Comptes rendus bibliographiques

INNES, Robert Alexander et ANDERSON, Kim (dir.) (2015) Indigenous men and masculinities. Legacies, identities, regeneration. Winnipeg, University of Manitoba Press, 304 p. (ISBN 978-0-88755-790-3)[Notice]

  • Benjamin PILLET

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  • Benjamin PILLET
    Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité au Québec, Université du Québec à Montréal, Montréal (Canada)

Comme on le constate souvent avec de récents mouvements en Amérique du Nord (Idle no more, Standing Rock), les femmes sont aujourd’hui à l’avant-poste des processus de revitalisation et de promotion des droits autochtones. Elles sont également parvenues, au prix de multiples et longues campagnes, à ce que les problématiques et discriminations structurelles auxquelles elles sont confrontées fassent l’objet d’une attention publique. Leur présence dans l’espace public n’a pourtant pas toujours été accueillie avec bienveillance ; trop souvent, les postes de pouvoir restent-ils perçus comme des attributs essentiellement masculins. Or, si des raisons ayant trait au partage traditionnel du pouvoir en fonction du sexe sont parfois invoquées pour expliquer l’apparente inégalité dans les rapports entretenus respectivement par hommes et femmes autochtones vis-à-vis de l’exercice du pouvoir, elles ne permettent néanmoins pas de prendre en considération la complexité des rapports de genre au sein de populations fortement marquées par l’héritage de la colonisation et par la perpétuation, dans un présent jugé à tort ou à raison post-colonial, des éléments principaux du colonialisme de peuplement. C’est précisément à cette tâche que s’attèlent les 22 auteurs – hommes et femmes – de l’ouvrage dirigé par Robert Alexander Innes et Kim Anderson. Ces auteurs s’attaquent à un domaine assez peu traité dans les études autochtones comme dans les études de genre, à savoir la complexité des rapports entretenus par les hommes autochtones avec les conceptions traditionnelles et coloniales de la masculinité, et les effets perçus de ces rapports sur leurs vies individuelles comme sur leurs environnements et leurs communautés d’appartenance. Si, dès le départ, ce positionnement peut sembler interférer avec la mise en valeur des problématiques propres à la situation des femmes, il n’en est rien pour les auteurs. Au contraire, en insistant sur la centralité du principe éthique de complémentarité – décrit par Leah Sneider comme « la conjonction d’un certain équilibre social, de la responsabilité et de la faculté d’agir » (p. 62) – comme clé de compréhension et d’analyse des idéologies autochtones de la nation en tant que peuple, ils soulignent que, si le féminisme autochtone s’est généralement concentré sur le rôle des femmes, il repose tout autant sur un ensemble de récits par et sur les hommes en tant que participants complémentaires de l’histoire du colonialisme et du patriarcat. Ainsi, bien que constituant un domaine d’analyse à part entière, les études des masculinités autochtones ne se distingueraient du féminisme autochtone que dans l’attention principale qu’elles portent aux hommes, tout en partageant néanmoins les mêmes buts et approches théoriques (p. 66). La formule choisie pour explorer ces questionnements mise sur l’interdisciplinarité, une décision qui se reflète dans la structure de l’ouvrage. Se succèdent 12 chapitres répartis en trois thèmes, limités aux contextes de l’Amérique du Nord, Hawaï et Aotearoa (Nouvelle-Zélande) : des considérations théoriques fortement marquées par le champ des théories critiques, dans un premier temps, suivies d’analyses sur les représentations des masculinités autochtones dans l’art et la littérature, pour finir par quatre contributions analysant les rapports à la masculinité dans les sphères du sport, de la criminalité, du système carcéral ou encore des processus contemporains de résurgence culturelle internes aux communautés. Outre sa dimension pluridisciplinaire et intersectionnelle, l’originalité de cet ouvrage collectif réside aussi et surtout dans sa dernière partie, intitulée Conversations. Composée de trois chapitres d’entrevues collectives effectuées avec des hommes autochtones (dont certains des contributeurs), ainsi que d’un chapitre de conclusion, cette partie met à nu les rouages qui donnent une unité à l’ouvrage final. Cette dernière partie permet aussi à Innes et Anderson d’exposer le cheminement dont Indigenous men and masculinities est le résultat. …

Parties annexes