Corps de l’article
Sivumut (vers le futur) propose au lecteur le récit autoethnographique de neuf femmes inuit qui, par leur leadership exceptionnel, transforment le système d’éducation du Nunavut et du Nunavik. Cette collection est issue des projets de recherche et thèses d’étudiantes au programme de maîtrise en éducation, offert au Nunavut par l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard et le Département d’éducation du Nunavut. En plus de mobiliser un riche corpus d’auteurs autochtones (Smith, Watt-Cloutier) et penseurs de la décolonisation (Spivak, hooks), le livre témoigne de deux réalités saillantes en ces heures de réconciliation : d’une part, de l’importance de l’éducation comme outil et véhicule de décolonisation et de réappropriation de la culture, de l’identité, de l’histoire et du territoire inuit ; mais peut-être plus inspirant encore, de la place centrale qu’occupent les femmes inuit dans l’avènement de ces changements et de la guérison.
Le livre est divisé en neuf chapitres, chacun offrant une voix aux réflexions et analyses des différentes auteures. Alors que plusieurs d’entre elles abordent leur passage dans les écoles résidentielles, le choix des thèmes qui sont explorés par la suite est très varié.
D’emblée, Naullaq Arnaquq (p. 26) soutient que l’éducation n’est pas neutre, qu’elle enseigne une culture et traduit les valeurs propres à cette culture ; alors, aussi bien qu’elle reflète celles des Inuit. Cette volonté de se réapproprier l’enseignement, ses outils et méthodes se cristallise dans le témoignage de Maggie Putulik et Nunia Qanatsiaq Anoee, qui mettent de l’avant une éducation basée sur les valeurs, les pratiques sociales et les principes inuit (Inuit Qaujimajatuqangit) : notamment, inuuqatigiingniq (relations entre les personnes, p. 72) et tunnganarniq (avoir de solides fondations, p. 89). Si la question du leadership est centrale à la redéfinition d’une éducation pour et par les Inuit, la langue figure à l’avant plan des outils proposés afin d’y arriver. Parce que la langue raconte l’histoire, qu’elle construit l’identité et qu’elle transmet la culture, elle constitue, selon Jeela Palluq-Cloutier, l’outil par excellence pour assurer l’épanouissement de la société inuit.
À travers leur récit personnel, les auteures recentrent l’histoire récente des Inuit autour des événements marquants qui ont conduit à la dépossession de leur territoire et de leur identité. Si la sédentarisation et le régime colonial ont brisé le mode de vie inuit, Sivumut soutient que la décolonisation, la prise de pouvoir (empowerment) et la guérison passent par la transformation et la réappropriation du système d’éducation. Une éducation qui favorise la réussite et l’inclusion des enfants dans une approche collective et non pas centrée sur l’individu, qui mise sur la sagesse et le rapprochement avec les aînés, le partage et la promotion de l’identité culturelle des enseignants comme fondation pédagogique (p. 100).
La richesse des témoignages intéressera géographes et anthropologues, ainsi qu’un large éventail de spécialistes en éducation et études autochtones / inuit. Mais dans l’ensemble, les auteures écrivent pour un public large et pas forcément universitaire ou scientifique. Ainsi, Sivumut offre aux enseignants et professeurs l’occasion de mettre à leur programme une lecture qui permettra aux étudiant(e)s de niveaux collégial et universitaire de comprendre « de l’intérieur » l’importance de l’éducation dans la reconstruction de la société inuit et la survie de ses valeurs distinctes. Pour le grand public, cette puissante prise de parole décloisonne l’image de la femme inuit, souvent associée à la vulnérabilité et marquée par les récits de fragilité et de violence. Finalement, on ne peut qu’espérer une traduction pour rendre ce livre accessible à la francophonie.