Comptes rendus bibliographiques

BRUNEAU, Michel (2022) Peuples-Monde de la longue durée. Chinois, Indiens, Iraniens, Grecs, Juifs, Arméniens. CNRS Éditions, 284 p. (ISBN) 978-2-271-13121-8)[Notice]

  • André Joyal

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  • André Joyal
    Université du Québec à Trois-Rivières

Avec un tel titre, le lecteur comprend qu’il se voit offrir un ouvrage sur la courte liste de peuples qui ont traversé l’histoire. Tous appartiennent à l’Ancien Monde. Qu’ont-ils en commun ? Comment s’explique une telle longévité ? « Telles sont les questions auxquelles ce livre tente d’apporter des réponses », précise l’auteur (p. 15). S’ajoutent des questions se rapportant au rôle exercé par les religions, les structures sociales, les institutions politiques, les langues, etc., autant de facteurs susceptibles d’expliquer leur durée à travers trois millénaires. L’imposant ouvrage de Michel Bruneau, chercheur au CNRS, on le devinera, ne se lit pas comme un roman. Il revient au lecteur de faire ses choix à la faveur d’une table des matières s’étendant sur quatre pages. Le fait de ne jamais avoir été dépendants de leur diaspora pour leur survie distingue les Chinois, les Indiens et les Perses (aujourd’hui Iraniens) des trois autres peuples. D’aucuns pourraient s’interroger sur les raisons qui empêchent l’auteur d’associer les Italiens aux trois derniers alors que leur diaspora s’étend partout en Amérique, du nord au sud. Bruneau fournit une explication : d’abord, les Romains en tant que peuple ont disparu à l’ouest et au nord de leur empire, se transformant en peuples de langues romaines (p. 94). Tel l’empire ottoman, l’empire romain ayant un espace trop hétéroclite n’a pas donné lieu à un peuple-monde (p. 112). À l’instar des Arabes, les Romains ont construit un empire trop vaste et hétérogène pour conduire à la fondation d’un État-nation (p. 246). L’originalité des six peuples étudiés ici, faut-il le répéter, tient à leur identité, à une culture marquée par la langue, la littérature, les arts, la religion et le politique (p. 255). Selon le géohistorien Christian Grataloup, signataire de la postface, l’intérêt de ce volume pour les géographes réside, entre autres, dans un facteur de diversification dans la production des peuples : le degré de connexion avec d’autres sociétés. Il n’y voit rien de moins que le fondement de la géohistoire (p. 262). Dans les 10 chapitres que comprend ce volume, celui sur l’État-nation, « De l’empire à l’État-nation (Iraniens, Indiens, Chinois) », ne peut manquer d’intéresser les Québécois. Comment un État-nation prend-il son essor ? Le chapitre débute par un constat : les empires multiethniques ont, pour la plupart, disparu au profit d’États-nations à la suite des vicissitudes survenues à travers le XXe siècle. Pour l’Iran, le lecteur s’attardera aux passages se rapportant à la révolution islamique de 1979, toujours d’une pénible, voire cruelle, actualité. Il en va de même avec l’Inde, qui passe du sécularisme à l’« hindouité » aujourd’hui fortement mise en évidence, tel que le précise l’auteur avec l’avènement au pouvoir de Naranda Modi, vecteur d’une idéologie de type fasciste (p. 142). Pour l’empire du Milieu que représente un pictogramme sous la forme d’un carré traversé en son centre par une ligne verticale, l’auteur, après un bref historique, ne manque pas de souligner la problématique liée aux minorités. Plus particulièrement, le lecteur est renvoyé aux Tibétains et, plus près de nous dans le temps, aux Ouïghours. Les Hans constituant 92 % de la population, se prétendant plus « modernes » et plus « civilisés », imposent leur culture de façon brutale, comme on peut le constater à travers les médias par le sort réservé aux Ouïghours. Les minorités sont vues comme des « fossiles vivants » (p. 147). Faut-il se surprendre qu’on cherche à les « rééduquer » ? « Débarrassés de leur religion, de leur langue, leur cuisine, leur architecture, bref de leur identité propre, ils sont poussés à la remplacer par l’identité han …