Dans une 2e édition revue et augmentée, Denis Eckert livre une approche bien informée du monde russe. Ni traité géographique, ni synthèse exhaustive, l’ouvrage éclaire des aspects importants d’une réalité qui ne s’arrête pas aux frontières de la Fédération de Russie, mais inclut également les Russes hors de Russie (au nombre de 25 millions). L’ouvrage se compose de neuf chapitres qui recouvrent les champs traditionnels de la géographie (transports, économie, agriculture, villes, population, etc.) mais selon un agencement inhabituel qui vient souligner en quoi l’espace étudié est devenu différent dans son positionnement et dans sa structure. Si la rupture avec le système soviétique semble irréversible, la Russie suit une voie inédite vers un nouveau modèle social, économique, politique dont l’intégration dans le système-monde reste encore bancale. L’ouvrage s’ouvre par une réflexion sur la Russie et le monde en retraçant la perte du statut de super-puissance, le déclin de sa force militaire et de son influence diplomatique, et son insertion dans le jeu de la mondialisation. Si le rapport des citoyens russes au monde extérieur a changé (consommation touristique, nouvelles pratiques sociales, essor des échanges commerciaux), les réalités de l’ouverture ont cependant leurs limites comme le révèlent la résurgence de l’eurasisme, la vague de xénophobie et le retour du culte de l’État, qui signent l’échec de la diffusion des valeurs de la démocratie. La restauration d’un pouvoir central fort, avec l’arrivée de Vladimir Poutine en 1999, ne va pas dans le sens d’une démocratisation du pays. L’étude du système de transport aborde le thème de l’aménagement d’un « territoire-continent » dont la maîtrise, rendue difficile par de fortes contraintes, reste un objectif inaccessible. Les réorientations économiques ont donné naissance à un capitalisme « à la russe » qui s’apparente davantage à une économie de rente qu’à une économie de marché. La forte concentration du pouvoir économique entre les mains de quelques grands groupes industriels et financiers, celle des hommes, des activités et de la richesse produite au profit de quelques régions (comme l’illustre la carte de la page 109) renforcent l’hétérogénéité économique du territoire. La polarisation croissante de l’espace est appréhendée comme une tendance forte des mutations à l’oeuvre. La capitale Moscou, véritable laboratoire du changement, contribue pour 22,3?% à la valeur ajoutée nationale, tandis que des espaces de plus en plus étendus restent à l’écart de tout investissement. Faute d’une redistribution des ressources nationales, le fossé se creuse entre un système métropolitain en plein développement, des régions d’industries extractives, prospères mais dépendantes de la conjoncture mondiale, des régions moins dynamiques et des périphéries sous-développées où l’abandon de toute forme de mise en valeur (agricole ou industrielle) accélère le dépeuplement et la rétraction de l’écoumène. Dans un contexte de crise démographique, il en résulte une trame du peuplement en complète recomposition. Bien documenté, illustré par une douzaine de cartes, enrichi d’une bibliographie à jour, l’ouvrage dresse un bilan contrasté des bouleversements intervenus depuis une vingtaine d’années. Les éléments d’analyse rassemblés permettent de comprendre la complexité des transformations et l’incertitude pesant sur l’évolution future du pays.
ECKERT, Denis (2007) Le monde russe. Paris, Hachette, 254 p. (ISBN 978-2-001-145965-7)[Notice]
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Marie-Claude Maurel
École des hautes études en sciences sociales