Résumés
Résumé
The Dreamers (Bertolucci, 2003) et Les amants réguliers (Garrel, 2005) sont « contemporains » à plus d’un titre : ils sont parus à quelques années d’intervalle ; ils partagent un « lieu commun », un « lieu » lui-même partagé entre l’espace public et la « prise de la rue » soixante-huitarde, et une tentative de redéfinition de l’intimité et de la communauté. L’articulation entre ces deux espaces (la rue/la chambre) permettrait, si nous suivons les deux cinéastes, de capturer quelque chose de l’expérience et du souvenir de « mai » (avant ou après les événements). L’article qui suit se penche tout d’abord sur la critique de la séparation entre espace privé et espace public, née de la formation de la société bourgeoise, et sur les différentes stratégies employées par les mouvements d’avant-garde artistiques et politiques, ainsi que par Bertolucci et Garrel, pour articuler la « prise de la rue » et une réinvention de l’intimité. L’auteur insiste tout particulièrement sur les façons dont la « présence du temps » — un temps stratifié, multiple, mobile — se manifeste dans ces deux films au coeur de ce partage entre l’intimité et la rue, et comment il peut être à la source d’une nouvelle mélancolie du cinéma (et du politique), qui — en passant par La maman et la putain (1973) de Jean Eustache — nous est encore anachroniquement contemporaine.
Abstract
The Dreamers (Bernardo Bertolucci, 2003) and Les amants réguliers (Regular Lovers, Philippe Garrel, 2005) are “contemporary” in more than one sense: they were made a few years apart; they share a “common place,” itself shared between public space and the May-68 “taking over of the streets”; and they share an attempt to redefine private life and community. The link between these two spaces (the street and the bedroom) makes it possible, if we follow the two filmmakers, to capture something of the experience and the memory of “May 68” (before or after the events to which the term alludes). This article examines first of all the critique of the separation of public and private space born of the establishment of bourgeois society, and the various strategies employed by artistic and political avant-garde movements, and by Bertolucci and Garrel, to link the taking over of the streets and the re-invention of private life. The author pays special attention to the ways in which the “presence of time”—a stratified, multiple and shifting time—is manifested in these two films at the heart of this division between private life and the street and how it may be the source of a new melancholy in film (and in politics) which—by way of Jean Eustache’s La maman et la putain (The Mother and the Whore, 1973)—is for us still anachronistically contemporary.
Parties annexes
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