Comptes rendus bibliographiques

BOUVET, Rachel (2018) Littérature et géographie. Québec, Presses de l’Université du Québec, 272 p. (ISBN 978-2-76055-029-2)[Notice]

  • Michel Côté

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  • Michel Côté
    Directeur général, MRC de Nicolet-Yamaska

L’essence scripturaire de la géographie – étymologiquement, écriture (graphie) de la terre (géo) – appelle à de nécessaires rapports avec la littérature, dérivé de litteratura, c’est-à-dire « ce qui est écrit ». Ces rapports sont néanmoins d’intensité variable selon les époques et les écoles de pensée. L’école vidalienne, par exemple, qui domina la pensée géographique pendant les premières décennies du XXe siècle, constituait, si l’on s’en rapporte au jugement de l’historien Fernand Braudel (1901-1985), un genre littéraire en soi : « L’école géographique française, issue du vigoureux enseignement de Vidal de la Blache, n’aura pas reculé devant l’entreprise, elle a voulu voir et elle a su bien voir. Elle aura même atteint à [sic] une sorte de perfection dans cet art de décrire la terre, perfection jamais égalée à l’étranger à ma connaissance, et pas toujours signalée chez nous comme il en conviendrait. Et pourtant, c’est une de nos vraies réussites littéraires ! » (Braudel, 1997 : 71). Lors d’une émission de France Culture consacrée à Vidal de La Blache, Jean-Louis Tissier émet, pour sa part, l’hypothèse selon laquelle le style du célèbre géographe puiserait dans l’oeuvre d’Eugène Fromentin, auteur d’un célèbre roman et de récits de voyages, renforçant du même coup cette intime filiation entre géographie et littérature. Cet art d’écrire mena même certains géographes à embrasser une carrière littéraire. Ce fut le cas de Louis Poirier (1910-2007), spécialiste de géomorphologie qui, sous le nom de Julien Gracq, élabora une oeuvre romanesque qui demeure marquée par un indéniable caractère géographique. Le géographe Henry Petiot (1901-1965), élève de Raoul Blanchard (1897-1965) et auteur d’une monographie sur la géographie urbaine de Briançon (1921), devint un écrivain et académicien célébré en son temps, sous le nom de Daniel-Rops. Le critique Albert Thibaudet (1874-1936), agrégé d’histoire et géographie, recourut fréquemment, dans ses Réflexions sur la littérature, à de nombreuses métaphores empruntées à la discipline géographique et esquissa une géographie littéraire où les oeuvres sont liées entre elles par des solidarités multiples. L’avènement d’une géographie néopositiviste quantitative relégua en arrière-plan cette affinité entre la géographie et la littérature. Le maître ouvrage d’Éric Dardel, L’homme et la terre, paru en 1952, dressant les rapports entre la géographie et le mythe, matrice même de la littérature, selon Northrop Frye, passa alors tout à fait inaperçu, comme le rappelle, après Claude Raffestin, Bertrand Lévy dans l’un des textes figurant au sein de l’anthologie rassemblée par Bouvet. La géographie, désormais en quête de reconnaissance scientifique et de modèles théoriques, allait dorénavant s’exprimer en langage graphique et mathématique. Dardel lui-même était bien conscient de ce changement de paradigme, affirmant, en conclusion de son ouvrage, qu’« il est difficile d’imaginer à notre époque une autre relation de l’homme avec la Terre que celle de la connaissance objective proposée par la géographie scientifique » (Dardel, 2014 : 241). Le renouveau insufflé par la géographie humaniste d’inspiration phénoménologique réhabilita la pensée et l’oeuvre de Dardel, et noua de nouveaux liens avec la littérature, notamment chez Armand Frémont (1933-2019), qui mobilisa les oeuvres de Gustave Flaubert et de Guy de Maupassant pour révéler, à travers le jeu des représentations littéraires, les dimensions sensibles profondes de la personnalité géographique de sa Normandie natale. L’anthologie préparée par Rachel Bouvet, rassemblant des contributions de représentants de ces deux domaines sur les rapports qu’entretiennent géographie et littérature, illustre ce renouveau et la diversité des approches géo-littéraires. Selon Bouvet, l’apparition d’approches théoriques et d’outils d’analyse, dans les années 1980, a permis de baliser « un domaine théorique en émergence dont l’objet d’étude principal est l’espace littéraire » (p. 1). L’ouvrage est divisé …

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