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Cet ouvrage réunissant plus de vingt textes a pour but d’interroger la réflexion cosmo‑ politique ré-introduite par les travaux d’Isabelle Stengers et de Bruno Latour. Il s’appuie sur les réflexions de chercheurs menées lors du colloque de Cerisy du même nom en 2003 afin de comprendre les modalités que les sociétés, dans leur plus grande acception (politique, associative), doivent mettre en place afin de penser et de faire un monde commun, un cosmos. L’enjeu est de taille parce que le monde dans lequel nous vivons est désormais borné, fini, circonscrit : les externalités négatives produites (pollution, nivellement des cultures non-occidentales) par l’Occident et l’économie de marché ne peuvent plus être remisées dans un lointain qui ne l’est plus. Si nous le faisons, elles reviennent alors à nous comme un boomerang (changement climatique, refus d’intégration).
Pour répondre à ce défi dont l’enjeu est éminemment géographique, Jacques Lolive et Olivier Soubeyran ont divisé ce travail collectif en quatre grandes parties pour comprendre et articuler une proposition cosmopolitique. Le premier chapitre, Proposition refondatrices (Stengers, Latour), définit le projet cosmopolitique en montrant qu’il ne peut se traduire que politiquement, comme nous l’a appris Kant, dans une norme qu’est la loi car seulement cette dernière, lorsqu’elle est raisonnablement instaurée, peut prendre en considération l’ensemble des réalités et permettre un épanouissement total. Placé dans sa contemporanéité, le projet cosmopolitique ne peut se déployer que s’il énonce et considère les acteurs et les puissances en présence nécessaires à l’élaboration d’un canevas décisionnel (expert, diplomates, politiques, associations). Le dessein de ce projet est le même que celui énoncé par Kant dans Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique (1784) : la recherche de la paix. Latour remet alors en question le naturalisme comme vecteur de paix en complétant l’analyse d’Ulrich Beck et en introduisant la nécessaire dimension de croyance rejetée par le triptyque Technique-Science-Économie.
Plus qu’un rejet de ces trois composantes de la réflexion, il est ici question tout au long de l’ouvrage, à travers les trois autres chapitres de confronter le projet cosmopolitique à l’action en réconciliant ces émanations modernes avec la compréhension de la nature, de la chose politique ; en bref, de comprendre et de gérer les rapports sociaux et environnementaux in fine spatiaux. Les chapitres sur les résonances entre cosmopolitique, science politique et aménagement (II), l’enjeu du pluralisme et le questionnement de l’alliance contre nature entre l’environnement et la cosmopolitique (III) et enfin, la cosmopolitique capturée par les théories du lieu (IV) font alors écho à l’affirmation de Piaget : « il n’y a pas de structure sans construction ». Autrement dit, et c’est d’ailleurs la force de cet ouvrage, re-construire une réalité théorique et une réalité dans l’action.
Si les intervenants réfléchissent à la portée conceptuelle de la cosmopolitique, beaucoup font part, en même temps, de leur expérience dans la gestion de problèmes locaux qui leur permet de « recoller les morceaux » donnant sens au terme de cosmopolitique : lutter contre la fragmentation des savoirs et des disciplines est le moyen de rejeter l’incompréhension mutuelle des acteurs dans leur propre interprétation du monde. Ainsi, plus qu’un avancement scientifique, les auteurs nous proposent une re-lecture du monde face à ses enjeux contemporains en réinjectant du temps long dans l’élaboration des projets hic et nunc.