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Cet ouvrage est la réédition de l’anthologie publiée en 1984 chez le même éditeur par les mêmes auteurs, même si le décès du regretté Philippe Pinchemel l’a empêché de voir le produit final. Cette réédition a été enrichie d’un chapitre couvrant la production des 20 dernières années.
L’ouvrage se fonde sur une périodisation classique. L’ère prévidalienne (avant 1890) est représentée par des réhabilités comme Reclus ou le classique Malte-Brun accompagnés d’auteurs plus obscurs ou voisins (Jules Vernes !) mais pertinents. L’entourage du maître Vidal (1890-1926) et de ses disciples est évidemment bien représenté, mais on a su y admettre des oubliés comme Vallaux et Jean Brunhes. La période de maturité (1927-1960) fait place tant aux institutionnels centraux (Demangeon, Gallois, Baulig, etc.) et périphériques (Desfontainnes, Gourou, Blanchard) qu’aux francs-tireurs comme Siegrfied, Dardel ou Gottmann.
Suivent ensuite le renouvellement et les contestations des années 1960-1983. On trouvera là des bonzes comme Beaujeu-Garnier ou Pierre George, mais également des courants émergents autour des revues nouvelles que sont Hérodote (Lacoste), L’Espace géographique (Brunet, Bertrand) ou Espaces-Temps (Lévy, Grataloup) et aussi quelques inclassables comme Chamussy, Pumain, Claval ou Frémont. On aime le clin d’oeil littéraire à Gracq, Serres et Perec, paragéographes connus.
La nouveauté de cet ouvrage est dans le bilan de la période contemporaine. On y retrouve les agités de la période précédente devenus institutionnels, les courants nouveaux issus de la géographie culturelle (Berque, Bonnemaison, Stazack, Pitte), des technologies nouvelles (Verger, Dupuy, Pumain) et l’angle environnemental représenté ici par Pinchemel, Mathieu ou Bravard. On fait évidemment place aussi aux questions de genre et de représentation.
D’emblée, les auteurs l’admettent : il faut y voir un florilège plus qu’un exact portrait. On est ici plus impressionniste que photographique. Quiconque s’est intéressé à l’histoire de la géographie s’en ferait un tableau un peu différent ; inutile donc de chipoter sur le choix de tel ou tel texte. L’exercice commande un certain oecuménisme qui me semble respecté.
Cet imposant volume est précieux. Par le recul qu’il permet, les éternels angoissés existentiels que sont les géographes seront rassurés : leur discipline existe. Mieux, elle a un passé inspirant qui féconde encore aujourd’hui son avenir. En ce sens, les jeunes géographes gagneront à se perdre dans cette anthologie. Ils y trouveront des réflexions anciennes parfaitement réutilisables dans le contexte actuel, comme les considérations de Demangeon sur la crise économique des années 1930 ou les réflexions toujours heureuses de Gottmann sur l’organisation économique du monde.
De même, l’extrême spécialisation propre aux cursus universitaires contemporains ne peut que gagner à la fréquentation des champs voisins confrontés à des questions méthodologiques souvent analogues. Ainsi, le traitement des questions environnementales ne peut que s’enrichir des considérations quasi mystiques de Reclus ou plus terre à terre de Gourou.
Cet ouvrage ouvre donc de larges perspectives sur la géographie française que les lecteurs pourront enrichir par les nombreuses pistes bibliographiques proposées pour chacun des auteurs présents, ainsi qu’en fin de livre.
Les réserves que j’aurais sur ce livre portent plus sur la forme que sur le fond. Pourquoi limiter les biographies aux auteurs décédés ? On aurait aimé aussi un trombinoscope des auteurs. Enfin, si le choix d’une couverture rigide donne autorité au livre, il en augmente le coût ; une version numérique moins chère pourrait peut-être rejoindre les éternels désargentés que sont les étudiants. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là d’un livre essentiel aux collections des universités, mais aussi des cégeps et des lycées.
Existe-t-il encore quelque chose comme une école française de géographie ? Il existe en tout cas une ou des géographies qui s’écrivent en français. Cette géographie a su s’ouvrir aux courants dominants de la géographie anglo-saxonne. Est-ce réciproque ? Aussi, c’est sans crainte du paradoxe que je souhaiterais que cette anthologie soit traduite en anglais. Ne serait-ce que pour reposer nos collègues des abus de french theory.