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Dans sa préface, Luc Bureau estime, avec humour et intelligence, que ce recueil d’articles vise à «éclairer les soubresauts d’une résurrection et d’une métamorphose d’une idée… qui est un produit culturel». Va pour le «produit culturel» qu’est le territoire! Mais, à bien y penser, n’est-ce pas de cela justement que se préoccupent depuis toujours les géographes et, avant eux, tous les humains qui n’avaient pas encore inventé la géographie ni même fixé le vocabulaire pour désigner leurs habitats, ceux des animaux, ceux des végétaux? La conscience du territoire dont on estime avoir besoin pour survivre et s’épanouir, qu’il faut, par conséquent, protéger et défendre, est aussi ancienne que l’humanité. Elle explique aussi bien les querelles de voisins que les rivalités entre municipalités et régions, que les guerres continentales et mondiales, que la conquête des territoires coloniaux, que la mission que s’attribuent certains États contemporains de s’immiscer dans les affaires des autres, envahir des territoires étrangers et vouloir les régenter. Citant Jean Gottmann, il y a déjà un demi-siècle, Pierre George exprimait ce postulat géographique fondamental: «Les peuples différencient les espaces qu’ils habitent»[1]. L’espace différencié, même s’il est «pensé» de façons très diverses par les individus et par les collectivités, n’en constitue pas moins le territoire, concept et réalité qui comportent toujours les notions d’appropriation, de contrôle, d’identité.
Cette oeuvre collective exploite donc une riche matière et chacun des chapitres mériterait une appréciation particulière. Car il ne s’agit pas ici d’une thèse ou d’une démonstration systématique. Le thème, sous des facettes pertinentes, chapeaute correctement les quinze chapitres du collectif.
Sous la rubrique de l’État et des représentations territoriales sont abordées des situations québécoises relatives à la géopolitique de l’eau, de la forêt et de l’hydroélecticité dans le Nord (F. Lasserre). La forêt est aussi traitée dans la transformation d’Anticosti sous la tutelle de l’État (G. Brisson). De portée plus générale, un chapitre examine la symbiose entre la frontière et le territoire (E. Gonon). Deux textes portent sur des questions françaises: le premier, sur l’aménagement des «territoires politiques» (J. Lévy); le second évalue les politiques portuaires, non sans déplorer le retard français sur la dynamique territoriale européenne actuelle (J.-C. Lasserre). La problématique territoriale de la question linguistique est ensuite analysée dans le cas de trois États: la Belgique, la Suisse et le Canada (P. Tourret).
En tant que discours identitaire, le territoire fait l’objet de chapitres portant sur la Tunisie, «carrefour de trois mondes» (S. Jedidi); sur le Japon, «à travers la couleur» (S. Engberts); sur la Martinique, «paysage et identité territoriale» (A. Lechaume); sur l’île de Sainte-Lucie, «terroirs d’aquaculture d’algues rouges» (G. Ramdine) et, finalement, sur l’eau dans l’Ouest aride des États-Unis (F. Lasserre). Deux chapitres sont consacrés aux acteurs du territoire qualifié de «local». Grâce surtout à son vignoble, assez récent, Dunham, situé en Estrie, à quelques kilomètres de la frontière américaine, est présenté comme exemple de la construction d’un «terroir-territoire-identité» (L. Deshaies). Fruit d’une recherche qualifiée de préliminaire sur les milieux d’appartenance au Québec, l’article suivant dégage des indicateurs et des pistes d’interprétation en vue de travaux ultérieurs (J.-L. Klein, C. Tardif, J. Carrière et B. Lévesque).
Le dernier regroupement de sujets expose le cas particulier des identités urbaines et met en cause l’évolution du tissu urbain et la politique de sauvegarde du patrimoine. Les rapports Gréber (1956) et Martin (1963) ainsi que l’exemple de Place-Royale démontrent à l’envi que la sauvegarde s’est accomplie à Québec sous le signe de la démolition; la «ville historique» doit maintenant vivre ce drame «face à son passé et à son avenir» (G. Mercier). À Montréal, ville moins homogène que Québec sur le plan historico-culturel, les démolitions ont suscité de vives réactions et une certaine unanimité a fini par se manifester en vue de sauver ce qui peut l’être, à la fois dans l’arrondissement historique du Vieux-Montréal et dans le centre-ville, où prédominait l’architecture de style victorien (M. Drouin).
Dans son introduction qui justifie l’à-propos de l’ouvrage, Frédéric Lasserre rappelle que l’atténuation des contingences spatiales dans les communications, le commerce, l’économie et même l’activité sociale et culturelle, peut paraître mettre en cause l’utilité de la géographie, dont certains prédisent même la fin. L’actualité et la portée des sujets territoriaux débattus dans ce livre démontrent pourtant le grand avantage d’une géographie qui sait «poser de bonnes questions». Revenant sur l’ensemble du recueil dans sa conclusion, Aline Lechaume n’hésite pas pour sa part à déclarer: «Du discours avant toute chose, voilà ce que sont les perceptions et les représentations du territoire». Ces discours, il faut le noter, traduisent les mythes dans lesquels se reconnaissent et s’identifient les acteurs du territoire, individus, groupes sociaux, États… Au bout du compte, l’utilité de la géographie réside encore sans doute dans sa façon originale de contribuer à la réflexion sur les territoires de la planète et sur le sort de leurs habitants. Ce ne serait pas si mal après tout!
Parties annexes
Note
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[1]
Pierre George (1953) Annales, Économies-sociétés-civilisations, janvier-mars, p. 77.