Compte renduBook Review

Alain Boillat, Du bonimenteur à la voix-over. Voix-attraction et voix-narration au cinéma, Lausanne, Antipodes, 2007, 539 p.[Notice]

  • Roger Odin

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  • Roger Odin
    Université Sorbonne Nouvelle — Paris 3, IRCAV

Le problème du son est-il en train de devenir « l’endroit où les choses se passent » dans le cadre de la réflexion sur le cinéma ? Non seulement les travaux concernant cette question se multiplient, renouvelant considérablement le sujet, mais ils ont d’ores et déjà conduit à plusieurs propositions de redéfinition de l’histoire du cinéma. Ainsi, dans Une archéologie du cinéma sonore, Giusy Pisano (2004, p. 4) revendique-t-elle une histoire « problématique, non point événementielle, mais discontinue et hétérogène, qui se propose sans cesse d’élargir les champs […] ». Édouard Arnoldy (2004) plaide, lui, « Pour une histoire culturelle du cinéma ». Dans Silent Film Sound, Rick Altman (2004, p. 7) est encore plus catégorique : « Today we are beginning to understand the need for nothing less than an entire redefinition of film history, based on new objects and new projects. » Le son est bien évidemment l’un de ces nouveaux objets. L’ouvrage d’Alain Boillat s’inscrit dans ce mouvement avec une double originalité ; d’une part, Boillat centre ses réflexions sur les « manifestations vocales » du son, ce qui n’est pas si fréquent, même si les choses sont en train de changer , d’autre part, il vise non pas à renouveler l’histoire du cinéma, mais la théorie. Encore ne faut-il pas se méprendre : vouloir renouveler la théorie ne veut pas dire se désintéresser de l’histoire et réciproquement ; la différence n’est qu’une question d’angle d’approche : dans les ouvrages précédemment cités, il s’agissait de renouveler la théorie de l’histoire ; pour Boillat, il s’agit de mettre en évidence « les conséquences théoriques de l’analyse historique » (p. 484) pour mieux comprendre le fonctionnement communicationnel du cinéma. Le champ couvert englobe toutes les manifestations vocales au cinéma sauf la voix spectatorielle (François Albera le note dans sa préface). Personnellement, je pourrais certes regretter qu’il ne dise rien du fonctionnement de la parole dans le film de famille, mais il me semble qu’après tout, ce serait sans doute plutôt à moi de traiter ce sujet. On aurait d’ailleurs bien mauvaise grâce à reprocher ces omissions à l’auteur vu la taille déjà très impressionnante de l’ouvrage et toutes les questions qui y sont brassées. La documentation historique sur laquelle s’appuie Boillat est sans faille ; la liste des références théoriques ne l’est pas moins. Le texte se caractérise par un souci rare de la nuance et de la précision dans la discussion avec les chercheurs qui ont abordé les questions qui y sont étudiées, au risque, parfois, d’entraîner certaines longueurs et de perdre un peu le lecteur. Il témoigne également d’un goût marqué de son auteur pour les typologies (Metz aurait sans doute adoré) et pour les grilles d’analyse fonctionnant sur le modèle de la liste de questions à se poser. Le résultat est la production d’une quantité incroyable d’outils qui constitue assurément l’un des apports majeurs de l’ouvrage. Quant aux réflexions théoriques elles-mêmes, elles manifestent une volonté obstinée de faire jouer les notions les unes par rapport aux autres, de les déplier, de les décliner et de les pousser dans leurs retranchements, les interrogations sur une notion conduisant à d’autres interrogations sur d’autres notions, et ainsi de suite… au point que l’on finit parfois par avoir un peu de mal à les raccrocher à l’axe de pertinence d’ensemble de l’ouvrage, un axe qui lui, en revanche, est très clair : la dialectique de l’humain et du machinique au cinéma, visitée à travers la question de la voix. La voix n’est-elle pas, en effet, de façon emblématique, ce qui introduit « de l’humain dans un moyen d’expression …

Parties annexes