Corps de l’article
Un livre sur le Maghreb est toujours le bienvenu, car la région manque cruellement de travaux et d’analyses, les chercheurs se concentrant plus particulièrement sur un pays ou un autre. On ne peut donc que saluer l’initiative des deux éminents experts que sont Camille Sari et Abderrahmane Mebtoul, qui ont réuni autant de spécialistes venus d’horizons différents dont les riches formations et parcours respectifs ont produit un ouvrage remarquable sur le Maghreb, ouvrage qui fera date.
La somme de travaux regroupés en deux sections – la première sur la gouvernance et la seconde sur les enjeux géopolitiques – éclaire de la manière la plus pertinente la situation et les perspectives de cette région qui, malgré son importance, demeure fort mal connue. Chacun, à sa manière, souligne les atouts majeurs de la région que constituent sa richesse économique et son importance géostratégique, et tous s’accordent à constater que la première ne s’est pas accompagnée du nécessaire développement tandis que la seconde souffre de l’immobilisme et de la paralysie que rencontre le projet de construction maghrébine. Il ressort de l’ensemble des travaux que les grands équilibres socioéconomiques des pays du Maghreb demeurent précaires du fait des taux élevés de sous-emploi et de chômage, des déficits criants en matière d’éducation et de formation, de la diversification fort insuffisante, ainsi que de la capacité extrêmement limitée de ces pays d’exporter sur le marché mondial. Les perspectives sociales et économiques sont limitées non seulement par les faibles niveaux de performance et de compétitivité des économies nationales, mais aussi par une corruption endémique et paralysante, par un divorce aggravé entre des élites politiques et financières et l’ensemble de la population, qui profite peu des quelques progrès économiques ou de la manne pétrolière dont plusieurs pays bénéficient, et enfin par un secteur informel dévorant qui s’est accaparé des pans entiers de l’activité économique.
Appelés à mettre en place des réformes de leurs institutions politiques, économiques et juridiques en vue de diminuer les risques de tensions sociales, appelés aussi à dynamiser l’économie et à améliorer l’attrait de leurs marchés nationaux respectifs, les gouvernements maghrébins restent néanmoins confrontés aux nombreux défis géopolitiques que la région connaît depuis les révolutions du printemps arabe. Ils doivent également faire face aux menaces que représentent la montée d’un terrorisme transnational, ainsi qu’à la prolifération des trafics en tous genres et aux conséquences des afflux massifs de l’immigration clandestine. Tout en relevant les nombreux défis auxquels se heurte la construction maghrébine, les auteurs regrettent que le Maghreb reste l’une des dernières zones non intégrées du monde ; ils soulignent l’importance du regroupement régional comme seul moyen d’exister dans la mondialisation et démontrent que le Maghreb a tout le potentiel pour devenir une grande puissance régionale.
Cependant, et alors que les pays du Maghreb ne peuvent plus rester divisés devant des fléaux qui ne connaissent pas de frontières, les tensions entre les deux principaux acteurs que sont l’Algérie et le Maroc sont loin de s’apaiser, et le conflit du Sahara occidental demeure le principal facteur de blocage dans la construction de l’Union du Maghreb arabe (UMA). Avec le chaos libyen qui ne cesse de répandre l’insécurité chez ses voisins, le Maghreb continue de traverser des crises multidimensionnelles aiguës et se démène dans une transition inachevée qui éloigne la mise en place d’un ensemble régional uni et cohérent, malgré la nécessité d’un tel ensemble et les voeux des uns et des autres. La clarté des analyses ainsi que la qualité et l’objectivité de la documentation des contributions qui forment cet ouvrage le confirment de manière éclatante et rendent la lecture du livre indispensable à tous ceux qui s’intéressent à l’avenir du Maghreb et veulent mieux appréhender son importance régionale et internationale.