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Professeur d’urbanisme à l’Istituto Universitario di Architettura di Venezia, Bernardo Secchi expose dans Première leçon d’urbanisme ses réflexions sur l’urbanisme. S’il propose une leçon, c’est davantage le partage de son expérience et de ses interrogations qu’un résumé de la discipline et de son histoire. En se basant sur les travaux de nombreux autres auteurs, il entreprend une réflexion sur la pratique urbanistique du XXIe siècle. Quel est l’objet de cette pratique ; quels sont les thèmes et les problèmes auxquels est confronté l’urbaniste ; quelles sont les parties de son savoir et de ses techniques davantage susceptibles de traverser le temps ? Voilà les questions auxquelles Secchi entreprend de répondre dans son ouvrage.
À l’heure de la mondialisation, Secchi considère l’urbanisme comme la trace laissée par l’ensemble des pratiques visant la modification du territoire et de la ville. Son examen suppose à la fois la nécessité de considérer les réalisations de ces pratiques et les discours qui les ont engendrées. À cet effet, la pratique du territoire et de la ville concerne autant l’expérience quotidienne qu’une compétence spécifique. À l’instar de la plupart des autres disciplines, l’urbanisme a adopté, au cours de la modernité, une structure discursive dans laquelle le récit de l’émancipation collective et individuelle a tenu un rôle prépondérant. Si on a longtemps pensé que l’action de l’urbaniste mettrait fin au processus de dégradation des conditions de la ville et du territoire, l’urbaniste est aujourd’hui une figure située entre l’éthique du pouvoir et la recherche d’une vérité fugace.
Dans Première leçon d’urbanisme, l’auteur ne veut pas faire une histoire de l’urbanisme. Il entreprend plutôt d’en reconstituer l’arbre épistémologique. Bien que l’urbanisme se soit inspiré du discours des sciences modernes, Secchi l’associe davantage à un savoir qu’à une science. À cet effet, l’urbanisme tente de plus en plus de sortir de sa tendance héroïque et corrective, si bien qu’il balance aujourd’hui « entre l’étude du passé et l’imagination du futur » (p. 35). La conception de l’urbanisme que propose Secchi est celle d’un savoir mouvant, où le projet de l’urbaniste n’est pas seulement évalué par rapport aux normes qui l’orientent et le limitent, mais par une série d’évaluations concrètes, notamment celles induites par les acteurs et les ressources qu’il tente de mobiliser. C’est là, sans conteste, l’image d’un urbanisme ouvert et dilaté.
Selon l’auteur, deux figures principales marquent le développement de l’urbain et de l’urbanisme : la continuité et le fragment. S’il associe davantage la première à l’époque moderne, et la seconde à la ville contemporaine, les deux se sont opposées, parfois en alternance, et ont laissé leurs propres signes sur le territoire. Pour Secchi, la figure de la continuité a engendré un espace urbain régulier, exempt de tout caractère contingent. C’est la ville du XIXe siècle. Celle-ci présentait, selon l’auteur, une cohérence entre sa forme urbaine, le rôle de ses différentes parties, la disposition de ses activités et la distribution des valeurs de position ; cet équilibre ayant abouti, au début du XXe siècle, à la pratique du zonage. Par opposition, la ville contemporaine apparaît, quant à elle, comme un amalgame confus de fragments hétérogènes. Elle est le lieu de la différence. Instable par nature, elle connaît des transformations continues, celles-ci donnant parfois lieu à des situations critiques et à des solutions transitoires. Les règles de lisibilité de la ville moderne n’y ayant plus cours, elle est le théâtre de nombreuses réponses apportées, en vain, à ses différents maux.
Pour Secchi, c’est là que réside la cause principale des difficultés auxquelles sont aujourd’hui confrontés les urbanistes. Ils n’ont pas su saisir le passage de la ville moderne à la ville contemporaine. Puisque celle-ci se distingue de la précédente, tant par ses formes urbaines que par son espace social, elle suppose l’adaptation d’une pratique urbanistique à sa réalité : un espace instable et fragmenté. Selon Secchi, c’est en reconnaissant cette spécificité et en acceptant de régler le projet urbanistique sur les réalités de la ville nouvelle que passe la pratique d’un urbanisme contemporain. Si le projet de ville change localement et dans le temps, il tend à devenir « une sorte de point de fuite dans lequel se reflètent la culture du lieu et de l’époque, l’histoire, le vécu, la sensibilité et les tensions des populations qui en sont les protagonistes » (p.111). Comme l’auteur le mentionne : « la complexité de la ville et de la société contemporaines [aura montré] la nécessité d’un projet renouvelé » (p. 136).
Par son actualité et sa profondeur de vue, Première leçon d’urbanisme apparaît comme un ouvrage fondamental pour quiconque s’intéresse à l’urbanisme et à la ville. Bien que le titre laisse supposer un ouvrage d’introduction, le propos de Secchi s’adresse autant au professionnel qu’à l’étudiant. Il ne s’agit pas d’un abécédaire de la discipline, mais bien davantage d’une réflexion sur les enjeux auxquels sont aujourd’hui confrontés les urbanistes. Par une généreuse bibliographie qu’il commente en partie, Secchi nous encourage à poursuivre celle-ci. C’est là sûrement son plus grand mérite : celui de nous amener à penser l’urbanisme de demain.