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Introduction

Les actions en faveur de la gestion durable des forêts n’ont jamais suscité autant d’intérêt qu’au cours des 25 dernières années. Cette situation découle du fait que, dans un contexte de changement climatique, les superficies forestières de notre planète ont régressé de 4128 M ha (31,6 % de la superficie terrestre mondiale), en 1990, à 3999 M ha (30,6 %) en 2015 (FAO, 2015a : 3). En raison de leur croissance démographique et de leurs activités agricoles, l’Amérique du Sud et l’Afrique viennent en tête en matière de perte de superficies forestières pour cette période (FAO, 2015a : 3).

La Côte d’Ivoire, à l’instar de nombreux pays africains, n’a pu échapper à cette dynamique de déforestation. En effet, la superficie de la forêt dense humide ivoirienne, qui était de 15,6 M ha en 1880, a été réduite à 2,5 M ha en 1991 (Lauginie, 2007 : 464-468). En 2015, la superficie de forêt était de 10,401 M ha, soit 32,7 % de la superficie des terres émergées, dont 0,625 M ha de forêt primaire (FAO, 2015b : 4, 41).

L’engouement pour la préservation des forêts de la planète répond au souci de contribuer à la lutte contre l’insécurité alimentaire, la pauvreté en milieu rural, la dégradation de la biodiversité, l’exacerbation des effets du changement climatique, la dégradation des écosystèmes, etc. La désignation des espaces forestiers en aires protégées, basée sur les caractéristiques spécifiques de leurs écosystèmes, est reconnue comme une solution permettant de lutter efficacement contre la forte déforestation et de conserver la biodiversité à travers le monde (UICN, 1994 : 2 ; Dudley, 2008 : 2 ; Coad et al., 2009 : 5-6 ; Triplet, 2009 : 3). Aussi, la conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique, à sa septième réunion, a-t-elle adopté un programme de travail sur les aires protégées (CDB, 2004 : 9). Sitôt que cette solution de conservation a été adoptée, s’est posé le problème du choix du mode de gouvernance des aires protégées. Aujourd’hui, les systèmes de gestion participative et intégrée font leurs preuves ; l’approche de la gestion intégrée allie la conservation avec le développement (Triplet, 2009 : 38).

En Côte d’Ivoire, la volonté de préserver et de conserver les ressources forestières s’est matérialisée par la création du parc national du Banco (PNB), qui est passé du statut de station forestière, en 1926, à celui de parc, en 1953 (De Koning, 1983 : 18). La gestion de l’ensemble des espaces protégés du pays rencontre souvent des difficultés liées aux fréquentes oppositions des populations locales aux autorités administratives. De façon générale, ces situations découlent des pressions démographique et foncière, du manque de consensus entre les parties en présence, du choix inadapté du système de gestion, etc.

Face au constat de morcellement du PNB, il convient de poser les questions suivantes : quelles sont les motivations réelles et l’ampleur de cette dégradation ? Comment est-il possible que cet important parc soit morcelé alors qu’il se trouve en pleine agglomération urbaine, à proximité des autorités chargées de sa surveillance ? Basée sur des techniques et données géospatiales et sur une enquête exhaustive de terrain conduite en 2013, notre étude vise à mettre en exergue les causes profondes et le processus de morcellement du PNB, puis à faire des recommandations pour remédier au problème.

Cadre théorique

Législation et statut des parcs et réserves

Selon la nouvelle définition de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) qui stipule qu’une aire est : « un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés » (Dudley, 2008 : 10), et selon la législation ivoirienne, les aires protégées désignent l’ensemble des huit parcs nationaux et six réserves.

En effet, l’article premier de la loi 2002-102 du 11 février 2002 relative à la création, à la gestion et au financement des parcs nationaux et des réserves naturelles en Côte d’Ivoire stipule que le « parc national » est une aire :

  • placée sous le contrôle de l’État et dont les limites ne peuvent être changées, ni aucune partie aliénée, sauf par l’autorité législative compétente ;

  • exclusivement destinée à la propagation, la protection, la conservation et l’aménagement de la végétation et des populations d’animaux sauvages, ainsi qu’à la protection des sites, des paysages ou des formations géologiques d’une valeur scientifique ou esthétique particulière, dans l’intérêt et pour la récréation du public ;

  • dans laquelle l’abattage, la chasse, la capture d’animaux et la destruction ou la collecte des plantes sont interdits…

Cette loi fixe les statuts et les modalités de gestion des parcs et réserves. Ses articles 70 à 75 définissent clairement les peines encourues par les personnes qui violent la loi en matière de conservation des aires protégées.

Modèle de gestion participative : concept et démarche

La gestion participative est définie par Borrini-Feyerabend et al. (2000 : 1) comme une « situation dans laquelle au moins deux acteurs sociaux négocient, définissent et garantissent entre eux un partage équitable des fonctions, droits et responsabilité de gestion d’un territoire, d’une zone ou d’un ensemble donné de ressources naturelles ».

Sur cette base, ce mode de gestion s’appuie sur une approche pluraliste de la gestion des ressources, un processus politique et culturel qui recherche une forme de démocratie et de justice dans la gestion des ressources naturelles, l’accès aux informations et la confiance dans le respect des accords, une maturité et une hauteur d’esprit des parties prenantes dans la gestion des ressources naturelles, etc.

Le concept et la démarche de la gestion participative comprennent, entre autres, la gestion adaptative (Holling, 1978 : 1-377 ; Walters et Hilborn, 1978 : 157-188 ; Walters, 1986 : 1-374 ; Allan et Stankey, 2009 : 1-367 ; Williams, 2011 : 1346-1353), le pluralisme (Agrawal, 1997 : 4-29 ; Farvar, 1999 ; Borrini-Feyerabend et al., 2007 : 37-52), la gouvernance (Smouts, 1998 : 85-93), la gestion patrimoniale (Ollagnon, 1991 : 2-35 ; Weber, 1998 : 534-552), la gestion des conflits (Babbit et al., 1994), la communication sociale (Ramirez, 1997 ; Borrini-Feyerabend et al., 2007 : 146-156 ; Mefalopulos, 2008 : 170), l’action-recherche participative (Couture et al., 2007 : 205-222), et la gestion de l’environnement (Barrow, 1999 : 17-28). Poisson (2009) analyse « l’impact de la gestion participative sur l’efficacité de conservation dans les parcs nationaux des pays sous-développés ». Pour ce qui concerne le PNB, la bonne application du modèle de gestion participative devrait mettre en relation l’État ivoirien à travers l’Office ivoirien des parcs et réserves (OIPR) et les populations riveraines des villages d’Andokoi, d’Anonkoua-Kouté et d’Agban, qui réclament un droit de regard coutumier historique sur le parc. Ce dernier problème pourrait être résolu par le dédommagement des propriétaires coutumiers.

Hypothèse de l’étude

Depuis qu’il a acquis le statut de domaine forestier permanant de l’État par la loi 66-433 du 15 septembre 1966, jusqu’en 1998, date de fixation de ses limites définitives officielles, le PNB n’a jamais connu un taux de dégradation à la hauteur de celui qui a été observé de 2008 à 2010, spécifiquement dans sa partie nord-est, connue comme le Triangle de Sagbé.

La principale hypothèse explicative de cette situation est la suivante : Le modèle de gestion participative n’est pas suffisamment appliqué dans la gestion durable du PNB, en ce sens qu’un de ses maillons essentiels est ignoré, en l’occurrence, les populations des villages riverains. Cela explique les dégradations répétées de cet important massif forestier à statut d’aire protégée.

Présentation de la zone d’étude

Situation géographique

Situé en plein coeur de la ville d’Abidjan, à la jonction des communes d’Abobo, Yopougon, Adjamé et Attécoubé, le PNB s’inscrit dans un carré de 7,8 km de côté et couvre une superficie de 3473,55 ha avec un périmètre de 25,58 km (figure 1). « Il s’étend sur l’ancien domaine coutumier des villages attié d’Andokoi et ébrié d’Anonkoua-Kouté et Agban » (Lauginie, 2007 : 99). Sa situation géographique le classe parmi les parcs urbains du monde, au même titre que le parc national de la Tijuca « inséré parmi les principaux quartiers de la ville » de Rio de Janeiro, au Brésil (Figueira et Santos, 2012 : 361), ou encore le PN de la Montagne de la Table, situé au Cap, en Afrique du Sud.

Importance : conservation de la biodiversité, fourniture d’eau potable

Ce massif forestier possède bien des vertus qui sont indispensables au bien-être des populations d’Abidjan, en ce sens qu’il offre de l’eau potable, ainsi que des biens et services tels que les activités récréatives, éducatives, touristiques et culturelles. Son importance s’étend également à la conservation de la biodiversité, à la régulation du microclimat, au stockage du matériel génétique, à la fourniture des services dispensés par les écosystèmes. À l’origine, le PNB était remarquable par sa richesse en espèces animales, notamment le guib harnaché (une antilope), plusieurs espèces de céphalophes (mammifères herbivores), des primates, des suidés (hylochère, potamochère) et un grand nombre d’espèces d’oiseaux. Aujourd’hui subsistent le guib harnaché, quelques espèces de singes, une douzaine de chimpanzés et des espèces d’oiseaux dont certaines sont menacées d’extinction (UICN-BRAO, 2008 : 11).

Statut légal : domaine forestier permanent de l’État

Le PNB acquiert le statut de domaine forestier permanent de l’État en 1966, par la loi 66-433 du 15 septembre 1966 et un décret portant statut et réglementation de la procédure de classement des réserves naturelles intégrales et des parcs nationaux.

Pour des raisons de transport d’électricité dans la ville d’Abidjan, un couloir devant abriter des lignes à haute tension est ouvert en 1978 dans la partie nord-est du parc, à la demande de la compagnie d’électricité nationale. Cette entaille longue de 1,7 km sur 0,15 km de large donne la configuration d’une corne que porte le parc. Avec le temps, cette corne sera désignée sous l’appellation de Triangle de Sagbé, du fait de sa proximité avec le quartier d’Abobo-Sagbé, situé au nord (figure 1).

Notre étude se concentre sur les acteurs économiques informels qui ont des activités dans l’emprise des lignes à haute tension, à l’intérieur du parc, ce qui amène un isolement progressif du Triangle de Sagbé et fragilise le parc en le soumettant à de fortes pressions anthropiques.

Figure 1

Situation géographique du Parc National du Banco

Situation géographique du Parc National du Banco
Sources : Fichiers IGN France, OIPR. Auteur : TIA L., Jan. 2016

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Données et méthodes

Collecte des données

Deux types de données ont été utilisés dans la réalisation de cette étude : des données de sources documentaires et des données produites à l’issue de l’enquête de terrain.

La documentation ayant servi à la réalisation de l’étude est essentiellement composée d’ouvrages spécifiques portant sur les causes générales de la dégradation du PNB, de documents statistiques et cartographiques, ainsi que des rapports de mission produits par l’Office Ivoirien des Parcs et Réserves (OIPR). Ces différents documents ont été consolidés par les résultats de l’enquête menée sur le site du parc. L’enquête a été effectuée de façon exhaustive sur les sites occupés par les activités informelles, dans l’emprise des lignes à haute tension. Elle a consisté en un inventaire des activités économiques informelles et en une cueillette d’information sur les occupants des sites. Les questionnaires visaient à recueillir de l’information sur le niveau d’instruction, les conditions socioéconomiques et le revenu des acteurs économiques informels dans le parc, le type et la durée des activités exercées, le mode d’acquisition de l’espace exploité à l’intérieur du parc, l’organisation des différentes corporations, leurs relations avec les autorités du parc et leur perception à l’égard du statut du PNB.

Ces données ont été complétées par des interviews réalisées avec les responsables des différentes organisations syndicales et les personnes délivrant des autorisations illégales d’installation aux fins d’exercice d’activités informelles dans le Triangle de Sagbé. Les responsables de l’OIPR en charge de la gestion du parc ont été interviewés sur les causes du litige qui les oppose aux populations du village d’Anonkoua-Kouté, au sujet du déclassement du Triangle de Sagbé.

Des observations directes ont permis de rendre compte de l’état de pollution et de dégradation du parc. Le GPS a été utilisé pour délimiter exactement la zone occupée par les exploitations informelles dans l’emprise des lignes à haute tension, à l’intérieur du PNB. Les données recueillies par GPS ont permis de valider les résultats d’interprétation visuelle des images satellitaires QuickBird (DigitalGlobe) de 2009, 2010 et 2014, utilisées pour rendre compte de la dynamique spatiale du parc.

Traitement des données

Les données de l’enquête par questionnaire ont été hiérarchisées à l’aide d’un tableur avec le logiciel Microsoft Excel. Ce logiciel a permis de soustraire des statistiques et graphiques d’intérêt, puis de les exporter dans le document Microsoft Word pour illustrations. Les données du GPS ont été compilées dans Excel puis importées dans le logiciel ArcGIS 10.2 (ESRI inc., France) pour le calcul des superficies d’intérêt et les conceptions cartographiques. Ces données Excel, converties en shapefiles dans ArcGIS, ont permis d’obtenir des couches de données superposables à d’autres couches de données issues de l’interprétation visuelle des images satellitaires QuickBird (DigitalGlobe) pour des fins de manipulation SIG.

Résultats

Ouverture du couloir des lignes à haute tension

En 1977 et 1978, un couloir de passage des lignes à haute tension de la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) a été créé à la demande de celle-ci. Long de 1,7 km sur 0,15 km de large, ce couloir a isolé la partie nord-est du parc, qu’on appelle maintenant le Triangle de Sagbé et qui couvre une superficie de 52 ha. En effet, le couloir de la CIE a favorisé l’installation illégale de nombreuses activités économiques informelles dans l’emprise de ces lignes (figure 2). La présence de ces activités a entraîné une dégradation du parc dans cette zone : on prévoyait initialement 6 m de marges de défrichement entre les limites du couloir et la forêt intacte. Aujourd’hui, ces marges se sont agrandies au détriment de la surface forestière ; elles sont de 56,22 m du côté ouest et de 33,16 m du côté est des limites réglementaires du couloir.

La nature et l’intensité des activités exercées dans l’emprise des lignes à haute tension dégradent et mettent le sol à nu, isolant complètement le Triangle de Sagbé du reste du parc, ce qui achève le morcellement du PNB.

Figure 2

Intenses activités de mécanique automobile informelle sous les lignes à haute tension

Intenses activités de mécanique automobile informelle sous les lignes à haute tension
Source : Tia et Dago, 2013

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Intrusion des acteurs économiques informels

Installation des chefs d’exploitation et de leurs employés

Sans surveillance administrative, l’ouverture du couloir abritant les lignes à haute tension a suscité l’intrusion d’une partie de la population dans le Triangle de Sagbé pour l’exercice d’activités économiques informelles et illégales. Les acteurs économiques s’y sont installés par vagues successives, et par effet d’entraînement, depuis 1987. L’année 2009 a connu le plus grand nombre d’installations (16,9 % du total). Dans l’ensemble, 63,2 % des acteurs se sont installés entre 2001 et 2010 (figure 3).

Les résultats de l’enquête de terrain révèlent que 136 chefs de garages ou chefs d’exploitation exercent dans le parc, avec 998 employés, pour un total de 1134 personnes travaillant à temps plein ou partiel sous les lignes à haute tension. Chaque chef de garage a sous sa responsabilité en moyenne 7 employés, avec un maximum de 18, un minimum de 3 et un écart-type de 4,8 employés.

Origine, tranches d’âge et droit de propriété des acteurs économiques

Les acteurs économiques exerçant dans le parc sont de diverses origines, majoritairement composées de nationaux (74 %) et de ressortissants de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Ils sont essentiellement constitués de musulmans (97,8 %) et de chrétiens (2,2 %) faisant partie de la tranche active de la population. Ils sont principalement âgés de 20 à 40 ans (55,9 %) et de 40 à 60 ans (40,4 %) (figures 4 et 5). Aucun de ces chefs d’exploitation ne possède un droit de propriété, ni aucune autorisation administrative d’exploitation de cet espace du parc. Ils s’y sont installés soit par l’entremise des responsables syndicaux, soit par celle d’un chef d’exploitation exerçant déjà sur les lieux.

Figure 3

Période d’installation des chefs d’exploitation dans le Triangle de Sagbé

Période d’installation des chefs d’exploitation dans le Triangle de Sagbé
Source : Tia et Dago, 2013

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Figure 4

Répartition des chefs d’exploitation dans le Triangle de Sagbé selon la tranche d’âge

Répartition des chefs d’exploitation dans le Triangle de Sagbé selon la tranche d’âge
Source : Tia et Dago, 2013

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Figure 5

Origine des chefs d’exploitation dans le Triangle de Sagbé

Origine des chefs d’exploitation dans le Triangle de Sagbé
Source : Tia et Dago, 2013

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Activités économiques informelles

Agriculture de subsistance

De nombreuses pratiques agricoles élargissent les marges du couloir des lignes à haute tension défrichant les surfaces forestières. Elles portent principalement sur les cultures vivrières composées de champs de manioc, de maïs et de bananiers (figure 6). Ces cultures grignotent le parc à tel point qu’il n’existe aucune démarcation nette entre elles et la ligne de contact avec la forêt intacte. Dans cette zone, les activités agricoles représentent 2,9 % de l’ensemble des activités recensées.

Figure 6

Activités agricoles dans l’emprise des lignes à haute tension (Triangle de Sagbé)

a

Culture de maïs

Culture de maïs
Source : Tia et Dago, 2013

b

Culture de manioc

Culture de manioc
Source : Tia et Dago, 2013

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Commerce informel

Le commerce concerne tous les points de vente de marchandises et diverses autres pratiques. Il s’agit notamment de boutiques de vente de pièces détachées d’automobiles, d’abris pour restaurant, de boutiques de téléphonie mobile, etc. Ces activités sont minoritairement représentées sur le site du parc (1,5 % des installations). Elles restent complémentaires des autres.

Transport et mécanique automobile (garages)

Les activités les plus nombreuses sont essentiellement liées au domaine du transport et aux services attenants ou dépendants. Elles occupent 48,4 % des personnes exerçant dans le Triangle de Sagbé (figure 7). Il s’agit d’ateliers de réparation d’automobiles et de tracteurs agricoles, communément appelés « garages auto » qui regroupent des mécaniciens, des tôliers (carossiers), des tapissiers d’autos (selliers), des peintres de carosserie, des électriciens, soudeurs, ferronniers, ferrailleurs et transporteurs (figure 8). Fortement dominées par la mécanique automobile (42,8 %), ces activités occupent presque tout le couloir des lignes à haute tension. Elles sont source de pollution, spécifiquement dans le Triangle de Sagbé. Les polluants sont constitués d’emballages en carton et de plastiques souillés ayant contenu divers produits dangereux (huiles usées de moteurs, de boîtes de vitesse et de freins), des liquides de refroidissement, des batteries usées, des carcasses de voiture, diverses pièces d’autos usagées et autres déchets solubles ou insolubles (figure 9).

Figure 7

Composition des principaux acteurs économiques informels exerçant dans le Triangle de Sagbé

Composition des principaux acteurs économiques informels exerçant dans le Triangle de Sagbé
Source : Tia et Dago, 2013

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Figure 8

Intenses activités de réparations de véhicules automobiles et automoteur sous les lignes à haute tension

a

Mini-bus «Gbaka»

Mini-bus «Gbaka»
Source : Tia et Dago, 2013

b

Tracteurs agricoles

Tracteurs agricoles
Source : Tia et Dago, 2013

Ce couloir isole le Triangle de Sagbé du reste du PNB

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Figure 9

Pollution par abandon de carcasses de voiture et déversement de diverses matières résiduelles au sein du PNB

a

Source : Tia et Dago, 2013

b

Source : Tia et Dago, 2013

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Niveau d’instruction et revenus des acteurs économiques informels

Les résultats de l’enquête indiquent que les chefs d’exploitation installés dans le Triangle de Sagbé sont composés de 64,7 % d’analphabètes, 16,9 % de personnes ayant un niveau primaire, 17,7 % de personnes ayant un niveau secondaire et 0,7 % de personnes ayant un niveau supérieur (figure 10). Ces forts taux d’analphabétisme et de bas niveau d’instruction ne gênent en rien le développement des activités de réparation mécanique, qui sont généralement des professions libérales apprises sur le tas. Il n’est point besoin de qualification spéciale ; seules les capacités d’apprentissage et d’endurance sont recommandées.

Le revenu mensuel moyen des chefs d’exploitation est de 90 556 FCFA (1 FCFA = 655,957 euros), avec un maximum de 300 000 FCFA, un minimum de 20 000 FCFA et un écart-type de 67 736,2 FCFA. Ces revenus sont majorés des gains provenant des activités secondaires (tableau 1).

Figure 10

Niveau d’instruction des chefs d’exploitation dans le Triangle de Sagbé

Niveau d’instruction des chefs d’exploitation dans le Triangle de Sagbé
Source : Tia et Dago, 2013

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Tableau 1

État des revenus des chefs d’exploitation dans le Triangle de Sagbé, en 2013

État des revenus des chefs d’exploitation dans le Triangle de Sagbé, en 2013
Source : Tia et Dago, 2013

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Manque de rigueur administrative

Il ressort des résultats de l’étude que 70,6 % des chefs d’exploitation n’ont jamais été associés à une quelconque activité de sensibilisation sur la protection du massif forestier du Banco. En outre, 80,9 % ont déclaré n’avoir jamais fait l’objet de mesures coercitives de déguerpissement. Cette situation révèle, de prime abord, la permissivité des gestionnaires dans la surveillance et la protection de ce précieux patrimoine.

Incohérence administrative

Les acteurs économiques informels installés sous les lignes à haute tension y sont de façon illégale, sans aucune autorisation de la mairie d’Abobo, ni de la structure de gestion du parc, l’OIPR. Le contraire aurait été grave de conséquences, car le PNB a un statut d’aire protégée de l’État ivoirien. Ces acteurs ne bénéficient donc d’aucun droit de propriété. L’occupation des parcelles est à 93,4 % autorisée par les responsables des différents syndicats dans lesquels sont regroupés les acteurs économiques informels. Il s’agit de la Coopérative des garagistes de Côte d’Ivoire et de l’Association des artisans d’Abobo (tableau 2).

En dépit de leur statut de clandestins installés illégalement dans le parc, des taxes sont prélevées chaque fin de mois auprès des occupants, par des agents de la mairie d’Abobo. Ces taxes varient de 3000 à 8000 FCFA par chef d’exploitation, selon la superficie occupée. Cette situation conforte les occupants du parc et leur donne une assurance apparente de « droit acquis ».

Tableau 2

Organisations syndicales au sein du PNB

Organisations syndicales au sein du PNB
Source : Tia et Dago, 2013

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Discussion

Pression démographique

Le développement économique fulgurant de la ville d’Abidjan a entraîné, au fil des années, un mouvement migratoire de populations d’origines diverses vers cette capitale économique, contribuant ainsi à son explosion démographique. Les quartiers précaires autour du parc, qui sont des anciens villages ébrié et attié rattrapés par l’urbanisation ne sont pas en marge de cette croissance démographique explosive. Plus le nombre d’habitants augmente, plus les quartiers périphériques du parc se densifient et plus leurs besoins deviennent importants. Selon les estimations basées sur les recensements réalisés en Côte d’Ivoire, la population d’Abidjan, estimée à 3 060 279 d’habitants en 1998, est passée à 3 536 067 habitants en 2005, à 4 097 360 en 2010 et elle était prévue atteindre 4 748 052 en 2015. En 2010, la densité de sa population rapportée à la surface hors espaces naturels est de 222 habitants / ha (Thiriez et al., 2011 : 11-12).

Cette croissance démographique ayant entraîné le surpeuplement des quartiers d’Abidjan, notamment ceux des communes de Yopougon, Adjamé et Abobo, constitue un facteur de dégradation du PNB, comme c’est le cas des espaces naturels protégés de Table Mountain, au Cap, et de Tijuca, à Rio de Janeiro (Bruno, 2012 : 256-257). En effet, des intrusions ont lieu dans le parc à partir des quartiers périphériques pour des prélèvements illégaux des produits biologiques de cette forêt. La recherche de bois de chauffe est classée parmi les causes majeures d’infiltration dans le parc (Oura, 2012 : 2).

Pression foncière urbaine

Les pressions foncières pour les besoins pressants de logement et de subsistance nées de l’explosion démographique ont conduit à une importante extension de la ville d’Abidjan. Cette urbanisation incontrôlée a constitué l’un des facteurs du morcellement du PNB. En effet, l’urbanisation qui a englouti le massif forestier du Banco a occasionné des travaux d’aménagement urbain (château d’eau, station service d’essence, lignes à haute et à moyenne tension prison civile, etc.) qui sont contigus au parc et en constituent des sources de menace. En outre, des extensions des limites du parc en zones villageoises (Lauginie, 2007 : 99) conjuguées aux revendications foncières des populations autochtones d’Anonkoua-Kouté (Oura, 2012 : 18) ont occasionné des déboisements dans le Triangle de Sagbé. En effet, ce conflit ouvert entre les populations riveraines du village d’Anonkoua-Kouté et les autorités administratives a galvanisé les acteurs économiques timidement installés, les incitant à prendre d’assaut le couloir des lignes à haute tension. Cette situation a fortement contribué au morcellement du parc (figure 12). D’ailleurs, ce problème de morcellement n’est pas spécifique au PNB. Il affecte l’ensemble des parcs nationaux, des réserves et des forêts classées de Côte d’Ivoire : six réserves botaniques ont disparu et deux sont gravement menacées (Lauginie, 2007 : 355-357).

Comme le montre la figure 11, le PNB subit des dégradations dans sa partie nord-est. En effet, la surface déboisée du Triangle de Sagbé est passée de 13,97 ha à 33,57 ha, de 2009 à 2010 (Tia, 2012 : 36). Par ailleurs, des constructions immobilières au nord du parc, à Anonkoua-Kouté, exercent une pression intense sur l’espace vert. Elles profitent du manque de clarification des limites du parc, dans cette partie, pour grignoter du terrain. En définitive, les pressions de l’urbanisation sur le PNB constituent une importante source de fragmentation et un frein à sa protection. D’autres parcs à travers le monde, à l’instar du parc de la Gatineau, aux portes d’Ottawa (Canada), sont également soumis aux problèmes d’imprécision de leurs limites et aux menaces liées à la forte croissance urbaine (Lahaye, 2012 : 83,89).

Figure 11

Dynamique de dégradation du PNB dans le Triangle de Sagbé de 2002 à 2010

Dynamique de dégradation du PNB dans le Triangle de Sagbé de 2002 à 2010

Sources : Images satellites QuickBird. Auteur : TIA L., Jan. 2016

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Figure 12

Morcellement du Parc National du Banco isolant le Triangle de Sagbé

Morcellement du Parc National du Banco isolant le Triangle de Sagbé

Auteur : TIA L., Avril 2016

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Faiblesse institutionnelle

Le déferlement illégal des populations dans cette partie du parc a été favorisé par la réduction du rôle régalien de l’État à assurer la protection des aires protégées, une conséquence de l’instabilité politique. En effet, les crises politicoéconomiques en Côte d’Ivoire ont entrainé une instabilité institutionnelle de l’État et une passivité des autorités administratives. Comparé à la situation des forêts classées en Côte d’Ivoire, il ressort que « plus de 30 % des forêts classées étaient occupées en 1993 par 500 000 chefs d’exploitation » (Ibo, 2005 : 74).

L’insuffisance de moyens financiers et humains nécessaires pour une gestion durable et efficace des aires protégées en général, et du PNB en particulier, a poussé l’État à opter pour un laisser-faire, depuis les années 1980 (Idem : 76-77). Cette passivité des gestionnaires s’est traduite par l’insuffisance de sensibilisation des occupants de l’emprise des lignes à haute tension dans le Triangle de Sagbé. C’est ce qui explique que 80 % des chefs d’exploitation sous les lignes électriques dans le Triangle n’ont jamais été sensibilisés ni déguerpis.

La totalité (100 %) des chefs d’exploitation ne bénéficient d’aucun droit de propriété. Cela démontre en partie l’incompréhension des enjeux de conservation du parc et le non-respect des mesures de protection instituées par l’État. Les responsables de l’OIPR expliquent l’absence d’exploitation du potentiel touristique du parc par un ensemble de facteurs désavantageux, notamment l’absence de mécanisme de financement durable ; le faible développement et promotion des infrastructures de recréation et de loisirs, la forte porosité de la forêt et l’absence de gestion concertée de l’occupation foncière à sa périphérie.

À ces insuffisances s’ajoute l’absence de système de gestion des ordures ménagères et de drainage des eaux domestiques et pluviales en provenance des quartiers périphériques du parc. Certaines habitations mal raccordées aux réseaux d’assainissement rejettent les eaux usées de leurs fosses septiques directement dans le parc. Les huiles de moteurs, les résidus des pièces détachées et autres déchets solubles ou insolubles en provenance des garages d’autos sous les lignes électriques sont directement rejetés dans le parc. Tous ces polluants déversés dans cette forêt font d’elle une poubelle à ciel ouvert. Ces différents problèmes de pollution s’observent également dans de nombreux parcs urbains à travers le monde, à savoir le parc national de Tijuca (Brésil), le parc national Joshua Tree (Californie), etc. (Bruno, 2012 : 257).

Crises socioéconomiques et politicomilitaires

La pauvreté, le chômage, la corruption, la baisse des revenus, la dégradation du cadre de vie et du niveau de vie engendrés par les crises socioéconomiques et politicomilitaires, ainsi que les déguerpissements répétés de plus de 5000 commerçants et ferrailleurs de la casse d’Adjamé, en 2009, 2010 et 2013, ont favorisé l’occupation du Triangle de Sagbé.

Dans les détails, l’occupation de l’emprise des lignes à haute tension s’est faite par vagues successives, depuis 1980 jusqu’en 2013. La première vague, de 1980 à 1990, a enregistré un taux d’occupation de 2,2 % de l’effectif total des installations, soit une moyenne de 0,2 % par an. Ensuite, la deuxième vague, de 1991 à 2000, a connu un taux d’occupation de 26,8 %. La dernière vague, de 2001 à 2013, a enregistré un taux de 71,3 % avec une moyenne d’occupation de 4,5 % par an. Ces vagues d’occupation du Triangle de Sagbé peuvent s’expliquer comme suit.

  • La première vague, 1980-1990, correspond à la période de pleine croissance économique de la Côte d’Ivoire. À cette période, l’État disposait des moyens de sa politique et de son pouvoir économique. Par conséquent, pour la gestion de son patrimoine forestier, il avait mis en place une politique répressive à l’égard des populations qui ne respectaient pas la législation forestière sur les parcs nationaux et les réserves naturelles. Cette politique répressive est restée la pierre angulaire de la politique de gestion des aires protégées en Côte d’Ivoire (Ibo, 2005 : 77).

  • La deuxième vague, 1991-2000, commence en 1990 par la période de pleine crise économique où l’État a été confronté à d’énormes difficultés financières. Cette situation s’est traduite par la dévaluation de la monnaie et la privatisation de plusieurs entreprises publiques. Ne disposant plus de moyens financiers suffisants pour assurer la gestion de son patrimoine forestier, l’État a opté pour un laisser-faire qui a favorisé l’occupation de plusieurs aires protégées par des populations de diverses origines. En 1993, plus de 500 000 chefs d’exploitation agricole avaient cultivé plus de 30 % de la superficie des aires protégées en Côte d’Ivoire (Ibo, 2005 : 74). Cette passivité de l’État s’est soldée, entre autres, par la dégradation du PNB, particulièrement par l’occupation illégale du Triangle de Sagbé, aujourd’hui occupé par des acteurs économiques ne possédant aucun droit de propriété, ni aucune autorisation administrative d’exploitation du site. En outre, ces acteurs économiques (80,9 %) n’ont jamais été touchés par une quelconque mesure coercitive de déguerpissement ni de campagne de sensibilisation sur le statut du parc. A contrario, les efforts de sensibilisation se sont concentrés sur les populations riveraines pour la mise en oeuvre d’une politique de conservation durable (Sako et al., 2013 : 16) mal négociée à l’origine : ces populations ont exprimé leur mécontentement de n’avoir pas été associées à la gestion du parc, qu’elles considèrent comme leur propriété selon le droit foncier coutumier (Lauginie, 2007 : 99).

  • La dernière vague, 2001-2013, a enregistré une forte croissance de l’occupation du parc. Cette decennie est caractérisée par les crises militaropolitiques survenues en Côte d’Ivoire. En effet, les coups d’État de 1999 et de 2002, amplifiés par la guerre de 2011, ont entraîné le déplacement massif des populations désoeuvrées d’origines diverses vers Abidjan, ainsi que le développement du secteur informel, la prolifération des installations anarchiques et l’occupation illégale du domaine privé de l’État et des zones non constructibles. Cette situation n’a pas épargné le PNB, surtout sa partie nord-est (le Triangle de Sagbé), qui a accueilli des nationaux (74 %) exerçant principalement dans les domaines du transport (5,6 %) et de la mécanique automobile (42,8 %). Le grand flux d’occupation enregistré en 2008-2009 est lié aux conséquences du conflit foncier qui a opposé les populations du village d’Anonkoua-Kouté aux autorités administratives en charge de la gestion du parc. Le déboisement effectué par ces populations dans le Triangle de Sagbé a mis à découvert les faiblesses de l’autorité chargée de la surveillance du parc. Cela a fortement encouragé les acteurs du secteur informel (garagistes) à prendre d’assaut le massif forestier.

Conséquences d’une gestion exclusive

L’exclusion des populations riveraines de la gestion du PNB est contraire aux prescriptions du modèle de gestion participative voulant que l’État et les populations autochtones, qui revendiquent chacun un droit de propriété sur le parc, négocient, définissent et trouvent des mesures compensatoires équitables sur la paternité du parc. Dans ce cas de figure, aucun acteur ne doit être sous-estimé, au risque de réactions dommageables aux écosystèmes, comme le déboisement et ses corollaires survenus dans le Triangle de Sagbé.

Un cas de figure similaire s’est présenté au Kenya où, depuis 1945, les populations maasaï avaient été dépossédées d’importantes parts de leur territoire pour la création de parcs nationaux, notamment le parc national de Nairobi (117 km2), le parc national de Tsavo ouest (21 000 km2), le parc national d’Amboseli (auparavant réserve nationale Maasaï Amboseli) (348 km2), la réserve nationale du Maasaï-Mara (1671 km2) et bien d’autres. Au contraire des exigences du modèle de la gestion participative, les pouvoirs publics avaient totalement exclu les populations maasaï de la gestion de ces espaces naturels au nom de la réforme foncière. Les Maasaï avaient parfois été chassés de leurs terres et leurs villages brûlés. Cette politique d’exclusion s’est soldée par un cuisant échec se résumant par l’extermination des animaux sauvages, signe de la rébellion des Maasaï à l’égard des autorités publiques (Péron, 1994 : 43-48).

Plusieurs autres exemples à travers le monde illustrent cette situation de conflits entre autorités administratives et populations locales. Dans l’île de La Réunion, la récente création du parc national de La Réunion a généré d’importants conflits opposant les deux principaux acteurs (K/Ourio, 2009 : 197-211). Au Chili, l’exclusion des communautés autochtones de la gestion des aires protégées s’est soldée, à la fin des années 1990, par des vagues de contestation. « L’organisation autochtone Consejo de Todas las Tierras soutient des communautés mapuches de divers secteurs d’Araucanie dans la récupération d’aires protégées qu’elles revendiquent comme partie intégrante de leurs territoires traditionnels » (Sepúlveda, 2012 : 621-639). Au Vietnam, depuis 1975, la législation octroie toutes les terres à l’État au détriment des « droits ancestraux des minorités ethniques ». Une part importante de ces terres est convertie en parcs nationaux et les populations locales sont contraintes à la sédentarisation pour développer de nouvelles activités (Déry et Tremblay, 2008 : 1-18). En Guinée, le modèle de la gestion participative a été pris en compte dans le cadre de la gestion du parc national du Haut Niger. Cependant, l’association des structures traditionnelles (Waton) mise en place ne fait pas l’unanimité au sein des communautés, qui la jugent peu représentative : « Une partie de la population, notamment les jeunes, éprouve un sentiment de marginalisation. » En conséquence, le parc enregistre souvent des marques de coupes clandestines (Saïdou et Djellouli, 2011 : 1-18).

A contrario, au Cameroun, l’intégration « officielle d’une zone à usage communautaire dans le parc national de la Lobéké » a matérialisé la volonté du pouvoir public d’associer les populations locales à la conservation des aires protégées du pays. La création d’un comité de gestion composé de plusieurs parties prenantes présage de la gestion durable du PN de la Lobéké, (Yanggen et al., 2010 : 58-66) en respect des règles édictées par le modèle de la gestion participative.

Au Québec, des projets de développement touristique intègrent la participation des communautés locales à l’élaboration et à l’exploitation des parcs nationaux. Il s’agit des projets de parc national Tursujuq, de parc national Ulittaniujalik et de parc national Albanel-Témiscamie-Otish (Desroches et Freedman, 2012 : 124-126).

Perspectives et recommandations

À ce jour, aucune action n’est entreprise pour sensibiliser les occupants du parc national du Banco sur l’importance de sa survie. Quoique les acteurs économiques informels soient unanimement disposés à libérer les lieux (à 95,6 %) pour un site définitif, de préférence dans la commune d’Abobo, 70,6 % d’entre eux n’ont jamais été sensibilisés à l’importance du parc et à la nécessité de le protéger. Seulement 19,1 % ont eu vent d’un éventuel déguerpissement.

Au cas où les choses resteraient en l’état, le nombre de chefs d’exploitation d’activités informelles pourrait augmenter fortement dans les 10 prochaines années (figure 13) et le PNB serait amputé de sa partie nord-est au profit des activités économiques informelles (figure 14). Aussi, la survie du Triangle de Sagbé repose-t-elle essentiellement sur :

  • la sensibilisation des acteurs économiques illégaux et des populations riveraines quant à l’importance de la préservation des biens et des services rendus par le parc ;

  • l’instauration du dialogue avec les populations villageoises en prenant en compte leurs revendications et en leur garantissant l’accès au parc afin d’y maintenir et valoriser leurs activités culturelles ;

  • la prise de mesures coercitives de déguerpissement suivie de la réinstallation des acteurs économiques illégaux sur le site de la casse automobile en construction à N’Dotré, au nord-ouest du parc, dans la commune d’Abobo. L’option de la réinstallation permettra d’éviter l’indemnisation compensatrice de déguerpissement, qui se solde souvent par le retour des sinistrés ;

  • l’application effective du système de gestion participative ; si possible évoluer vers un système de gestion intégrée qui implique les populations riveraines dans la restauration des parties dégradées du parc et dans la construction d’une clôture sur tout ou parties du PNB pour une protection durable. Une protection optimale requiert une clôture de 25,58 km sur tout le périmètre du parc, alors qu’une protection minimale nécessiterait la construction de deux portions de clôture : une première – urgente – de 8,53 km au nord du parc et une deuxième de 5,67 km au sud-ouest (figure 15). Ces deux parties du parc, qui sont en contact avec l’espace urbain, connaissent une importante dégradation et sont les lieux de fréquentes infiltrations.

Figure 13

Dynamique d’installation et tendance d‘augmentation du nombre de chefs d’exploitation d’activités informelles dans le Triangle de Sagbé jusqu’à 2025 (tendance obtenue par Microsoft Excel 2013, à partir des données de terrain)

Dynamique d’installation et tendance d‘augmentation du nombre de chefs d’exploitation d’activités informelles dans le Triangle de Sagbé jusqu’à 2025 (tendance obtenue par Microsoft Excel 2013, à partir des données de terrain)

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Figure 14

Perspectives d’évolution des limites du PNB jusqu’en 2025

Perspectives d’évolution des limites du PNB jusqu’en 2025
Cartes réalisées par Tia L. à partir de : Images satellites QuickBird

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Figure 15

Proposition de clôtures de protection du Parc National du Banco

Proposition de clôtures de protection du Parc National du Banco
Sources : Fichiers IGN France, OIPR. Auteur : TIA L., Jan. 2016

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Conclusion

Notre article fonde sa démarche sur la recherche des causes profondes qui sous-tendent le morcellement du PNB le long de l’emprise des lignes à haute tension construites en 1978 pour répondre aux besoins en électricité de la ville d’Abidjan. Cette préoccupation est d’autant plus justifiée que les surfaces forestières nationales disparaissent à grand rythme : de 15,6 M ha en 1880, la superficie des forêts primaires est successivement passée à 2,5 M ha en 1991 et à 0,625 M ha en 2015.

En dépit des grandes actions menées depuis longtemps par la communauté internationale pour préserver l’environnement face au développement économique, le milieu naturel ivoirien n’a cessé de subir des dégradations progressives du fait de la lente réaction des autorités ivoiriennes. Finalement, un réseau de huit parcs nationaux et de six réserves a été créé pour contribuer au vaste élan mondial.

Le PNB fait partie de ce réseau d’aires protégées. Son importance se justifie par les services cruciaux qu’il rend particulièrement aux populations des communes environnantes, à savoir la protection naturelle de la nappe d’eau souterraine, la conservation d’échantillons représentatifs d’écosystèmes de la zone sud du pays, etc.

Il ressort de nos investigations que, si rien n’est fait, les fortes dégradations du parc, du fait des installations continues de 1134 acteurs économiques informels de 1987 à 2013, aboutiront, à l’horizon 2025, à l’amputation de sa partie nord-est, communément appelée Triangle de Sagbé. Tel que formulé dans l’hypothèse de l’étude, cet état de fait découle principalement d’un manque d’application rigoureuse du modèle de gestion participative ou intégrée. En effet, l’exclusion des populations riveraines, conjuguée à d’autres facteurs, a entraîné une chaîne d’actions qui ont mis à nu les faiblesses institutionnelles. Cela consolide les résultats des travaux antérieurs stipulant que les systèmes de gestion participative et intégrée sont les mieux indiqués pour assurer une gestion durable des aires protégées.

En conséquence, face à la dégradation avancée du PNB, il serait indiqué (i) de sensibiliser les parties en présence sur l’importance du parc, (ii) d’instaurer un franc dialogue devant aboutir à la prise en compte des revendications des populations villageoises et à leur intégration dans les activités de gestion du parc, (iii) de réinstaller les acteurs économiques informels sur un nouveau site, (iv) de matérialiser les limites du parc par deux portions de clôture.