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Cet ouvrage présente les actes du colloque sur le développement régional tenu en 2005 dans le cadre du congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS) à Chicoutimi. Le livre regroupe 25 textes, résultat de la collaboration de 43 auteurs issus des milieux universitaire, politique, culturel, public, para-public et privé.
Tous ces auteurs portent leur regard sur les enjeux associés à la gouvernance des territoires locaux et régionaux. L’analyse de ces enjeux est regroupée autour de trois grandes questions fédératrices, à savoir celles des inégalités, de la démocratie et du développement.
Les textes sont relativement convergents et complémentaires, et l’un des premiers mérites de l’ouvrage est certainement d’avoir surmonté l’écueil de l’éparpillement. Paradoxalement, ce ne sont pas tant les sujets abordés que la manière de les traiter qui pose problème. Un problème qui du reste illustre la dialectique dans laquelle se retrouve actuellement le développement régional comme discours scientifique. En effet, vouloir traiter scientifiquement de questions qui font l’objet de débats sociaux soulève inévitablement l’épineux problème du rapport entre la science et le politique. D’ailleurs, le fait d’ouvrir le colloque par la présentation d’un journaliste (Michel Venne), qui oeuvre désormais sur la scène publique au sein d’un groupe de réflexion, participe à ce mélange des genres. Le développement régional, comme discipline scientifique, a résolument pris son envol avec la célèbre monographie de Fernand Dumont et Yves Martin publié en 1963. L’émergence de ce nouveau chantier de recherche trouvait à l’époque de nombreux échos dans le débat public entourant les activités du Bureau d’aménagement de l’est du Québec (BAEQ). Depuis lors, les sciences régionales n’ont jamais pu totalement s’émanciper d’une orientation épistémique instrumentale que Tremblay et Simard expriment d’ailleurs clairement dans leur texte d’introduction.
Réfléchir aux questions des inégalités, de la démocratie et du développement sous-tend implicitement un biais idéologique en faveur de la justice sociale, de l’égalité politique et de l’équité territoriale. Cela se traduit dans cet ouvrage par un intérêt marqué envers la vulnérabilité socioéconomique des zones rurales au Québec (Binet et Breton), ainsi que des provinces de l’Atlantique (Desjardins). Sans pour autant vouloir renoncer à l’économie de marché, de nombreux auteurs réfutent, dans leurs acceptions du développement social, l’impérialisme de la règle marchande comme seule logique d’ordonnancement du monde, d’occupation des territoires, de dynamiques migratoires et de mutations démographiques (Fonseca Netto ; Simard ; Thérasmé et Paré).
Mentionnons enfin qu’une réflexion plus pointue sur trois formes d’inégalité spatiale est proposée au lecteur. Une première traite de l’accessibilité géographique des soins de santé (Perreault ; Castonguay et Disant ; Tremblay, Gilbert et Khandjian), une deuxième aborde la distribution géographique des établissements manufacturiers exportateurs (Gauthier ; Laliberté et Deschênes), alors qu’une troisième concerne les modalités d’organisation des relations entre unités de production et de leurs effets sur le développement régional (Rousseau et Tremblay).
La deuxième partie du livre s’ouvre par une réflexion ontologique sur le développement territorial. Juan-Luis Klein (2006 :143) y concède d’emblée que « le développement local correspond davantage à une vision multidisciplinaire tenant compte des dimensions économique, politique, sociale et, bien entendu, territoriale qu’à une théorie scientifique et rigoureuse ». N’empêche que le développement local emprunte les sillages abandonnés depuis longtemps par deux grands courants sociologiques, deux solitudes interprétatives d’une même vie sociale, qui se disputent la phénoménologie du milieu local.
Il y a d’abord une approche à prédominance durkheimienne du développement. La cohésion sociale et ses dimensions constitutives (la solidité du lien social communautaire, la force de l’identité locale et du sentiment d’appartenance, la partage d’un même idéal) renvoient à une vision en quelque sorte romantique du développement social. Le texte de Noiseux et Fontan, celui de Tremblay et celui de Simard, Champagne et Beaulé s’inscrivent dans ce premier paradigme. Il y a par ailleurs une approche à prédominance webernienne du développement. Un courant d’interprétation du social au sein duquel le rôle de l’acteur (Soumahoro) et des mouvements sociaux (Guay) est surdéterminant dans l’explication de toute dynamique d’action collective (Bonner et Bryant).
La troisième et dernière partie du livre est très certainement la moins homogène de l’ouvrage. Elle regroupe des textes variés qui traitent de la gouvernance de l’environnement (Chouinard, Martin et Vanderlinden), de la difficulté d’identifier des indicateurs servant à mesurer le développement durable (Lapointe), de la faisabilité d’un plan d’aménagement de parcs naturels habités au Québec (Allie), ainsi qu’une analyse de la récente commission d’enquête instituée afin de faire la lumière sur l’ensemble du régime forestier au Québec (Filion et Pivin). À ces textes à forte préoccupation écologique s’ajoutent quelques réflexions exploratoires sur les nouveaux visages de la démocratie (Lagacé, Fortin et Prévost ; Yorn ; Lussier et Sévigny ; Rada Donath).