Comptes rendus bibliographiques

FRELAT-KAHN, Brigitte et LAZZAROTTI, Olivier (dir.) (2012) Habiter. Vers un nouveau concept ? Paris, Armand Colin, 332 p. (ISBN 978-2-200-27710-9)[Notice]

  • Nicole Mathieu

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  • Nicole Mathieu
    Université Paris 1

C’est avec un intérêt facile à comprendre que j’ai accepté de rendre compte de ce livre dont le titre annonce l’émergence d’un nouveau concept « Habiter » alors que depuis déjà plus de 15 ans je travaille à construire celui de « mode d’habiter » dans l’espoir qu’il renouvelle la conceptualisation « géographique » du changement social indispensable dans le contexte multicrise qui a fait émerger l’utopie politique du développement durable. L’ouvrage est issu d’un colloque tenu à Amiens en 2011, à l’initiative de l’équipe Habiter, processus identitaires, processus sociaux, que dirigent et animent les deux éditeurs. En partant du constat de l’engouement dans les sciences sociales pour ce terme, « l’habiter », il se donne pour objectif de le « scientifiser » en faisant l’épistémologie historique de son apparition et de son usage, en tentant d’en consolider les définitions théoriques par un dialogue ouvert à de nombreuses disciplines, enfin, en ouvrant un chantier pour en « tester la valeur heuristique », c’est-à-dire la capacité de sortir des habitus scientifiques et de faire émerger de nouvelles « questions vives ». Le livre est bâti en deux parties, la première théorique « Habiter pour penser », la deuxième « Habiter pour éprouver l’habiter » proposant des études de cas. Il fait appel à des philosophes et un théologien, à des géographes, anthropologues, sociologues et historiens, mais aussi à des praticiens urbanistes et architectes. Le lecteur conduit par ce fil directeur (« l’habiter » est-il un concept pertinent pour renouveler la recherche ?) trouve incontestablement un intérêt à le lire d’un bout à l’autre malgré quelques inégalités du fait de la variété des points de vue, des lieux et des sujets abordés. Évaluons d’abord l’ouvrage du point de vue des objectifs qu’il s’est fixés. Clarifie-t-il le mot « habiter » se diffusant dans toutes les disciplines comme s’il était capable de revivifier les concepts mourants, voire obsolètes, qui ont accompagné l’utopie de l’aménagement du territoire ? Définit-il un concept, voire un concept nouveau ? Il ne faudra pas chercher la réponse à cette question dans l’introduction d’Olivier Lazarotti, qui se contente d’empiler des phrases censées caractériser le concept comme un renouvellement alors que sont repris tous ceux qui inondent déjà notre système interprétatif, à commencer par « espace », mais aussi « urbanité », « mondialisation », « monde » et « mondialité », et que sont mêlés l’habiter « ontologique » de Heidegger à celui « sensible » de Bachelard. Ni d’ailleurs dans la conclusion de Brigitte Frelat-Kahn qui, bien que séduisante par l’évocation de la révolte des Cairotes à la place Tahrir pour illustrer la « force heuristique de la notion “habiter” », ne réussit pas à démontrer « la fécondité effective de la mobilisation théorique qui accompagne cette notion » (p 330). Dans la première partie, seul l’article de Serge Schmitz analysant l’usage d’une notion émergente en géographie, le « mode d’habiter », rend parfaitement claires au lecteur les deux postures théoriques qui séparent les auteurs quelle que soit leur discipline d’appartenance ou leur spécialité thématique. Rares sont, d’après Schmitz, les chercheurs qui prennent la peine de définir le terme qu’ils emploient en abondance. Et pourtant pour le premier courant, qu’on pourrait appeler « idéel » ou « culturel », le sens donné à « habiter » renvoie à « demeure terrestre », « monde », « maison »… Fascinés par la philosophie et la métaphysique, géographes et praticiens se réfèrent, comme les philosophes et les théologiens, au « rapport heideggérien de l’homme avec sa terre » qui est « le propre de l’humain », ce qui conduit inéluctablement …