Questions, opinions, débats

Territoire et cohésion sociale : la dimension politique[Notice]

  • Jacques Palard

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  • Jacques Palard
    Centre de recherche et d’étude sur le Canada et le Québec
    Institut d’études politiques de Bordeaux
    j.palard@iep.u-bordeaux.fr

Lorsque la Commission européenne a adopté en janvier 2001 son deuxième « rapport sur la cohésion économique et sociale » de l’Union, elle l’a conçu, de façon délibérée et significative, comme la suite logique des « rapports périodiques sur la situation et l’évolution des régions », publiés régulièrement depuis le début des années 1980 et dont la série se trouve ainsi close. Cette substitution souligne implicitement que la cohésion sociale est avant tout considérée par les institutions européennes comme étroitement associée à la cohérence territoriale, question devenue d’autant plus aiguë que se profile l’élargissement de l’Union à plus d’une dizaine de nouveaux pays et que va donc se poser en termes inédits la question de la convergence des économies régionales ou nationales. Le rapprochement des trois termes « cohésion », « cohérence » et « convergence » mériterait évidemment d’être explicité. En tout état de cause et à quelque niveau que l’on se situe – de l’échelon international à celui des sociétés locales –, la cohésion sociale est le plus souvent étudiée dans son contexte territorial. Et elle se pose également comme un effet des rapports de pouvoir et du jeu des forces sociales et politiques : elle renvoie en effet d’emblée à des questions qui ont trait aux processus de normalisation et de légitimation, à la transformation du lien civique et des modalités d’exercice de la démocratie, à la construction d’une communauté d’appartenance et d’une identité collective. L’intérêt désormais porté à l’émergence de nouveaux rapports entre le local (ou le régional) et le mondial et à l’établissement de nouvelles relations inter-territoriales ou inter-gouvernementales (diverses formes de régionalisation à l’échelle continentale, échanges internationaux des régions, réseaux de villes, gouvernements d’agglomération…) signale une certaine territorialisation des systèmes d’action. Cette reconfiguration ne se traduit pas de façon homogène dans l’ensemble de la société; au contraire, elle donne lieu à la formation d’archipels et représente en cela l’une des formes majeures que prend le développement inégal au sein même des sociétés occidentales. Les contributions au présent numéro des Cahiers consacrées à la participation des femmes aux luttes urbaines dans la région métropolitaine de Québec (Anne-Marie Séguin), aux enclaves résidentielles – gated communities – (Catherine Trudelle) et à la politique internationale de la ville de Québec (Nicolas Racine) montrent clairement que le territoire est devenu un enjeu central. Il ne constitue d’ailleurs pas un simple support matériel – neutre et interchangeable – des rapports sociaux, mais au contraire la cible de stratégies antagoniques. Le territoire n’est pas un simple forum où se nouerait un débat, mais bien une arène où se développent des luttes entre groupes sociaux porteurs d’intérêts et de représentations divergentes. Les actions qui s’y engagent ont pour objectif premier sa propre transformation ou son instrumentalisation. Le territorial, c’est avant tout du social en contexte, au sein duquel se déroulent des mises en intrigue : ici, en raison de la forte intrication entre luttes urbaines et luttes féministes; là, sous la forme de la privatisation d’une partie de l’espace public par volonté de distinction sociale, de discrimination spatiale et, au sens propre du terme, de mise à distance; ailleurs, en vue de constituer un réseau d’acteurs institutionnels subordonné à un renforcement de la présence régionale sur la scène internationale. Dans chacun de ces dispositifs d’action, le fondement territorial s’avère fondamental et structurant. Il permet de rendre compte de la tension qui s’instaure entre cohésion et exclusion sociales, entre stratégie d’alliance et rapports conflictuels. On ne court guère le risque de se tromper à poser comme hypothèse première celle d’une forte différenciation à la fois des systèmes de représentations spatiales et identitaires et …

Parties annexes