L’un des effets bien documentés de la mondialisation des marchés est l’accroissement et la recomposition des inégalités spatiales entre les différentes régions à l’échelle infranationale (Veltz, 1996 ; Fontan et Klein, 2005). Certaines régions seraient gagnantes alors que d’autres seraient perdantes dans cette géographie socioéconomique évolutive (Benko et Lipietz, 1992 ; Côté et al., 1995). Malgré quelques exemples de succès, la polarisation des dynamiques territoriales favoriserait la dévitalisation et le déclin démographique d’un grand nombre de milieux ruraux et de villes petites et moyennes. Même les métropoles qui accèdent au titre de ville globale risquent d’être rapidement déclassées à l’intérieur des palmarès nationaux et internationaux des villes en ascension (Sassen, 2000). La revalorisation du milieu local, qui opère en parallèle au repli relatif de l’État-providence, porte des effets positifs, mais le débat demeure ouvert quant à savoir si la somme des territoires en croissance est supérieure à celle des territoires en décroissance. À la base du processus de recomposition spatiale dans un monde hautement compétitif, on remarque un phénomène de hiérarchisation des territoires. Les lieux et territoires ont toujours inspiré des émotions riches et différenciées dans l’imaginaire collectif (Berque, 2000). Cependant, il semble que la société issue de la mondialisation commande un classement plus systématique des milieux géographiques en fonction de critères tels que les conditions climatiques, le contexte culturel, le dynamisme économique, la taille de l’établissement ou le cadre de vie. À plusieurs égards, les régions et les localités cessent d’être des lieux uniques et irréductibles les uns aux autres pour devenir des non-lieux (Relph, 1996). Ainsi, les territoires se transforment en espaces génériques, sortes de réceptacles où s’agencent, avec quelques particularités géographiques, les aménités qui permettent de soutenir le genre de vie de la société-monde en formation. La hiérarchisation des territoires induit notamment des flux migratoires à différentes échelles. La mobilité spatiale est depuis longtemps synonyme de mobilité sociale, plus spécifiquement en Amérique du Nord (Duchac, 1974). De plus, les choix successifs de localisation participent à la construction d’une identité individuelle à la carte, en particulier chez les jeunes adultes (Garneau, 2003). On parle de plus en plus de sentiments d’appartenance génériques associés à des cadres de vie standardisés, par exemple la banlieue nord-américaine (Feldman, 1996). Même si elles demeurent vivaces, les identités régionales ou de pays peuvent apparaître anachroniques ou folkloriques pour les générations montantes ou être adoptées voire achetées comme expériences temporaires. Au Québec, le phénomène de la migration interrégionale des jeunes adultes pourrait être tributaire de cette nouvelle manière de percevoir et de s’approprier l’espace géographique. Les dynamiques migratoires qui en résultent affectent les profils régionaux pour mieux consolider la hiérarchie territoriale qui les a causées, dans une large mesure. Ce texte a pour objectif premier de discuter de la dévalorisation symbolique des cadres de vie non métropolitains et des nouveaux rapports aux territoires, rapports essentiellement utilitaires. En second lieu, il s’agit de faire ressortir les effets de ces phénomènes sur les dynamiques migratoires, en particulier auprès des jeunes adultes québécois. Nous tenterons de présenter cette problématique comme constituant un phénomène géographique significatif qui amènera la recomposition des territoires et qui, en ce sens, interpelle la géographie humaine. Sur le plan méthodologique, nous analyserons la situation du Canada et du Québec à l’aide d’informations de natures quantitative et qualitative. Cette démarche permettra d’approfondir l’approche socioculturelle du phénomène migratoire en s’inspirant des travaux sur la perception de l’espace. Les termes d’espace et de territoire sont souvent utilisés comme synonymes alors qu’il s’agit de manières différentes d’aborder cet objet de la géographie et des sciences sociales. Le concept d’espace possède un caractère abstrait et …
Parties annexes
Bibliographie
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