Résumés
Résumé
L’interprétation des films a fait l’objet de plusieurs critiques ces dernières années de la part du mouvement cognitiviste en études cinématographiques. Selon d’aucuns, les énoncés interprétatifs seraient dépourvus de sens. Cet article cherche à démontrer le contraire en faisant appel à la philosophie pragmatique et sémiotique de Charles S. Peirce. L’argumentaire se divise en deux parties. La première porte sur le pragmatisme de Peirce et explique pourquoi toute théorie est inférentielle et interprétative. L’auteur distingue entre les méthodes pragmatique et scientifique, puis étudie le rôle que joue l’habitude pour pallier le dualisme qui oppose l’esprit et la matière. Enfin, il est question du réalisme et de la doctrine peircéenne du sens commun critique. La seconde partie de l’article examine certaines idées qui ont récemment dominé les débats sur l’interprétation en études cinématographiques et littéraires. Plus particulièrement, l’auteur s’interroge sur la critique de l’interprétation élaborée par David Bordwell et la façon dont elle se fonde sur des principes à la fois sceptiques et nominalistes empruntés au théoricien de la littérature Stanley Fish. Il montre comment la distinction bordwellienne entre compréhension et interprétation repose sur le rôle que joue, au cinéma, la perception sensorielle, puis critique cette distinction en faisant appel à l’empirisme peircéen, dont l’une des particularités est de ne pas se réduire au sensualisme. Pour Peirce, en effet, la perception se déploie de façon continue entre le monde extérieur et le monde intérieur. Suit un bref commentaire sur les travaux d’Umberto Eco quant à la distinction entre interprétation et surinterprétation qui conduit l’auteur à considérer le rôle du vague dans l’entreprise interprétative ainsi qu’à traiter des problèmes que soulèvent la visée et la pertinence des interprétations lorsque celles-ci sont définies à partir de tout ce qui s’impose à notre esprit au contact direct — ou même indirect — d’un film. Enfin, l’auteur conclut que l’interprétation d’un film relève d’un processus de croissance rationnel des signes — y compris des signes esthétiques.
Abstract
In recent years, the practice of film interpretation has come under attack by cognitive film theorists. It is said that interpretive claims are not truth-apt and have no cognitive value. This essay contests this claim by calling on the pragmatic and semeiotic philosophy of Charles S. Peirce. The essay is divided into two parts. The first part examines Peirce’s pragmatism and the notion that theories are inescapably inferential and interpretive. The author distinguishes between the pragmatic and the scientific methods, examines the role of habit as a way to bridge the gap of mind/matter dualism, and considers Peirce’s realism in the context of his critical common-sensism. The second section looks at some leading ideas in film/literary scholarship on interpretation. In particular, the author questions David Bordwell’s critique of interpretive criticism and its reliance on skeptical and nominalist principles borrowed from Stanley Fish. It is shown how Bordwell’s distinction between comprehension and interpretation in the cinema rests on the role played by sensory perception in the film experience. The distinction is criticized by adopting a form of empirism—that of Peirce—that is not limited by sensualism. Indeed, for Peirce, perception spreads continuously between the external and the inner worlds. A brief commentary on the work of Umberto Eco and the distinction between interpreting and overinterpreting then leads the author to consider the role of vagueness in interpretation and the problems raised by purpose and relevance of interpretation now defined as all that compels the mind of the spectator through direct—or even indirect—contact with a film. This turn opens up the issues of truth, rationality and normativity in interpretation. The paper concludes with the author arguing that film interpretation constitutes a process whereby signs—including aesthetic signs—can grow in rationality.
Parties annexes
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