Résumés
Résumé
Dans la région métropolitaine de Guadalajara, les réformes aux politiques mexicaines de logement social des années 1990 se sont traduites par la multiplication de projets résidentiels dans des municipalités périphériques. Hacienda Santa Fe, dans Tlajomulco de Zúñiga, est l’un de ces projets. Réalisé selon le modèle des communautés fermées, il répond à une forte demande de logement abordable ; toutefois, il se déploie loin des secteurs consolidés. Dans quelle mesure le projet peut-il satisfaire ses résidants ? Sur la base d’une analyse documentaire et d’une enquête exploratoire auprès de 60 participants, cet article présente le projet Hacienda Santa Fe, ainsi que l’évaluation que les résidants en font en termes de satisfaction résidentielle. L’analyse des résultats met en évidence des niveaux de satisfaction variés en ce qui a trait aux caractéristiques du logement, du contexte immédiat et de l’ensemble du quartier, autant sur le plan physique que sur le plan social.
Mots-clés :
- Satisfaction résidentielle,
- logement social,
- périurbanisation,
- communautés fermées,
- Mexique
Abstract
Reforms of Mexican social housing policies in the 1990s provoked a multiplication of residential projects in peripheral municipalities of the Guadalajara metropolitan region. Hacienda Santa Fe, in Tlajomulco de Zúñiga, is one of these projects. Based on the gated communities model, it responds to a strong demand for affordable housing; however, the project is located far away from established urban areas. To what extent does this particular project satisfy its residents? Based on a literature review and an exploratory survey of 60 residents, our paper presents an overview of the Hacienda Santa Fe project, completed by an assessment of resident satisfaction. Results show different levels of satisfaction with respect to housing characteristics, the immediate environment and the general neighbourhood, in both physical and social terms.
Keywords:
- Residential satisfaction,
- social housing,
- peri-urbanization,
- gated communities,
- Mexique
Resumen
En la región metropolitana de Guadalajara, las reformas de las políticas mexicanas de vivienda social de los años 1990 se tradujeron en una multitud de proyectos residenciales, en las municipalidades periféricas. Hacienda Santa Fe, en Tlajomulco de Zúñiga, es uno de esos proyectos. Realizado según el modelo de comunidades cerradas, el proyecto responde a una fuerte demanda de vivienda abordable, pero se desarrolla lejos de sectores consolidados. ¿En qué medida este proyecto satisface a sus residentes? Basándose en un análisis documental y en una encuesta exploratoria a 60 participantes, este artículo presenta el proyecto Hacienda Santa Fe y la evaluación de satisfacción residencial, hecha por los residentes. El análisis de los resultados hace sobresalir diferentes niveles de satisfacción respecto a las características de la vivienda, de su contexto inmediato y del conjunto del barrio, tanto sobre el plano físico como sobre lo social.
Palabras clave:
- Satisfacción residencial,
- vivienda social,
- peri-urbanización,
- comunidades cerradas,
- México
Corps de l’article
Introduction
La région métropolitaine de Guadalajara (RMG) est la deuxième plus peuplée du Mexique, avec 4,4 millions d’habitants (INEGI, 2010) et une superficie qui atteignait déjà 2 734 ha en 2000 (INEGI, 2004). Elle incarne bien le phénomène d’étalement urbain des villes de l’Amérique latine, avec un processus de développement en saute-mouton, accentué depuis le début du siècle, qui l’amène à couvrir aujourd’hui non seulement une partie des trois municipalités adjacentes à celle de Guadalajara, mais aussi de municipalités de 2e et 3e couronnes. Ce développement est alimenté en partie par la production de logement social sous la forme de grands projets immobiliers. Hacienda Santa Fe, construit à Tlajomulco de Zúñiga par le développeur PICSA (Proyectos Inmobiliarios de Culiacán, propriété du groupe HOMEX), en est l’un des plus emblématiques, avec une population en 2010 de 46 234 habitants (IIEG Jalisco, 2012). On peut voir dans ce développement une réponse au déficit de logement ; certains commentateurs suggèrent même une relation entre cette production de logement social et le ralentissement observé récemment dans la construction informelle du logement (Harner et al., 2009). Toutefois, des projets comme Hacienda Santa Fe peuvent aussi être la source de plusieurs problèmes, comme la prolifération d’enclaves urbaines périphériques, le déficit des transports, la ségrégation spatiale, les crises environnementales, etc. (Eibenschutz Hartman et Goya Escobedo, 2009). Ces problèmes peuvent affecter directement les résidants et se refléter dans leur (in)satisfaction résidentielle. De quelle manière ? Comment les résidants d’Hacienda Santa Fe évaluent-ils leur milieu de vie ? Quel est leur niveau de satisfaction à l’égard de différentes dimensions de leur habitat ? Se pencher sur ces questions nous semble un travail nécessaire pour mieux comprendre cette forme récente de développement urbain, marquée entre autres par un taux d’inoccupation de logements important, de près de 25 % selon la Banque Interaméricaine de Développement (González, 2014).
Cet article est organisé en quatre sections. Dans la première, nous présentons les éléments du cadre conceptuel, articulé autour de la notion de la satisfaction résidentielle. Dans la deuxième section, nous explicitons notre démarche méthodologique, qui comporte une analyse documentaire et une enquête exploratoire auprès de 60 résidants. Nous présentons ensuite nos résultats, qui concernent le contexte de développement du projet Hacienda Santa Fe, sa configuration et les données issues de l’enquête de satisfaction résidentielle. Ces résultats seront mis en perspective dans la dernière section de l’article. Ce travail a été réalisé dans le cadre d’une nouvelle collaboration entre chercheurs du Mexique et du Québec, née à l’occasion du séminaire international APERAU [1]-Amériques, tenu à l’Université Laval, à l’automne 2013. Une version préliminaire de l’article avait alors été présentée.
La notion de satisfaction résidentielle
Les études de type personne-environnement permettent, d’une part, de comprendre la manière dont les personnes interagissent quotidiennement avec leur cadre bâti et, d’autre part, d’orienter les praticiens de l’aménagement dans leurs interventions pour améliorer la qualité des milieux de vie (Rapoport, 2000). La satisfaction des usagers à l’égard de leur environnement résidentiel constitue une variable importante dans ces études. La recension d’écrits réalisée par Amérigo (1994) montre que la satisfaction résidentielle a été étudiée à plusieurs reprises depuis les années 1970, reliée à des concepts comme la mobilité résidentielle, la transformation de l’environnement résidentiel et le développement de processus cognitifs dont la modification des aspirations. Ceci étant dit, la notion de satisfaction résidentielle est complexe et ses définitions peuvent être variées. Amérigo et Aragonés (1997) proposent la suivante :
Residential satisfaction, is a positive affective state which the individual experiences towards his/her residential environment and which will cause him/her to behave in certain ways intended to maintain or increase congruence with that environment
Amérigo et Aragonés, 1997 : 48
Ce concept s’avère utile pour se pencher sur certains signes d’inadaptation ou de rejet de l’offre résidentielle, comme l’inoccupation, voire l’abandon de logements. Si la notion de satisfaction résidentielle peut être utile dans les sciences sociales, son interprétation demeure toutefois difficile, ne serait-ce qu’au moment de l’observer ou de la mesurer. En interrogeant les résidants sur leur satisfaction à l’égard de leur milieu de vie, on peut en effet obtenir des réponses biaisées, laissant croire qu’ils sont satisfaits ou très satisfaits. « D’un point de vue psychologique, cela signifie simplement que l’insatisfaction est un état affectif stressant que l’on cherche à réduire, soit en rationalisant les choix que l’on a fait, soit en essayant de s’adapter à une situation que l’on ne peut pas changer » (Bernard, 1992 : 27). Il est donc important de concevoir des outils de cueillette de données permettant de contourner cette difficulté (par des observations indirectes, par exemple) et d’interpréter avec prudence les réponses obtenues.
Une autre difficulté inhérente à l’interprétation de la notion de satisfaction résidentielle concerne la délimitation de l’environnement résidentiel proprement dit : on peut très bien imaginer que, au-delà des qualités du logement, celles du contexte d’implantation peuvent concourir à la satisfaction des résidants. Dans une approche écologique, et sur la base des études précédentes, Amérigo et Aragonés (1997) proposent un modèle qui prend en compte l’environnement résidentiel à deux échelles : le logement et le quartier, ce dernier compris comme un objet socialement construit. Au-delà des échelles, les auteurs explorent deux dimensions de ce milieu résidentiel, soit la dimension physique (les caractéristiques spatiales) et la dimension sociale (les relations entre les résidants).
Dans notre étude, nous nous penchons sur la satisfaction résidentielle de personnes qui habitent dans Hacienda Santa Fe. Compte tenu de la structure spatiale du milieu présentée plus loin, l’environnement résidentiel a été considéré à trois échelles : le logement, l’environnement immédiat ou cluster, (comportant les espaces adjacents au logement et les espaces communs, comme les rues et les terrains de jeu, utilisés par les résidants) puis le développement résidentiel dans son ensemble (ici, Hacienda Santa Fe en tant que quartier). Nous avons considéré les dimensions physique et sociale du milieu de vie. La première concerne les caractéristiques spatiales de l’environnement résidentiel (dans ses différentes échelles), tandis que la deuxième a trait, par exemple, aux relations entre le résidant et les autres habitants du cluster et de l’ensemble.
Méthodologie
L’objectif de cette étude est de mieux comprendre un projet de logements sociaux construit récemment en périphérie de la zone métropolitaine de Guadalajara, au Mexique, à travers une démarche en deux volets : d’abord, une recherche documentaire permettant notamment de situer le projet dans son contexte ; puis, une enquête exploratoire sur la satisfaction résidentielle des résidants.
Pour le premier volet, la mise en contexte du projet, nous avons eu recours notamment à des sources secondaires d’information. Celles-ci comportaient des recueils statistiques et cartographiques produits par divers organismes, publics ou parapublics (gouvernements municipaux, instituts de recherche, etc.), ainsi que la littérature scientifique et « grise » (comme des rapports institutionnels). Nous avons également effectué un relevé photographique du milieu, dans le but de systématiser nos observations, effectuées lors de différentes visites de terrain.
Le deuxième volet de la recherche, l’enquête exploratoire sur la satisfaction résidentielle, s’inspire du travail de Canter et Ress (1982, dans Aragonés et Corraliza, 1992), repris lors de plusieurs recherches similaires en Europe et en Amérique latine. L’approche permet de prendre en considération trois échelles (le logement, le voisinage et le quartier), analogues à celles qui nous intéressent dans le cas de Hacienda Santa Fe (le logement, le cluster et l’ensemble du développement). À chaque échelle, et sur la base du modèle proposé par Aragonés et Amérigo (1987, dans Jiménez, 1994), quatre dimensions sont considérées : les caractéristiques personnelles des répondants, les attributs objectifs du milieu (physiques et sociaux), les attributs subjectifs, puis l’interaction sociale. Ce type d’enquête est appliqué depuis plusieurs années, au Mexique, par des organismes comme la Sociedad Hipotecaria Federal (2013) dans le cadre d’études périodiques (la plus récente ayant été réalisée en 2012) dans des quartiers périurbains du pays.
Dans notre étude, l’enquête a été menée auprès de 60 participants, hommes et femmes, âgés de plus de 18 ans. Chaque participant habitait dans un logement différent des clusters 1 ou 2 (construits lors de la première phase du projet). Les participants ont été sollicités à leur domicile pour une brève entrevue pendant la journée, dans la semaine du 16 au 22 juin 2014. L’entrevue comportait une série de questions, posées par l’intervieweur, sur la base d’un questionnaire sur papier. Les réponses étaient enregistrées par l’intervieweur sur ce questionnaire imprimé.
Le questionnaire d’enquête comportait cinq sections. La première permettait de recueillir de l’information sur les caractéristiques individuelles des participants : âge, sexe, niveau d’études, état civil et mode de tenure du logement. La deuxième section portait sur les attributs environnementaux objectifs : caractéristiques spatiales et fonctionnelles du milieu, transformations effectuées au logement, etc. Les attributs subjectifs et l’interaction sociale étaient abordés dans la troisième section : perception du voisinage et relations avec les voisins, etc. Les deux dernières sections amenaient les participants à évaluer leur satisfaction concernant le logement (quatrième section) ainsi que le voisinage immédiat et Hacienda Santa Fe dans son ensemble (cinquième section). Pour ces dernières sections, nous avons utilisé une échelle de satisfaction résidentielle (ESR) dont les valeurs vont de 5 (plus faible satisfaction) à 10 (plus haute satisfaction), dans l’ordre suivant : 5 = pas du tout satisfaisant ; 6 = peu satisfaisant ; 7 = satisfaction faible ; 8 = satisfaction intermédiaire ; 9 = satisfaction élevée ; 10 = tout à fait satisfaisant. Les réponses ont été compilées dans une base de données, puis les effectifs ont été calculés pour chaque variable dans la perspective d’une analyse descriptive.
Résultats
Le contexte institutionnel et métropolitain du projet Hacienda Santa Fe
Le développement urbain des dernières années au Mexique est tributaire de changements récents dans les politiques nationales de production du logement social, issues des réformes néolibérales entamées dans les années 1980 (Harner et al., 2009). Il est ici utile de rappeler l’effort de l’État mexicain qui, pendant les années 1970, s’était investi dans la construction du logement social. Cette production a d’ailleurs atteint un sommet de 15 % de l’ensemble des logements construits dans la RMG, en 1977 (López Moreno, 2001). Toutefois, pendant les années 1990, le rôle de l’État dans cette production de logement social a changé en faveur d’une approche d’ouverture de marché (García Peralta Nieto, 2004, dans Harner et al., 2009). Dans le Plan national de développement de 2001, on fixait déjà comme objectif de
promouvoir et coordonner les politiques et programmes de logement et développement urbain en soutenant leur mise en oeuvre avec la participation de l’État, des gouvernements municipaux et de la société civile pour consolider le marché du logement et faire de celui-ci une source de développement
traduction libre
Aujourd’hui, ce sont des groupes privés qui développent l’offre en logement social, en utilisant divers mécanismes de financement, notamment les systèmes de prélèvement aux salariés. Ces groupes privés laissent cependant sans couverture une partie importante de la population, non éligible au crédit en raison du type d’emploi (non salarié) ou d’un faible revenu. Casas Geo et Homex sont deux des entreprises les plus importantes dans ce contexte, qui oeuvrent aujourd’hui dans toutes les régions du Mexique.
La décentralisation, caractéristique de cette approche de production du logement social, a d’importantes conséquences en termes de développement urbain : les entreprises de promotion immobilière transigent directement avec les gouvernements municipaux (Harner et al., 2009), notamment pour l’obtention de permis. Cette décentralisation, combinée aux déficiences dans l’instrumentation urbaine (souvent caduque) et aux problèmes de contrôle dans un contexte de corruption, a facilité une forte croissance du parc de logements sociaux en milieu périurbain, pendant les dernières années.
Les données sur la dynamique démographique des deux dernières décennies dans la RMG reflètent bien une transformation sociospatiale marquée par l’étalement urbain : une croissance de la superficie urbanisée plus importante que celle de sa population. Ceci étant dit, d’importants contrastes peuvent être observés entre les municipalités de la conurbation (tableau 1). En effet, entre 1990 et 2010, la municipalité de Guadalajara a perdu 155 000 habitants ; les autres municipalités, en revanche, ont vu leurs populations exploser. Ceci est notamment le cas de Tlajomulco de Zúñiga, une municipalité de deuxième couronne dont la population s’est multipliée par six pendant la même période. Cela correspond au taux annuel de croissance le plus élevé du pays (12,5 %) selon l’INEGI (2010).
Sur le plan spatial, jusqu’au début du siècle, cette croissance urbaine s’est faite généralement de manière intégrée, c’est-à-dire par la juxtaposition de nouveaux secteurs à la ville existante. Toutefois, à partir des années 2000, on observe un développement marqué de secteurs non adjacents à la zone urbanisée existante, principalement au nord et au sud de la région métropolitaine, dans les municipalités de Zapopan et Tajomulco de Zúñiga (figure 1). Ces secteurs correspondent souvent à des projets immobiliers de logements sociaux, développés dans la foulée des réformes aux politiques de logement social évoquées précédemment.
Entre 2005 et 2010, alors que le taux annuel de croissance de la population dans la RMG a été de 1,72 %, celui de la croissance du nombre de logements a été de 3,16 % ; dans certaines municipalités de 2e et 3e couronnes, comme Tajomulco de Zúñiga, le taux a même atteint 17 % (COEPO, 2012), principalement en raison de la multiplication de projets de logement social. Des variations similaires sont observables en ce qui a trait à la croissance du nombre de logements habités (tableau 2).
Par leur taille, ces projets immobiliers transforment radicalement la dynamique urbaine des municipalités où ils s’inscrivent, d’autant plus qu’ils sont réalisés sur des terrains utilisés auparavant pour les activités agricoles, autrefois la principale activité économique de municipalités comme Tlajomulco de Zúñiga (Núñez Miranda, 2007). De plus, bien que destinés à une clientèle à faible revenu, ces projets sont généralement réalisés depuis plus d’une décennie selon le modèle de communauté fermée (García Peralta et Hofer, 2006), que nous décrirons ci-après.
Le projet Hacienda Santa Fe
Construit entre 2002 et 2006 dans la municipalité de Tlajomulco de Zúñiga (figure 2), Hacienda Santa Fe a été le premier projet de son genre dans la municipalité. Il s’agit d’un développement immobilier de 308 ha comportant 17 040 logements unifamiliaux de 1 ou 2 étages (Pina, 2013). Chaque logement, de 50 à 70 m2 de surface de plancher, est construit sur un terrain de 75 à 90 m2 (Núñez Miranda, 2011). Ces logements sont distribués en 148 sous-ensembles (ou clusters), construits en plusieurs phases (13 selon la municipalité). Les sous-ensembles constituent une variation du modèle de communauté fermée ou gated community, dont les caractéristiques typiques sont les suivantes :
1) l’espace public (ou ce qui est normalement un espace public) y est privatisé ; 2) [la communauté fermée] est délimitée par une grille, un mur ou une autre barrière physique et 3) son accès est limité aux seuls résidants (et aux personnes autorisées par eux)
Blakely et Snyde 1997, dans Séguin, 2003 : 181
Au Mexique, dans plusieurs développements résidentiels modestes configurés en communautés fermées, « l’enceinte périmétrale est constituée par les logements eux-mêmes, les murs aveugles des dos de maisons alignés pour matérialiser la frontière avec l’extérieur, tout en limitant la perception d’une barrière depuis l’intérieur » (Jacquin et Capron 2010 : 37). C’est aussi le cas à Hacienda Santa Fe, où chaque sous-ensemble est indépendant des autres par son organisation spatiale, les voies de circulation n’ayant pas de continuité (figure 3). La capacité de ces sous-ensembles varie de 140 logements (6 îlots) à 400 logements (20 îlots), mais chacun comporte un noyau d’espaces publics plutôt austère, plus précisément un terrain désigné comme parc, muni de quelques pièces de mobilier urbain (généralement des modules de jeu pour enfants en acier).
Dès l’installation des premiers résidants, plusieurs irrégularités légales du projet ont été mises en lumière (Pina, 2013). Bien que construit dans le respect du règlement de zonage en vigueur (en 2001), Hacienda Santa Fe occupe des terrains consacrés précédemment aux activités agricoles (ejidos), en partie inondables (Tlajomulco de Zuñiga, 2010 : 36). De plus, le secteur a été longtemps accessible uniquement par une voie locale, soit une ancienne route de campagne qui le relie aux bourgs d’Unión del Cuatro et de Concepción del Valle, provoquant d’importants problèmes d’accessibilité. Depuis 2013, le prolongement de l’avenue Colon (une composante importante du réseau artériel métropolitain) a permis de diminuer en partie les problèmes de mobilité des résidants, notamment en rendant plus accessible le service de transport en commun.
Fait frappant, en 2006, 97 % des logements étaient vendus, mais seulement 50 % étaient occupés (Núñez Miranda, 2007). L’occupation a augmenté au fil des années mais, en 2011, un logement sur quatre était encore vide [2] (Núñez Miranda, 2011). Soulignons que, dans l’État de Jalisco, le surplus de logements est parmi les plus élevés du pays (Vázquez, 2013). Il s’agit d’une situation paradoxale, dans la mesure où la structure démographique exerce une forte pression sur le marché du logement. La satisfaction résidentielle des résidants pourrait expliquer, ne serait-ce qu’en partie, cette situation.
La satisfaction résidentielle
Les résultats du volet empirique de notre démarche, concernant la satisfaction résidentielle, mettent en évidence l’importance de plusieurs caractéristiques d’Hacienda Santa Fe pour les résidants, notamment en termes de localisation (en périphérie de la RMG, loin des pôles d’activité), de structure spatiale, de conditions du logement et d’interactions entre voisins.
D’abord, soulignons que seulement 10 % des participants sont des résidants « d’origine », ayant plus de 12 ans de présence dans le quartier, alors que 42 % se sont installés plutôt récemment, il y a moins de 3 ans (figure 4). Plus des trois quarts des participants (77 %) proviennent des municipalités de la RMG, alors que 3 % viennent d’autres municipalités du Jalisco et 10 % d’autres États du Mexique (10 % des participants n’ont pas répondu à la question).
Presque tous les répondants (95 %) habitent dans des logements avec deux chambres ; or, la majorité des ménages (58 %) comptent de quatre à six membres (figure 5). Ceci n’est pas étranger au souhait généralisé parmi les répondants (93 %) de transformer leur logement, notamment en ajoutant une chambre, voire un étage.
En ce qui concerne le niveau de satisfaction à l’égard des conditions du bâtiment, l’enquête montre qu’un répondant sur quatre n’est pas du tout satisfait, alors qu’une proportion équivalente déclare être tout à fait satisfaite (13 %) ou avoir un niveau élevé de satisfaction (12 %). Entre ces extrêmes, se situent la moitié des participants, qui déclarent des niveaux de satisfaction allant d’intermédiaire (27 %) à faible (20 %), ou encore être un peu satisfaits (3 %) (figure 6).
En ce qui concerne le confort du logement (figure 7), notamment par rapport à l’éclairage, la ventilation et l’isolation acoustique, un tiers des répondants (32 %) déclarent un niveau intermédiaire de satisfaction. Le reste des participants est distribué de manière plutôt équilibrée entre ceux qui déclarent des niveaux de satisfaction inférieurs (31 %, soit 13 % pas du tout satisfaits, 13 % déclarant un niveau faible de satisfaction et 5 % étant peu satisfaits) et ceux qui déclarent des niveaux de satisfaction supérieurs (23 % déclarant un niveau élevé de satisfaction et 13 % étant tout à fait satisfaits).
Dans notre enquête, nous avons interrogé les participants au sujet des espaces publics adjacents à leur logement, au sein de leur sous-ensemble. Pour presque la moitié d’entre eux, le niveau de satisfaction quant à l’état de la rue est intermédiaire (48 %). Une proportion similaire déclare des niveaux inférieurs, allant d’une satisfaction faible à pas du tout satisfaisant (figure 8).
En ce qui a trait à l’éclairage artificiel des rues (figure 9), les résultats sont plus partagés : un répondant sur quatre déclare un niveau de satisfaction intermédiaire (27 %), alors que le reste est distribué de manière plutôt équilibrée entre des niveaux de satisfaction supérieurs (25 % très satisfaits ; 13 %, satisfaction élevée) et inférieurs (10 %, satisfaction faible ; 6 % peu satisfaits ; et 19 % pas du tout satisfaits).
Les niveaux de satisfaction suivants ont trait aux caractéristiques non seulement de l’environnement immédiat des répondants, mais aussi d’Hacienda Santa Fe dans son ensemble. Premièrement, nous avons interrogé les participants au sujet de deux services de base, soit l’eau potable et la collecte de déchets. Dans les deux cas, les réponses sont partagées : près d’un répondant sur quatre déclare un niveau de satisfaction intermédiaire, les autres étant répartis entre des niveaux de satisfaction supérieurs ou inférieurs (figures 10 et 11).
Finalement, nous avons interrogé les résidants sur la sécurité et leurs relations avec les voisins. À juger par les réponses, Hacienda Santa Fe suscite beaucoup d’inquiétude parmi les résidants : près de la moitié des participants (44 %) déclarent que leur milieu n’est pas du tout satisfaisant en matière de sécurité (figure 12). En ce qui concerne les relations entre voisins, les résultats sont plus positifs : près de la moitié des participants déclarent un niveau de satisfaction totale (26 %) ou élevée (18 %). Seulement 11 % des participants déclarent n’être pas du tout satisfaits sur ce plan (figure 13).
Discussion
Comme les autres projets immobiliers du même type, Hacienda Santa Fe répond au déficit de logement de la RMG, que López Moreno (2001) qualifie d’historique. Dans ce sens, nous pouvons affirmer que le projet correspond bien à un besoin local. Pourtant, un des phénomènes les plus évidents dans les quartiers de logements sociaux construits récemment à Tlajomulco de Zúñiga est celui des logements inoccupés ou abandonnés (Núñez Miranda, 2011). Dans son étude, Pina (2013) suggère plusieurs raisons pour expliquer le départ des résidants ou l’inoccupation des logements depuis leur construction : la difficulté de paiement des prêts hypothécaires ; le coût, en argent et en temps, des déplacements quotidiens vers des secteurs d’emploi et de services très éloignés ; puis l’augmentation de l’insécurité et la dégradation du quartier. La localisation et le manque de diversité fonctionnelle des projets de ce type rendraient les résidants captifs dans des environnements de faible qualité. Dans notre enquête, nous n’avons pas fait le relevé des logements inoccupés. Toutefois, l’ancienneté des répondants nous laisse croire qu’une bonne partie des logements est restée inoccupée pendant plusieurs années ou qu’il y a un roulement important dans le quartier, alors que deux personnes sur cinq habitent Hacienda Santa Fe depuis trois ans ou moins.
Notre enquête met en évidence un décalage entre les besoins des résidants et les caractéristiques physiques du logement, notamment en termes d’espace habitable : neuf répondants sur dix souhaiteraient augmenter le nombre de chambres à coucher, alors que la majorité des ménages comportent de quatre à six membres. Ce décalage, plus d’une décennie après la construction de l’ensemble, peut être lié à l’arrivée récente des résidants ou à leur incapacité d’effectuer des travaux d’agrandissement, en raison de contraintes budgétaires, par exemple. Quoi qu’il en soit, la même situation s’observe régulièrement dans les évaluations de satisfaction résidentielle menées dans les quartiers périurbains de logements sociaux du pays (Sociedad Hipotecaria Federal, 2012). Une recherche plus fine portant sur le processus d’agrandissement et de réaménagement des logements (souvent par l’autoconstruction) permettrait de mieux saisir les obstacles et les déclencheurs de telles transformations, ainsi que leur impact sur la vie des résidants du logement et du quartier.
Malgré le souhait généralisé de transformer le logement, le niveau de satisfaction des résidants à l’égard de leur logement est plutôt élevé, surtout en ce qui a trait aux propriétés physiques des espaces (acoustique, éclairage et ventilation). Nous pouvons interpréter cette relative satisfaction comme une manifestation du processus de rationalisation ou d’adaptation au contexte (Bernard, 1992). La question sur le souhait de transformation du logement a donc constitué une manière indirecte (et assez révélatrice) de saisir le niveau de satisfaction des répondants à l’égard d’une caractéristique importante du logement : sa taille, notamment en nombre de chambres.
La satisfaction des participants à l’égard de l’environnement résidentiel à l’échelle du sous-ensemble et de l’ensemble s’avère aussi intermédiaire, notamment en ce qui a trait à l’état physique de la rue, à l’éclairage et à l’efficacité de services comme la collecte de déchets. Il faut ici préciser que, si la satisfaction à l’égard de la fourniture en eau est similaire à celle d’autres caractéristiques du milieu (comme la collecte des déchets ou l’éclairage de rue), nous avons recueilli plusieurs plaintes, formulées spontanément, lors de l’enquête. À la lumière d’un communiqué de la municipalité, nous avons pris connaissance de la présence de métaux lourds dans certaines des 115 sources d’eau du territoire municipal. Il est utile de préciser que le réseau d’eau potable n’est pas intégré : chaque développement est desservi par un ou plusieurs puits (Tlajomulco de Zuñiga, 2010). Ceci a rendu nécessaire la construction de huit usines d’épuration pour contrer, entre autres, la présence d’arsenic. Entre-temps, la consigne aux résidants est de « n’utiliser l’eau du robinet ni pour boire ni pour cuisiner » (Tlajomulco de Zuñiga, 2014). Il faut alors acheter de l’eau en bouteille (19 litres) auprès des vendeurs ambulants ou dans un commerce.
Par sa localisation, l’ensemble Hacienda Santa Fe est particulièrement vulnérable aux inondations. Les anciennes terres agricoles qu’il occupe se trouvent en effet dans des vallées qui reçoivent et accumulent naturellement l’écoulement des secteurs adjacents (Tlajomulco de Zuñiga, 2010 : 36). De plus, l’imperméabilisation des sols par le développement urbain conventionnel ne peut qu’aggraver la situation. Les épisodes d’inondation pendant les périodes de pluie sont fréquents, les infrastructures de canalisation et traitement des eaux n’ayant pas une capacité suffisante. Núñez Miranda (2011) signale d’ailleurs que les canaux (à ciel ouvert) qui sillonnent Hacienda Santa Fe et les usines de traitement des eaux usées se saturent rapidement, provoquant le refoulement des égouts.
Dans un autre registre, pour les participants à notre étude, la sécurité est clairement la dimension la moins satisfaisante de leur environnement résidentiel. Elle concerne autant l’échelle du logement que celle du cluster et de tout Hacienda Santa Fe, dans la mesure où plusieurs participants évoquaient, lors de l’enquête, des cambriolages au domicile, du vandalisme, de la consommation de drogues dans les espaces communs et des conflits entre gangs de rue des différents clusters. Les participants se plaignaient d’un manque de surveillance dans le quartier. Or, dès la mise en marché des logements d’Hacienda Santa Fe, les promoteurs ont insisté sur la sécurité que le modèle de communauté fermée et l’organisation par clusters permettraient (Núñez Miranda, 2007).
La sécurité constitue une dimension essentielle du développement de communautés fermées, notamment dans celles offrant peu d’équipements communs (Blakely et Snyder 1997, dans Séguin, 2003), comme dans les quartiers de logements sociaux. Paradoxalement, les réponses de nos participants reflètent une forte perception d’insécurité, à laquelle pourrait contribuer la configuration en communauté fermée, qui élimine la circulation de transit et, avec elle, des possibilités de surveillance informelle des espaces publics. Il est ici utile de rappeler que le logement, dans un quartier comme Hacienda Santa Fe, gagne en attrait auprès des ménages aux revenus faibles, notamment dans la mesure où il permet de réaliser un idéal, soit l’accession à la propriété d’une maison unifamiliale. Pour des chercheurs comme Jacquin et Capron (2010 : 35), « [l]a fermeture résidentielle constitue une sorte de garantie dans la recherche de cet idéal face aux risques de dévalorisation ». Une recherche sur la manière dont cette fermeture est vécue au quotidien, ainsi que sur sa métamorphose au rythme des gestes individuels ou collectifs, serait très utile non seulement pour comprendre les pratiques spatiales des résidants, mais aussi pour dégager des pistes de réaménagement.
Finalement, il est intéressant d’observer que plus des deux tiers des répondants estiment que leurs relations avec leurs voisins sont de moyennement à tout à fait satisfaisantes. Lors de la réalisation de l’enquête, certains participants évoquaient l’organisation de corvées pour l’entretien des aires communes comme occasions propices au développement de liens avec les autres résidants. Les observations d’Enríquez Acosta (2007) dans les quartiers fermés de logements sociaux au nord-est du Mexique (Tijuana) montrent que la satisfaction des résidants à l’égard de leur logement n’est pas étrangère à la dynamique sociale entre voisins. Dans certains cas, les développeurs immobiliers mettent d’ailleurs sur pied une structure de gestion collective des espaces communs. À Hacienda Santa Fe, nous ne pouvons pas exclure la possibilité d’une diversité dans l’organisation et les relations entre voisins des nombreux clusters. Encore ici, une recherche sur ces différences et sur les réalités sociospatiales auxquelles celles-ci peuvent être reliées nous paraît une voie de recherche intéressante.
Conclusion
Cette étude examine l’une des manifestations du développement urbain contemporain du Mexique, soit le quartier de logements sociaux organisé comme communauté fermée et comportant plusieurs sous-ensembles ou clusters. La notion de satisfaction résidentielle s’est avérée utile pour orienter l’exploration des liens qui existent entre les résidants et leur milieu de vie, dans un contexte marqué par l’inoccupation d’une partie significative des logements construits récemment. À la lumière de notre analyse, bien que celle-ci soit plutôt descriptive, nous pouvons affirmer que la qualité de la construction des logements sociaux est satisfaisante, alors que leur taille est, pour la plupart des occupants, insuffisante ; en revanche, sur le plan de l’urbanisation, les résultats sont mitigés. Certains services publics sont insatisfaisants et la configuration en communauté fermée ne suscite pas le sentiment de sécurité escompté. Ce sont les résidants qui en payent le prix, en s’adaptant ou parfois en partant, lorsqu’insatisfaction et capacité de mobilité résidentielle se conjuguent.
Cette recherche exploratoire constitue un jalon initial dans le cadre d’une collaboration entre chercheurs du Mexique et du Canada. L’angle de la satisfaction résidentielle nous permet de voir la complexité du phénomène du développement urbain à Guadalajara ainsi que la nécessité de raffiner et d’approfondir nos travaux, en concevant des études sur la base d’échantillons plus robustes et en combinant les approches quantitative et qualitative. Ce type de travail pourra alors contribuer à la compréhension des processus d’urbanisation contemporains et mieux orienter l’intervention urbanistique.
Parties annexes
Notes
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