Cinémas
Revue d'études cinématographiques
Journal of Film Studies
Volume 19, numéro 2-3, printemps 2009 La filmologie, de nouveau Sous la direction de François Albera et Martin Lefebvre
Sommaire (18 articles)
Une histoire institutionnelle
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L’aventure filmologique : documents et jalons d’une histoire institutionnelle
Martin Lefebvre
p. 59–100
RésuméFR :
C’est un décret du 28 octobre 1950 qui crée officiellement l’Institut de filmologie au sein de la Sorbonne, même si, officieusement, les activités de l’Institut — notamment les cours en Sorbonne — remontent à 1948. Le décret de sa fermeture officielle paraît en juin 1963. Que se passe-t-il entre ces deux dates ? Comment naît le premier diplôme universitaire français en études cinématographiques et quelles sont les conditions de la fermeture de l’Institut près de quinze ans plus tard ? Cet article, fondé sur des documents d’archives, examine l’étonnante histoire institutionnelle, politique et même « secrète » de l’Institut de filmologie et le rôle qu’y joua son fondateur et principal acteur, Gilbert Cohen-Séat.
EN :
In collaboration with the Sorbonne, the Institute of Filmology unofficially began offering courses leading to a degree in film studies—the first such degree to be offered in France—in 1948. Its official birth, however, came through a decree published on October 28, 1950. It was subsequently closed down by another decree published in June 1963. What happened between these two dates? What were the conditions of birth of the Institute and why did it suddenly cease its operations some fifteen years later? This article, based on archival materials, examines the surprising institutional, political and even “secret” history of the Institute of Filmology and the role played by its founder and principal protagonist, Gilbert Cohen-Séat.
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Document / Ferdinand Gonseth. Témoignage sur Cohen-Séat
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Notes sur les rapports entre l’Office catholique international du cinéma et la filmologie
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Entre cinéisme et filmologie : Jean Epstein, la plaque tournante
Laurent Le Forestier
p. 113–140
RésuméFR :
Les préoccupations théoriques de Jean Epstein, après la Seconde Guerre mondiale, auraient pu en faire un compagnon de route idéal de la filmologie. Son itinéraire intellectuel croise d’ailleurs à cette époque en plusieurs endroits (édition, Idhec, production, etc.) celui de Gilbert Cohen-Séat. Mais cette proximité de pensée n’a jamais trouvé à se développer réellement, peut-être parce qu’Epstein a intégré un mouvement qui a pu apparaître comme concurrent de la filmologie : le cinéisme. L’article qui suit se propose de retracer l’histoire de ces rendez-vous manqués en même temps que celle de deux pensées presque parallèles, pour mieux comprendre leur occultation conjointe.
EN :
Jean Epstein’s theoretical concerns after the Second World War could have been the ideal travelling companion for filmology. His intellectual itinerary crossed that of Gilbert Cohen-Séat, moreover, in several respects: publishing, IDHEC, production, etc. But this intellectual proximity never truly took root, perhaps because Epstein was a member of a movement that might have appeared to be a competitor of filmology: cineism. This article will trace the history of these missed opportunities and of these two almost parallel systems of thought in order to understand their shared occultation.
La filmologie et les sciences humaines
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« L’esprit, et peut-être même le cerveau… » La question psychologique dans la Revue internationale de filmologie, 1947-1962
Laurent Jullier
p. 143–167
RésuméFR :
Le présent article décrit les travaux de la Revue internationale de filmologie en matière de psychologie. En règle générale, cette revue voit cohabiter des tendances opposées, liées à la double ascendance, philosophique et expérimentale, de la psychologie, et très sensibles encore dans la France des années 1940 à 1960 : l’une mène à spéculer de manière introspective, l’autre à faire des tests et des mesures, dans la lignée du behaviorisme puis de la théorie de la communication. Une ambition interdisciplinaire — difficilement traduite en faits — y conduit aussi les psychologues à inscrire leur travail dans une vision d’ensemble anthropologique, sinon politique, qui les fait travailler avec des sociologues et des historiens de l’art. Quelques-unes de leurs conclusions sont encore valables de nos jours, notamment à propos de la perception du mouvement ou de la « dangerosité morale » des images. D’autres, trop normatives ou négligeant trop de variables expérimentales, sont devenues indéfendables. Ce qui peut éventuellement servir de modèle épistémologique à la recherche actuelle en matière de cinéma, c’est l’application que montrent certains psycho-filmologues à considérer le cinéma comme un « fait social total » (Mauss) au lieu de le réduire à un « texte » ou à un « stimulus ».
EN :
This article describes the work of the Revue internationale de filmologie with respect to psychology. As a rule, the journal was home to opposing tendencies tied to the quite apparent two-fold ascendancy, both philosophical and applied, of psychology in France in the 1940s to 1960s. The former led to introspective speculation, the other to tests and measurements deriving first from behaviourism and later from the theory of communication. A striving for interdisciplinarity, difficult to achieve in practice, also led psychologists to see their work in an anthropological, if not political light, leading them to work with sociologists and art historians. Some of their conclusions are still valid today, particularly with respect to the perception of movement and the “moral danger” represented by images. Other of their conclusions, too normative or too neglectful of experimental variables, became indefensible. What could possibly serve as an epistemological model for present-day research in film studies is the determination of some psycho-filmologues to see film as a “complete social fact” (Mauss) rather than reducing it to a “text” or a “stimulus.”
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Refiguring the Primitive: Institutional Legacies of the Filmology Movement
Peter J. Bloom
p. 169–182
RésuméEN :
This contribution examines how the discourse of “the primitive,” as an institutional point of reference developed by the philosopher Lucien Lévy-Bruhl (1857-1939), influenced the establishment of the Institute of Filmology at the University of Paris in 1948. Filmology, a term introduced by Gilbert Cohen-Séat, is described as a positive science with its own strategy of systematizing the study of film as object and institution with its own series of emerging methods. The present article describes the formulation of the “filmic fact” as a positive science indebted to Durkheimian methods, but also as a means of engaging with the multiple strands of “primitivism.” On the one hand, this article elaborates upon the significance of Lévy-Bruhl’s discussion of “primitivism” as an effective cosmology for causation and related inferences which asserts a space of difference to be further explored, and on the other, it explains how “primitivism” has been used to designate historical and psychological attributes within the institution of cinema as an emerging structure of producing meaning.
FR :
Ce texte s’interroge sur la manière dont le discours sur le « primitif », tel que défini dans la pensée du philosophe Lucien Lévy-Bruhl (1857-1939), a influencé la création de l’Institut de filmologie à l’Université de Paris en 1948. Ainsi baptisé par Gilbert Cohen-Séat, la filmologie est décrite comme une science positive visant à systématiser l’étude du cinéma, à la fois en tant qu’objet et institution, tout en mettant en oeuvre un ensemble de méthodes nouvelles. L’élaboration de la notion de « fait filmique » procéderait ainsi d’une science positive inspirée de la méthode durkheimienne, mais permettrait également d’examiner les différentes facettes du « primitivisme ». D’une part, cet article cherche à dégager la pertinence des propos de Lévy-Bruhl sur le « primitivisme » en tant que cosmologie capable d’appréhender la causalité et les inférences qui lui sont associées, permettant ainsi d’aménager un espace de débat riche en réflexions. D’autre part, il vise à comprendre comment le « primitivisme » a été utilisé afin de qualifier des attributs historiques et psychologiques au sein de l’institution cinématographique, conçue comme une structure émergente de production de sens.
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La Revue internationale de filmologie et la genèse de la sociologie du cinéma en France
Jean-Marc Leveratto
p. 183–215
RésuméFR :
L’article qui suit vise à évaluer, du point de vue de l’histoire des sciences, la contribution de la Revue internationale de filmologie au développement de la sociologie du cinéma en France, au moyen d’une lecture chronologique de l’ensemble des numéros parus. Il fait état de la diversité des réseaux scientifiques et des types d’investissements intellectuels qui motivent l’émergence d’un discours sociologique sur le cinéma au sein de cette revue. Il analyse l’ancrage de la « sociologie du cinéma » défendue par Georges Friedmann et Edgar Morin dans le contexte épistémologique de la sociologie française de l’après Seconde Guerre mondiale et, notamment, dans la réinterprétation anthropologique de l’héritage durkheimien opérée par Marcel Mauss. Il précise, enfin, la manière dont la vulgarisation d’une vision sociologique critique de la consommation culturelle a constitué, en France, un obstacle à la reconnaissance de la valeur heuristique de cette sociologie du cinéma jusqu’à sa récente réhabilitation.
EN :
The present article adopts a history of sciences approach in order to evaluate the contribution of the Revue internationale de filmologie to the development of a sociology of the cinema in France by means of a chronological reading of every issue published. It reconstructs the diversity of the scientific networks and the kinds of intellectual investments behind the emergence of a sociological discourse on the cinema in the journal. This article also analyzes how the “sociology of cinema” promoted by Georges Friedmann and Edgar Morin was anchored in the epistemological context of French sociology in the post-war period and, in particular, in the anthropological reinterpretation of Durkheim’s legacy carried out by Marcel Mauss. Finally, it reveals how the popularization of a critical sociological view of cultural consumption constituted in France an obstacle to the recognition of the heuristic value of this sociology of the cinema up until its recent rehabilitation.
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La « diégèse » dans son acception filmologique. Origine, postérité et productivité d’un concept
Alain Boillat
p. 217–245
RésuméFR :
Popularisée par l’usage extensif (et de ce fait quelque peu galvaudé) qu’en fit Gérard Genette en narratologie littéraire, la « diégèse » constitue certes la notion vedette des filmologues, mais elle fut pendant plusieurs décennies le lieu d’une certaine occultation de son champ originel en raison des appropriations non référencées qu’en firent poéticiens et sémiologues. En suivant le fil historiographique des différents emplois et acceptions de cette notion associée à Étienne Souriau dans l’espace francophone, le présent article propose un état des lieux qui, par la petite porte d’une entrée terminologique, entend s’interroger sur les conséquences théoriques des variations que le terme « diégèse » a subies et, plus généralement, sur la question du statut octroyé au courant filmologique. En examinant les différentes implications de la définition première, qu’il s’agit parfois de délester de sens dont on l’a ultérieurement investie, cet article tente de montrer que le cadre dans lequel la diégèse a été conceptualisée contient des potentialités théoriques qui n’ont pas encore été épuisées aujourd’hui, et qui convergent avec certains champs d’études récents (comme celui de la logique des mondes possibles) dont l’application au cinéma n’a probablement jamais été aussi pertinente qu’à l’ère des images de synthèse, des univers virtuels et des environnements de jeux vidéo.
EN :
Popularized by its extensive, and for this reason somewhat compromised, use by Gérard Genette in literary narratology, the “diegesis” was certainly the star concept of filmology. For several decades, however, its original source was partially obscured by unsourced references to it made by students of poetry and semiologists. In following the historical thread of its various uses and acceptations by Étienne Souriau in French, the present article presents an overview of the term. Through the back door of terminology, I will enquire into the theoretical consequences of variations in the term “diegesis” and, more generally, into the question of the status its filmological variant achieved. By examining the various implications of its primary definition, which we must on occasion strip of meanings added to it at a later date, this article attempts to demonstrate that the framework within which diegesis was conceptualized contains theoretical possibilities which have not yet been exhausted even today and which converge with certain recent fields of study (such as that of the logic of possible worlds) whose application to film studies has probably never been as relevant as in the age of synthetic images, virtual worlds and video game environments.
Acteurs : Sadoul, Francastel et Kracauer
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Georges Sadoul et l’Institut de filmologie : des sources pour instruire l’histoire du cinéma
Valérie Vignaux
p. 249–267
RésuméFR :
Georges Sadoul, connu pour ses ouvrages fondamentaux d’histoire du cinéma et ses écrits en tant que journaliste, exerçait également des activités d’enseignement. Il collabora entre autres à l’Institut de filmologie pendant plus de dix années. Néanmoins, parmi ses archives personnelles conservées par la Cinémathèque française, seule la retranscription d’une conférence est signalée comme correspondant à une leçon donnée à l’Institut de filmologie. Ainsi, malgré la ténuité des traces, le présent article s’efforce de restituer ce que pouvait être l’enseignement de Georges Sadoul. Dans un premier temps, le parcours de l’historien est brièvement rappelé car il contribue à éclairer ou à expliquer les raisons qui ont conduit à sa collaboration avec l’Institut, puis l’étude du document mentionné plus haut, associé à d’autres textes comparables, permet de retracer les tenants pédagogiques et historiographiques spécifiques à son enseignement en filmologie.
EN :
Georges Sadoul, known for his foundational books on film history and his writings as a journalist, was also a teacher. One of the institutions where he taught, for more than ten years, was the Institut de filmologie. And yet, among his personal papers preserved at the Cinémathèque française, the only record of his classes at the Institut we have is a transcript of one of his lectures. Despite this slender trace, the present article endeavours to resituate what Georges Sadoul might have taught there. First, Sadoul’s career is briefly summarized, because it helps explain why he was involved with the Institut. Then the document that has been preserved is examined in light of comparable texts, making it possible to trace the pedagogical and historiographical tenets specific to his teaching of filmology.
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Document / Georges Sadoul. Cours du samedi 22 janvier 1949
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Pierre Francastel, le cinéma et la filmologie
François Albera
p. 287–316
RésuméFR :
L’historien de l’art Pierre Francastel, penseur d’une sociologie de l’art et du rapport de l’art et de la technique, s’est révélé, en France, le plus prêt, parmi les chercheurs de sa discipline, à s’intéresser au cinéma. Il s’investit simultanément au sein de la Fédération internationale du film sur l’art et de l’Institut de filmologie, auquel il collabore de 1948 à 1958. Dans ses conférences puis ses cours à l’École pratique des hautes études, il élabore une théorie de l’image filmique où sont distingués des niveaux allant du matériel au mental et où il propose une approche originale du mouvement au cinéma éclairée par la doctrine du « contraste simultané » de Robert Delaunay. L’article qui suit présente ces théories sur la base des manuscrits des cours de Francastel restés en grande partie inédits et s’interroge sur la place que celui-ci occupa au sein de la mouvance filmologique, notamment par rapport à la dominante psychologique dans les travaux de l’Institut, avec lesquels il entre parfois en contradiction. Nous y examinons ensuite les rapports entre l’approche des phénomènes cinématographiques et filmiques et l’élaboration de la sociologie de l’art à laquelle se voue Francastel, fondée sur la reconnaissance d’une « pensée plastique » où l’image acquiert une égale dignité avec le verbe.
EN :
The art historian Pierre Francastel, who studied the sociology of art and the relationship between art and technology, was the French art historian with the greatest interest in the cinema. He became involved during the same period of time in the Fédération internationale du film sur l’art and in the Institut de filmologie, whose work he participated in from 1948 to 1958. In his lectures and later his courses at the École pratique des hautes études he developed a theory of the cinematic image in which levels ranging from the material to the mental could be identified. He also elaborated an original approach to movement in film in light of Robert Delaunay’s doctrine of “simultaneous contrast.” This article introduces these theories using Francastel’s course notes, most of them unpublished, and enquires into his place in the filmology movement, in particular with respect to the predominant psychological current in the Institute’s work, with which he was sometimes at variance. The article then examines the relationship between the analysis of cinematic phenomena and the development of a sociology of art to which Francastel was committed, one founded on the recognition of “visual ideas” in which images had the same importance as words.
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Document / Pierre Francastel. Cours du 2 février 1956. Ambiguïté des figures, pluralité des systèmes
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Document / Congrès de 1955. Groupe VI
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De faux amis : Kracauer et la filmologie
Leonardo Quaresima
p. 333–358
RésuméFR :
Siegfried Kracauer, exilé aux États-Unis depuis 1939, s’intéresse de près au projet de Cohen-Séat et aux travaux de l’Institut de filmologie, ce dont témoignera Theory of Film en 1960. S’il doit renoncer à participer au 1er Congrès de filmologie de 1947, c’est dans les colonnes de la Revue internationale de filmologie que paraît pour la première fois en Europe, en 1948, son introduction méthodologique à From Caligari to Hitler, sous le titre « Sociologie du cinéma ». Ce texte, qui sera suivi d’une autre étude consacrée aux types nationaux dans le cinéma américain, servira de modèle à la branche sociologique de l’Institut, considérée d’emblée comme centrale par les fondateurs du mouvement et que dirige Georges Friedmann. Edgar Morin y débutera et se montrera très proche de Kracauer jusqu’au milieu des années 1950 avant d’adopter une autre orientation de nature plutôt anthropologique. Avec le déplacement de la pensée de Cohen-Séat du côté des théories de l’information et de la communication, l’aspect anthropologique s’accuse encore, aboutissant à la théorie de « l’iconosphère ». D’autre part, se développe une sociologie du public de cinéma et non plus des oeuvres et des courants de pensée collectifs qui s’y matérialisent. L’autre dimension de la méthode kracauérienne de l’appareil psychique « collectif » est mis au second plan au sein de l’Institut au profit de la psychologie expérimentale. L’article qui suit expose cette évolution des rapports entre Kracauer et la filmologie.
EN :
Siegfried Kracauer, in exile in the United States since 1939, was closely interested in Cohen-Séat’s enterprise and in the work of the Institut de filmologie, as seen in his book Theory of Film, published in 1960. While Kracauer was unable to attend the first filmology congress in 1947, his methodological introduction to the book From Caligari to Hitler was published for the first time in Europe in 1948 in the Revue internationale de filmologie, under the title “Sociologie du cinéma.” This text, which was followed by another study devoted to national types in American cinema, became a model to the sociological wing of the Institute, seen as central to it by the movement’s founders from the outset and headed by Georges Friedmann. Edgar Morin got his start there and his work was very close to Kracauer’s until the mid-1950s, when he adopted a more anthropological approach. With the shift in Cohen-Séat’s thinking towards theories of information and communication, this anthropological element became even more a part of his theory of the “iconosphere.” At the same time a sociology of cinema audiences was taking shape in place of a sociology of the films themselves and of the collective intellectual currents visible in them. In this way, the other dimension of Kracauer’s method (a “collective” psychic apparatus) was promoted by the Institut by means of experimental psychology. The present article explores this evolution in the relationship between Kracauer and filmology.