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Introduction

Les « territoires miniers » réfèrent à des localités marquées par les activités d’exploitation minière dans le Cameroun oriental. Dans cette région, la forêt détermine les modes de vie des populations (Eba’a Atyi et al., 2013). Elle est aussi, pour l’État, un enjeu de développement durable du pays, s’articulant autour des politiques de conservation et d’exploitation des ressources. La montée en puissance des enjeux de développement durable a accentué l’exigence de préservation des forêts. Cette évolution au niveau international a eu des effets au Cameroun, avec l’adoption de la Loi forestière, en 1994. Cette loi établit une catégorisation des forêts au gré des intérêts des différentes parties prenantes à la gestion forestière.

Mais depuis le milieu des années 2000, l’exploitation minière connaît un essor considérable dans le Cameroun oriental (Tchindjang et al., 2015 ; Voundi et al., 2019). C’est d’ailleurs le cas dans de nombreuses régions des autres États de l’Afrique centrale et de l’Afrique de l’Ouest : République démocratique du Congo, République centrafricaine, Gabon, Tchad, République du Congo, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Mali, etc. Reste que la superposition des enjeux miniers et forestiers illustre la difficulté de gestion durable des forêts et, plus globalement, d’aménagement du territoire dans le Cameroun oriental. Cette situation alimente des tensions et controverses locales entre les différentes parties prenantes (Commission de l’Union africaine, 2009 ; De Failly, 2013 ; Chailleux, 2015 ; Pourtier, 2016). Quels sont donc les ferments de ces controverses dans le sillage de l’exploitation minière ? À l’aune des conflits qui en résultent (Nguiffo, 2011), comment le regard sur les mines permet-il de comprendre le lien entre les communautés et leurs forêts ? À partir des théories des parties prenantes (Mercier, 2001) et des communs (Hardin, 1968 ; Ostrom, 1990), mais aussi de l’approche de la political ecoloy (Tor et Svarstad, 2009), cet article analyse les déterminants des luttes autour des forêts en contexte d’exploitation minière dans le Cameroun oriental, pour cerner les questions qui se posent au secteur forestier.

Cadre théorique et approche d’analyse

Les controverses qui naissent dans le sillage de l’exploitation minière dans le Cameroun oriental réactualisent les controverses sociospatiales autour des enjeux de gestion des forêts et de développement local. Examiner ces controverses nous amène à utiliser, dans le cadre de cet article, deux corpus théoriques (les communs et les parties prenantes) et une approche (la political ecology) pour dénouer les intérêts complexes en jeu.

La théorie de la tragédie des biens communs (the commons en anglais) est énoncée en 1968 par Garret Hardin autour des enjeux et des modalités de gestion des ressources naturelles en accès libre au sein d’une communauté. Elle est fondée, au sens de Hardin, sur l’hypothèse que l’absence de droits de propriété provoque la surexploitation des ressources, donc leur ruine. D’où la tragédie. Depuis lors, l’expansion lexicale « the commons », s’est affranchie de son sens original relatif à un régime agraire particulier dans l’Angleterre du Moyen Âge, pour embrasser toutes sortes d’espaces publics, de ressources en libre accès, voire de processus mentaux et de communication si ce n’est de revendications (Macias, 2015).

Prenant à contrepied le postulat de Hardin, Elinor Ostrom (1990), à partir des travaux de terrain dans plusieurs continents, démontre que des communautés humaines sont capables de gérer des ressources communes de façon plus efficace aussi bien pour l’exploitation que pour la préservation à long terme. C’est cette acception qui est privilégiée dans le cadre de cette analyse.

En effet, l’avènement de l’exploitation minière en milieu rural dans le Cameroun oriental bouleverse les modalités de gestion des ressources forestières envisagées comme biens communs, dans les territoires concernés. Cette évolution fournit aux exploitants miniers (ou à l’État), le moyen de tirer profit de leur exploitation, souvent aux dépens de la subsistance de cultivateurs et de chasseurs-cueilleurs autochtones. Elle marque une émergence de la propriété privée exclusive (enclosure) sur des ressources forestières ou d’anciens territoires ouverts à tous, par l’entremise des titres miniers délivrés par l’administration. Vues sous cet angle, les activités minières semblent perpétuer la lutte séculaire entre bien commun et propriété privée, tout en remettant en question les modalités de répartition des retombées de l’exploitation minière entre parties prenantes. Ainsi, lors des entretiens de groupe, dans nos enquêtes de terrain, nous avons posé des questions sur les modalités d’accès aux ressources forestières en contexte d’exploitation minière, mais également sur les déterminants des controverses qui en résultent autour des intérêts des différentes parties prenantes.

Relativement à ces dernières, la théorie des parties prenantes (TPP) construite par Freeman (1984) s’avère « une véritable tour de Babel conceptuelle » (Pesqueux, 2017) quand il s’agit d’analyser des questions liées, entre autres, à l’éthique des affaires, ou bien des politiques de responsabilité sociale des entreprises (RSE). La théorie est née aux États-Unis dans un contexte de contestation, par les classes populaires et intellectuelles, de la primauté accordée par les entreprises à la valeur financière et aux actionnaires, comparativement aux considérations éthiques et morales de leurs actions ou externalités (Bonnafous-Boucher et Pesqueux, 2005 ; Pesqueux, 2017).

La TPP se trouve donc au coeur des débats qui traitent du rôle de l’entreprise (ici minière) dans la société. Se nourrissant des principes de la morale, elle agrège un ensemble de postulats révélant le besoin de redéfinir l’idéologie managériale des entreprises (ou organisations) ainsi que la conception des rapports avec d’autres acteurs concernés. Les enquêtes de terrain ont donc été élaborées autour du besoin d’identifier les différentes parties prenantes à l’exploitation minière et à la gestion forestière dans le Cameroun oriental. Elles nous ont également permis de recenser les effets des activités minières, mais surtout les parties prenantes affectées, le tout sur fond d’examen des rapports entre les différentes parties prenantes en contexte d’exploitation minière.

Quand nous nous attardons un peu sur les impacts des activités minières dans le Cameroun oriental, le panorama des controverses révèle des contestations et des revendications de justice, à l’interface socioenvironnementale. Certains chercheurs universitaires traitant d’inégalités sociales et environnementales dans les pays en développement se réfèrent à une gamme d’approches, généralement critiques, sous le vocable political ecology (Cornut et Zaccaï, 2007).

Cette political ecology a des liens avec l’écologie politique, mais s’en différencie en étant avant tout une école de pensée scientifique distanciée des partis politiques verts qui se multiplient dans le monde, notamment en Europe. Tor et al. (2009) soulignent que le concept émane d’une critique de tendance marxiste du néomalthusianisme, née dans les années 1970. Le principal défi qui confronte la political ecology réside aujourd’hui dans l’étude empirique des transformations environnementales et politiques dégagées de préjugés susceptibles d’affecter la recherche.

L’essentiel des recherches de cette approche se situe à la jonction d’interactions environnement-sociétés constituées de trois éléments : les intérêts économiques, les changements écologiques et les luttes politiques (Gautier et Tor, 2012). La political ecology nous a donc amenés, au cours des enquêtes de terrain, à examiner la nature des intérêts qui alimentent les controverses en contexte d’exploitation minière dans le Cameroun oriental. Le cadre théorique ainsi mobilisé débouche sur un protocole méthodologique construisant une démarche de recherche essentiellement qualitative.

Méthodologie

Tenant compte donc du cadre théorique de recherche explicité plus haut, nous avons privilégié trois approches dans notre protocole méthodologique, en addition aux observations de terrain : des entretiens de groupe, des entretiens ciblés et des traitements cartographiques. Qu’il s’agisse des questions relatives aux modalités de gestion communautaire des ressources forestières (et alternativement de répartition des retombées de l’exploitation des minerais), ou des parties prenantes à l’exploitation minière, leurs intérêts et leurs rapports, etc., la nature des problématiques émergeant dans les territoires miniers du Cameroun oriental nous imposait d’interviewer les acteurs afin de bien appréhender les ferments des controverses. La diversité de ces acteurs et des questions abordées justifiait le recours aux trois approches mentionnées plus haut.

Nous avons construit cette démarche à partir d’un positionnement assumé sur la défense des intérêts des communautés et au regard des contraintes induites par les activités minières dans la gestion et l’exploitation durable des forêts au bénéfice des communautés locales, dont les modes de vie dépendent.

Entretiens de groupe

Globalement, les entretiens de groupe ont permis de recueillir l’appréciation communautaire des activités minières et de connaître les ferments des controverses autour des enjeux forestiers dans le sillage de l’exploitation minière.

Cinq entretiens de groupe ont été organisés dans cinq localités différentes (tableau 1) au cours de deux phases d’enquête de terrain, avec un total de 115 participants. La première phase s’est déroulée de 2014 à 2015 dans le cadre d’une étude financée par le Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM), sous les auspices de l’Institut de recherche pour le développement, et portant sur le suivi par télédétection de l’impact de l’exploitation minière sur le couvert forestier du Cameroun oriental (Tchindjang et al., 2015). Puis, de 2016 à 2019, nous avons réalisé la seconde phase dans le cadre de travaux universitaires.

TABLEAU 1

Récapitulatif de la participation aux entretiens de groupe

Récapitulatif de la participation aux entretiens de groupe

*H = homme, F = femme

Source : données issues des enquêtes de terrain

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Deux critères ont présidé au choix des localités pour les entretiens de groupe : l’existence d’exploitation minière et l’avis favorable des chefs traditionnels. Des contacts avaient été préalablement établis avec les chefs de villages ou de communautés, pour les campements pygmées bakas à Monabété et à Kambélé, afin de convenir des modalités d’organisation des entretiens de groupe.

Le choix des localités de Kambélé et Monabété a particulièrement été dicté par la présence d’une communauté baka, dont les modes de vie dépendent étroitement de l’exploitation des produits de la forêt. Dans l’ensemble, il était question que toutes les composantes sociales et socioprofessionnelles des localités ciblées soient représentées, dans la mesure du possible, même si la participation à ces entretiens se faisait sur la base du volontariat. Notre souci de spatialiser ces regroupements suivant la cartographie de l’exploitation minière nous a amenés à organiser les entretiens dans trois des quatre départements que compte la Région de l’Est. Les échanges ont été tenus autour de plusieurs questions relatives :

  • aux modalités de gestion communautaire des ressources forestières ;

  • au déroulement des activités minières ;

  • aux transformations induites par les activités minières dans l’accès aux ressources de la forêt ;

  • aux retombées de l’exploitation minière, à la nature des externalités des activités minières et aux activités communautaires touchées ;

  • à la perception de l’exploitation minière par les communautés ;

  • aux facteurs et aux raisons de la persistance des tensions et controverses sur les activités minières et les enjeux forestiers ;

  • à l’avenir de la gestion des forêts face au développement de l’exploitation minière.

D’une façon globale, les entretiens de groupe ont permis de donner la parole aux populations locales, notamment riveraines des chantiers miniers, et vivant de l’exploitation des ressources de la forêt.

Entretiens ciblés

Les entretiens ciblés, semi-directifs, visaient à connaître non seulement les intérêts, mais aussi le positionnement des différentes parties prenantes sur la question des transformations induites par l’exploitation minière, notamment pour ce qui est des espaces forestiers. La liste des personnes-ressources ciblées par ces entretiens avait donc été préétablie sur la base de leur connaissance des secteurs forestiers et miniers, mais aussi des dynamiques propres à ces secteurs dans le Cameroun oriental. Un protocole d’entretien a servi de base aux échanges. Au total, 23 entretiens ont été réalisés avec les acteurs de sept catégories socioprofessionnelles (tableau 2).

TABLEAU 2

Récapitulatif des entretiens semi-directifs conduits sur le terrain

Récapitulatif des entretiens semi-directifs conduits sur le terrain
Source : données issues des enquêtes de terrain

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La démarche a consisté à interroger à la fois les défenseurs des politiques minières et forestières actuelles du Cameroun (autorités, exploitants miniers) et les opposants à ces politiques, défenseurs de la forêt et des intérêts des populations locales (ONG, associations). Plusieurs questions ont été abordées : les politiques publiques dans les secteurs des forêts, des mines ; les modalités de développement des activités minières dans la Région de l’Est ; les retombées pour les communautés locales et les collectivités territoriales décentralisées (CTD) ; les enjeux de développement local ; la gestion des externalités des activités minières ; les rapports entre exploitants miniers et populations locales ; les mobiles des contestations et revendications communautaires ; etc.

En plus de nous avoir aidés à retracer l’histoire des activités minières dans la Région de l’Est, ces entretiens ont permis d’apprécier, entre autres, le niveau de respect de la réglementation en matière de protection de l’environnement et de prise en compte des intérêts des communautés locales dans le secteur minier. Avec un leader d’opinion local, membre de l’association Trop c’est Trop !, les questions de justice (sociale, spatiale et environnementale) à l’égard des communautés ont été abordées, ainsi que celles relatives aux rapports entre exploitants miniers et communautés riveraines. Ces différentes démarches participatives ont permis d’établir un diagnostic panoramique des mutations socioenvironnementales et sociospatiales liées au développement des activités minières dans le Cameroun oriental.

Données et traitements cartographiques

Dans cette région en proie à la confrontation spatiale des enjeux forestiers et miniers, les réalisations cartographiques permettent d’apprécier les dynamiques d’occupation des sols à l’aune du développement des activités dans les deux secteurs. On peut également situer la place et les intérêts des communautés locales dans ce territoire perpétuellement en mouvement.

Nous avons obtenu les différents titres miniers au service régional du cadastre minier de l’Est, à Bertoua. Les coordonnées géographiques des emprises de ces permis ont été introduites dans le système d’information géographique (SIG) Arc GIS 10.2, tout comme la couche des aires protégées de la Région de l’Est. La superposition spatiale de ces deux informations nous a donné un aperçu des contraintes de préservation des bassins forestiers dans le sillage de l’exploitation minière.

Traitement des données d’enquête

Les données des entretiens de groupe et des entretiens semi-directifs ont fait l’objet d’un traitement essentiellement qualitatif. Néanmoins, un traitement statistique de la perception des activités minières par les populations locales complète cette exploitation qualitative du matériau des enquêtes.

Résultats

Potentiel forestier et enjeux dans le Cameroun oriental

Avec une superficie d’environ 109 km², la région administrative de l’Est est la plus vaste du Cameroun (Tchindjang et al., 2015). Subdivisée en quatre départements et trente-quatre communes, elle représente presque le quart du territoire national (figure 1). Il s’agit de la région la plus faiblement anthropisée du pays avec, en moyenne, 4,61 habitants au km² (BUCREP, 2010 ; FEICOM, 2013). C’est donc un vaste territoire dominé par la forêt équatoriale humide, dont la superficie est évaluée à 7 M ha (Mertens et al., 2012). Il reste que l’étirement de la région en latitude entraîne une variation climatique qui influe sur les caractéristiques de la végétation. Les marges nord de la région, qui reçoivent relativement moins de précipitations que la partie sud (en moyenne1 400 mm/an contre 1 600 mm au sud), sont dominées par un écotone qui marque la transition entre la forêt équatoriale humide et la savane arborée de l’Adamaoua.

Figure 1

Localisation de la région administrative du Cameroun oriental

Localisation de la région administrative du Cameroun oriental
Source : Base de données de l’Institut national de cartographie

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Une simple analyse de la carte forestière de la région administrative de l’Est (figure 2) rend compte du fait que la forêt est localement au centre de divers enjeux. La répartition des forêts entre aires protégées, unités forestières d’aménagement, forêts communales et communautaires, ventes de coupe, révèle globalement le besoin de conciliation des objectifs d’exploitation et de conservation des forêts. Dans cette région, la forêt se résume à l’existence de six aires protégées dont quatre parcs nationaux (Boumba Bek, Nki, Deng Deng et Mbam et Djerem) et deux réserves de faune (Dja et Ngoyla-Mintom). Depuis 2004, la simplification des procédures administratives d’attribution des forêts communautaires a entraîné une augmentation considérable de leur nombre dans la région de l’Est.

Un examen de la carte du domaine forestier du Cameroun (MINFOF et WRI, 2018) permet de dénombrer 174 forêts communautaires dans la région de l’Est contre 142 en 2012 et 111 en 2007 (Mertens et al., 2012). Les enquêtes révèlent que des hautes personnalités originaires de la région se sont fait attribuer des forêts communautaires sur la base de faux dossiers regroupant des noms et signatures fictives des membres des communautés (cadre administratif du ministère des Forêts, juin 2017).

La prolifération observée de forêts communautaires cache donc en réalité celle des forêts de particuliers (Bigombe Logo, 2006 ; Eba’a Atyi et al., 2013 ; Moutoni, 2019). Ceci est illustré par les modes d’exploitation de ces forêts, lesquels sont à l’opposé des prescriptions réglementaires de gestion des forêts communautaires. Il est davantage question du sciage artisanal de bois d’oeuvre que de l’usage durable des ressources par les communautés tel qu’envisagé dans l’article 37 (4) de la Loi des forêts de 1994 (cadre administratif du ministère des Forêts, op.cit.). Ainsi, les dynamiques en cours dans le secteur forestier du Cameroun oriental traduisent une confrontation spatiale des enjeux de conservation et d’exploitation ; confrontation où les communautés locales semblent prises dans un étau, qui plus est, en contexte de superposition des enjeux miniers.

FIGURE 2

Aperçu de l’affectation des terres dans le domaine forestier du Cameroun oriental en 2011

Aperçu de l’affectation des terres dans le domaine forestier du Cameroun oriental en 2011
Source : Mertens et al., 2012

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Potentiel minier et dynamique extractive dans le Cameroun oriental

Jusqu’en 2013, les explorations géologiques et minières, réalisées sur 40 % du territoire camerounais, ont mis en évidence au moins 52 cibles minières (IRGM, 2008). Sur la base de ces données, la région de l’Est présente le plus grand potentiel du pays avec une très grande diversité de minerais : or, diamant, fer, cobalt, nickel, uranium, pierres précieuses, rutile, manganèse, etc. Sur 29 gisements prouvés, 9 se trouvent dans cette région, soit le tiers des réserves, mais beaucoup plus, selon l’importance en termes de volume estimé de minerai de certains gisements. Il faut dire que le Cameroun oriental abrite certains des gisements miniers présentés par les experts et les autorités comme faisant partie des plus importants du monde. On pense ainsi principalement aux gisements de fer de Mbalam (2,5 milliards de tonnes) et de Nkout (4 milliards de tonnes), mais également au gisement de diamants de Mobilong (18 230 000 carats) (Investir au Cameroun, 2016). En tout état de cause, le potentiel minier connu de la région de l’Est, comme du reste celui des autres régions du Cameroun, semble bien en-deçà de sa valeur réelle.

En effet, au plan purement géologique, la cartographie et les connaissances globales du potentiel minier de cette région restent limitées et apparaissent aujourd’hui dépassées, à l’aune des techniques modernes désormais utilisées dans le secteur. Il faut préciser que les cartes photogéologiques existantes traduisent des conceptions anciennes n’intégrant pas les connaissances et les méthodes d’acquisition géologiques, géophysiques ou géochimiques modernes, et ne reflètent pas non plus les données récentes des opérations d’exploration et de prospection. Les données géophysiques et géochimiques restent insuffisantes pour de vastes régions ou doivent être réinterprétées au moyen de technologies et d’approches modernes lorsque disponibles.

FIGURE 3

Type d’exploitation minière dans la région de l’Est

Type d’exploitation minière dans la région de l’Est
Source : données issues des enquêtes de terrain

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Mais depuis 2014, le programme d’actualisation et de développement de la carte géologique et minière du Cameroun, soutenu par la Banque mondiale, a permis de mettre en évidence 300 nouveaux indices miniers, dont près d’une centaine dans la région de l’Est (cadre du ministère des Mines, 2 décembre 2019).

Dans le domaine de l’exploitation minière (figure 3), les dynamiques restent tout aussi complexes. Sur la base du décompte de terrains, 103 sites miniers ont été recensés dans cette région, dont 47 abandonnés et 56 en activité. Il faut noter que ce décompte est loin d’être exhaustif étant donné qu’il concerne principalement les localités ayant accueilli les enquêtes. Dans une enquête similaire, le Fonds mondial pour la nature (WWF) (2017) a dénombré 302 sites miniers de différentes catégories dans le Cameroun oriental. Et encore, l’organisme indique qu’il ne s’agit pas là d’un dénombrement exhaustif. La difficulté d’atteindre une plus grande précision tient au fait que la région de l’Est est très vaste, avec des enclaves d’activités minières artisanales éphémères dans de nombreuses localités. La faible inscription spatiale de ces enclaves (taille réduite de la plupart des sites artisanaux), doublée de l’importance de la couverture végétale, ne facilite pas non plus un décompte fiable à partir de l’imagerie satellitaire.

Le visage très disparate des modalités d’exploitation minière dans le Cameroun oriental est attribuable à trois éléments. D’abord, la prédominance de l’exploitation artisanale stricte tient à l’ancienneté de l’orpaillage dans cette région (depuis les années 1910, selon nos renseignements de terrain) et, surtout, à l’implication des communautés locales dans ces activités. Mais depuis 2005, ce secteur s’est davantage développé dans le sillage des activités artisanales semi-mécanisées, avec l’irruption de migrants centrafricains, tchadiens, maliens, etc., ainsi que des populations d’autres régions du Cameroun à l’assaut de la « manne » aurifère et diamantifère.

Puis les activités artisanales semi-mécanisées ont connu un développement rapide à partir des années 2007-2009, par suite de la libéralisation du secteur minier camerounais en 2005. Cette libéralisation a donné lieu à la ruée de petites compagnies chinoises et coréennes travaillant en coentreprises avec des exploitants camerounais.

L’exploitation minière industrielle demeure embryonnaire, voire inexistante, dans la région de l’Est comme, du reste, dans l’ensemble du Cameroun. L’exploitation du gisement de diamants de Mobilong, amorcée en 2011, s’est soldée par un quasi-échec puisque les activités sont à l’arrêt depuis 2015, pour des raisons officielles de réévaluation du potentiel du gisement. Mais en attendant l’essor de l’exploitation minière industrielle dans le Cameroun oriental, le dynamisme des activités semi-mécanisées alimente des controverses et suscite l’opposition des différentes parties prenantes, sur fond de défense de leurs intérêts.

Ferment des controverses autour des activités minières

Le champ des controverses dans le sillage de l’exploitation minière semi-mécanisée dans le Cameroun oriental relève de divers points d’achoppement entre les acteurs. Dans l’ensemble, ces controverses tiennent aux manquements des exploitants miniers sur les plans technique, social et économique en rapport direct avec les enjeux de préservation des forêts et du développement local.

Controverses liées à la confrontation spatiale entre enjeux forestiers et miniers: discorde entre les administrations minière et forestière

En cumulant la superficie des titres miniers accordés entre 2009 et 2018 dans la région de l’Est, on obtient une emprise spatiale d’environ 58 000 ha attribués à l’exploitation minière, soit 53,21 % de la superficie totale de la région de l’Est (évaluation par système d’information géographique). Il s’agit d’autant d’hectares de forêt pouvant potentiellement disparaître de la carte, dans la mesure où les exploitants miniers jouissent de la liberté de déployer comme ils l’entendent leurs activités sur toute la surface couverte par leurs permis.

FIGURE 4

Superposition des titres miniers dans les aires protégées du Cameroun oriental, en 2018

Superposition des titres miniers dans les aires protégées du Cameroun oriental, en 2018
Source : Données du Service régional de l’Est du cadastre minier du ministère des Mines

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Cette cartographie révèle également combien l’exploitation des mines empiète sur les objectifs de conservation des forêts. Plusieurs permis miniers touchent les aires protégées ; c’est le cas particulièrement dans les parcs de Lobeké, Boumba Bek et Nki, et dans la réserve de faune du Dja (figure 4). Une telle situation est révélatrice de l’absence déja mentionnée de synergie entre les administrations minière et forestière dans le processus d’attribution des titres miniers, mais aussi des concessions forestières. La conséquence en est que les permis miniers et les concessions forestières se superposent à plusieurs endroits. Cette situation trahit aussi le fait que les permis sont attribués à partir des projections cartographiques approximatives sans vérification de terrain.

Il faut également tenir compte du fait que le taux élevé de la part informelle de l’exploitation minière (38 % des exploitants recensés sur le terrain), en partie attribuable à la corruption au sein de l’administration, annihile le contrôle des activités minières sur ce même terrain. Les aires protégées sont colonisées par l’orpaillage artisanal et l’exploitation semi-mécanisée, ce qui implique la destruction de vastes parcelles de forêt (figure 5).

Profitant de cet environnement de corruption et de trafic d’influence, les entreprises minières s’investissent, par sous-traitance, dans l’exploitation forestière à l’intérieur des emprises de leurs titres miniers, y compris quand ceux-ci empiètent sur les aires protégées et les forêts communautaires. Ainsi, l’exploitation forestière précède systématiquement l’exploitation minière. Les titres miniers sont parfois sollicités et attribués dans des espaces riches en essences forestières commerciales pour servir l’objectif tacite d’exploitation de ces arbres (cadre du ministère des Mines, juin 2018).

FIGURE 5

Exploitation semi-mécanisée (A) et artisanale (B) de l’or dans le parc national de Deng Deng

Exploitation semi-mécanisée (A) et artisanale (B) de l’or dans le parc national de Deng Deng
Source : Voundi et Tchindjang, 2022

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En 2011, la collaboration entre le ministère des Mines, celui des Forêts et le World Resources Institute (Institut des ressources mondiales) a permis de cartographier et d’intégrer dans la version 3.0 de l’Atlas forestier du Cameroun, les titres miniers attribués jusqu’en 2011. Cette démarche a fourni une plateforme utile pour le partage des informations et l’amélioration de la coordination des politiques sectorielles (Mertens et al., 2012). Mais la collaboration entre ces administrations peine à s’installer dans la durée. Tout comme les relations entre les exploitants miniers et les communautés riveraines restent marquées par des divergences.

Externalités nocives des activités minières au coeur des controverses entre communautés riveraines et exploitants miniers

En plus d’empiéter sur les aires protégées, l’exploitation minière semi-mécanisée se rend coupable de la confiscation des bassins forestiers, notamment des ripisylves (forêts riveraines) (parce qu’essentiellement alluvionnaires), qui s’avèrent des territoires de ressources pour les populations locales et autochtones. Dans le Cameroun oriental, la forêt est au coeur de la vie des communautés. Les activités traditionnelles de chasse, de ramassage, de cueillette, voire d’agriculture, de ces communautés dépendent étroitement de la présence de la forêt. Les communautés bakas illustrent encore parfaitement ces modes de vie dont se sont quelque peu affranchies les populations bantoues, même si elles s’y adonnent encore périodiquement. Dans la localité de Gari Gombo, par exemple, la survie de la communauté des Pygmées bakas s’en trouve menacée par l’exploitation minière semi-mécanisée. Les témoignages recueillis sur le terrain trahissent une colère au sein de la communauté :

Nous ne savons quoi faire. Les gens viennent de partout pour chercher de l’or ici. Personne ne demande notre avis, quand bien même c’est nous qui payons le prix final. Voyez, la forêt est totalement dégradée, les rivières également. Où irons-nous chasser le gibier désormais ? Où irons-nous pêcher ? Nous n’arrivons plus à trouver le gibier ; les animaux ont fui très loin à cause des activités minières. Nous avons également des problèmes dans nos ménages parce que nous ne ramenons plus le gibier comme avant à nos femmes. Nous nous essayons à l’agriculture comme nos frères bantous, mais nous ne trouvons pas encore nos repères parce que ce n’est pas notre mode de vie. Il faut que les autorités arrêtent cette exploitation minière qui nous cause beaucoup de problèmes

traduction assistée du témoignage du chef du campement pygmée de Mombélé, 11 mars, 2017

Ces témoignages sont dominants dans la région de l’Est. Ils révèlent la marginalisation des droits des communautés locales, dans la gouvernance minière (Bigombe Logo, 2004). Mais irréfutablement, les luttes autour des forêts, en contexte extractif, illustrent bien l’attachement des communautés autochtones et locales à ces espaces, au double plan identitaire et d’exploitation durable des ressources dont elles dépendent. Les mobilisations citoyennes de contestation de l’exploitation minière s’abreuvent ainsi, en partie, de l’effet négatif de cette exploitation, en termes de destruction des forêts et des cours d’eau ; mais également de ce qui s’apparente à une dynamique de dépossession des bassins de ressources communautaires et des terres agricoles, sans modalités d’indemnisation, de réhabilitation et de restauration des milieux (autorité traditionnelle, 11 juin 2018).

Et en plus de ne pas respecter la réglementation sur la restauration et la réhabilitation des sites miniers abandonnés, le secteur minier suscite également un débat sur sa contribution au développement local dans le Cameroun oriental.

Activités minières non propices au développement local et à la lutte contre la pauvreté

Il existe un autre point de controverse. Suivant les dispositions des articles 28 et 176 (2) du code minier, l’État prélève un impôt synthétique libératoire (ISL) de 25 % de la production brute de chaque site, dans le cadre de l’exploitation artisanale semi-mécanisée de substances minérales. Cet impôt représente la part de l’État dans la taxe ad valorem sur les substances précieuses et semi-précieuses et l’acompte mensuel sur les sociétés. La répartition de cette taxe est déterminée par l’article 137 du décret n° 2002/648/PM, du 26 mars 2002, fixant les modalités d’application de la loi portant code minier. Ce décret d’application dispose qu’une proportion de 10% des prélèvements doit être affectée à des projets destinés aux populations riveraines, sans toutefois en préciser les modalités. Compte tenu du caractère très opaque du secteur minier, il est difficile d’évaluer avec précision la valeur monétaire affectée aux collectivités territoriales décentralisées et aux populations riveraines au titre de la taxe ad valorem de l’artisanat minier.

Si la gestion des retombées financières de l’exploitation minière implique une répartition des bénéfices entre compagnies minières, gouvernement, collectivités décentralisées (les communes) et communautés riveraines, encore faudrait-il que le respect des dispositions réglementaires sur la taxe ad valorem soit démontré quant à la part qui reviendrait aux communautés. Tout se passe comme si la gestion de la rente ou de la redevance minière était une affaire exclusive entre le gouvernement, les exploitants miniers et, dans une moindre mesure, les communes. Les enquêtes menées auprès des communautés riveraines des sites miniers n’ont, dans aucune localité, attesté de l’effectivité du paiement de 10 %, de la taxe ad valorem, qui revient légalement aux populations et qui aurait pu soutenir des projets de développement local.

Logiques de gouvernance qui amplifient les controverses et la mauvaise perception des activités minières

En dépit de l’existence d’un cadre réglementaire suffisamment étoffé sur les mines, les forêts et l’environnement, ainsi que des dispositions pertinentes sur les considérations socioenvironnementales dans les contrats, la gouvernance des mines et des forêts peine à traduire en réalité le respect de la réglementation et des engagements pris par les exploitants sur le terrain. Le problème est celui d’une administration locale réputée corrompue.

La question est surtout celle du contrôle des activités minières sur le terrain. C’est à ce niveau qu’il faut comprendre la prolifération incontrôlée des sites d’exploitation des petites compagnies semi-mécanisées. Celle-ci tient en réalité de l’activité des réseaux d’influence des hautes personnalités qui parrainent les activités de ces compagnies et qui n’hésitent pas à user de trafic d’influence auprès des agents de contrôle de l’administration des mines et de l’environnement avec des menaces de sanctions sur les carrières

cadre ONG Relufa, 11 mars 2017 et agent du ministère des Mines, juin 2018

La conséquence en est une articulation des politiques publiques, et donc de la gouvernance, qui peine à se positionner clairement sur la conciliation des enjeux de préservation des forêts, d’exploitation minière et de respect des intérêts des communautés, dans le sillage des activités minières. Qu’il s’agisse de la préservation des forêts ou de leur exploitation, ou encore du développement de l’exploitation minière, la perception des populations locales (figure 6) et des acteurs de la société civile relaie une marginalisation des intérêts des populations et communautés locales.

FIGURE 6

Perception de l’exploitation minière par différentes communautés riveraines

Perception de l’exploitation minière par différentes communautés riveraines
Source: données issues des enquêtes de terrain

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Les ONG et associations se sont saisies de la question. Elles assurent la surveillance du respect des dispositions sur les contenus locaux des contrats miniers, ainsi que du cadre réglementaire. Les communautés, sensibilisées et éduquées, sont plus exigeantes sur le respect de leurs droits. Globalement, dans les cinq localités où nous avons mené nos enquêtes, 78 % de la population évalue négativement l’exploitation minière.

Les mobilisations locales et les dénonciations des ONG, des associations et des intellectuels que cette situation intéresse prennent les contours d’un militantisme socioenvironnemental dans le sillage des luttes dénonçant les effets négatifs de l’exploitation minière. Les tares d’une gouvernance marquée par des soupçons de corruption alimentent la théorisation de « la malédiction des ressources » (Magrin, 2013) au sens où Thomas (2013 : 12) l’indique : « La malédiction des ressources ne se réduit pas à ce constat statique paradoxal. Elle possède également un caractère dynamique en produisant des effets négatifs sur la société et l’environnement. Les richesses semblent ainsi se retourner contre les territoires et les populations qui les détiennent ».

En effet, la mise en perspective des bénéfices économiques de l’exploitation des mines et de ses effets socioenvironnementaux met en question les ressorts profonds de l’essor des activités minières dans le Cameroun oriental. Des milliers d’hectares de forêt et des kilomètres de cours d’eau tant utiles aux communautés sont sacrifiés pour les retombées socioéconomiques insignifiantes, voire nulles, de l’exploitation minière.

Discussion : la mine, un enjeu économique en zone forestière

Ces dernières années, le Cameroun oriental voit arriver des petites compagnies minières, notamment asiatiques, à la conquête des réserves minières encore relativement importantes de la région de l’Est. En effet, depuis la promulgation du code minier, en 2001, et la libéralisation du secteur, en 2005, le gouvernement a établi une politique d’exploitation des ressources minières pour le développement du pays (MINEPAT, 2009a ; MINEPAT, 2009b ; Lickert, 2013). Les politiques incitatives qui ont suivi ont conduit à une ruée de petites entreprises « juniors » asiatiques dans la région de l’Est.

À l’observation, il s’agit d’une tendance générale en Afrique (Commission de l’Union africaine, 2009 ; De Failly, 2013 ; Pourtier, 2016). Cette tendance est révélatrice de la nouvelle ruée sur les ressources minières du continent. Viard (2011 : 2) souligne à ce propos que:

souvent considérée comme étant en marge de la mondialisation, l’Afrique tient en revanche son rang dans le [boum] que connaît le secteur minier depuis le début des années 2000, marqué par une hausse ininterrompue des investissements dans cette industrie devant la demande de plus en plus forte de ressources minérales, due à la montée en puissance des pays émergents. L’Afrique, sous-explorée et sous-exploitée, prend des allures d’eldorado pour les petites et grandes compagnies minières originaires d’Europe, d’Amérique du Nord et, bien sûr, de Chine.

Mais à l’épreuve de la réalité de terrain dans le Cameroun oriental, l’Eldorado de Viard (2011) ne semble s’articuler que sur les perspectives financières des entreprises minières. À l’échelle des communautés, déforestation, retournement des sols, pollution et dégradation des rivières révèlent plutôt le potentiel de transformation destructrice des milieux naturels par les activités minières… une illustration du livre La Planète au pillage (1949), de Fairfield Osborn.

Le Cameroun est régulièrement ébranlé dans des rapports d’études (Nguiffo, 2011 ; FES, 2015 ; Tchindjang et al., 2015 ; WWF et Bureau régional pour l’Afrique, 2017) et des publications scientifiques (Voundi et al., 2019) sur les maux qui affectent le secteur minier dans la région de l’Est : entre autres, la corruption (S.A., 2018), les défaillances de responsabilité sociale des entreprises (Battache, 2015 ; Chekoua et Ngalim Yongabi, 2016), la destruction des écosystèmes naturels et la dégradation des ressources utiles pour les communautés locales (Nguiffo, 2011). Face à cette situation, et depuis peu, les communautés expriment avec véhémence leurs attentes socioenvironnementales concernant les projets d’exploitation des ressources naturelles (forêts et mines principalement) sur leurs territoires.

Ainsi, l’examen des controverses qui s’enracinent dans le sillage de l’exploitation minière, dans le Cameroun oriental comme ailleurs, permet de souligner les processus de construction des contestations sociales et politiques soutenus par des réseaux d’acteurs en concurrence (Lapointe, 2010 ; De Failly, 2013 ; Chailleux, 2015). D’une part, les uns défendent l’exploitation minière, d’autre part, les autres la contestent sur fond de dénonciation de la dégradation des forêts qu’elle implique et des nocivités environnementales multiples pour les communautés locales. Sur ce dernier aspect, il s’agit d’une modalité évidente d’articulation de la polical ecology donnant lieu à la naissance d’un militantisme socioenvironnemental sur fond de dénonciation des manquements éthiques du secteur minier, en termes de préservation des forêts et des intérêts ontologiques des communautés.

Si la prééminence des considérations environnementales est inscrite comme un principe fondamental de l’exploitation minière, au Cameroun, la gouvernance sectorielle ne brille pas toujours par le contrôle du respect de la réglementation par les exploitants miniers (Jounda 2018). Les questions de restauration et de réhabilitation des sites miniers abandonnés, de responsabilité sociale des entreprises et de participation des communautés locales à l’élaboration des projets miniers se posent avec acuité, ces dernières années, et alimentent ainsi les controverses dans les territoires miniers de la région de l’Est.

La question de fond est donc celle de l’application de la réglementation pour astreindre les exploitants miniers au respect des dispositions environnementales et sociales relatives à leurs activités. La synergie des acteurs institutionnels (MINMINDT, MINEPDED, MINFOF, etc.) dans la construction des projets miniers qui privilégient les objectifs de durabilité est à envisager. Cet impératif de synergie institutionnelle dans les domaines des mines et des forêts entraîne une mise en cohérence des politiques publiques de développement. La superposition de projets d’exploitation minière et d’exploitation forestière ou encore d’exploitation minière et de conservation des forêts illustre le visage paradoxal actuel des politiques publiques à l’ère des enjeux de développement durable.

En fin de compte, la prise de décisions dans le secteur de l’extraction minière est façonnée par un ensemble complexe de cadres de gouvernance et d’initiatives qui fonctionnent à plusieurs échelles. Cette complexité est aggravée par des chaînes de valeur hautement mondialisées, caractérisées par la participation de divers intervenants : gouvernements, compagnies minières, société civile, etc. La réforme de la gouvernance des mines s’impose donc comme un besoin urgent du fait, dans le contexte camerounais, de la nature enclavée de l’exploitation minière, faiblement liée aux autres secteurs économiques, et du fait aussi des disparités entre les droits officiellement reconnus aux ressources minérales et les besoins et moyens de subsistance des communautés locales (Voundi, 2021). La problématique est celle d’une comptabilité et d’une gestion inappropriées de l’impact du secteur sur le milieu naturel, ainsi que des risques sociopolitiques associés aux activités extractives, au niveau local. Il faut dire que, dans le Cameroun oriental, le visage apocalyptique des paysages post-exploitation minière s’ajoute à des tensions sociales régulières, reflets des dénonciations des manquements socioenvironnementaux de l’industrie minière (Voundi et al., 2019). C’est dire que le développement social local et l’intérêt général, tant théorisés dans les textes encadrant les activités minières au Cameroun, ne sont pas au rendez-vous (ITIE, 2015, 2016 et 2019). Un tel environnement trahit une exploitation minière économiquement peu éthique, socialement non équitable et écologiquement peu responsable, dans un contexte de gouvernance marqué par des dénonciations d’injustice vis-à-vis des communautés.

Le droit d’usage des communautés est donc en question dans le sillage des activités minières du Cameroun oriental. Ce droit lie les enjeux de lutte contre la pauvreté, de sécurité alimentaire et de santé humaine (Bigombe Logo, 2002). Il va sans dire que l’intensification de l’exploitation minière dans cette région forestière repose la question des enjeux de conservation ainsi que des rapports des communautés avec leurs forêts, et alimente in fine des controverses au gré des perceptions et des intérêts des diverses parties prenantes. Dès lors, les mobilisations, contestations et conflits qui naissent en contexte d’exploitation minière suscitent des luttes de pouvoir sur fond des enjeux environnementaux liés à la préservation des forêts. En effet, les controverses sont prégnantes dans un contexte où l’exploitation minière force à revisiter les rapports séculaires entre les communautés et leurs forêts (Gartlan, 1989 ; Magrin, 2013 ; Thomas, 2013 ; WWF et Bureau régional pour l’Afrique, 2017).

Conclusion

La couverture forestière de la région de l’Est est la plus importante du Cameroun. Par ses services écosystémiques, cette forêt est utile à toute la planète. L’essor de l’exploitation minière dans cette région entrave les objectifs de conservation et le droit d’usage des produits de la forêt reconnu aux communautés. Cette situation est révélatrice des incohérences des politiques publiques dans les secteurs forestier et minier. L’absence de synergie entre les administrations en charge des mines et des forêts se double d’un contexte général de gouvernance marqué par des logiques de corruption. La conséquence est qu’on relève des empiètements de titres miniers dans les aires protégées et les forêts communautaires. Compte tenu du fait que les zones d’exploitation minière se retrouvent le plus souvent en forêt, il est désormais urgent que les secteurs forestier et minier harmonisent leurs plans d’affectation des terres. Les défis agrègent enjeux de conservation des forêts et de la biodiversité, d’exploitation forestière pour l’économie nationale et de protection du droit d’usage des communautés. Il y a un gros problème dans l’exploitation minière et la gestion des forêts dans le Cameroun oriental : l’État n’arrive pas à se donner les moyens de contrôler les activités des compagnies minières dans un contexte où la corruption sape tous les efforts de transparence dans les secteurs minier et forestier. Les controverses et les contestations locales qui rythment l’exploitation minière racontent ainsi les luttes de pouvoir où les populations expriment leur attachement à la préservation des forêts.