Cinémas
Revue d'études cinématographiques
Journal of Film Studies
Volume 13, numéro 3, printemps 2003 Imaginaire de la fin Sous la direction de Jean-François Chassay et Carolina Ferrer
Sommaire (11 articles)
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Présentation
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Mémoire d’un achèvement. Approches de la fin dans les Histoire(s) du cinéma, de Jean-Luc Godard
André Habib
p. 9–31
RésuméFR :
Une des avenues les plus riches pour penser la fin au cinéma consiste à replacer sa question au plus près d’une pensée de la fin du cinéma. Cet article tentera d’interroger le sens de cette fin, comme lieu de sens, à partir et autour des Histoire(s) du cinéma (1987-1998), de Jean-Luc Godard. Il ne s’agira pas d’investir toute l’étendue de la question ni de proposer un historique de ces multiples « morts du cinéma », mais de tracer un certain nombre de pistes pour l’envisager, à partir de celles que les Histoire(s) proposent. D’abord, on se demandera si la fin du cinéma, pour Godard, n’est pas l’occasion d’un retour sur ce qui l’a perdu ou sur son origine (ses promesses, ses possibilités) et si, en un deuxième temps, le repiquage vidéastique ne s’offre pas comme une façon de réaliser, à rebours, le souvenir de certaines de ses potentialités, trahies ou méconnues.
EN :
One of the richest ways to think about the end in film is to place the question closer to a reflection regarding the end of film itself. This article attempts to question the meaning of this ending, as a locus of meaning, by taking Jean-Luc Godard’s Histoire(s) du cinéma (1987-1998) as its point of departure. Far from assuming the entire breadth of the question or from proposing a historical analysis of the multiple “deaths of cinema,” this article traces a select number of paths by which this end might be imagined from among those proposed by Histoire(s). These paths will be guided firstly by the question of knowing if the end of cinema for Godard is not also the opportunity of a return to its origins (its promises and possibilities) and to that which lost it on its way, and secondly, if the videomaker’s rerecording does not offer, through its backward gaze against the grain, another way to realize the memory of a certain number of its betrayed or misunderstood potentialities.
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La fin d’un monde. À propos de Sans soleil, de Chris Marker
Johanne Villeneuve
p. 33–51
RésuméFR :
En 1982, le film Sans soleil, de Chris Marker, préfigurait les possibilités multimédiatiques d’oeuvres subséquentes — le film Level Five (1996) et le CD-ROM Immemory (1997). Marker y « invente », par le moyen du cinéma, un ordinateur personnel dont la visée est aussi utopique — au sens positif du terme — que mémorielle. La « zone » (ainsi nommée en hommage à Andreï Tarkovski) permet de transfigurer des images tournées à travers le monde ; elle est la seule à pouvoir rendre compte de la mémoire comme de la fin d’un monde. Marker y dévoile la fonction rituelle du cinéma, alors que l’histoire se construit à force de catastrophes et de pertes. L’imaginaire de la fin se lie ici à la transformation matérielle et technologique des médiations. Ce double souci — celui d’une conscience de la perte et celui d’une espérance technologique — caractérise tout particulièrement ce film charnière dans l’oeuvre de Marker.
EN :
In 1982, Chris Marker’s film Sans Soleil prefigured the possibilities of multimedia to be explored in his subsequent work — the film Level Five (1996) and the CD-ROM Immemory (1997). Here Marker “invents,” by means of film, a personal computer whose aim is just as utopian — in the positive sense of the term — as it is memorial. The “zone” (named in homage of Andrey Tarkvosky) allows the transfiguration of images filmed throughout the world; it is the only one capable of handling memory and accounting for the end of a world. Marker reveals the ritualistic function of film when history is built out of catastrophes and losses. The imaginary of the end is connected here to the material and technological transformation of mediations. This two-fold concern — that of a consciousness of loss and that of a technological hope — especially characterizes this pivotal film in the work of Marker.
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L’évolution de la fin : de La Jetée à 12 Monkeys
Carolina Ferrer
p. 53–77
RésuméFR :
Plus de trente ans se sont écoulés entre la production de La Jetée (1962), de Chris Marker, et le film qu’elle a inspiré à Terry Gilliam, 12 Monkeys (1995). En comparant les deux productions, on peut observer que d’importants changements se sont opérés dans l’imaginaire contemporain : plutôt qu’une catastrophe nucléaire, c’est l’anéantissement provoqué par un fou solitaire qui menace le monde ; la participation des personnages féminins est devenue plus active ; la trame des événements dévoile une complexité croissante. Cependant, les voyageurs intertemporels des deux films expérimentent toujours un profond malaise devant une temporalité qui ne respecte pas les lois de la causalité.
EN :
More than thirty years have passed between the production of Chris Marker’s La Jetée (1962) and the film it inspired, Terry Gilliam’s 12 Monkeys (1995). By comparing the two films, one may observe some important changes in the contemporary imaginary: the mode of imagining the end of the world has been displaced from nuclear threat towards that of an annihilation provoked by a solitary madman; the participation of feminine characters becomes more active; the train of events reveals a growing complexity. However, the time-travellers of both films always experience a profound malaise before a temporality that does not respect the laws of causality.
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Les petites apocalypses de John Cassavetes
Jean-François Chassay
p. 79–94
RésuméFR :
La sensation du temps est très particulière dans les films de John Cassavetes. Le temps est, dirait-on, étiré, suspendu. Ce « suspense », pour utiliser le terme dans un sens particulier, est souvent celui de l’attente d’une catastrophe à venir, qui se manifeste moins par une action au sens fort que par des signes signalant le basculement des personnages vers une crise, que les mouvements chaotiques de la caméra, tout comme le son, les paroles souvent imprécises, semblent accompagner. Le présent article s’applique à analyser cette apocalypse subjective ou « petite apocalypse » pour reprendre le titre d’un roman de Tadeus Konwicki, à travers Husbands (1970) et The Killing of a Chinese Bookie (1976).
EN :
The sensation of time is very particular in the films of John Cassavetes. One might say that time is stretched, suspended. This “suspense,” to use this term in a special way, is often shaped by the expectation of a catastrophe to come; rather than being manifest by an action in the strong sense of the term, it is signalled by the breakdown of characters on the border of a crisis, by the chaotic movement of the camera, as well as by the sounds and imprecise words that seem to accompany this crisis. This article undertakes an analysis of this subjective apocalypse or “small apocalypse” to use the title of a novel by Tadeus Konwicki, through Husbands (1970) and The Killing of a Chinese Bookie (1976).
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Le Minotaure intérieur. Violence et répétition dans Lost Highway, de David Lynch
Bertrand Gervais
p. 95–117
RésuméFR :
La « crise » qui est au coeur de toute forme d’imaginaire de la fin ne peut connaître de résolution que violente, d’une violence cathartique qui permet de passer à un nouvel état et de retrouver un nouvel équilibre. Or, la violence mise en scène dans Lost Highway, de David Lynch, ne permet aucune libération, aucune résolution. L’imaginaire de la fin déployé dans ce film serait ainsi mis en déroute. Toute possibilité de transcendance en aurait été éliminée, et aurait été remplacée par un délire hallucinatoire et labyrinthique. Le film de Lynch propose en effet une crise permanente, enferrée dans des cycles autogénérés. La crise ne s’y résorbe jamais, elle est reconduite dans un mouvement perpétuel prenant la forme d’un ruban de Möbius, incarnée qu’elle est par un personnage étonnant et paradoxal qui porte les traits d’un Minotaure, d’un Minotaure intérieur.
EN :
The “crisis” set at the heart of any imaginary of the end can only find a violent resolution, a cathartic violence that brings about the passage to a new state and to the discovery of a new equilibrium. By contrast, the mise en scène of violence in Lynch’s Lost Highway does not allow any kind of liberation or resolution. The imaginary of the end deployed in this film is literally taken off the track. Any possibility of transcendence has been eliminated, to be replaced by a kind of delirium that is as hallucinatory as it is labyrinthine. Lost Highway proposes a permanent crisis knotted up within self-generated circuits. Never being absorbed, the crisis is redirected into a perpetual movement that takes on the shape of a Möbius strip, incarnated as it is by the astonishing and paradoxical form that has all of the characteristics of a Minotaur, an inner Minotaur.
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Sculpting the End of Time: The Anamorphosis of History and Memory in Andrei Tarkovsky’s Mirror (1975)
Tollof Nelson
p. 119–147
RésuméEN :
Articulating a materialist conception of rhythm and temporality in the medium of film, this paper seeks to explore the way in which Andrei Tarkovsky’s Mirror (1975) is constituted by the alternation of explosions and implosions of historical time-images. The author makes a detailed analysis of several sequences of the film in order to lend support to the central argument: that spectators are taken “out of time” through an anamorphic experience of death in the material contact transmitted by a spectral dimension of history and memory. This argument allows political considerations regarding the mediation of social memory and mourning and also epistemological considerations regarding the critique of traditional historiography and the literary bias of narrative storytelling.
FR :
Sur la base d’une conception matérialiste du rythme et de la temporalité du cinéma, cet article s’attache à explorer la manière dont le film Le Miroir (Andrei Tarkovsky, 1975) est constitué par l’alternance d’explosions et d’implosions d’images-temps historiques. L’auteur fait une analyse détaillée de plusieurs séquences du film, afin d’étayer une thèse principale selon laquelle les spectateurs sont conduits « hors du temps » à travers une expérience anamorphique de la mort transmise par un contact matériel avec une dimension spectrale de l’histoire et de la mémoire. Cette thèse permet des considérations d’ordre politique concernant le travail social de la mémoire et du deuil, et des considérations d’ordre épistémologique concernant la critique de l’historiographie traditionnelle et la tendance littéraire de toute activité narrative.
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Imaginary of the End, End of the Imaginary. Bazin and Malraux on the Limits of Painting and Photography
James R. Cisneros
p. 149–169
RésuméEN :
This article analyzes the differences between photography, painting, and briefly, digital images in terms of the institutional discourses that have been partially determinant of their respective visual regimes. In a comparative reading of Bazin and Agamben, the author first analyzes the question of ontology in relation to photographic technology’s relative autonomy in the production of the modern image, underlining its implications for the viewing subject’s agency in the modern image’s production. This is contrasted to Malraux’s imaginary museum, an institutional paradigm that harnesses photography’s uncanny doubling to maintain an instrumental conception of the medium.
FR :
Cet article traite des différences entre la photographie, la peinture et les images digitales, en rapport avec les discours institutionnels qui ont été partiellement déterminants dans leurs régimes visuels respectifs. Prenant comme point de départ la question de l’ontologie dans les écrits de Bazin et d’Agamben, l’auteur analyse d’abord les implications de l’autonomie relative de la technologie photographique, en mettant l’accent sur l’action (agency) du sujet dans la production de l’image moderne. Ensuite, l’auteur compare ce dispositif avec « le musée imaginaire » de Malraux, un modèle institutionnel qui exploite le dédoublement photographique pour conserver une conception instrumentale du médium.
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Accords et faux raccords entre les conceptions du cinéma de Jean-Luc Godard et de Gilles Deleuze
Alain Beaulieu
p. 173–190
RésuméFR :
La réalisation des Histoire(s) du cinéma de Godard (1985-1998) est pour ainsi dire contemporaine de la rédaction des livres de Deleuze sur le cinéma (L’Image-mouvement, 1983 ; L’Image-temps, 1985). Ces travaux, qui se veulent à la fois bilan et programme, apparaissent comme les plus achevés du genre à ce jour. L’auteur du présent article compare ces conceptions du cinéma en montrant d’abord en quoi l’approche deleuzienne se distingue des méthodes phénoménologique et sémiologique. Il circonscrit ensuite la place de Godard dans les études de Deleuze et identifie les différentes fonctions attribuées par Godard au cinéma. Ce qui lui permet de dégager le motif de l’opposition entre l’esthétique godardienne de la rédemption fondée sur une mission de sauvetage de l’humanité, et la machination universelle pensée par Deleuze à travers des moyens d’expression cinématographique toujours plus adéquats à l’univers de la variation continue.
EN :
Godard’s production of Histoire(s) du cinéma (1985-1998) coincides more or less with Deleuze’s critical books on film (L’Image-mouvement, 1983 ; L’Image-temps, 1985). These works, both of which propose a historical analysis and serve a programmatic purpose, appear today as the most accomplished works of their kind. The author of this article compares these two conceptions of film by showing first how the Deleuzian approach distinguishes itself from phenomenological and semiological methods. Next, the author focuses on the place given to Godard in Deleuze’s studies while identifying the different functions Godard attributes to film. This perspective highlights an opposition that may be made between the Godardian aesthetics of redemption — founded on the mission to rescue humanity — and the universal machination that Deleuze’s thinking attributes to the medium of filmic expression for its capacity to adjust itself to the world of continuous variation.
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HAVER, Gianni (dir.), La Suisse, les Alliés et le cinéma, Lausanne, Antipodes, 2001, 141 p. / HAVER, Gianni et Patrick J. GYGER (dir.), De beaux lendemains ? Histoire, société et politique dans la science-fiction, Lausanne, Antipodes, 2002, 213 p.
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