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Ce livre nous propose une reconstruction historique de la mondialisation, en assumant le point de vue de la géographie. Il s’inscrit donc dans un illustre courant de réflexions philosophiques et de recherches scientifiques. Le travail de Grataloup témoigne d’une filiation intellectuelle par rapport à des géographes de l’école française tels que Dollfus et Gourou. Il faut signaler aussi l’attention judicieuse que l’auteur réserve à la géographie physique, dont il souligne l’importante fonction dans la mondialisation, dès les tâtonnements initiaux, sans pour autant lui reconnaître un quelconque rôle déterministe. Du point de vue méthodologique, il est à noter le recours systématique aux cartogrammes. A ce propos, l’influence chorématique est évidente. Toutefois, la recherche de formes qui devraient suggérer des contenus n’est pas toujours heureuse, par excès de schématisme et, parfois, en raison de quelques lourdeurs pour le lecteur.
En traçant une histoire du Monde, Grataloup définit préliminairement ses catégories de référence et tout d’abord celle même de mondialisation, qui serait le processus par lequel la superficie terrestre se transforme dans « l’espace de transaction de l’humanité » selon l’expression que l’auteur emprunte à Dollfus (p. 7). Ce processus nous est présenté dans le temps long (depuis la fin du Würmien), en soulignant la tension qui s’établit, d’un côté, entre le mondial et l’international, de l’autre côté, entre le mondial et l’universel. C’est ainsi que le lecteur est convié à une traversée des temps qui scandent l’histoire du Monde, en se plongeant d’abord dans les espaces sans Monde, mais parsemés des mondes (première partie), s’aventurant ensuite dans les chantiers qui président à la construction du Monde et dont l’évènement inaugural est la capture de l’Amérique (deuxième partie), pour finalement explorer les limites du Monde et, d’une certaine manière, sa durabilité (troisième partie).
Cette étude est stimulante à plusieurs égards. Je voudrais en citer deux au moins. Le premier concerne les rapprochements inusuels, parfois franchement surprenants, entre des faits apparemment peu liés, ce qui suggère des visions nouvelles et des interprétations créatives de la territorialité du Monde. Le deuxième a à voir avec l’aléatoire des processus historiques. Sans céder aux dérives contrefactuelles, Grataloup nous fait comprendre très clairement que cette histoire de la mondialisation aurait pu très bien être autre et que notre Monde n’est que l’un des mondes possibles. Dans ce sens, cette recherche absorbe parfaitement la leçon des sciences humaines et s’éloigne de certaines reconstructions d’inspiration plus ou moins philosophique qui ont eu la prétention de métamorphoser un esprit de l’histoire bien problématique déjà, en un esprit de la géographie plus problématique encore. A côté de ses nombreuses qualités, ce livre présente des limites quelque peu paradoxales car il donne souvent l’impression de tout décrire sans rien expliquer. Bien évidemment, l’auteur court le risque d’être trop fidèle à l’échelle globale, sans tenter le passage à de plus grandes échelles, certainement plus satisfaisantes du point de vue analytique (K.Wittfogel docet). Au fond, nous nous trouvons face à un problème d’échelle : saisir la signification locale de ce degré de connexion au système-Monde qu’est la mondialité telle que l’a définie Grataloup lui-même. Cette exploration transcalaire n’entrait pas dans le projet de ce livre, bien sûr : mais il serait fort souhaitable que quelqu’un puisse prochainement affronter cette lourde tâche.