Il est indéniable que des mutations substantielles ont transformé la géographie et, en particulier, la géographie humaine, dans la seconde moitié du XXe siècle. Dans cette note liminaire en deux parties, nous identifierons quelques influences externes et internes, puis nous présenterons un aperçu des textes de ce collectif. Au Québec, de 1960 à 1966, la société vivait la première phase de changements rapides, qui fut qualifiée de « révolution tranquille ». Durant cette période, l’évolution de la géographie fut encouragée en éducation par la création des écoles secondaires polyvalentes, des collèges et des cinq modules de géographie dans les nouvelles universités du Québec, à Montréal et en région. Outre l’enseignement, le développement et la modernisation de la fonction publique québécoise favorisaient également l’emploi de géographes. En France, et ailleurs dans le monde, survenaient, en mai-juin 1968, les émeutes étudiantes. La contestation se diffusa dans d’autres secteurs de la société. Dans l’université française, la formation et la position des mandarins furent remises en question, notamment quant à l’utilité des idées et de la méthode des professeurs formés par les élèves de Paul Vidal de la Blache. La monographie régionale fut l’objet d’une préoccupation majeure. Cette orientation tirait sa pertinence de la formation des professeurs de géographie et des concours d’accès à l’enseignement. Le contexte avait évolué, avec comme conséquence, la modification des besoins en termes de compétences géographiques. Les jeunes géographes universitaires décidèrent d’introduire l’informatique et les méthodes quantitatives dans le cursus géographique, et de se rapprocher des autres sciences sociales. La création de groupes de réflexion comme les Brouillons Dupont, la publication de nouvelles revues et la traduction d’ouvrages en langue anglaise réflètent ces changements. Durant cette période, on note aussi un renouvellement épistémologique de la géographie anglo-saxonne. On ne saurait oublier la guerre du Viêt nam et l’impact de la conscription chez les jeunes Américains. Ayant débuté plus tôt la mutation quantitative et théorique, les géographes nord-américains dénoncent les injustices et les inégalités spatiales. Leur démarche s’inscrit dans une géographie critique voire radicale, mettant l’accent sur les problèmes sociétaux comme la pauvreté, les effets de pouvoir et de ségrégation. Certains d’entre eux adopteront l’idéologie marxiste. Ces courants embrassent une perspective macrospatiale, une vision théologique selon laquelle la société s’oriente, ou peut être orientée, vers le progrès selon les propos de Klein (voir son texte). Par rapport à ce qui se passait dans les universités françaises et nord-américaines, les tenants de la « nouvelle » géographie au Québec étaient, selon Deshaies (voir son texte) « probablement plus en mode réactif qu’en mode militant ». Leur questionnement tirait sa pertinence de la géographie humaniste qui prendra différentes directions : culturelle, sociale, historique, etc. Selon le Bulletin de l’Union géographique de Laval, entre 1966 et 1969, Deshaies note que les revendications des étudiants étaient axées sur les besoins d’une formation qui tiendrait compte des exigences du marché du travail. Même constat à l’Université de Montréal : suite aux grèves des étudiants de géographie, on exigeait un meilleur ajustement entre formation et marché du travail. L’idée d’un dossier sur les défis de la géographie au Québec dans les années 1970 et 1980 résulte d’une conversation avec Claude Manzagol. Celui-ci mentionnait le rôle des coopérants français de passage aux universités Laval et de Montréal et aussi des collègues européens. Sur ce plan, j’aimerais mentionner Berdoulay et Reymond à l’Université d’Ottawa, puis le premier à l’Université de Pau et des pays de l’Adour et le second, à celle de Strasbourg ; de Racine passant de l’Université de Sherbrooke à Ottawa puis à Lausanne ; Raveneau et Bureau à Laval ; Bonn et Clement à …
Malaises et défis de la géographie au Québec dans les années 1970 et 1980Note liminaire[Notice]
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Jean-Pierre Thouez
Institut universitaire de gériatrie de Montréal
Jean.Pierre.Thouez@umontreal.ca