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Une vingtaine d’auteurs sont regroupés sous la direction de Florian Guérin, d’Edna Hernandez et d’Alain Montandon. Ils ont pour objectif de dévoiler nombre de facettes des nuits urbaines où la cohabitation des habitants et des consommateurs réclame que soit conscientisée la part d’ombre existante, tout en incluant les régulations et les investissements privés ou publics effectués afin que les actants puissent vivre la nuit urbaine selon leurs aspirations. L’attractivité constatée de la nuit urbaine implique une régénération de son tissu pour que les territoires puissent être valorisés tout en intégrant les tensions induites par les usages et les orientations, lesquelles mettent en relief le rôle des instances institutionnelles et des droits des citoyens.
Quelques images et de rares cartes ponctuent les chapitres pour imager des situations particulières liées aux évolutions des éclairages urbains, aux localisations ou aux dynamiques spécifiques de certains lieux brièvement présentés par les auteurs. Ceux‑ci nous font voyager de l’Afrique à Montréal en passant par Lyon ou Lille ainsi que par l’Espagne ou Beyrouth.
Le premier thème s’attache aux vécus et à des perceptions de la vie nocturne urbaine : la dangerosité de la nuit, la prostitution, les comportements sexuels rendus visibles dans leurs implications nocturnes. Les représentations de ce qu’est la vie nocturne attestent d’un esthétisme où l’obscurité joue avec la lumière, où la luminosité et les couleurs produisent des paysages pouvant être photographiés et exposés. Le paysage urbain de Montréal montre l’évolution de la production de paysages construits par des professionnels en lien avec l’expansion urbaine et les nécessités sociétales.
Le second thème met en évidence l’éclairage dans une fonction de source de sécurité. Le travail de CONCEPTO (une agence française active, entre autres, dans le domaine de la lumière urbaine) démontre une volonté de faire émerger une silhouette nocturne de la ville et de l’agglomération en créant une ambiance spécifique. Le tourisme nocturne avec ses contraintes de coûts et d’impacts de l’éclairage nocturne prend pour support Valladolid, où les aménagements sont conçus pour améliorer l’attraction des lieux. Les nuisances, les pollutions lumineuses, les territorialités nocturnes ne sont pas ignorées. Elles sont rationnalisées avec l’introduction de technologies performantes pour limiter les consommations en fonction de temporalités propres.
Le troisième thème débute par les berges du Rhône à Lyon. Il expose des réaménagements à destination des activités nocturnes pour des zones définies, en prenant en compte les comportements des consommateurs de la nuit. À Beyrouth, le mode de vie de la ville et ses socialités avec les actions événementielles attestent d’un style de vie. Pour Ouagadougou, les usages selon les spatialités avec les bakoromans[1] montrent des traits de la nuit locale. La vie madrilène est, elle aussi, prise en considération avec ses inductions. Enfin, le dernier thème porte sur la régulation et le contrôle, avec les externalités, les besoins de sécurité, de santé et de gestion du bruit, comme à Caen ou à Rennes. Les videurs sont présents pour leurs rôles au sein de la nuit et de ses réalités partagées par les consommateurs.
La richesse et la diversité des 13 chapitres mériteraient une conceptualisation transdisciplinaire, non pas interdisciplinaire, qui aille plus loin que les traits exposés synthétiquement dans la conclusion. Un tel ajout aurait permis aux auteurs d’oeuvrer collectivement en montrant que la nuit urbaine, peu importe le lieu, révèle des aspects similaires et qu’il est souhaitable de s’inspirer de ce qui fonctionne pour reconnaître cette temporalité de vie urbaine. L’objet socioconstruit dépasserait sans dogme les pratiques contemporaines pour suggérer des orientations qu’il reste à dessiner. Il est vrai que cette attente dépasse les vies nocturnes au coeur de l’urbain, mais de telles orientations sont à même de rendre plus explicites les actions pour vivre une structure sociétale, pour améliorer, dynamiser, sécuriser les territoires, le tout dans une perspective de durabilité, laquelle est brièvement contextualisée alors qu’elle incite à dépasser le développement durable.
Par ailleurs, bien que présente dans cet ouvrage, la notion d’interface aurait dû permettre aux auteurs de s’orienter vers la géographicité tout en insistant sur les territorialités propres à chaque phénomène abordé. La notion de « vivre ensemble » revient régulièrement, mais elle n’est que juxtaposition d’individus. Le chapitre sur l’Espagne pouvait annoncer la convivance, forme relationnelle qu’on retrouve dans certains lieux d’activité nocturne. Les quatre thèmes généraux auraient pu avoir une trajection exprimant plus fermement l’interdépendance entre les différentes facettes de la nuit urbaine mise en relief par les auteurs. Cela peut être considéré comme de l’ergotage, mais ces expansions offrent des perspectives d’étude de la vie nocturne de l’urbain où l’analyse systémique de durabilité aurait, elle aussi, trouvé une place.
Il n’en demeure pas moins que cet ouvrage éclaire les étudiants, les chercheurs, les curieux, voire les enseignants qui exposent le fait urbain à leurs élèves, au sujet de réalités diverses souvent ignorées et pourtant source de tensions, pour ne pas dire d’affrontements feutrés ou plus violents aux portes de certains lieux. Les notions de territoire se lisent et se perçoivent en creux. Elles contribuent à une lecture des temporalités nocturnes en exposant un large éventail de situations, d’implications, de solutions ou de perspectives pour rendre le tissu urbain plus agréable et parfois plus festif pour ceux qui aspirent à vivre la nuit. Il n’y a pas d’opposition entre le jour et la nuit. Les auteurs laissent entendre que les territoires diurnes peuvent avoir une vie nocturne sans basculer dans les trafics, la violence, le sexe ou les comportements anticonformistes et la marginalisation.
En outre, la nuit urbaine offre aux aménagistes, aux architectes, aux législateurs ainsi qu’aux animateurs un champ opérationnel des plus vastes où il est possible de faire émerger des dynamiques économiques, de préserver la nature, de limiter la consommation d’énergie et de rendre plus vivable aux habitants la présence des activités festives nocturnes, lesquelles deviennent parfois insupportables. Enfin, cet ouvrage laisse percevoir tout ce qu’il reste à entreprendre pour oeuvrer dans un esprit transdisciplinaire lorsque les frontières existantes entre les domaines d’étude auront été remplacées par des dynamiques trajectives au service de ceux et celles qui font que l’urbain a une vie particulière la nuit.
Parties annexes
Note
-
[1]
Jeunes personnes sans domicile fixe.