Résumés
Résumé
Les changements rapides survenus en Algérie ces trois dernières décennies aux plans économique, social et politique sont à l’origine de nouvelles dynamiques urbaines et rurales, impliquant l’émergence d’une nouvelle organisation spatiale qui s’est traduite par une concurrence croissante dans l’usage du sol des zones périurbaines. Structuré par Mostaganem, une ville intermédiaire côtière, et par un ensemble de petites agglomérations, le plateau de Mostaganem au fort potentiel agricole connaît actuellement, sous la pression démographique, un processus de périurbanisation qui transforme son espace rural et génère des mutations parfois caractéristiques. Ce processus a mis en interaction et en confrontation les acteurs institutionnels, les ruraux, les urbains, les propriétaires terriens et les agriculteurs. Dans cet article, nous analysons le processus de reconfiguration des rapports ville/campagne dans le nouveau contexte urbain de l’Ouest algérien et tentons de comprendre les actions et les stratégies des acteurs impliqués, à travers l’exemple de Mostaganem.
Mots-clés :
- Ville/campagne,
- périurbanisation,
- plateau de Mostaganem,
- espace périurbain,
- espace rural
Abstract
The rapid changes that have taken place over the last three decades in Algeria at the economic, social, and political levels resulted in new urban and rural dynamics involving the emergence of a new spatial organisation which caused land use competition to increase in peri-urban areas. Structured by Mostaganem, an intermediate coastal town, and by a group of small agglomerations, the Mostaganem Plateau has a strong agricultural potential. It is currently experiencing, under demographic pressure, a process of peri-urbanisation which is transforming its rural space and generating changes that can be distinctive. This process creating interactions and confrontations between institutional stakeholders, rural and urban residents, landowners, and farmers. This article analyzes this process of reconfiguring the city/countryside relationships in the new urban context of Western Algeria and seeks to understand the actions and strategies of stakeholders through the example of Mostaganem.
Keywords:
- City/countryside,
- peri-urbanisation,
- Mostaganem Plateau,
- peri-urban area,
- rural area
Resumen
Los cambios rápidos en Argelia de los tres últimos decenios, en lo económico, lo social y político, se sitúan al origen de los nuevos dinamismos urbanos y rurales, englobando la emergencia de una nueva organización espacial, de la que resulta una competencia creciente del uso del suelo periurbano. Estructurado por Mostaganem (ciudad intermediaria costera) y por un conjunto de pequeñas aglomeraciones, la planicie de Mostaganem de buen potencial agrícola, conoce actualmente, con presión demográfica, un proceso de periurbanización que transforma su espacio rural y genera mutaciones específicas. Este proceso ha provocado interacción y confrontación entre actores institucionales, rurales y urbanos, y entre propietarios de la tierra y agricultores. En este artículo, analizamos el proceso de reconfiguración de las relaciones ciudad/campo, en el nuevo contexto urbano del Oeste argelino. Gracias al ejemplo de Mostaganem, tratamos de comprender las acciones y estrategias de los actores implicados.
Palabras clave:
- Ciudad/campo,
- periurbanización,
- planicie de Mostaganem,
- especio urbano,
- espacio rural
Corps de l’article
Introduction
Après quatre décennies de développement des espaces ruraux, en Algérie, les déséquilibres observés entre le milieu urbain et le milieu rural depuis la période coloniale et les premières années de l’indépendance, et débattus par les politiques et les chercheurs ( Prenant, 1967 ; Cote, 1996), commencent à s’atténuer graduellement. Cela, grâce à plusieurs actions publiques entreprises par l’État, en aménagement urbain d’un côté et en développement rural de l’autre (Guillermou, 1999). Accentués par une urbanisation effrénée, mais aussi par une dynamique rurale enclenchée par l’essor d’une agriculture périurbaine, voire par la régénération d’une nouvelle paysannerie (Cote, 1996 ; Maâchou et Otmane, 2016), les échanges et les mobilités s’accélèrent entre la ville et la campagne, se complexifient et brouillent les frontières entre l’urbain et le rural autour des grandes villes et des villes intermédiaires, donnant naissance à une nouvelle configuration des espaces périurbains.
En effet, les espaces périurbains des villes algériennes sont devenus des lieux où se superposent les actions de développement, aussi bien pour promouvoir le monde rural que pour accompagner les dynamiques urbaines. Un ambitieux programme national de développement agricole et d’habitat rural a été lancé par l’État dans les années 2000, parallèlement à la réalisation de nouveaux programmes d’habitat et d’équipements urbains. Bien plus, ces espaces sont convoités pour la construction de l’habitat individuel, aussi bien par les urbains qui trouvent des difficultés à se loger en ville que par les ruraux qui expriment de nouveaux besoins en matière d’habitat, en rapport avec les mutations de la société algérienne (Semmoud, 2007). Ces actions ont certes accéléré la connexion entre la ville et sa campagne, mais elles ont été, en contrepartie, marquées par des ruptures et des incohérences dans les deux milieux.
Cela dit, l’espace périurbain de la ville algérienne s’est transformé en espace hybride dont les frictions et les luttes entre acteurs issus de l’urbain et du rural sont très fortes. Ces acteurs se confrontent et exercent des rapports de force pour se repositionner dans cet espace. Il s’agit en premier plan des acteurs urbains (institutions étatiques concentrées dans le centre, promoteurs fonciers et immobiliers et groupes d’habitants) qui agissent pour imposer leurs logiques dans cet espace face aux acteurs ruraux (collectivités locales périurbaines, agriculteurs et fratries rurales) qui s’accrochent à leur ruralité, mais s’adaptent à la réalité urbaine. Ainsi, la question foncière se trouve au centre de ce jeu d’acteurs où des stratégies d’accès au foncier sont développées aussi bien par les institutions étatiques que par des promoteurs privés ou par des groupes sociaux pour la production de logement. Paradoxalement, ces espaces connaissent une mutation agricole sans précédent par suite de l’adoption de nouvelles stratégies.
À travers l’exemple de la ville intermédiaire de Mostaganem, nous tentons de tracer les nouvelles territorialités qui se dessinent dans les espaces périurbains. Nous voulons croiser les regards portés non seulement sur les dynamiques urbaines (urbanisation diffuse, mitage agricole, production foncière, dynamique résidentielle), mais aussi sur les résistances, les résiliences et les adaptations émanant du milieu rural (transformations sociodémographiques, agriculture périurbaine, intensification agricole).
Pourquoi les espaces périurbains mostaganémois ?
Situés sur le littoral ouest de l’Algérie, les espaces périurbains de la ville de Mostaganem font partie d’un plateau[1] caractérisé par un cachet rural (56 % de la population est rurale) et une vocation agricole par excellence, mais qui n’est pas épargné de la confrontation qui oppose l’urbain au rural. Touchés par des actions de développement controversées entre les deux milieux, les espaces périurbains de Mostaganem deviennent des espaces d’enjeux sociopolitique, financier, agricole et résidentiel pour les acteurs urbains et ruraux. D’où l’intérêt de notre recherche (figure 1). En effet, ces espaces connaissent des mutations rapides, attribuables non seulement à l’étalement urbain du centre et à l’urbanisation des petites agglomérations rurales [2] (villages européens et douars[3]), mais aussi à la régénération d’une agriculture périurbaine, pour ne pas dire la genèse d’une forme d’entrepreneuriat agricole, qui ne peut être imputée à la forte dynamique agricole de la wilaya et de son rôle de pôle agricole national [4]. La nature juridique du foncier agricole du plateau affecte différemment la reconstitution des paysages périurbains selon que les terres soient publiques ou privées. Propulsées par des actions des pouvoirs publics à travers une série de projets réalisés dans le secteur de l’habitat, aussi bien que par des initiatives individuelles dans la production de logements populaires, ces interactions ont produit une discontinuité morphologique composée de ceintures vertes (maraîchères et arboricoles) et une urbanisation diffuse.
L’espace périurbain au centre des interactions ville / campagne : approche conceptuelle et méthodologique
Le processus de l’étalement urbain et les dynamiques des espaces ruraux aux alentours de nos villes nous ont imposé de dépasser la dichotomie qui a opposé la ville à la campagne pendant les époques préindustrielle et industrielle (Schmitt et Goffette-Nagot, 2000). Loin du débat sur la suprématie de l’urbain (Lévy, 1999 ; Chalas, 2000) ou du rural (Kayser etal., 1994 ; Perrier-Cornet, 2002), nous considérons que les deux espaces se reproduisent mutuellement et composent une nouvelle forme de territorialité hybride (Debarbieux et Vanier, 2002, Vanier, 2005) ni urbaine ni rurale. Dès lors, nous avons utilisé des concepts d’urbanisation de campagne, de périurbanisation et de contre-urbanisation pour décrire les interactions ville / campagne. Ces concepts pensent l’évolution du rural comme une conséquence de mécanismes d’urbanisation au sens morphologique et fonctionnel du terme (Thomsin, 2001). D’autres concepts viennent mettre l’accent sur les différences entre les deux extrêmes (ville / campagne), mais insistent aussi sur les gradients et les interrelations, comme le continuum urbain-rural (Pahl, 1966), les tiers espaces (Vanier, 2000) ou l’espace intermédiaire (Bonerandi et al., 2003). Pour notre recherche, nous retenons le terme « espace périurbain », puisqu’il est assimilé en partie par le processus de dispersion urbaine caractérisée par des dynamiques résidentielles, conservant cependant des attributs typiquement ruraux. Il est aussi l’espace de transition urbaine-rurale où les limites physiques et socioéconomiques sont imprécises. L’espace périurbain apparaît donc comme étant un « espace rural situé en périphérie d’une ville et de sa banlieue et qui est l’objet de profondes transformations paysagères, fonctionnelles, démographiques, sociales, culturelles, voire politiques » (Georges et Verger, 2004).
Dans les pays du Nord, les effets de ces interactions sont visibles dans la multiplication des appartenances spatiales et sociales, faisant en sorte que les territoires deviennent des mosaïques instables où, partout, se manifeste l’urbain à des degrés divers (Berger et Chaléard, 2017). Par ailleurs, dans les pays du Sud où la population rurale est encore importante, l’urbanisation rapide a affecté brutalement les espaces ruraux ; la ville est porteuse d’une modernité, mais qui signifie en réalité une exploitation du monde rural (Berger et Chaléard, 2017). Dans les pays du Maghreb, des dysfonctionnements sont marquants dans les zones périurbaines des grandes villes (Alger, Tunis, Casablanca) qui présentent de formidables enjeux générant des conflits entre les acteurs publics et privés (Bendjelid, 2002).
En Algérie, les études menées sur les espaces périurbains et les rapports ville / campagne se sont inscrites dans une approche radioconcentrique ou une logique centre / périphérie. Il s’agit d’abord des travaux sur l’armature urbaine (Brulé et Fontaine, 1983 ; Prenant, 1985 ; Boukerzaza, 1991 ; Cote, 1993 ; Chadli et Hadjiedj, 2002), qui s’intéressent aux dysfonctionnements spatiaux constatés entre centres et campagnes, mettant en premier plan l’exode rural. Cette approche trouvait également place dans les études sur l’économie régionale, développées pour accompagner les politiques de planification spatiale et d’aménagement du territoire mises en place par l’État. Les travaux menés à partir des années 1990 sur les dynamiques résidentielles dans les espaces périurbains s’inscrivent dans la même logique binaire où les forces urbaines ont été mises en exergue. Les stratégies d’accès au logement et la production foncière constituent des éléments-clés débattus dans ces travaux (Souiah, 1996 ; Bendjelid, 1998 ; Cherrad, 1999 ; Semmoud, 2003 ; Maâchou, 2012 ; Bakour et Baouni, 2015). Enfin, par la même logique (centripète-centrifuge), les forces rurales face à la ville ont été traitées à travers la thématique de l’agriculture périurbaine (Boudjenouia et al., 2008 ; Semmoud et Ladhem, 2015 ; Maâchou et Otmane, 2016 ; etc.).
Or, il est réductible d’approcher les espaces périurbains dans une logique binaire qui amoindrit notre compréhension des interférences urbain-rural. Comprendre l’hybridation des espaces périurbains nécessite de porter le regard sur les deux milieux et d’examiner les logiques d’action émanant d’acteurs et de groupes sociaux issus des deux milieux à la fois et dont les relations se manifestent sous forme de confrontation entre acteurs institutionnels (État et collectivités locales), agents économiques (agriculteurs et promoteurs) et groupes sociaux (ruraux, urbains, etc.). C’est ainsi que nous inscrivons notre recherche dans une approche systémique qui nous permet d’analyser la complexité des dynamiques territoriales en imbriquant les interactions urbaines et rurales (Beaujeu-Garnier, 1997 ; Mathieu, 2004).
Outils de recherche et méthodes d’observation de terrain
Notre terrain d’observation porte sur les espaces urbains de la ville de Mostaganem (141 358 habitants en 2008 selon le Recensement général de la population et de l’habitat [RGPH]) (ONS, 2008)[5]. Toutefois, l’absence de l’espace périurbain de la nomenclature officielle de l’armature urbaine en Algérie rend difficile la tâche de cerner ses limites. Pour le faire, nous nous sommes contentés d’étudier l’espace qui entoure le centre, lequel nous avons limité à un rayon de 15 km. Ainsi, l’espace périurbain mostaganémois est constitué des communes de Sayada, Mazagran, Hassi Mameche, Mesra et Kheireddine (figure 2). Ces communes comptaient 132 283 habitants en 2008, soit 39 % de la population du plateau.
Afin d’observer et de retracer les dynamiques spatiales et démographiques contextuelles, à savoir le changement de l’occupation du sol, les mutations de la structure foncière agricole et la redistribution de la population dans l’espace en question, nous avons eu recours à une approche diachronique par l’exploitation des données statistiques et cartographiques, et à une approche des stratégies d’acteurs par la lecture des documents d’urbanisme ainsi que des enquêtes de terrain. Pour ce faire, nous avons effectué une série d’enquêtes (observation, entrevue et questionnaire) en combinant les techniques suivantes :
Une enquête par entrevue de quelques acteurs issus des milieux urbain et rural pour comprendre, d’une part, les impacts, les enjeux, les stratégies et les conflits générés par les actions d’aménagement des espaces ruraux périurbains et, d’autre part, la réaction des agents économiques et des acteurs fonciers et agricoles. Ces entretiens semi-dirigés ont été effectués avec les représentants de l’administration centrale (des responsables au sein des directions de logement, des équipements publics et des services agricoles de la wilaya de Mostaganem), avec les élus locaux et les ingénieurs territoriaux des services d’urbanisme des communes étudiées, et avec des acteurs fonciers et agricoles (5 propriétaires terriens, 15 agriculteurs et exploitants agricoles).
Une enquête par questionnaire auprès de 150 ménages installés dans les nouveaux établissements humains (lotissements privés d’habitat individuel) (tableau 1). Cette enquête a permis d’étudier les dynamiques résidentielles, en particulier les stratégies d’accès au foncier constructible. Nous avons effectué des entretiens directs avec les chefs de ménage pour mener cette enquête. Celle-ci a porté sur un ensemble de noyaux d’habitat dont les chefs de ménage interrogés ont été choisis au hasard. Le choix de ces noyaux s’est fait selon deux critères : d’un côté, la distance par rapport au centre, où notre zone d’étude a été découpée en trois couronnes d’une équidistance de 5 km, et de l’autre côté, le contexte chronologique de l’urbanisation des noyaux sélectionnés. Nos enquêtes ont concerné la deuxième et la troisième couronne, dans lesquelles les transformations sont les plus marquantes.
Résultats et discussions
Dynamiques périurbaines et mitage du plateau de Mostaganem
L’organisation spatiale actuelle des espaces ruraux en Algérie remonte à la colonisation française, qui a réalisé de grandes actions de défrichement dans les plaines et sur les plateaux les plus fertiles, notamment sur le littoral. Cela a passé par la création d’une série de villages coloniaux et la sédentarisation de la population locale dans des douars. Après l’indépendance, l’urbanisation de ces centres et les politiques de développement menées par l’État algérien ont reconfiguré ces espaces. À l’instar des autres villes algériennes, Mostaganem connaît une périurbanisation rapide affectant l’organisation spatiale qui, après l’indépendance, reposait sur les anciens villages (Pélissier, Rivoli, Tounin et Aboukir devenus, après l’indépendance, Sayada, Hassi Mameche, Kheireddine et Mesra), ainsi que sur des douars des principales tribus (El-H’chem-Thata, El-H’chem-Fouaga, Ouled-Beni-Atou, Ouled-Ben Bachir et Ouled-Malef-Cheraga) établies selon des zones du pâturage sur le plateau (figure 3).
Urbanisation diffuse: naissance et développement d’une couronne périurbaine
Dans les 30 dernières années, les communes périurbaines de Mostaganem ont connu une diminution du taux de dispersion et une tendance à la concentration de la population dans des agglomérations (72 % en 2008 contre 35 % en 1987)[6]. Ce processus a été accéléré en 1984 par la promotion administrative de certains centres ruraux en chefs-lieux de commune ou de daïra (sous-préfecture). En Algérie, l’évolution de la dispersion spatiale de la population se caractérise essentiellement par la tendance à la concentration dans les agglomérations chefs-lieux (ACL) de commune[7]. À l’inverse, l’espace périurbain mostaganémois a préservé son cachet rural, en 2008, avec 28,7 % dans la zone éparse et 35 % dans les agglomérations secondaires, toutes classées rurales. Cependant, les ACL de commune classées semi-urbaines représentent 36 % de la population totale (tableau 2).
L’observation du terrain et des données statistiques sur l’évolution de la population entre 1987 et 2008 laisse à penser que le territoire étudié fonctionne à différentes vitesses selon leur éloignement du centre :
La première couronne est située dans un rayon de 5 km du centre-ville. Elle comprend la ville mère de Mostaganem et ses extensions contiguës sur le littoral (Kharouba et Salamandre), où le taux d’accroissement est faible (autour de 1 % entre 1987 et 2008). Ceci s’explique par un desserrement de la ville vers sa périphérie.
La deuxième couronne constitue la zone de contact entre la ville de Mostaganem et les espaces périurbains situés dans un rayon de 5 à 10 km. Ces espaces se caractérisent par un véritable dynamisme démographique avec un taux d’accroissement annuel élevé (plus de 3 % entre 1987 et 2008). Ces zones sont considérées comme des espaces de prolongement du centre, qui y reporte son surplus démographique de manière éclatée.
La troisième couronne se caractérise par la présence d’un ensemble de douars et de noyaux ruraux d’habitat familial et communautaire, Arouch, situés dans un rayon de 10 à 15 km et dont le taux d’accroissement démographique varie entre 2 % et 3 % de 1987 à 2008.
Fonctionnellement, on peut distinguer deux niveaux d’équipement des agglomérations qui s’opposent sur le plateau de Mostaganem :
Les ACL de commune regroupent la majorité des équipements communaux. Il s’agit, à la base, des villages agricoles hérités de la période coloniale, qui forment actuellement les principaux centres de l’arrière-pays proche de Mostaganem.
Les agglomérations secondaires prennent la forme de douars, échappant au contrôle de l’État (Souiah, 1996) ; elles sont souvent dépourvues d’équipements et de services, et s’appuient fonctionnellement sur les ACL et, encore plus, sur la ville de Mostaganem. Spatialement, elles forment des extensions diffuses, générées de façon informelle. Ces douars s’étalent sur des terrains privés et des terrains Arouch. Ce processus de « douarisation » (l’urbanisation de douars) accentue les disparités sociospatiales au sein des agglomérations algériennes (Bendjelid, 1998).
Mitage de l’espace agricole autour de la ville de Mostaganem
Par conséquent, l’espace périurbain de Mostaganem fait l’objet d’un mitage agricole spectaculaire qui laisse place à une mosaïque formée de trames bâties et de trames agricoles (figure 4a et 4b). L’urbanisation sur le plateau s’est effectuée au détriment des terres à très fort potentiel agricole et a conduit à leur émiettement (figure 5a et 5b).
Ainsi, ces espaces ont fait place à de nouvelles fonctions urbaines (résidentielle et économique : commerce de gros, entrepôts, industries, etc.) imposées par l’urbanisation le long des axes routiers (RN 90, RN 23, CW 9 et le CW 23), en particulier dans les communes de Hassi Mameche (Douar-Djedid, Ben-Medjahri, 1 et 2, et la vallée des El-Nador) et de Kheireddine (Ouled Bachir, Ouled Hamou, etc.). En dehors de ces constructions alignées le long des routes nationales qui intègrent plusieurs fonctions urbaines, l’urbanisation diffusée au-delà des grandes infrastructures routières est purement résidentielle, formant des noyaux urbains au coeur des parcelles agricoles qui se sont transformées en petits vergers. Compte tenu de ce schéma de croissance des établissements, la pression ne fera qu’accentuer les conflits dans l’occupation et l’usage du sol, quand on sait qu’une simple construction éparse nécessite généralement plus de 800 m² de terres amputées à l’agriculture.
Ce mitage se caractérise spatialement par le recul des surfaces agricoles dans les communes périurbaines, selon la Direction des services agricole (DSA) de la wilaya de Mostaganem, avec la perte de 6 000 ha de la surface agricole globale, entre 1998 et 2018 (tableau 3). Sauf celle de Kheireddine, toutes les communes sont atteintes par le grignotage des terrains agricoles, en particulier celles formant le groupement urbain de Mostaganem, situées dans la première couronne (Mostaganem, Sayada et Mazagran) qui ont perdu plus de 5 000 ha. Quant aux communes des deuxième et troisième couronnes (Hassi Mameche et Mesra), le recul y reste relativement limité (1 500 ha). Pendant les deux dernières décennies, ce mitage n’a pas affecté la production agricole ; le manque de terres a été compensé par l’intensification des cultures irriguées, par les nouvelles mises en valeur agricoles, notamment par l’extension de la surface agricole utile (SAU), qui sera démontrée ci-dessous.
L’accès à la maison individuelle, un moteur de la dynamique résidentielle périurbaine
L’urbanisation diffuse matérialisée par la multiplication des entités résidentielles a apporté des transformations sociospatiales dans la zone périurbaine de Mostaganem. L’émergence de cet espace intermédiaire a été animée par une mobilité résidentielle que nous classons selon trois types de trajectoires résidentielles distinctes :
Une mobilité résidentielle excentrique, du centre vers la zone périurbaine : elle concerne 39 % des ménages ayant participé à notre enquête dans les nouveaux espaces urbanisés (tableau 4). La zone des vallées située dans la deuxième couronne est celle qui est privilégiée par les urbains. Plusieurs lotissements informels y ont été effectués, produisant de nouveaux fragments urbains (cité Barrais, Belaidia, Rehailia, les vallées de Debdaba et El-Nador, etc.).
Une mobilité interne[8] et à échelle restreinte : elle représente 40 % des ménages des nouveaux espaces urbanisés du plateau, et s’appuie sur les réseaux sociaux fondés sur les liens familiaux et la proximité des origines. Les nouveaux foyers d’installation de ces ménages sont situés dans la zone des douars des deuxième et troisième couronnes. Il s’agit souvent des ménages ruraux (autochtones), en particulier des jeunes chefs de ménage qui préfèrent ériger leurs nouvelles habitations dans leurs territoires tribaux en recourant à l’autoconstruction ou au programme de l’habitat rural financé par l’État : le Fonds national du logement (FONAL).
Une mobilité régionale, voire nationale : elle est constituée des flux migratoires (21 % des participants à l’enquête). Ces migrants nationaux sont souvent des ruraux ayant quitté la campagne pour des raisons sécuritaires durant la décennie noire des années 1990 et détenant un savoir-faire agricole.
D’une manière générale, les changements résidentiels dans les espaces périurbains ont contribué à la recomposition sociospatiale du plateau de Mostaganem et ont affecté les rapports ville -campagne par l’émergence de nouvelles classes socioprofessionnelles. En effet, les agriculteurs n’ont constitué, en 2015, que 18,9 % de la population active dans l’espace rural périurbain (DSA, 2015). Nos enquêtes de terrain confirment la diversification de la structure de l’emploi des chefs de ménage résidant dans ces espaces et le recul de la catégorie des agriculteurs (10 %) au profit de la formation de nouvelles catégories, en particulier celle des ouvriers (28 %) (tableau 5).
La conversion des ruraux vers des métiers ne nécessitant pas des formations pointues (bâtiment et quelques industries) dans cet espace peuvent expliquer cette mutation. Mais par suite de l’installation de nouveaux habitants, l’émergence d’une classe moyenne constituée de cadres (19 %) et de commerçants et artisans (18 %) est la plus révélatrice des mutations sociospatiales dans la zone périurbaine de Mostaganem. Il s’agit généralement de chefs de ménage âgés de 30 à 60 ans (76 %).
Cette dynamique résidentielle est motivée majoritairement par le désir d’appropriation foncière et immobilière (65 %) (tableau 6). Cette tendance reflète l’aspiration des jeunes ménages à vivre indépendamment de la famille élargie (26 %). Le statut d’occupation du logement précédent explique en partie ces mobilités : 67 % des participants à notre enquête étaient auparavant en cohabitation parentale, et seulement 12 % propriétaires contre 15 % de locataires. Ainsi, le désir d’accéder à la maison individuelle trouve son fondement dans la flexibilité qu’offre ce type de construction : reproduction des valeurs culturelles (patio, espace féminin, etc.) et adaptabilité aux nouveaux besoins (garage, confort, etc.). Dans ce processus de transformations multiformes, la ville intermédiaire joue le rôle de relais, par lequel transitent tous les flux de la vie moderne (Côte, 1996).
La disponibilité de parcelles de terrain à prix abordable constitue un critère fondamental dans le choix des lieux de résidence pour 65 % des ménages interrogés, dans la zone rurale périurbaine de Mostaganem (tableau 7). Ce prix varie entre 9 000 et 15 000 dinars[9] le mètre carré pour les lotissements informels, et le double, voire le triple, pour les lotissements formels. Par contre, le taux de motorisation des ménages étant élevé, la proximité du centre et une bonne couverture des transports en commun n’ont pas trop pesé dans ces choix, avec 9 % et 13 % de mentions respectivement.
Production foncière dans l’espace périurbain de Mostaganem : enjeux et stratégies
L’urbanisation par le haut, matérialisée par l’habitat tant collectif qu’individuel, peine à satisfaire la forte demande en logement de la ville de Mostaganem. En parallèle, une urbanisation par le bas, encouragée par l’accès plus au moins facile au foncier privé constructible, souvent agricole, de façon légale ou illégale, établie dans les douars et les agglomérations rurales, a permis la prolifération de la maison individuelle au contenu humain réduit à la famille nucléaire.
Le logement public, un générateur de la production foncière
Afin de pallier la crise de logement vécue dans les grandes villes, l’État algérien a lancé, au début des années 2000, un ambitieux programme d’habitat. C’est ainsi que la wilaya de Mostaganem a bénéficié, entre 2004 et 2018, de 50 000 logements à caractère social (location -vente encadrée par l’Agence nationale de l’amélioration et du développement du logement [AADL] promotionnel aidé et locatif), répartis selon un système de quotas pour toutes les communes. Le caractère politique de ces projets relevant du « programme présidentiel » a dicté la nécessité de mobiliser toutes les ressources disponibles localement pour leur réalisation, malgré l’indisponibilité du foncier constructible destiné, au préalable, à ces opérations. Pour ce faire, le foncier rural, voire agricole, situé dans les communes périurbaines de la ville de Mostaganem et relevant du domaine public, a constitué, sous prétexte de faibles rendements, le support de ces réalisations publiques. À cet effet, l’administration installée dans la ville de Mostaganem, siège du pouvoir exécutif (chef -lieu de wilaya), négocie avec les élus locaux, l’affectation des programmes d’habitat sur leurs territoires communaux.
Les orientations annoncées dans la loi du 1er décembre 1990 relative à l’aménagement et l’urbanisme, modifiée et complétée par la loi no 04 -05 du 14 août 2004 pour préserver les terrains agricoles, n’ont pas été suffisantes pour limiter le grignotage des terrains agricoles, lequel a pris une ampleur alarmante dans les années 1980. Les surfaces destinées à l’urbanisation par les plans d’urbanisme[10] depuis les années 2000 (tableau 8) sont visiblement considérables (1156 ha) dans les espaces périurbains. Après l’extension sur le littoral (Kharouba et Salamandre) durant les décennies 1980 et 1990, les nouvelles urbanisations de Mostaganem ont été réorientées vers l’intérieur du plateau (Sayada, Hassi Mameche, Kheireddine et Mesra). Si une telle évolution a été positive pour freiner la littoralisation, elle n’a pas pu être sans conséquence sur les terres agricoles. En outre, les pouvoirs publics se voient dans l’obligation de tenir compte de la tendance de périurbanisation autour des agglomérations secondaires et de l’approuver via les différents plans d’aménagement et d’urbanisme, afin de justifier ces extensions spatiales générées en dehors des orientations initiales, de résoudre le problème de mitage agricole et surtout de rattraper le déficit foncier.
Ainsi, des manoeuvres de déclassement des terres agricoles ont permis d’intégrer un programme pour loger 31 000 habitants dans le périmètre urbanisable du Plan d’occupation des sols (POS) d’El -H’chem, une agglomération secondaire rurale située dans la commune de Sayada. Une superficie de 170 ha a été mobilisée, dont 62 ha pour la réalisation de 6 286 logements et 53 ha pour les équipements, répartis sur des terrains domaniaux (89 ha) et privés (81 ha). Le Plan directeur d’aménagement et d’urbanisme (PDAU) de la commune de Kheireddine, qui voulait se distinguer par une approche d’aménagement par densification sur quelques zones (100 logements / ha), avait prévu d’octroyer 54,5 ha à l’urbanisation, dont 31 ha ont été destinés à la réalisation de 3 000 logements. Par ailleurs, les terrains privés ont constitué une contrainte pour l’urbanisation, lors de l’élaboration du PDAU de Hassi Mameche en 1999, à la suite d’une forte mobilisation de propriétaires contre le projet. Seulement, la révision du même PDAU, en 2007, ne les a pas épargnés alors que 66 ha ont été amputés des terrains agricoles pour la réalisation des 1 500 logements et quelques équipements. Le PDAU de Mesra, approuvé en 2004, prévoyait certes des extensions sur des terrains en pente et sur des maquis, mais il n’a pas pu éviter l’affectation de 13 ha à la réalisation des logements et des équipements.
Parallèlement aux réalisations urbaines, un programme d’habitat rural[11] groupé dans les zones éparses, conçu par le pouvoir central, a été mis en oeuvre dans l’ensemble des communes. L’habitat rural groupé consiste à créer de petits lotissements comportant de 10 à 15 habitations rurales selon un plan standardisé (120 à 150 m2 dont 54 m2 bâtis). Dans la zone périurbaine de Mostaganem, c’est la commune de Sayada qui a bénéficié du plus important quota avec plus de 1 000 logements ruraux aidés, réalisés entre 2005 et 2018 sur huit sites (douars), reproduisant ainsi une forme d’habitat communautaire selon le modèle de la maison urbaine (figure 6a et 6b).
En l’absence des POS, le choix de ces sites s’effectue par une commission, oeuvrant au niveau de la wilaya, pour les grands projets qui relèvent des priorités de l’État. Dans cette démarche, l’aménagement des espaces est imposé par le haut, en particulier par le wali, représentant du pouvoir central, qui ne laisse qu’une petite marge de manoeuvre aux maires, lesquels plaident pour la décentralisation de la décision et pour un nouveau code de la commune : « Il est indispensable en ce moment de revoir ce code », selon un maire interviewé. Cette situation a généré des conflits entre élus et administration, comme dans le cas du maire de Hassi Mameche qui a refusé la réalisation d’un nouveau programme d’habitat social sur le territoire de sa commune parce que le projet était destiné aux habitants de la ville de Mostaganem. D’une manière générale, les maires ne sont consultés qu’à titre formel et se contentent, en contrepartie, de négocier l’octroi d’un financement pour un projet communal ou d’un quota du programme de logements.
Démembrement, rente foncière et multiplication des lotissements informels
Le statut juridique des exploitations agricoles est un élément déterminant dans le processus de transformation des parcelles agricoles. Les terrains agricoles relevant de l’État (exploitation agricole collective [EAC] et exploitation agricole individuelle [EAI]) sont régis par une réglementation rigoureuse sur le transfert du titre d’exploitation (le décret exécutif no 97 -490)[12]. Cependant, ils ne sont pas épargnés des projets réalisés par les pouvoirs publics et des opérations de lotissement clandestin. De ce fait, des promoteurs privés et des ménages, incités par la flambée des prix du foncier dans la ville, tendent à solliciter davantage les exploitations agricoles privées dont les transactions foncières sont facilement réalisables.
Dans les communes périurbaines, le parcellaire agricole est fortement dominé par les exploitations agricoles privées : 2 838 contre 1 168 exploitations publiques (EAC et EAI) (tableau 9). Si l’étendue des exploitations du secteur public (11 037 ha avec une superficie moyenne de 9,5 ha) avait permis aux autorités publiques de contrôler le foncier, c’est moins le cas pour les exploitations privées, qui occupent une surface de 7 462 ha et dont la taille moyenne des parcelles n’excède pas 2,5 ha. Ce potentiel foncier privé est de nature à encourager les opérations d’habitat illicite.
La comparaison des relevés cadastraux de la fin du XIXe siècle avec ceux d’aujourd’hui dans la zone des vallées (figure 7) révèle que la structure foncière agricole actuelle semble extrêmement modifiée, tant sur le plan des formes que sur celui des statuts juridiques. Déstructurées par l’interpénétration des fonctions résidentielle et agricole, les parcelles agricoles privées se sont contractées par effet d’héritage et de démembrement, et elles sont devenues de plus en plus serrées et reliées par un réseau de pistes perpendiculaires aux axes routiers. Conséquemment, de nombreux propriétaires terriens (agriculteurs et héritiers) ont opté pour des opérations de lotissement informel, ce qui a encouragé l’autoconstruction en zone périurbaine. L’émiettement du foncier agricole sous l’effet de l’héritage « a rendu les exploitations agricoles non viables et non rentables sur le plan économique », selon les propriétaires interrogés, ce qui les a poussés à adopter d’autres stratégies et à chercher d’autres ressources financières. Ce fut le cas en particulier des plus jeunes, qui préfèrent effectuer des études universitaires et exercer par la suite des activités tertiaires, témoignant « qu’ils n’hésitent pas à mettre leur part de terrain sur le marché foncier pour de nouveaux usages et principalement pour l’usage résidentiel, en dehors de toute réglementation ».
Ce phénomène est très présent dans la zone de la vallée des jardins et d’El -H’chem où des constructions de maisons individuelles de type « villa » se sont multipliées. Épars ou groupés sous forme de lotissements, les terrains sont vendus illicitement par l’entremise du Cheikh, le sage, avec un acte sous seing privé, ou par un géomètre qui fait à la fois le morcellement, le partage et l’affectation des lots pourvus d’actes authentifiés.
Ces lotissements informels privés attiraient les populations rurales venues des campagnes profondes d’autres wilayas pour des raisons sécuritaires, dans la décennie 1990. Au cours des années 2000, des habitants urbains, cherchant l’accès à la propriété et au confort de l’habitat individuel, s’intéressaient à ces opérations. Ainsi, ces lotissements viennent répondre non seulement aux besoins de la classe populaire, mais aussi à ceux de la classe moyenne issue du centre.
Le respect du principe d’alignement et des normes techniques concernant la largeur de la chaussée (une section de 6 à 8 m maximum) sont imposés aux propriétaires. La construction s’effectue d’une manière rapide, la fin de semaine, les jours fériés et durant les vacances ; mais dès que le rez -de -chaussée est réalisé, les travaux s’effectuent tous les jours, au su et au vu de tout le monde. Les constructions sont faites en dur, avec les matériaux adéquats. Les habitations sont confortables, étalées sur deux ou trois niveaux. La surface moyenne des lots varie de 120 à 300 m2. Quant aux réseaux divers, ils sont pris en charge par les habitants eux -mêmes. Le respect des normes techniques permet par la suite de demander la régularisation auprès des collectivités locales[13].
Adaptations, résistances et repositionnements d’acteurs
Face à une telle situation de blocage, des rapports de négociation par lesquels les acteurs (institutionnels et groupes sociaux) transigent, recherchent un arrangement, ont été développés. Cette voie permet de mettre fin à quelques conflits, chacun renonçant à certaines de ses prétentions de départ.
Légitimation des transgressions dans l’espace périurbain
Confrontés aux pressions aussi bien populaires que centrales, les pouvoirs publics locaux ont mis en place deux dispositifs réglementaires afin de régulariser l’urbanisation illicite : la révision des plans d’aménagement et d’urbanisme et la mise en conformité des constructions par la loi 08 -15[14].
C’est ainsi que plusieurs procédures de révision des instruments d’urbanisme (PDAU et POS) ont été lancées dans les communes périurbaines. À travers ces actions, les limites des secteurs urbanisables réglementés ont été repoussées à maintes reprises (Yamani et Trache, 2020) pour répondre aux besoins du marché foncier et pour la réalisation de logements sociaux et de grands équipements. Dans un contexte de rareté foncière au centre, les communes situées dans la deuxième couronne (Sayada, Mazagran et Hassi Mameche) ont d’abord été intégrées au PDAU de l’agglomération de Mostaganem. Seulement, les autres communes, situées dans la troisième couronne, ont été abandonnées à leur sort ; pis, la commune de Hassi Mameche a été disjointe du groupement, en 1999. Une révision du PDAU du groupement de Mostaganem approuvé en 1999 a été faite deux fois : la première en 2006 et la seconde en 2018. Ces plans n’atteignent jamais les objectifs fixés au préalable, car ils sont souvent transgressés ou deviennent obsolètes. La révision ou le lancement de nouveaux plans d’occupation des sols, les POS, sur des terrains déjà urbanisés ne font que rattraper les retards des instruments d’urbanisme et inscrire officiellement ces noyaux dans le périmètre urbain, comme c’est le cas des POS de Debdaba, d’El-H’chem, de bas Mazagran, d’Ouled Hamou, d’Ouled Bachir, etc. Ces révisions viennent approuver « l’urbanisation du fait accompli » où les extensions sont produites en dehors des règles d’urbanisme. Les enjeux politiques, économiques et sociaux imposent la nouvelle réalité urbaine et devancent les orientations des plans d’aménagement et d’urbanisme.
La loi 08‑15 vient endosser la révision des PDAU et des POS pour régulariser les constructions illicites et amener les habitants à achever les travaux de construction et embellir les façades de leurs maisons. Depuis l’approbation de cette loi, en 2008, jusqu’à l’année 2018, plus de 3 500 demandes de régularisation ont été traitées par les services concernés (tableau 10), dont 56 % ont été acceptées[15]. Les communes de Hassi Mameche et Mazagran ont reçu plus des deux tiers des demandes, ce qui révèle l’ampleur des opérations de lotissement informel sur leurs territoires. Quant aux motifs des rejets, ils sont principalement liés à la non-conformité au statut juridique des propriétés (52 %), à la non-conformité aux orientations déterminées par les PDAU (24 %) et à la vocation agricole initiale des assiettes foncières (16 %) (tableau 11).
Les habitants de ces noyaux montent des associations de quartier pour négocier, auprès des pouvoirs locaux, la régularisation de leurs constructions, le revêtement des routes et la réalisation de quelques équipements sociaux (écoles). Dans un deuxième temps, ils poussent l’État à reconnaître cette situation en recourant à différentes formes d’expression (émeutes, blocages des routes et des accès aux sièges des mairies, etc.) et arrivent peu à peu à bénéficier des opérations de viabilisation (VRD) et de la réalisation des équipements publics de base (écoles, salles de soins, etc.). En contrepartie, certains maires intègrent ces préoccupations dans leurs programmes politiques afin d’élargir leur masse électorale pour les élections locales.
Les constructions jugées non conformes, édifiées sur les terrains à vocation agricole ou forestière, ne sont pas à l’abri des démolitions. Néanmoins, ce genre d’opération reste difficile à réaliser. Cela a généré, à plusieurs reprises, des tensions entre habitants et pouvoir local, pour ne pas dire des dérapages violents qui se sont transformés en émeutes urbaines (presse nationale). C’est dans ce contexte qu’une dizaine d’habitations achevées et en cours de construction ont fait l’objet d’un arrêté communal de démolition à douar El-H’chem (commune de Sayada) en 2017, mais l’arrêté n’a jamais été exécuté.
REMOBILISATION DES RESSOURCES AGRICOLES PÉRIURBAINES
À l’opposé de ces forces, quelques agriculteurs parviennent à résister à l’urbanisation en tentant de rendre leur exploitation plus rentable, en profitant de la proximité de la ville de Mostaganem et en renouant avec une vieille tradition agraire où les jardins périurbains bordant l’oued Aïn Sefra et ceux dans la zone des vallées des jardins, El‑Djnanat, assuraient les besoins de la ville de Mostaganem en produits agricoles. Des terres à fort potentiel agricole sont relativement préservées par des clôtures en dur récemment érigées pour matérialiser les limites des propriétés (voir figure 5).
Bien plus, certaines communes ont réussi à mettre en valeur de nouvelles surfaces (256 ha à Hassi Mameche, 56 à Sayada, 50 à Kheir-Eddine et 10 à Mesra). Les terres les plus épargnées du mitage appartiennent aux exploitations agricoles publiques (EAC et EAI). Le statut juridique de ces exploitations contraint les attributaires à les vendre, mais il ne les a pas empêchés de devenir des rentiers agricoles en louant leurs terres par arrangements informels. Les entretiens menés auprès d’une dizaine d’agriculteurs exploitants démontrent que la majorité des locataires viennent d’autres communes et wilayas et fournissent un niveau satisfaisant de productivité. Il s’agit d’entrepreneurs agricoles qui maîtrisent parfaitement les techniques agricoles et s’adaptent rapidement aux besoins de consommation des centres urbains (figure 8).
En effet, le nouveau contexte urbain a façonné le paysage agraire du plateau de Mostaganem, qui a gagné en diversité en pratiquant un système polyculturel associant maraîchage, arboriculture et céréaliculture. Il faut rappeler qu’après l’indépendance de l’Algérie, le paysage agraire du plateau de Mostaganem a été marqué par l’introduction de la culture céréalière, à la suite de l’arrachage de la vigne[16] après 1971, et par sa reconversion en culture annuelle, la viticulture étant limitée à la vigne de table. Entre 1983 et 2017, la superficie du vignoble sur tout le plateau a régressé (1 392 ha) (Caïd et al., 2019). Pour l’ensemble des communes étudiées, la superficie du vignoble a diminué de 1 119 à 495 ha, pendant les trois dernières décennies (1987 à 2018). Ces surfaces font l’objet d’une réintroduction des cultures rustiques, principalement la vigne (DSA, 2018). Dès lors, les cultures irriguées ont pris une ampleur sans précédent ces dernières années (figure 9). La superficie cultivée a augmenté de façon considérable, constituant 49,6 % de la superficie agricole utile, soit 8 691 ha. Le maraîchage représente 85,2 % de la superficie agricole, soit 7 411 ha, contre 14,7 % pour l’arboriculture, soit 1 280,5 ha (DSA, 2018). En revanche, la culture des céréales est repoussée vers les zones les plus lointaines du centre avec une superficie de 4 013 ha (DSA, 2018). Ceci confirme le poids de la demande urbaine par rapport aux choix des cultures les plus rentables pour les agriculteurs.
La mise en oeuvre du Programme national du développement agricole (PNDA) lancé au début des années 2000[17] et la technicisation de l’irrigation ont contribué à la genèse d’une agriculture périurbaine et à l’intensification de la culture irriguée maraîchère, en champ et sous serre, pendant les trois dernières décennies. L’irrigation par aspersion et par réseau de goutte à goutte a permis de remplacer l’irrigation par submersion, qui recourait à un drainage gravitaire par séguia (canaux d’irrigation) dont la déperdition d’eau était importante. Ce qui assure une certaine pérennité au secteur agricole en matière de commercialisation et de régulation de marché, c’est, d’une part, la présence du marché de gros de fruits et légumes (Souk-lil), littéralement marché de nuit de dimension régionale, voire nationale, ainsi qu’un ensemble de petites unités privées agroalimentaires et de stockage (conserveries, chambres froides, laiterie, etc.) établies dans de petites exploitations et, d’autre part, les entreprises de production de grande envergure (grand moulin de Sayada [2 600 m²], laiterie des vallées des jardins [1 000 m²]).
CONCLUSION
Impliquant des acteurs issus des deux milieux, urbain et rural, les mutations qu’a subies l’espace rural autour de la ville de Mostaganem dessinent une nouvelle territorialité hybride (Debarbieux et Vanier, 2002 ; Vanier, 2005 ; Poulot, 2008) liée aux dynamiques urbaines du centre et aux dynamiques rurales et agraires sur un plateau à fort potentiel agricole. Ce processus est le produit non seulement d’une périurbanisation, mais aussi d’une rurbanisation, auxquelles sont assimilées une mobilité résidentielle extra-urbaine des ménages à partir du centre et une logique d’ancrage des ménages ruraux dans leurs microterritoires.
Profitant de la puissance publique, les acteurs de la ville ont reporté le surplus de la production immobilière dans les communes limitrophes aux biens fonciers domaniaux, amorçant une urbanisation diffuse. Les propriétaires terriens ont pris part, eux aussi, à des transactions immobilières tant formelles qu’informelles, tirant profit d’une rente foncière certaine. Quant aux agriculteurs, offrant une image assez particulière de résistance, ils ont redynamisé l’agriculture périurbaine pour aboutir à une recomposition des systèmes de culture en gagnant en diversité et en intensification, ce qui a épargné quelques exploitations agricoles des couronnes périurbaines de Mostaganem d’une urbanisation quasi systématique.
Cette dynamique périurbaine, marquée par des transgressions de l’espace agricole, a rendu caduque l’efficacité des instruments d’aménagement et juridiques (Escallier, 1998 ; Yamani et Trache, 2020) en l’absence d’autorité intercommunale réglementée en Algérie. La multiplication des plans d’aménagement dans les espaces périurbains où chaque commune dispose de son plan, sans se concerter avec les communes limitrophes, a contribué à la segmentation de l’espace périurbain mostaganémois. Les logiques binaire (urbain et rural) et radioconcentrique ont construit l’approche d’aménagement des espaces périurbains où les limites du périmètre urbain sont imposées en fonction des enjeux liés au foncier urbain et dont les jonctions entre espace rural et espace urbain sont floues (Prost, 1993 ; Bromberger et Morel, 2001 ; Boizet, 2003). Cette confusion est aggravée par l’absence d’une connotation officielle des espaces périurbains approuvée par la réglementation. Cela dit, le rôle des instruments est réduit à produire le foncier urbain ou à régulariser une urbanisation amorcée par le bas et dont les acteurs ne sont pas que privés, mais aussi publics, négociant davantage les limites des périmètres urbains en fonction de leurs intérêts.
Parties annexes
Notes
-
[1]
Ce plateau est structuré par des agglomérations de différentes tailles gérées par 11 communes, dont la plus importante est Mostaganem, chef-lieu de wilaya.
-
[2]
Il faut être prudent par rapport au concept d’agglomération. En se référant à l’Office national des statistiques (ONS), on constate que la notion de la densité des constructions est primordiale pour définir une agglomération. Est ainsi qualifié d’agglomération tout rassemblement humain de plus de 100 constructions dont la contiguïté est au-dessous de 200 m. Désormais, les douars répondant à ces normes sont donc classés « agglomérations ». Au-delà de 5 000 habitants et avec plus de 75% des actifs dans le secteur secondaire et tertiaire, l’agglomération est classée « urbaine ».
-
[3]
En Afrique du Nord, un douar est un groupement d’habitations implantées de façon inorganisée, réunissant des personnes qui sont liées par une parenté fondée sur une ascendance commune. On compte plus de 7 000 douars répartis dans la wilaya (département) de Mostaganem, rassemblés dans 32 communes.
-
[4]
La wilaya de Mostaganem est classée au quatrième rang national avec une croissance de la production agricole de 9,6 % enregistrée en 2018 (DSA).
-
[5]
En absence d’un nouveau recensement, le nombre d’habitants de Mostaganem est estimé, en 2017, à 160 290 habitants par la Direction de la programmation et du suivi budgétaires de la wilaya de Mostaganem (DPSB, 2018).
-
[6]
Ces données n’incluent pas la commune de Mostaganem (ville mère).
-
[7]
Au niveau national, le taux d’agglomération a évolué comme suit : 56 % en 1966, 61 % en 1977, 71 % en 1987, 81 % en 1998 et 86 % en 2008.
-
[8]
Jean-Louis Chaléard, dans ses recherches sur la relation ville /campagne dans les pays du Sud, aborde le modèle des changements résidentiels fondés sur les liens familiaux et tribaux (Berger et Chaléard, 2017).
-
[9]
Entre 45 et 75 euros (cours de change du marché parallèle), c’est-à-dire entre 69 et 115 dollars canadiens (dollars courants – taux de change le 22 février 2021).
-
[10]
Il s’agit de deux outils de planification, à savoir le plan directeur d’aménagement et d’urbanisme (PDAU) et le plan d’occupation des sols (POS).
-
[11]
Le logement rural s’intègre dans le cadre de la politique de développement rural selon le décret exécutif no 10 -87 du 10 mars 2010, avec l’objectif de promouvoir les espaces ruraux et la fixation des populations locales. Il consiste à encourager les ménages à réaliser, en autoconstruction, un logement décent dans leur propre environnement rural, et ce, avec l’aide financière du FONAL.
-
[12]
Décret exécutif no 97 -490 du 20 Chaâbane 1418, correspondant au 20 décembre 1997, fixant les conditions de morcèlement des terres agricoles. Pour lutter contre l’atomisation parcellaire de ces exploitations agricoles, les opérations de morcèlement dans le cadre de l’héritage doivent respecter une surface de référence de 1,5 ha au minimum. Les « preneurs-héritiers » sont contraints, dans ces cas, de trouver un consentement (sous location, cession, association, etc.).
-
[13]
Des dispositifs juridiques ont été approuvés par l’État pour permettre la régularisation des constructions illicites. Le premier dispositif a été mis en oeuvre en 1985 et le deuxième, en 2008, prolongé jusqu’à nos jours.
-
[14]
Loi no 08-15 du 17 Rajab 1429, correspondant au 20 juillet 2008, fixant les règles de mise en conformité des constructions et leur achèvement. Les délais d’application de cette loi ont été prolongés à plusieurs reprises.
-
[15]
Connaissant la réglementation en vigueur, certains constructeurs dont les normes techniques et les conditions ne sont pas respectées préfèrent ne pas déposer de demandes de régularisation, évitant ainsi de payer des frais d’étude de dossier et des droits d’enregistrement.
-
[16]
Au début des années 1970, au cours de la crise diplomatique qui accompagne la nationalisation des hydrocarbures, la France menace de boycotter la production algérienne du vin, qui représente à l’époque la deuxième source de devises pour le Trésor public. Par réaction, le gouvernement algérien décide l’arrachage de milliers d’hectares de vignobles.
-
[17]
À présent, ce programme est gelé.
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