comme Jia Zhangke, Wang Bing ou Lou Ye, s’impose désormais économiquement.
Parties annexes
Note biographique
Christophe Falin est chargé de cours au Département de cinéma et d’audiovisuel de l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis. Il est l’auteur de Shanghai/Hong Kong, villes de cinéma (2014) et de plusieurs articles consacrés au cinéma chinois publiés notamment dans la revue Monde chinois : Nouvelle Asie. Il a étudié deux ans à l’Académie du cinéma de Pékin entre 2000 et 2003 et a été vice-président de l’Association française d’études chinoises (AFEC) de 2013 à 2015.
Notes
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[1]
« Cinéma : la Chine sera le premier marché mondial en 2020 », Le Monde, 7 mai 2013, http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/05/07/cinema-la-chine-sera-le-premier-marche-mondial-en-2020_3173090_3246.html.
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[2]
En 2011, 75,5 % du public des salles sont des personnes âgées de 18 à 31 ans. Les personnes âgées de 41 à 60 ans ne représentent que 3,4 % du public, et celles âgées de plus de 60 ans seulement 0,8 %. Le niveau d’études du public est lui aussi fortement marqué puisque 71,3 % des spectateurs sont étudiants ou diplômés d’universités (RPCFI 2012, p. 134-135).
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[3]
« Le cinéma français en Chine », Centre national du cinéma et de l’image animée, n.d., http://www.cnc.fr/web/fr/actualites/-/liste/18/4422099.
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[4]
Emmanuelle Jardonnet, « Le grand bond en avant du box-office chinois… porté par des blockbusters américains », Le Monde, 2 janvier 2015, http://www.lemonde.fr/cinema/article/2015/01/02/le-grand-bond-en-avant-du-box-office-chinois-porte-par-des-blockbusters-americains_4548603_3476.html.
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[5]
« Chine : le boom du cinéma », Radio France Internationale, 1er janvier 2015, http://www.rfi.fr/culture/20150101-chine-boom-cinema-chine-breakup-buddies-transformers-jean-jacques-annaud-philippe-muyl.
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[6]
CFMR 2007, p. 4.
-
[7]
CFMR 2014, p. 99.
-
[8]
CFMR 2007, p. 5.
-
[9]
CFMR 2009, p. 5.
-
[10]
CFMR 2014, p. 173.
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[11]
CFMR 2009, p. 224.
-
[12]
CFMR 2009, p. 226.
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[13]
Tous les chiffres de cette section concernant le nombre d’établissements et d’écrans dans les principales villes chinoises proviennent du CFMR 2009 (p. 104) pour les chiffres de 2009 et du CFMR 2014 (p. 176) pour les chiffres de 2014. Les données concernant les populations des villes citées dans le texte proviennent du site Population Data (https://www.populationdata.net/pays/chine/).
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[14]
CFMR 2009, p. 228-240.
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[15]
CFMR 2008, p. 186-188.
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[16]
CFMR 2014, p. 354.
-
[17]
CFMR 2007, p. 7.
-
[18]
CFMR 2014, p. 1 et 4.
-
[19]
CFMR 2007 et CFMR 2014.
-
[20]
RRCFI 2012, p. 134-135.
-
[21]
CFMR 2014, p. 182, 186, 189, 199 et 202.
-
[22]
CFMR 2014, p. 176.
-
[23]
CFMR 2014, p. 182.
-
[24]
CFMR 2014, p. 182.
-
[25]
CFMR 2014, p. 183.
-
[26]
CFMR 2008, p. 100 ; CFMR 2009, p. 110 ; CFMR 2013, p. 151 ; et CFMR 2014, p. 182.
-
[27]
CFMR 2009, p. 109 et CFMR 2014, p. 182.
-
[28]
CFMR 2007, p. 40-42.
-
[29]
CFMR 2014, p. 183.
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[30]
CFMR 2014, p. 9.
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[31]
CFMR 2014, p. 47.
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[32]
CFMR 2014, p. 18.
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[33]
CFMR 2009, p. 100.
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[34]
CFMR 2014, p. 19.
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[35]
CFMR 2014, p. 20.
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[36]
CFMR 2007, p. 27.
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[37]
CFMR 2014, p. 14.
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[38]
Voir par exemple Laugée 2012.
-
[39]
CFMR 2014, p. 12.
-
[40]
CFMR 2014, p. 14.
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[41]
CFMR 2009, p. 14-15.
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[42]
CFMR 2009, p. 14-15.
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[43]
CFMR 2014, p. 16.
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[44]
CFMR 2014, p. 22.
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[45]
CFMR 2014, p. 26.
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[46]
CFMR 2014, p. 182.
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[47]
CFMR 2014, p. 185, 189, 199 et 203.
Bibliographie
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