Compte renduBook Review

Martin Barnier, Bruits, cris, musiques de films. Les projections avant 1914, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010[Notice]

  • Germain Lacasse

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  • Germain Lacasse
    Université de Montréal

Sur la place du village est arrivé le « Grand Cirque Électrique Moderne Barnier ». La plus grande tente est celle du « Cynématographe », qu’on remarque par sa devanture colorée mais surtout par les bruits divers qui l’entourent. Un tracteur à vapeur roule sans cesse pour produire l’électricité nécessaire au fonctionnement du « Cynématographe », un bonisseur crie à tue-tête pour attirer le public, et sous la tente le spectateur regarde les films en applaudissant ou en huant les pitreries qu’on lui offre, pendant que les serveurs crient pour recouvrir la musique reproduite par le gramophone, qui les empêche de bien entendre les commandes des clients. Comme le « Grand Cirque… » s’est installé tout juste entre la gare et le marché public, le bruit des trains et les cris du marché viennent s’ajouter au tintamarre qui entoure les projections. Heureusement que les films sont « muets » ! Cette assourdissante description des premières projections de films n’est pas une citation, elle est reconstituée à partir du livre de Martin Barnier Bruits, cris, musiques de films. Les projections avant 1914. Plusieurs études importantes ont été consacrées depuis deux décennies au son du cinéma « muet » (Altman, Pisano, Boillat, etc.), mais celle-ci l’aborde d’une façon inattendue quoique très pertinente : au lieu de s’arrêter aux sons destinés à l’accompagnement du film muet, elle inventorie et étudie de façon exhaustive tout l’environnement sonore des premières projections, y compris tous les bruits qui n’ont rien à voir avec le film mais font partie à l’époque de son paysage sonore. Ce livre est aussi stimulant par ses propositions théoriques que par la diversité et l’originalité de sa documentation et suscite la réflexion sur des sujets et des hypothèses inouïes, c’est le cas de le dire. Barnier explique et justifie l’intérêt de sa démarche : Cette proposition, qu’il présente dans son introduction, est complétée par une autre aussi importante dans sa conclusion : Martin Barnier nous propose donc une étude détaillée, méthodique et rigoureuse mais destinée aussi à mieux fonder théoriquement les approches de l’histoire du son au cinéma. Le livre est d’ailleurs préfacé par Rick Altman, dont le colossal ouvrage (2004) a déjà bien montré la pertinence d’une histoire sonore des débuts du cinéma par une approche performative polysémique qu’il a décrite à l’aide de l’expression « sound as event ». Le livre de Martin Barnier s’inscrit dans cette approche en y ajoutant en quelque sorte un volet phénoménologique fondé sur les sensations multiples vécues par les spectateurs, mais basé aussi sur l’inventaire et l’étude de leurs « réactions sonores ». Son histoire comporte aussi un aspect sociologique, montrant non seulement que les sons expriment les réponses des différents publics mais aussi les variétés de leurs réactions selon les classes sociales et les régions, certains auditoires étant aussi réservés que d’autres sont bruyants. Très court, le premier chapitre traite des sonorités entourant les projections avant l’arrivée des images animées : « harmonica de verre » avec les fantasmagories de Robertson, chansons avec les bandes d’Émile Reynaud, bruits d’eau pendant les spectacles d’ombre, etc. Après cette entrée en matière prometteuse, le deuxième chapitre offre la partie sans doute la plus originale de l’ouvrage : « Vacarmes de foire ». Le lecteur peut entendre ici la plus surprenante et hétéroclite évocation des sensations sonores offertes aux spectateurs de la Belle Époque, dans les théâtres chics ou les foires de province : musiciens, chanteurs, phonographes, pianos mécaniques, crieurs, bonimenteurs, conférenciers, mais Barnier lui fait surtout entendre les autres sources de bruits, toujours oubliées dans les études sur le son : machines à vapeur, bruits …

Parties annexes