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La quatrième édition de ce livre connaît un changement de sous-titre puisque l’expression « Géographie économique et dynamique des territoires » s’est substituée à « Introduction à la géographie économique » qui a accompagné, pour la seconde et la troisième éditions, le titre principal inchangé : « Économie urbaine et régionale ». De même, Laurent Terral a rejoint Mario Polèse, auteur dès l’origine, et Richard Shearmur, lui, depuis la seconde édition. Cette évolution n’est pas anodine, premièrement, puisqu’elle dénote, la prise en compte par les auteurs des évolutions institutionnelles marquées d’un côté par la décentralisation, soit le transfert de compétences aux niveaux infra-étatiques, et de l’autre par l’intégration des États dans des ensembles supranationaux auxquels certains pouvoirs étatiques sont transférés. Ces dynamiques tendent à rendre plus difficile la lecture des faits, notamment la distinction entre l’aménagement du territoire (top down) et le développement local (bottom up).
Ensuite, l’arrivée de Terral enrichit le contenu de l’ouvrage par l’intégration, comme thème, du rôle de la maîtrise de l’information et de la connaissance dans le développement territorial (chapitre IX). Ce classique de la géographie économique, qui a le mérite de rassembler en 416 pages l’essentiel du champ, conserve ses qualités pédagogiques, même si le lecteur regrettera que certains tableaux ou figures soient rendus peu lisibles par une taille trop réduite (figure 5.1, p. 139, par exemple) ou que des maladresses de composition gênent la lecture, quand la figure censée accompagner le texte et en faciliter la compréhension se trouve à la page précédente ou suivante (plusieurs cas). Enfin, quelques figures orphelines émaillent la progression, ce qui n’est pas très pédagogique... L’éditeur eût été inspiré de mieux traiter ce texte de qualité.
La première partie aborde la thématique de l’urbanisation comme mode d’organisation de l’espace par des sociétés soumises aux contraintes de la distance et de l’étendue. Après avoir examiné les causes économiques de l’organisation spatiale polarisée par les villes et de l’accélération récente de la croissance des villes, notamment à travers un exposé clair des concepts-clés d’économies d’échelle et d’agglomération, les auteurs soulignent que le développement des technologies de l’information et de la communication, pourtant porteuses à première vue d’une abolition de la distance, n’induisent pas la dispersion attendue et contribuent en fait à la métropolisation, tant le contrôle de l’information passe, à l’échelle du monde, par des organismes gigantesques. Ces considérations amènent les auteurs à s’interroger sur la taille de la ville dans une perspective de développement durable, en particulier lorsque les institutions sont défaillantes, notamment dans les pays en développement et dans les pays émergents.
La seconde partie traite du développement régional, à moins qu’il ne s’agisse de dynamique territoriale ; les auteurs suggèrent d’utiliser l’un pour l’autre. Leur proposition est argumentée par la construction d’un niveau continental (Union européenne, Alena, Mercosur…) appelé à se déployer, il nous semble, comme niveau pertinent et opérationnel du fonctionnement de la mondialisation, entendue comme émergence d’un niveau Monde. La synthèse, toujours claire, démontre comment les inégalités ou les disparités [4] se sont déployées de manière quasi inéluctable dès lors que des avantages sont valorisés par des choix judicieux. La distinction entre les avantages comparatifs et les avantages compétitifs est clairement exposée ; cependant, la dimension structurelle des premiers aurait gagné à être mieux relativisée par une mise en perspective historique. Les différents modèles sont convoqués pour aboutir à la mise en évidence de causalités cumulatives et circulaires. Une fois exposées ces analyses des causes des disparités, les auteurs abordent les régulations mises en oeuvre tant du point de vue de l’aménagement dans une perspective descendante, ou top down, que dans une approche ascendante, bottom up, fondée sur la mobilisation des acteurs locaux privés et publics. L’ensemble est toujours clair et synthétique, concis sans être obscur. Toutefois, les auteurs passent sous silence les stratégies qui valorisent les marges ou s’ancrent dans elles. Alors qu’ils mobilisent le concept de grappe, ou cluster, et qu’ils soulignent avec raison leur préférence pour les modèles dynamiques, ils écartent de leurs réflexions les stratégies de rechange mises en oeuvre, par exemple par Michelin, ou les activités qui, au contraire, font leur miel des périphéries pour finalement les intégrer. Nous nous contentons de citer le tourisme, car il serait trop long d’argumenter ici. Alfred Marshall est cité, mais peu exploité. Il en est de même pour les travaux qui, dans le sillage de Marshall, ont montré que la métropolisation n’était pas la seule voie du développement économique et que, dans des régions caractérisées par la dispersion, des acteurs pouvaient rivaliser et être innovants en valorisant les relations non marchandes.
La troisième partie du livre développe les modèles classiques de localisation industrielle pour aboutir à une analyse de l’intra-urbain. Le lecteur reste un peu sur sa faim car, entre les modèles classiques ancrés dans la production des biens et le tertiaire supérieur, il manque une réflexion sur la structuration des réseaux des services qui irriguent les territoires et animent les villes, même si l’effet structurant n’est probablement pas aussi puissant. Cependant, l’aspiration des sièges sociaux et la localisation des noeuds fonctionnels ou hiérarchiques ne sont pas sans effets sur la taille des villes et, donc, sur leur capacité à polariser leurs régions. Dans un contexte de mobilité croissante, il ne reste aux villes moyennes que le commerce banal, car les ménages préfèrent, pour des achats plus coûteux, accéder directement au niveau urbain supérieur, qui garantit plus de choix, à moins qu’ils ne commandent sur Internet.
Au-delà, nous avons apprécié la problématisation et les sections de débats qui animent l’ouvrage et donnent à penser.
Parties annexes
Note
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[4]
Les auteurs proposent de recourir aux deux termes, mais ceux-ci ne sont pas si équivalents, notamment dans le contexte français. L’inscription du premier terme aux frontons des mairies souligne bien la charge idéologique du mot, qui conduit à considérer toute différence comme scandaleuse, comme un déséquilibre, comme s’il existait quelque part un territoire idyllique où tout serait rangé de manière rigoureusement égale en chaque point.