Comptes rendus bibliographiques

MIOSSEC, Jean-Marie (2016) Le conteneur et la nouvelle géographie des océans et des rivages de la mer. Dans le sillage de la CMA CGM. Paris, L’Harmattan, 724 p. (ISBN 978-2-343-10207-8)[Notice]

  • Raymond WOESSNER

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  • Raymond WOESSNER
    Institut de géographie, Université Paris-Sorbonne, Paris (France)

Amoureux de la mer, voyageur et lecteur infatigable, Jean-Marie Miossec n’était pas jusque-là un auteur actif sur la scène de la géographie maritimiste. Mais il vient d’y faire une entrée remarquable avec son ouvrage voué à la conteneurisation, qui fait suite à celui d’Antoine Frémont, en 2007 (Le monde en boîtes). « Démonter un mécanisme », écrit l’auteur : en lui ouvrant ses portes, la Compagnie maritime d’affrètement – Compagnie générale maritime (CMA CGM) lui a donné l’occasion de voir de l’intérieur comment un nombre grandissant d’acteurs crée un monde polycentrique, et comment ces acteurs ont une vision complète et instantanée des évolutions du monde, contrairement aux États... Avec un sens de la synthèse et une créativité remarquables, l’auteur évoque, en quatre parties, la mondialisation-maritimisation, la CMA CGM, les littoraux portuarisés, enfin les villes-ports et les hinterlands. La profondeur historique concerne le long terme dans différentes civilisations, le XXe siècle (enfin une mise au point solide sur les origines du conteneur !) et bien évidemment l’histoire immédiate. La bibliographie n’oublie aucune publication d’importance. Le glossaire du transport maritime et un index des lieux et des auteurs en font un ouvrage pratique à utiliser malgré son volume imposant. La première partie met « les nouvelles masses économiques du monde » en scène, autant d’un point de vue factuel que conceptuel. La notion d’imbalance (les pays champions de la boîte vide et ceux de la boîte pleine) peut servir de fil pour expliquer les évolutions, avec l’émergence de pays qui remplissent des boîtes et ceux qui les vident. Cette notion explique comment on est passé de la concentration horizontale des armateurs à des stratégies d’alliance. Il n’existe pas de navigation sans risque : l’auteur rend hommage aux gens de mer, qui l’assument sans frilosité à travers les époques et les cultures ; et si l’on voit des accidents spectaculaires, la navigation est néanmoins de plus en plus sûre. Remise à plat par la conférence de Montego Bay, en 1982, la géopolitique connaît aujourd’hui de nouvelles tensions avec l’affirmation de la Chine comme puissance maritime, à la fois commerciale et militaire. La deuxième partie commence par l’enracinement puis le déracinement de Jacques R. Saadé, depuis le Liban en guerre jusqu’à Marseille. L’histoire de la réussite de la CMA CGM est contée : à Marseille, une équipe cosmopolite s’est rompue au métier d’armateur d’abord en Méditerranée, ensuite dans le Golfe arabique, puis en Chine à partir de 1986. À compter de 1992, à Shanghai, la Chine est méthodiquement quadrillée, à terre, par les agences de la CMA et, en mer, par les nombreuses déclinaisons de la French Asia Line. Une histoire en contraste absolu avec la plupart des autres armateurs français, dont la CGM reprise en 1996. La nouvelle entité CMA CGM ne transporte alors que 46 000 équivalents vingt pieds (EVP). Alliée à la poursuite de l’expansion en Océanie et dans le Pacifique, la croissance exceptionnelle de la conteneurisation a permis d’intégrer le corps malade de la CGM. La crise de 2008 a été surmontée par la réactivité et par l’entrée de nouveaux capitaux publics et privés. Le calme revenant, l’expansion peut se poursuivre : Nol est racheté et, en 2016, la capacité du groupe passe à 1,8 M EVP. Des clés pour le succès? L’organisation familiale du groupe, l’enracinement phocéen (avec la tour de Zaha Hadid en 2011, « nouvelle tour de Babel » où se côtoient 40 nationalités), la centralisation des décisions et une perception immédiate du monde dans toutes ses dimensions. Pour finir, une réflexion sur le « pays de terriens » qu’est la …